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décrypt'art - Page 21

  • Claude GEORGES (par Régine)

    Quelle émotion en découvrant, après une si longue absence des cimaises parisiennes, une exposition entièrement consacrée à Claude Georges. Ce peintre, qui est mort prématurément des suites d'un accident de voiture, a laissé une oeuvre rare. Rare parce qu'elle a été brutalement interrompue, parce qu'elle est d'une extrême complexité technique et n'a pas pris une ride, enfin parce qu'elle n'a pas été exposée à Paris depuis 20 ans. En effet, hormis une grande rétrospective au Musée de Montauban au printemps 2000, cette oeuvre, connue des initiés, ne l'est pas du grand public.

    La puissance de déflagration des six toiles accrochées dans la petite galerie "L'or du temps", rue de l'Echaudée, m'a laissée interdite. Que donnent-elles à voir ? A la fois un ailleurs et un nulle part ; elles nous entraînent dans des contrées totalement inconnues où la menace d'un cataclysme n'est jamais loin. On peut bien sûr y voir des paysages intersidéraux, le relief de planètes inconnues, ou des fragments d'univers en dérive, mais aussi et surtout de purs espaces mentaux où s'affrontent tout un jeu de contradiction.

    Je me suis attardée sur deux d'entre elles. Le sentiment général qui se dégage de la première claudegeorges_1963.jpg(Huile sur toile, sans titre, 1963, 97 x 130) (Photo n° 1) est celui d'un choc, d'un écrasement brutal entre deux mondes : minéral ? animal ? Des masses ovoïdes, blanchâtres, soulignées d'un léger trait noir, maculées de jaune, situées dans les deux tiers inférieurs de la toile filent et s'étirent horizontalement jusqu'à dépasser le cadre ; elles heurtent et brisent violemment une "chose" qui explose en taches rouge sang et giclures noires dans le bas du tableau. Un graphisme fin et ferme s'échappe de ce magma. Serait-ce un immense insecte ou un brasier que ces blocs blancs comme la glace auraient allumé ? Cette collision provoque à gauche de larges traînées noires éclairées de jaune, à droite des espaces blancs maculés de beige, mais ne repose sur rien. Au dessus et au dessous c'est le vide, un vide gris et transparent traversé de lueurs vaporeuses et blanches.

    Une tension intense se dégage de cette toile, partagée entre la maitrise du graphisme et du maniement de la couleur et un climat lyrique et poétique. En 1962 Claude Georges abandonne l'acrylique pour revenir à l'huile ce qui lui permet d'obtenir une grande transparence de la couleur. Voyez le gris allumé de lueurs blanches qui forme le fond de la toile, les beiges dilués, et l'utilisation du jaune éclairant les blancs et les noirs de lueurs sulfureuses : tout un jeu de forces contraires entre le chaud et le froid, la lourdeur et la légèreté notamment.

    Sur un fond gris très sombre, telle une météorite ou un grand vaisseau spatial, une grande forme ovoïde occupe horizontalement tout le champ du deuxième tableau claudegeorges_1964.jpg(huile sur toile, sans titre, 1964, 114 x 162). (Photo n° 2). Couleur de pierre sur les bords elle s'ouvre sur un vide dont la blancheur est rehaussée de quelques traces noires (mais est-ce un vide ?). Cette masse qui semble si lourde frôle à peine un sol noir d'encre et le fracasse, provoquant une série de fissures blanches qui s'illuminent de jaune, rouge, bleu profond.

    Comme dans la toile précédente, le conflit est extrême entre les forces contradictoires mises en présence et qui s'affrontent. Mais quelles sont-elles et quel est ce spectacle menaçant auquel nous assistons ? N'est-ce pas magnifique et terriblement angoissant ?

    Dans ces deux tableaux, comme dans ceux de Matta, les espaces, bousculent la perspective classique et s'imposent selon des rapports de poids, de forces, de vitesses simultanées. Celui de l'espace et du temps est exploré de façon totalement neuve. Claude Georges nous met face à des contrées jamais vues, ni même imaginées.

    De formation scientifique, l'artiste était très sensible aux découvertes de son époque ; la conquête de l'espace, les premiers pas de l'homme sur la lune, l'avaient fortement marqués. Grand amateur de science fiction et de bandes dessinées, son imagination puisait aux sources modernes du fantastique. Mais qu'on ne s'y trompe pas, si la tentation d'établir des analogies est inévitable, Claude Georges n'illustre rien, il nous montre des espaces émotionnellement neufs où de multiples forces antagonistes s'affrontent, où les formes, les lignes, les couleurs sont à la fois autonomes et liées à l'ensemble de la toile pour former un tout extrêmement cohérent.

    En conclusion je reprendrai ce que dit Geneviève Bonnefoi (1) citant Roger Caillois "Mais peut-on vraiment longtemps échapper à l'homme, échapper à la nature ? Ces feux, ces glaces, ces forces antagonistes, sont-ils rien d'autre que ceux que nous portons en nous et que l'artiste souvent exprime à son insu".

    (1) Geneviève Bonnefoi, "Claude Georges". Artistes d'aujourd'hui. Collection de Beaulieu.

    Galerie d'Or du temps, 25 rue de l'Echaudé, 75006-Paris. 01 43 25 66 66. du mardi au samedi de 14 h 30 à 19 h. Jusqu'au 27 juin 2009.

