Balade avenue Matignon
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Après avoir souvent parcouru les galeries du Marais, l’envie nous est venue, d’aller explorer celles de l’avenue Matignon. Ce quartier, passage obligé pour les amateurs d’art dans les années 50/60, donne aujourd’hui des signes d’un nouveau souffle, probablement lié à la présence de riches étrangers . Ces galeries, consacrées essentiellement au second marché, s’adressent à des collectionneurs recherchant des œuvres d’un artiste précis et plus classique. Mais quelques nouvelles, installées plus récemment, laissent entrevoir des signes d’un nouveau développement. L’idée d’installer’ un second lieu prestigieux d’exposition a séduit quelques grands de la rive gauche venus rejoindre les anciens.
Nous n’avons pas fait de grandes découvertes mais nous y avons vu des œuvres de qualité, essentiellement des années 1960 – 1990, d’artistes reconnus, et constaté que, dans l’ensemble, celles-ci n’avaient pas pris une ride.
Par exemple, dans la belle galerie Alexandre Fleury (36 Matignon) une très puissante gouache sur papier du canadien J.P.Riopelle (1923-2002) de 1960 (1). Avec sa technique d’application de la peinture à la spatule , les couleurs explosent avec une grande vitalité.
Dans une petite toile de 1968 de la portugaise M.H. Vieira da Silva (1908-1992) intitulée nuit (2). La division de l’espace en rectangles, la densité et la finesse des traits, la subtilité des détail, l’utilisation du grain de la toile nous enchantent. A noter aussi la lumineuse gouache sur papier de Sam Francis de 1960 très justement intitulée The blue between the red and green .
Chez Alexis Lartigue (32 Matignon) , une petite œuvre de Simon Hantaï, (1922-2008) nous a subjuguées. C’est un papier froissé des années 1960 extrêmement raffiné et vivant. Sur un fond mauve, résultant du dépliage, virevoltent une multitude de formes blanches très effilées qui rappellent l'influence de Matisse. Dans un mouvement ascendant elles tentent de s’échapper du fond provoquant l’expansion de la surface (3). Hélas il nous fut interdit de photographier un petit tableau très amusant de Max Ernst accroché au-dessus de la réception.
Kamel Mennour (28 Matignon) a trois points de chute parisiens, deux sont rive gauche.
Maintenant rive droite, il présente actuellement le travail de Matthew Lutz-Kinoy, né en 1984 à New-York. Devant des toiles de fond, inspirées par l’Inde, des enfilades de pompons de laine suspendus le long de fils, mènent le regard jusqu’à l’image. Plaisir, couleur, mouvement, l'interaction de cette troisième dimension fait de l'ensemble une œuvre immersive, répétitive et ludique à la fois, marquée par l'esprit queer de l'époque. (4)
Almine Rech (18 Matignon) consacre son exposition au multidisciplinaire John Giorno (1936-2019) artiste américain, poète et mythe de l’underground qui voulait réinventer la poésie. Dans ses toiles, noires, blanches ou multicolores, grand format ou carré intime, pour John Giorno c’est le mot qui compte(5)
La galerie italienne Tornabuoni (16 Matignon) est parisienne depuis fort longtemps. Bien évidemment, elle expose des œuvres de l’Arte Povera qui a connu son heure de gloire dans les années 60. En particulier avec Claudio Parmiggiani, bien représenté ici. Dans « Senza titolo » (2025), on croit voir des livres blancs dans un bibliothèque (5) . Mais il n’y a pas de livres, seulement des rectangles verticaux accolés les uns aux autres et qui forment une grisaille. On pourrait dire qu’il n’y a, en fait, pas de matériau ou seulement un matériau pauvre, fumées insaisissables qui semblent évoluer avec une inquiétante étrangeté.
Tout est silence ou destruction, mais magnifié dans son coffrage. Le livre étant le thème de l’exposition, figurent en vitrine deux ouvrages en matériaux bruts, un grand, en plomb, de l’artiste allemand Anselm Kieffer et l’autre en verre de Pascal Convert (6).
Du Marais, Perrotin a rejoint les autres (2bis Matignon) sans sacrifier à sa ligne habituelle, modernissime. L’exposition collective du moment réunit sur les trois étages plusieurs artistes dont Takashi Murakami et ses mangas, les pâles, géométriques et fort peu subjectives toiles de Bernard Frize (7) .Mais dès l’entrée, une toile ((1975) de Hans Hartung, une sculpture métallique de deux personnage, signée Lynn Chadwick (1957), un grand tableau, noir évidement, de Soulages (2017) et une sculpture en grès émaillé bleu, lustre or de Johan Creten, forment un répertoire prestigieux.
Matignon est un quartier, un village, et quelques rues alentour en font partie.
Gagosian qui possède 18 galeries de par le monde, a
pignon sur rue de Ponthieu (n° 4). Y domine la grande sculpture murale de l'américain Robert Rauschenberg,(8) un proche des Expressionistes abstraits : «Bâton blanche», carton sur contreplaqué, (1971) qui questionne les conventions de la forme et du matériau et fait écho aux mots (1968) de Gilles Deleuze pour qui « tout acte de destruction est aussi un acte de création ». Le très fameux « Concept spatial» de Lucio Fontana,r (9) ouge et sabré (1968) participe de la même perception : une puissance jamais démentie.
A la très ancienne galerie Louis Carré, (10 avenue de Messine,) nous avons retrouvé des témoignages du mouvement que fut la Figuration libre qui, elle aussi a marqué la période charnière 1950/1960 . L’œuvre de Cueco, un »animal foudroyé » (10) de 1988 nous oblige à une reconstruction mentale de l’animal dont les morceaux sont dispersés. Mais rien de brutal, de cru et la douceur dorée du pointillisme porte au rêve. Cette œuvre est bien différente de celles qu’il fera par la suite, ayant évolué vers la Figuration narrative, opposée au Nouveau réalisme et au Pop art.
Nous n’avons pas tout vu : ayant frappé à la porte de la galerie Lelong dont les expositions sont toujours intéressantes, notre déception fut grande qu’elle fut, temporairement fermée.
Cette promenade nous a procuré bien du plaisir, ce fut comme réviser nos cours d’histoire de l’art concernant cette période et entrevoir son développement.