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  • Pierre BURAGLIO (par Régine)

    On reconnait entre mille une œuvre de Pierre Buraglio. L'exposition consacrée à cet artiste à la Galerie Ceysson et Bénétière, qui présente jusqu'au 16 mars quelques-uns de ses travaux récentes, en est l'illustration. Si la peinture y est très présente on retrouve avec bonheur la façon si personnelle avec laquelle l'artiste construit lui-même son propre espace pictural en juxtaposant des petites peintures sur tôle ou morceaux de portes creuses, en utilisant des objets ayant déjà servis (cadres de sérigraphies, montant de fenêtres, matériaux divers), en ménageant des espaces vacants, en citant le travail d'autres artistes. L'espace de son travail est donc le résultat d'un va et vient entre la réalité et sa création artistique et un pont se crée ainsi entre lui et celui du spectateur.

    Le titre de l'exposition Mon Ithaque laisse entendre la dimension biographique des œuvres exposées. Buraglio peint son histoire et l'Histoire. Son histoire bien sûr, celle de la banlieue, de Maisons-Alfort notamment, où il a vécu avec ses parents et où il vit encore, l'Histoire, notamment celle de la guerre qu'il connut enfant, et bien sûr l'histoire de l'art. Nul épanchement bien sûr mais allusion à lui-même à peinte visible.

    Prenons deux exemples. Plusieurs petites peintures ont pour titre le nom de rues ou d'avenues de Maisons Alfort ou de personnages qui y ont vécu. IMG_2777_edited.jpgCelle appelée Rue Yannis Ritsos (2021) fait allusion  à un poète grec, résistant pendant la guerre, mort en 1990. De très petite dimension (12 x 22 cm), elle est composée de deux parties clouées de façon apparente sur un morceau de bois cerclé de métal. Sur la partie du bas qui occupe les deux tiers de l'œuvre est peint un mur de briques rouges jointées de noir. Sur la partie du haut, est peinte la cime d'arbres sombres et touffus, laissant entrevoir un morceau de ciel bleu. Le mur enferme, mais au de là l'évasion et la liberté sont possibles.

    Celle appelée IMG_2772_edited.jpgMur mitoyen. A Mireille Miailhe (2022), artiste peintre, également résistante pendant la guerre, offre le même principe avec quelques variantes, mais l'atmosphère qui s'en dégage est différente. Peintes directement sur un morceau de porte creuse partiellement tronquée à droite, les briques du mur sont moins foncées et de couleur plus variées, jointés de gris elles recouvrent entièrement l'œuvre sauf une bande grise à sa base. Une échappée de verdure, d'un vert frais occupe le bout du décrochement à droite et une partie de la base.

    Plusieurs autres œuvres sont dédiées à l'artificier Roger François, également résistant pendant la guerre. Des plaques commémoratives le concernant son appliquées près d'un square à Maisons Alfort. C'est ainsi que Buraglio installe des tensions entre sa peinture, le monde extérieur et l'Histoire. Celles-ci déploient un espace poétique très particulier dans lequel est pris le spectateur.

    IMG_2771_edited.jpgLes limites et les dimensions des œuvres de Buraglio ne sont jamais données d'avance. Elles varient en fonction de son projet et des matériaux utilisés. Un bon exemple de sa façon de procéder est donné par Napalm (avec Braque) (2023) où neuf peintures sur tissus, de taille différentes, sont assemblées par agrafage. S'y côtoient la guerre et la paix. La guerre c'est la bâche de camouflage maculée qui recouvre la majorité des peintures qui composent l'ensemble. La paix c'est le dessin d'après Les oiseaux de Braque exécuté sur un tissus beige légèrement maculé. Cette même idée se retrouve dans le titre : Napalm allusion à la guerre du Vietnam ; (avec Braque), allusion à la colombe, symbole de paix.

    images.jpgAvec Fenêtre-Croix (2019), l'artiste revient à un de ses objets de prédilection : la fenêtre. Objet du quotidien c'est aussi, depuis Alberti, la métaphore de la peinture. Pour cette œuvre de 2019, d'une grande simplicité formelle, l'artiste a gardé tel quel le croisillon d'une fenêtre, en a légèrement taillé les quatre extrémités et garni la croisée d'un nuage de verre transparent et bleuté. Cette œuvre toute simple, très émouvante, fait naître chez le spectateur une multitude d'évocations et un grand sentiment d'espace et de spiritualité.