  • Gérard Titus Carmel (par Sylvie)

    GTC aux Bernardins 003.jpg

    Titus Carmel aux Bernardins 002.jpgTitus Carmel aux Bernardins 005.jpg

    A bâtiment religieux peinture métaphysique ? Le Collège des Bernardins, à Paris, bâtiment du XIII ème siècle nouvellement restauré, accueille les 159 dessins et une grande peinture de l'artiste Gérard Titus Carmel. Une suite autour de la crucifixion du retable d'Issenheim peint au 16 ème siècle par Grunewald et conservé au musée de Colmar.

    Reprenant chacun des principaux motifs de cette scène, GTC développe, selon son habitude, des séries. On regrettera l'absence d'une photo en couleur du retable qui permettrait à ceux qui ne le connaissent pas de saisir la source d'inspiration et ses "figurants", le Christ entouré de la vierge Marie, de Marie-Madeleine et de saint Jean Baptiste, tous d'un réalisme stupéfiant qui traduit l'horreur et la beauté, la violence et la joie mystique dans une palette éblouissante. 

    Regardons, par exemple, cette Marie-Madeleine qui nous est montrée pour débuter. Dans un des premiers dessins, sa silhouette  apparait au fusain, juste crayonnée de pastel rose et vert. Très nettement dessinées, au contraire, et cadrées serré sur un papier de soie rectangulaire verdâtre, figurent, en haut à droite ses mains; et son corps  se détache sur un autre rectangle, noir celui-là bordé à gauche de diagonales autoritaires rouges, une sorte de non-peint  que l'artiste appelle "bloc de hachures" et pratique souvent. Quelle façon libre d'équilibrer une composition par des traits, des superpositions et des effets de contraste!  Seconde image : Marie-Madeleine et une vierge Marie sans tête, sont en noir et blanc - fusain, encre ou mine de plomb ? - comme le fond, figures schématisées et, si l'on peut dire, malmenées. Des taches rouges soulignent la courbure du corps de Marie proche de l'évanouissement, un trait blanc retranscrit la blancheur du voile, virginal et mortuaire. Les mains, toujours d'une grande précison graphique sont mises en exergue en un point où se cristallise l'intensité de l'émotion, amour charnel et mystique, déchirement et espérance. Quant à la troisième image, elle a complètement perdu sa référence initiale. Il ne reste que des couleurs, des triangles formés par les robes des deux femmes et qui composent ainsi une oeuvre totalement abstraite. Cette trilogie montre à quel point GTC, à travers des variations, décompose et épuise son motif, et se joue des éléments formels. Est-ce que son travail n'est pas une entreprise de déconstruction des formes ? Oui, mais pour en reconstruire les lignes de force. un chemin qui va de la figuration à l'abstraction.

    Titus Carmel aux Bernardins 003.jpgLa qualité graphique des séries de pieds du Christ où cohabitent vérité anatomique et torture, et celle des mains de Marie-Madeleine, concentrent une expressivité brutale à la limite du soutenable. L'entrecroisement des doigts, véritable buisson d'épines, fleur vénéneuse ou offrande, s'inscrit ostensiblement dans une géométrie colorée, sur ou sous des  Titus Carmel aux Bernardins 010.jpgaplats  de couleurs peintes ou en papier de soie transparent, rehaussés ou se chevauchant, éléments constructifs qui  sortent les motifs de leur pur naturalisme. Un  rapprochement s'impose avec les sérigraphies qu'Ernest Pignon Ernest a inscrites sur les murs délabrés de Naples, faisant de lieux choisis des espaces plastiques. Titus-Carmel travaille, lui, l'espace plastique pour renforcer la symbolique. Le motif cruciforme noir sous les pieds cloués du Christ, comme une seconde blessure, appelle une autre référence, l'espagnol Antoni Tapiès. Mais GTC ne veut-il pas simplement nous dire que la peinture est un art du sacré.

    Reste à contempler l'ensemble des dessins dans la magnifiscence de leurs couleurs chaudes. Et la nouvelle crucifixion, ce grand tableau vers lequel tend l'oeil du spectateur. Tous les éléments y GTC aux Bernardins 001.jpgfigurent. S'en dégage une dimension spirituelle dominée par la souveraineté tragique du Christ, structurée par le noir, l'unité tonale et le dépouillement.  

    S'attaquer à un tel tableau était une gageure. On ne peut pas reprocher à l'artiste de jouer les simples copistes. J'y vois une double méditation:  sur l'épreuve de la douleur et de la foi et sur les enjeux de la peinture et de la composition.   

    Gérard Titus Carmel "suite Grünewald", Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy, 75005, Paris.   53 10 74 44. Tous les jours de 10h à 18h, le dimanche de 14h à 18h, nosturne le mardi jusqu'à 22h. Jusqu'au 7 juin 2009.

     

  • Herta Muller (par Sylvie)

    Italien - 30 Tage3.06.06, Herta Müller, technique mixte sur papier, 31 x 35 cm, 2006, Galerie Vieille du Temple, G024.JPG Les oeuvres de l'artiste allemande, Herta Müller, née en 1955 (à ne pas confondre avec son homonyme, femme de lettres allemande d'origine roumaine)  sont peu connues en France et peu montrées, mais elles ont, à chaque fois, accroché mon regard. Par la délicatesse du travail, la subtilité des couleurs et une sorte de quiétude qui en émane. Le travail sur papier reproduit ici (Italien-30 Tage 3 06 06, 2006), 35x31cm, figure dans une exposition consacrée au dessin à la galerie Vieille du Temple, à Paris et qui rassemble six autres artistes : Pierre Buraglio, Philippe Hélénon, Alexandre Hollan, Jeff Kowatch, Denis Martin et Beth Reisman. L'occasion était trop belle de parler de l'enchantement qu'elle procure.

    Des lignes essentiellement verticales, noires, sinueuses, de différentes qualité d'épaisseur et de médium - pastel, huile - s'entremèlent  au centre de la page, sur un fond blanc ombré çà et là de couleurs terreuses. Elles émergent d'un point de départ plus ou moins groupé au premier plan et que lient en botte trois taches crémeuses de couleur jaune et verte et se dispersent sur la surface du papier comme une fumée qui s'élève. Elles font le dos rond à gauche, se brisent en haut au bord d'une surface bleutée ou retombent mollement vers la droite, comme contrariées dans leur élan. Tout cela laisse supposer la nature, une nature du commencement des origines, forte de son devenir - elles s'orientent de gauche à droite -,  fragile de sa jeunesse. Il y a de la conquête dans cette affirmation verticale, une douceur conciliante dans ces arabesques. Nous croyons comprendre des branches, du feuillage, de l'eau ou du ciel...l'ossature d'un paysage bien qu'il ne soit pas figuratif. Le pastel écrasé, duveteux, donne aux  traits une sensualité tactile et dans leur fin cheminement erratique - où se reconnait une main de graveur - s'infiltre un soufle léger. Rien n'arrête l'espace dans son déploiement et chaque brindille, dans sa singularité et son isolement, laisse passer la lumière. On respire, on médite dans ce grand vide en action qui touche au minimalisme extrême-oriental et à la conception spirituelle de l'univers. Une peinture du silence qui a quelque chose à voir avec celle  de Nils Udo                                                                                                                                                                                                                            Herta Müller travaille en grande partie en Toscane. Elle y a, semble-t'il, trouvé une paix intérieure. Sa peinture nous élève.

    "Le dessin à l'oeuvre", galerie Vieille du temple, 23 rue Vieille du Temple 75004, Paris. 01 40 29 97 52. Jusqu'au 23 mai 2009. Du mardi au vendredi de 14h à 19h; samedi de 14h30 à 19h30.

  • François ROUAN (par Régine)

    De retour du Mac Val de Vitry, dont le parcours récemment bouleversé par Alain Bublex met l'accent sur notre monde d'aujourd'hui m'ayant quelque peu déprimée, je décidais de faire un détour par la rue du Bac et de m'arrêter à la Galerie Jean Fournier où une exposition François Rouan venait d'ouvrir.

    Le contraste entre les oeuvres que je venais de voir et celles que j'avais sous les yeux renforça le plaisir éprouvé devant ces dernières. Les premières, utilisant les nouvelles technologies, s'inspiraient du no man's land de nos villes, des medias, de la violence raciale... ; celles de F. Rouan étaient le résultat d'un long travail entrepris en 2004 d'après l'oeuvre de Primatice. Cet artiste, né en 1502 à Bologne, oeuvra presque toute sa vie pour François Ier et on lui doit, ainsi qu'à son ami Rosso, la décoration du Château de Fontainebleau, hélas aujourd'hui en grande partie disparue.

    La genèse des oeuvres exposées remonte à 2003. Dominique Cordellier, conservateur au Musée du Louvre, travaillait alors au projet d'une rétrospective de l'oeuvre de Primatice. Connaissant les affinités de François Rouan avec l'Italie (il fit à Rome un long séjour à la Villa Médicis) il lui demanda d'accompagner ce projet d'un dialogue artistique avec le peintre italien.

    Les oeuvres présentées actuellement chez Fournier résultent de ce travail et s'intitulent, pour les peintures, "Di sotto in su", expression qui désigne les figures divines vues de dessous au plafond des églises et des palais, pour les travaux photographiques "Sempervirens" qui signifie Rouan 7.jpg"toujours verdoyant" (photo 1) comme certaines plantes qui ignorent les saisons et comme l'oeuvre de Primatice qui ignore le temps.

    Rouan 4.jpgUne vingtaine d'oeuvres donc, de dimensions presque indentiques courent autour de la galerie, ne laissant à l'oeil nul repos, stimulant l'imaginaire, suscitant des rapprochements, provoquant le désir de distinguer les étapes du precessus de réalisation. Peut-être requièrent-elles un regard attentif proche de celui que Rouan a lui-même porté sur l'oeuvre d'un autre par delà les siècles.

    Au vocabulaire maniériste du peintre fondateur de l'école de Fontainebleau qu'il connaît bien, François Rouan répond en connivence, mais à sa manière.

    La variété du matériel utilisé complexifie à l'extrême le résultat. Photos tirées sur papier ou sur transparents, dessins, peintures à la cire, empreintes sont soigneusement découpés en bandes, souvent mélangées, puis tressées pour former des oeuvres qui dépassent rarement 50 sur 60 cm. (photo 2) Souvent retouchées à la main elles peuvent être tamponnées d'empreintes corporelles de couleur légère et poudrée.

    Les allusions, les citations à la manière des peintres du XVIème, ne manquent pas. On pense à Dufy (photo 3) Rouan 5.jpgpour la légèreté et la délicatesse du trait et l'art d'assembler des couleurs tendres. Les formes proliférantes sujettes à perpétuelle métamorphose et l'érotisme diffus ou affiché qui parcours tout ce travail évoquent André Masson Rouan 3.jpg (photo 3) et ses dessins automatiques.