    IMG_2759_edited.jpgPlusieurs allusions à ses travaux des années 1980 sont ici présentés, telles ce fenêtre tronquées de 2022 et 2023. Objets matériels qui ouvrent sur un ailleurs et fait fonctionner l'imaginaire.

    Le format réduit de la plupart des œuvres présentées, les références nombreuses aux résistants oubliés de la guerre de 1940, au lieu où il habite, aux peintres qui l'ont intéressé, autant de caractéristiques qui relèvent de l'intime, particularisent cette exposition de Pierre Buraglio. Ce n'est pas un discours, ce sont des réflexions personnelles comme si l'artiste se parlait à lui-même et entamait une conversation avec le spectateur.

    Pierre Buraglio "Mon Ithaque", Galerie Ceysson et Bénétière, 23, rue Beaubourg, 75004-Paris. Jusqu'au 16 Mars.

     

     

     

  • Antony Gormley ( par Sylvie).

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    Une matière schématique et austère qui raconte l'histoire du vivant: quelle gageure !

    Ce n'est pas un hasard si l'exposition du britannique né en 1950 Antony Gormley se tient à Paris dans le somptueux ancien hôtel Biron du XVIIIeme siècle et son jardin à la française, devenu en 1911 l'atelier et la résidence du sculpteur (1840-1917) Auguste Rodin, aujourd'hui Musée Rodin. Ce judicieux rapprochement qui révèle leur commune préoccupation et leur passion pour le corps humain, permet  de voir ou revoir les pièces maitresses du maitre de céans - le Penseur, les Bourgeois de Calais, les Portes de l'Enfer..., celles de ses hôtes d'alors, Antoine Bourdelle, Aristide Maillol, Camille Claudel... et de saluer la puissante modernité de l'invité.

    20231022_16324320231119_125322~3.jpgDès la cour d'entrée débute l'installation principale, Critical Mass (1995) terme de référence en physique nucléaire du moment ou la matière devient instable. Gormley a dispersé des moulages noirs de corps humains en différentes positions, assis, couchés, debout ou suspendus, sculptures d'individus dans leur matérialité, semble t'il . Leur perception diffère selon leur position, leur contexte et le lieu où ils se trouvent dans le jardin (2) A l'intérieur, on les retrouve amoncelés en une pyramide burlesque ou inquiétante, comme le fit Rodin dans les portes de l'Enfer. Etrange sujet pour une sculpture. (1). 

    20231109_154237 (2).jpg20231109_154411.jpg L'exposition se déploie  ensuite dans toutes les pièces du musée en des matériaux bien de notre temps, à l'exemple de Rodin qui, à son époque, associa techniques et matériaux anciens et modernes. En tournant autour de cette construction  (3) on découvre ce qui pourrait être une autruche ou, sous un autre angle, une 20231118_100813.jpgforme 20231109_160912.jpghumaine, un corps recroquevillé avec ce que cela peut évoquer d' élan ou d'affaissement. Tout est là, les courbes du corps, sa gestuelle et sa dense volumétrie schématisées en petites pièces géométriques d'acier ( 4), formant un espace en soi. Plus loin,  une silhouette rigide fait écho à l'opulente déesse (5) et la silhouette en fils d'aluminium n'a pas de chair. Elle est  presque évanescente. Si nous existons dans l'espace, nous le contenons également.

    A interroger le corps, Gormley questionne aussi les structures spatiales qui l'entourent. Elles en modifient la perception : la place du regardeur, l'ombre ou la lumière caressante, l'espace ouvert ou restreint...contribuent à faire naitre les émotions, à transmettre quelque chose de notre condition humaine, sa vérité. Giacometti, lui aussi, cherchait à traduire cette réalité. Ainsi de la figure filiforme et fragile de "l'homme qui chavire"(1950) dans le grand vide environnant. Quel isolement !

    20231109_155235.jpg20231109_155941.jpg20231109_161005.jpgAvec une grande liberté de représentation Gormley donne à certains corps des profils de bâtiments propres à rendre leur puissance (5). La géométrie du bloc  de plâtre  égale  la masse  du corps sculpté et son âme. Rien de choquant pour notre oeil du XXIème siècle. C'est une métaphore de l'évolution humaine.  "Small skein" (1923) en fonte de fer nous le rappelle aussi, pauvre chassis que nous sommes (6). Et  voir se côtoyer ce qui pourrait bien être un portrait de Balzac bouffi et son double en polystyrène renvoi à notre pouvoir d'imagination...(7) .