    Rouan 6.jpgLes attributs du corps féminin photographiés ou tamponnés sont présents partout. Dans une petite peinture (photo 4) seins, ventre, sexe imprimés en rose bonbon, gouaché de blanc, bordé de bleu, recouvent à deux reprises un fond doré orné de volutes délicates ; les anthropométries de Klein revisitées à la facon maniériste ? Une empreinte violacée qui pourrait être un sexe de femme (photo 4) Rouan 1.jpgobstrue un autre dessin (photo 5) où s'accumulent corps et membres féminins, statue d'homme, colonnes à l'antique ; hommage à Courbet et à son "Origine du monde" ou aux amours des dieux si souvent représentés aux plafonds de Fontainebleau ?

    Ce morcellement de l'image serait-il une allusion à la déformation des corps et à l'espace désuni, caractéristiques bien maniéristes ?

    La présente charnelle des empreintes qui déposent une lumière poudreuse sur les fonds est renforcée par la beautée des couleurs utilisées : le rose fardé, le mauve tendre le disputent au vert frais, au bleu violet, au jaune lumineux.

    En faisant resurgir à sa manière la sophistication extrême de l'art du Primatice et du maniérisme François Rouan pratique, semble-t-il, l'art de l'art.

    Le résultat procure au spectateur une jubilation et un plaisir dont on aurait tort de se priver.

    François ROUAN, "Sempervirens", Galerie Jean FOURNIER, 22 rue du Bac, 75007-Paris. Tél : 01 42 97 44 00. Jusqu'au 16 mai 2009.

     

     

     

  • Jean DEGOTTEX (par Régine)

     

     

    Degottex 1.jpgA quoi tient la fascination exercée par une grande toile peinte à l'huile en 1959 par Jean Degottex et intitulée "Levez le doigt et tout l'univers est là" ? Est-ce parce qu'elle donne le sentiment d'assister à l'origine de la création, de plonger jusqu'aux racines même de la peinture ou parce qu'elle est encore toute imprégnée de la concentration extrême et de l'élan intérieur avec lesquels le peintre l'a réalisée ?

     

    Décidemment, la qualité d'une exposition n'a à voir ni avec la taille du lieu où elle se déroule, ni avec le nombre d'oeuvres exposées. J'en veux pour preuve cette toute petite galerie "L'or du temps" rue de l'Echaudée où sont exposées actuellement quatre peintures de Degottex, quatre toiles pas plus, mais quelles toiles ! En cette époque saturée d'images, où l'art reste souvent à la surface des choses, il est rafraîchissant de voir des oeuvres d'une telle intériorité. Ne les ratez pas !

     

    Cette parenthèse étant faite, revenons au tableau dont le titre fut emprunté au père fondateur de la philosophie Zen, un moine chinois du 8ème siècle, philosophie dont le peintre se sentait très proche. Son fond est gris, un gris uniforme, résulat d'un travail très lent, très appliqué. Pendant des jours et des jours il a passé des couches de couleurs successives et fait disparaître toute trace de pinceau pour aboutir à une non couleur, à l'équivalent du vide dont tout procède. Puis sur ce grand espace ouvert et vacant, d'une matité crayeuse, légèrement maculé de jaune (le tableau mesure 2,320 m x 1,90 m), après cette longue méditation, en un geste de décharge fulgurant, imprévisible, l'artiste a tracé presque au centre quelques signes noirs et brillants. Les giclures qui ont jailli du pinceau sont là pour témoigner de la vigueur du geste, elles en sont la figuration. Tel le tracé d'étoiles filantes, ces signes abolissent la neutralité du vide de la toile et le rendent actif ; ils me paraissent être l'expression de l'influx vital et sortir directement du coeur de l'artiste.

     

    Degotttex 2.jpgDans le tableau en face (Les alliances de juillet 1960), le signe qui se déploie vigoureusement et le fond légèrement modulé sont d'une absolue matité. Le noir (on dirait de l'encre) se dissout en de multiples nuances dans la neutralité du gris. Degottex a-t-il précipité son geste dans un gris encore humide qui aurait permis aux bords du signe de s'y diffuser ? Ici fond et forme ne sont plus qu'un comme si l'une était sécrétée par l'autre.

     

    Plus de cinquante ans après leur exécution, ces quelques toiles nous font toujours communiquer avec l'infini et les signes inscrits demeurent des élans de communion avec l'univers.

     

    Galerie "L'or du temps", 25 rue de l'Echaudée, 75006-Paris. 01 43 25 66 66. Du mardi au samedi de 15 à 19 h. jusqu'au 11 avril

  • Rien que des femmes ( par Sylvie)

    Elles exposent au même moment à Paris ces artistes photographes, l'une pour très peu de temps encore. Trois femmes, trois regards, trois styles bien différents. Deux d'entre elles se mettent en scène, l'autre  sur son quant-à-soi, jette, à distance, les yeux sur le monde. Passant de l'une à l'autre, ce qui ressort en tout premier de leur travail, où rien n'est laissé au hasard, c'est une remise en question des valeurs et une recherche du vrai, quelqu'en soit la brutalité.

    Marina Abramovic, (née en 1946 à Belgrade). En gros plans, souvent en noir et blanc, les photos de grand format présentées ici sont issues de performances s'appuyant sur des évènements de la vie personnelle de Marina Abramovic de 1977 à 2008. ambromavic04.jpgDe ses relations avec son compagnon Ulay elle tire une image du baiser : rien d'affectif là-dedans mais un mécanisme inspiration-expiration des deux protagonistes ; la colère prend la forme d'un double profil crié, "AAA-AAA, with Ulay", 1978 (photo1)et l'affrontement agressif celle d' un face à face à distance avec arme interposée. Toutes  situations dramatisées à l'extrême qui opérent comme des métaphores universelles .                                                                                                De même que les danseurs vont au bout de leur geste pour mieux l'imposer, Abramovic, dont la présence physique est débordante, explore et traduit les limites des sensations en s'impliquant physiquement. Avec liberté et autorité. Faites de même, semble-t-elle nous dire.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  En Cent8-Abramovic2-01P.jpgEn mémoire à ses origines, elle revisite les mythes et traditions yougoslaves liés à la sexualité avec une dimension personnelle et impudique. Dans "Balkan Erotic Epic: Breasts II,2005 (photo 2). elle offre au ciel son buste généreux, provocant, et son petit fichu noué sous le menton dans le pur style réalisme soviétique.  "Je suis interessée par l'art qui dérange et qui pousse la représentation du danger" dit-elle. Dans cette image, qu'est-ce qui , selon elle, est le plus dangereux, la sexualité ou le régime politique.

                                                                                                                                                                   Galerie Serge Le Borgne, 108 rue Vieille du Temple, 75003, Paris. Jusqu'au 30 avril 2009.

    Katharina Bosse, ( née en 1968). Le travail de cette artiste finlandaise se rattache, elle aussi, à l'art corporel. C'est cru, dérangeant comme peut l'être une intimité dévoilée.  Non sans audace, elle traite ici de la maternité aujourd'hui, un sujet peu abordé depuis les vierges à l'enfant de la peinture ancienne. Ce "Portrait of the artist as a young mother", c'est elle avec ses enfants, nue dans la nature, offerte de façon très ostentatoire, en très grand format (160x125 cm). GEDC0094.JPGElle nous fait voir l'innocence de son ventre rond de parturiente, comme Botticelli Vénus,sa bestialité de mère-louve allaitant à quatre pattes, sa sexualité assumée le sexe à l'air, poils pubiens bien visibles. Son manque de pudeur parait si authentique que ce qui était jusqu'alors tabou, d'une esthétique trash porteuse de malaise, prend une autre dimension. GEDC0092.JPGC'est d'ailleurs dans le vert que la plupart des  scènes se passent, révèlant le plein accord des trois éléments, maternité-sexualité-nature, une vie du corps vécue sans honte mais non sans défi. Chair épanouie et couleurs fraiches à la Walt Disney rappellent l'influence du new-burlesque, ce mouvement artistique issu des spectacles de cabaret et autres Betty Boop. Un peu d'humour ne nuit pas.                                                                                                                        Galerie Anne Barrault, 22 rue Saint Claude, 75003, Paris. Jusqu'au 7 mars 2009. 

    GEDC0087.JPGValérie Jouve, (née en 1964 à Saint Etienne). Le grand photo-montage, plus précisément un montage de photos en polyptyques, comme en font beaucoup de peintres,  rassemble des surfaces presque abstraites qui révèlent les mutations de la ville et le passage du temps: traces de truelle, lambeaux de papier, pierres brutes , pans de murs, architectures anciennes ou chantiers en cours. Il y a du Bonnard dans ces patchworks aux coloris tendres; il y a du Georges Rousse dans ces habitats désoeuvrés. Le premier plan est en quelque sorte le passé; dans l'ouverture on perçoit des travaux en cours; au dessus, un immeuble nouveau pourrait figurer l'avenir. L'introduction, en médaillon, d'un visage fatigué sur un arrière -plan  d'architecture moderne uniforme induit le vécu.  (photo 5). Comme à son habitude, Valérie Jouve traite de la rencontre entre l'humain et le paysage, entre le passé et le présent.                                                        A la fois acteurs et spectateurs, les individus anonymes, photographiés en noir et blanc, en motifs centraux plus ou moins tournés l'un vers l'autre, absorbés ou penchés sur le monde, dans une sorte d'indifférence ou d'ennui, isolés dans leur environnement, se montrent et nous montrent, par le jeu directionnel de leur regard, le contexte urbain qui les entoure.  On ne peut pas dire que cette réflexion sociologique sur l'identité du corps et du lieu soit nimbée d'optimisme mais Valérie Jouve montre bien qu'ils sont inséparables.                                                                                                                                                                                                       Galerie Xippas, 108 rue Vieille du Temple, 75003, Paris. Jusqu'au 21 mars 2009.                                                                                      

  • La donation Cordier (par Régine)

    "Vive les affinités formelles", c'est ce que l'on a envie de clamer après une visite à l'exposition "Les désordes du plaisir" au Centre Pompidou. Seconde donation du galeriste-collectionneur Daniel Cordier, elle rassemble 90 objets issus de sociétés non occidentales ou des objets dits de curiosité ainsi qu'une trentaine d'oeuvres d'art contemporain, résultat d'une recherche buissonnière, jouissive et tous azimuts, d'un esthète épris tout jeune de la beauté du monde.

    L'accrochage rend manifeste ces correspondances qui ne sont probablement apparues qu'à posteriori mais qui révèlent la sensibilité de Cordier aux formes, aux matières, aux échos qu'elles font naître, à leur rapport au corps, à tout ce qui suinte du monde et dont l'art ne serait qu'une manifestation parmi d'autres. Les objets les plus humbles, souvent de culture lointaine, font vivre des oeuvres d'art d'aujourd'hui, faisant fi des hiérarchies. Ce nouveau contexte oblige à regarder celles-ci autrement. Elles apparaissent comme faisant partie du monde, plongeant elles aussi leurs racines dans l'histoire de la terre et de l'humanité : les béances du feutre découpé de Robert Morris GEDC0001.JPGjouxtant des margelles de puits peuls, creusées par les cordages (photo 1); GEDC0009.JPGles rondeurs des coiffes zoulous au dessus de ballons de cuir patiné et des objets courbes (casques, têtes de poupées, rondelles de jouets brisés) figurant dans un tableau de Dado (photo 2). On découvre que ces connivences sautent les civilisations : des GEDC0004.JPGvisages émergent aussi bien d'un graffiti de Brassaï que de soufflets de forge dogons ou d'un "portrait au mur" de Jean Dubuffet (photo 3) ; que des similitudes existent entre production de la nature et oeuvre d'art : le même artiste  a réalisé un tableau en écorces qui voisine fort bien les circonvolutions d'un champignon parasite; des cervicales de baleine égalent en beauté les volutes vigoureuses, tourmentées et colorées d'une oeuvre surréaliste de Simon Hantaï, des empilements d'anneaux ou une sculpture de Claude Viseux faite de mâchoires de chevaux ; aux dessins de Réquichot font écho de délicates chimères de coraux. On tisse des liens entre des oeuvres exposées ici et d'autres qui ne le sont pas, par exemple un emblème nigérien, fait de crânes d'animaux, de plumes, de brindilles disposés sur un fond en vannerie, destiné à éloigner le léopard fait penser aux assemblages de Louis Pons pour qui "la décharge publique est un musée qui a raté son coup" ou GEDC0013.JPGles stalagmites de coraux et les cotonneuses éponges blanches aux sculptures immaculées d'Eric Cameron...(photo 4). Mais tout cela n'est-il pas trop beau, parfaitement  gratuit ?

    Déplacés et exposés dans un musée prestigieux ces objets, aux origines les plus diverses, perdent, bien sûr, leur sens initial qu'il soit religieux, social, ou utilitaire ; leur statut a changé. Il n'est plus question d'ethnographie. Leur but est mis au profit de leur seul potentiel plastique. Duchamp avait raison : les rapprochements purement arbitraires et esthétiques avec des oeuvres d'art dont la finalité est totalement différente n'en sont pas moin stimulants, ils mettent en marche la mécanique mentale et l'imaginaire. C'est une vraie délectation que reflète bien le titre de l'exposition, choisi par Daniel Cordier lui-même "Les désordre du plaisir".

    "Les désordres du plaisir", MNAM, Centre Pompidou, place Beaubourg, Paris 3ème. Métro Rambuteau. Tél : 01 44 78 12 33. Du Du mercredi au lundi de 11 h à 21 h. jusqu'au 23 mars.

  • Picasso...encore (par Sylvie)

    Les expositions "Picasso et les maitres" au Grand Palais et "Picasso/Manet" au Musée d'Orsay à Paris ferment leurs portes. Sacré farceur ce Picasso, on ne le dira jamais assez. J'en connais, hélas, qui, malgré le passage du temps, continuent à le trouver trop iconoclaste pour être respectable. Respect pour Le Greco, Velasquez, Poussin ou Manet... moue dédaigneuse pour ce sabordeur qui a osé se frotter aux plus grands, piquer 28-01-2009 Manet.jpgleurs sujets et les réinterpréter avec insolence. Ils oublient sans doute que la copie a toujours été une forme d'apprentis27-01-2009 15;52;34 Picasso.jpgsage et une source d'inspiration. Avant lui, Michel-Ange, Rubens, Delacroix par exemple, et bien d'autres encore ont dessiné, copié, interprété les oeuvres de leurs ainés. Près de nous, voyez Bacon  et "Innocent X" de Velasquez; Buraglio  et ses "dessins d'après" ou Alberola  et ses emprunts au Tintoret, à Courbet ou Lenain.

    Avec les variations sur "Le déjeuner sur l'herbe" de Manet, oeuvre manifeste et à scandale en son temps (1863), Picasso nous donne une leçon de savoir voir et de savoir faire, la preuve d'une connaissance de l'histoire de l'art et d'une virtuosité d'exécution hors du commun. Des multiples tableaux (27), dessins, gravures et maquettes , exécutés entre 1961 et 1962, inspirés par la toile et réunis temporairemet au Musée d'Orsay, mon emballement est allé droit aux dessins à la mine de plomb sur cartons découpés (août 1962).

     Voilà un Picasso débarrassé du paysage, qui ne s'intéresse qu'au corps, à la chair, un Picasso antiquisant qui nous rappelle  par la blancheur du carton la sculpure gréco-romaine, assez loin quand même de l'esprit"retour à l'ordre" bien vu dans les années 20/30. Affranchi des gracieusetés formelles et des vêtures idéalistes, il campe en quelques traits succincts les silhouettes du "déjeuner". Assis, debouts, couchés, ces nus ont une amplitude sereine qui contraste avec la dimension plus que modeste de leur support (entre 20 et 30 cm). Pliés, ils tiennent debout comme dans un théatre miniature. Et ces pliures, en disloquant les arabesques linéaires, laissent parler la gestuelle.Tout y est, juste ce qu'il faut là où il faut, et la vitalité , une impudeur naturelle et ce "nouage des forces contradictoires" selon l'expression de François Rouan, qui dit toute la vérité des corps. Ne restait plus à Picasso qu'à les remettre dans la nature, la vraie. Il les a fait réaliser en sculptures monumentales par Carl Nesjar et elles trônent depuis 1964 dans les jardins du Moderna Museet à Stockholm. En attendant une escapade au nord, on peut aller voir les maquettes au Musée Picasso, à Paris. Certes ce n'est pas contemporain, mais c'est tellement moderne. Un régal.

    Musée Picasso, Hôtel Sallé, 5 rue de Thorigny, 75003. Paris. 01 42 71 25 21. Tous les jours sauf mardi de 9h30 à 17h30.

  • Le Futurisme (par Sylvie)

    Retour sur l’exposition « Le Futurisme à Paris », cette avant-garde dite explosive, essentiellement italienne, dont le Centre Pompidou fête les 100 ans.

    Bien sûr, l’enthousiasme pour le mouvement, la machine, la vie trépidante et le bruit, des villes et des foules, tout cela se lit clairement. Et, dans le dialogue avec le cubisme, se perçoit bien comment celui-ci, en appréhendant les formes sous leurs différents angles en même temps,  a ébranlé avant le futurisme les certitudes anciennes et introduit cette accumulation de sensations visuelles qui nous paraissent aujourd’hui appartenir de façon évidente à la modernité.

    Et puis l’exposition nous fait connaitre des futuristes moins connus que les italiens, des russes des britanniques (Christopher Richard Wynne Nevinson ) ; ou des français ( Félix del Marle).

    Pourquoi ces œuvres m’ont-elles particulièrement poussée à des rapprochements ? Peut-être  parce qu’elles se situent à une période charnière de l’histoire de l’art où l’on porte un regard vers le futur un peu comme nous aujourd’hui. Avec une différence radicale, leur optimisme.12-01-2009 17;01;11 Uccello.jpg

    12-01-2009 17;41;32 Carlo Carrà.jpgA mes risques et périls, voici quelques unes de mes mises en parallèle.

         Devant « les Funérailles de l’anarchiste Galli » (1910, photo 2) de Carlo Carrà  s’est superposée «  La Bataille de San Romano « de Paolo Uccello (1435, photo 1). Même dynamique progressive, même vitalité, même violence, même héroïsme, mais les vibrations des slogans ont remplacé celles des lances et des arbalètes, le mouvement ouvrier la gloire de Florence.

         Le « Nu descendant l’escalier » de Duchamp, (1912 photo 3) m’a projetée devant un des « Violon brisé  » d’Arman, (années 70), photo 4) toutes choses morcelées, déconstruites.12-01-2009 16;43;15 Duchamp.jpg

    12-01-2009 16;44;29 Arman.jpg     « Le Rire » un peu monstrueux d’Umberto Boccioni (1911) m’a rappelé la violence et l’urgence de certaines « Women » (années 50) de l’expressionniste abstrait ’américain Willem de Kooning.

       Et devant la façon dont Nathalie Gontcharova  traduit le mouvement dans » Le Cycliste »,(1913, photo 5))- des cercles concentriques suggèrent la mécanique des tours de roues  et les soulignements celui du travail du corps – j’ai vu un très net rapport

    avec les vues floutées de Carole Benzaken « By night III », (2003, photo 6) Celle-ci pointe le passage et la perception des spectateurs, l’autre l’effort individuel de l’acteur, toutes le deux le mouvement -583051510-12-01-2009 16;27;25 Gontcharova.jpginachevé. Deux rapidités de temps différentes.12-01-2009 16;32;31 Benzaken.jpg

      Et comment ne pas être tenté de confronter« La rue entre dans la 12-01-2009 16;37;55 Boccioni.jpgmaison » (1911, photo 7) de Boccioni  à « Plug-in-city  Vitry-sur-12-01-2009 16;35;08 Bublex.jpgSeine »(2001, photo 8) d’Alain Bublex ? Dans la perception de la ville en chantier anarchique, tout les oppose. Chez l’un l’espace grouillant d’activité humaine fait l’admiration du spectateur inclus dans l’image ; l’autre campe un espace anonyme, vide d’êtres humains et fait de cellules industrielles modulables : deux façons de vouloir changer le cadre de vie. A 90 ans de distance.

     

    Il est un rapprochement qui n’a rien à voir avec l’histoire de l’art mais qui m’a remplie de joie, c’est la rencontre des gris cubistes, fragmentés, de Braque et de Picasso et, vus à travers la baie du musée, des toits gris, étagés, de Paris dans le brouillard hivernal...

     

    « Le Futurisme à Paris », Centre Pompidou, Paris, jusqu’au 26 janvier 2009.

  • Jean Lissarrague, Poésie et peinture (par Régine)

    P1000524.JPGPour une fois quittons la capitale et regardons vers la province. On oublie trop souvent qu'il s'y passe des évènements culturels remarquables grâce à des organisateurs passionnés et compétents. Un bon exemple en est donné actuellement au Centre Joë Bousquet de Carcassonne.

    Mais qui est Joë Bousquet ? Jeune écrivain, blessé gravement à la moelle épinière pendant la guerre de 1914, il vécut, reclus jusqu'à sa mort en 1950, dans l'hôtel familial qui abrite le Centre créé en sa mémoire. Passionné de peinture et de littérature il reçut dans cette maison et dans sa chambre, que l'on peut voir encore, les plus grands peintres (auxquels il acheta des oeuvres) et écrivains de son temps : Max Ernst, Magritte, Dubuffet, Breton, Eluard et bien d'autres.

    Respectant son esprit le centre consacre une partie importante de son activité aux rapports  poésie-peinture. S'y tient actuellement, et jusqu'à fin février, une exposition consacrée à un éditeur, Jean Lissarrague, et aux éditions qu'il a créée : Les Editions Ecarts.

    L'expositions s'intitule "Jean Lissarrague, les Editions Ecarts, Poésie et peinture, le livre en partage" et c'est bien de cela qu'il s'agit. Cet éditeur de livres de bibliophilie contemporaine (c'est-à-dire de livres tirés à très peu d'exemplaires et réunissant le texte d'un poète et son accompagnement par un artiste) ne force jamais les choses ; il ne sollicite ni un poète ni un artiste pour écrire ou illustrer un texte. Il reste ouvert aux propositions et suggestions et afin que la résonance entre le texte et l'image soit la plus juste possible il privilégie toujours les affinités électives. Ainsi pour la trentaine de livres publiés en 30 ans chaque partenaire souhaitait travailler ensemble. Pas d'idées préconçues non plus quant à la forme du livre ; sa construction doit être au plus près du texte et de l'image. Le livre pour Lissarrague est une totalité, une oeuvre, chaque fois unique.

     Ce sont les artistes avec lesquels il a travaillé qui structurent l'exposition. En accord avec le directeur du Centre, René Piniès, Jean Lissarrague a tenu pour chacun d'eux, non seulement à déployer les ouvrages dans des vitrines mais à exposer parallèlement quelques oeuvres sur les murs. Le lien entre les peintures et les livres devient ainsi évident et démontre, s'il en était besoin, que les livres ne sont pas pour ces artistes une production à part, mais font partie intégrante de leur démarche.

    IMG_5289.JPGL'exposition commence au premier étage et se termine au rez de chaussée. Dans la première salle, avec les trois livres  réalisés avec le peintre Jean Capdeville et les poètes Jacques Dupin et Yves Peyré, sont exposés quatre  tableaux très noirs, très graphiques, très gestuels. D'Alexandre Hollan, deux grands fusains d'arbres et quelques petits formats montrent la proximité avec le livre qu'Yves Bonnefoy a voulu faire avec lui. Enfin quelques oeuvres légères et raffinées de René Laubiès accompagnent les lithographies exécutées pour le texte de Bernard Noël "La Fable et le vent".

    IMG_5308.JPGDans la salle suivante le grand mur du fond est entièrement occupé par trois splendides quasi monochromes et deux diptyques de Frédéric Benrath, hommage rendu à l'artiste ami, décédé l'an dernier. La correspondance entre la profondeur, la subtilité de ces peintures et les gravures ou peintures qu'il a réalisées pour les différents ouvrages déployés dans les vitrines est évidente. Ainsi en est-il pour "Le voyage aux Iles des vestiges" que Michel Butor a écrit à partir de ses gravures, pour "Dans l'attente" de Louis Dire et d'autres encore.

    IMG_5318.JPGLui font face des  gravures de Zao Wou Ki dont les livres fait avec Claude Roy et François Cheng s'étalent dans la vitrine qui jouxte celle consacrée à Frédéric Benrath. Le déploiement de cinq essais d'une des gravures permet de suivre le cheminement de l'artiste jusqu'à son aboutissement.

    Sur la lancée du livre qu'elle venait de terminer avec Michel Deguy, dernière production des Editions Ecarts, à juste titre intitulé "Danaë dans le lit", Béatrice Casadesus a peint un triptyque et un papier. On y retrouve l'accord vibrant du bleu et de l'or qui font la splendeur de l'ouvrage.

    Sur le palier qui mène à l'escalier on redécouvre le premier ouvrage paru aux Editions Ecarts en 1976 : "Les Illuminations" d'Arthur Rimbaud illustré par Claude Georges. L'accord entre textes et images est si fort qu'il en est bouleversant. Les quelques oeuvres du peinture accrochées sur les murs permettent de se remémorer la qualité de cet artiste décédé il y a 20 ans et injustement sous estimé.

    IMG_5326.JPGDans la cage d'escalier les femmes détourées de Colette Deblé s'envolent jusqu'à la vitrine où se déploient les cinq livres imaginatifs, colorés, plein de vie qu'elle a réalisés avec Jean Lissarrague et des auteurs tel que Maurice Benhamou, Louis Dire ou le grand poète portugais Eugenio de Andrade.

    Plus loin, quelques ouvrages manuscrits et enluminés à la main par Pierre Fichet ou Florence Lissarrague.

    La dernière salle est consacrée  à la maquette du livre actuellement en cours : "Le sang sourd de la Nuit", texte que Gilbert Lascault a écrit spontanément, saisi par la force de certains dessins de Philippe Hélénon. Cette maquette est une ouverture sur l'avenir : l'aventure d'Ecarts n'est pas close, des livres sont en cours, à venir.

    Jean LISSARRAGUE, Les Editions ECARTS. Poésie et peinture, le livre en partage. Centre Joë Bousquet et son temps - 53 rue de Verdun - 11000 Carcassonne (Tél : 04 68 72 50 83) jusqu'au 28 février. ouvert du mardi au samedi de 9 h à 12 h et de 14 h à 18 h.