    20231109_165019.jpg

    20231109_165106 (1).jpgCompléments fort instructifs, des carnets d'études et de projets figurent dans des vitrines: ils renseignent sur les recherches très personnelles de l'artiste et la façon dont s'élaborent les œuvres depuis les dessins jusqu'aux maquettes. (photo 8, 9). Passionnant !

    Antony Gormley, Critical Mass, Musée Rodin, 77 rue de Varenne 75007 Paris, jusqu'au 3 / 03/2024.

     

     

  • Monique Frydman (par Régine)

    Le plaisir que procure les oeuvres de Monique Frydman est souvent intense. Le raffinement des couleurs, leur luminosité, leur fragilité, leur poudroiement dû à l'utilisation du pastel, enchantent. Jamais cernées par un trait elles se répartissent généralement l'espace du tableau en taches ou en damiers évanescents. Fréquemment un éclat de couleur clair ou sombre contamine l'ensemble le faisant vibrer pour notre plus grand bonheur. L'aspect poudreux et délicat du pastel et le grain de la toile de coton ou de lin laissée brute procurent un plaisir presque tactile. Cette peinture touche à la fois le corps et l'esprit ; elle nous fait sentir l'aspect fugitif des choses mais aussi l'éblouissement de leur surgissement. L'exposition qui se tient actuellement à la Galerie Dutko, intitulée L'autre rive en est une fois encore la démonstration. "L'autre rive" ce titre évoque à la fois le proche comme l'inaccessible, le familier comme l'incommunicable et aussi l'autre royaume, celui des morts.

    Monique Frydman travaille au sol sur une toile de lin ou de coton, non préparée, non tendue, humidifiée par une colle légère car elle veut que la couleur imbibe la toile. Elle peint directement avec des blocs de pastel car pour elle, le rapport direct de la main avec le matériau est indispensable pour donner à la couleur toute son amplitude. "Quand on travail à l'horizontale, au sol, l'opticalité fait place à la tactilité, l'horizon on l'a sous les doigts", dit-elle. On retrouve ici avec bonheur la façon unique dont cette artiste fait jaillir la lumière par son maniement de la couleur. IMG_2240_edited.jpgAinsi dans L'autre rive 4 la tache d'un rose mauve éblouissant située en bas du tableau accroche immédiatement le regard. Elle fait vibrer la gamme des verts qui tournoient dans l'espace de la toile tandis que le rectangle noir posé au dessus d'elle renforce son impact. L'existant dans sa splendeur et sa fugacité me semble célébré ici avec force.

    IMG_2247_edited.jpgEn voici un autre exemple avec l'autre rive 10 où s'étagent une série de rectangles aux contours flous qui, de bas en haut, déploient toute une gamme de verts inouïs, puis un bleu cobalt lumineux, et en apothéose un rose délicat. Tout est mouvant, en tension et en équilibre fragile. Difficile de s'arracher à la fascination exercée par ces œuvres qui touchent à la fois tous les sens et l'âme.

    Mais l'exposition réserve d'autres surprises, notamment deux tableaux dont les tonalités multiples et très subtiles esquissent peut-être un renouveau. 20230914_182832_edited.jpgIl en est ainsi de L'autre rive 5 - Ophélie dont les couleurs qui se diffusent dans la toile flottent légère sur le fond laissé brut. On peut même deviner un visage fantomatique. Il y a quelque chose de musical au sens de Debussy ou de Webern dans leur répartition, leur harmonie, leur immatérialité. Ce tableau n'illustre pas le poème de Rimbaud, mais fait écho à sa mélancolie et à sa beauté. Il confirme la tonalité quelque nostalgique de cette série.

    20230914_181057_edited.jpgLe second, L'autre rive 3, est particulièrement émouvant. Deux tableaux de format carré sont assemblés pour former un diptyque de 249 cm de large sur 129 cm de hauteur. Sur un fond légèrement brun des taches de tonalités multiples et très subtiles, dont la légèreté et l'élégance rappellent certaines œuvres de Paul Klee, s'organisent en damiers évanescents qui semblent vouloir s'échapper de la toile ou circuler de l'une à l'autre. Il se dégage de cette œuvre un fort sentiment du temps qui passe et une douce mélancolie qui vous entraîne vers un ailleurs du tableau.

    Monique Frydman a toujours aimé travailler le papier. 20230914_181339_edited.jpgL'exposition en présente un certain nombre et c'est une autre belle surprise. Exposés avec soin, presque comme les pages d'une partition, trois groupes de quatre dessins occupent un mur de la galerie. 20230914_181321_edited.jpgLe papier de soie, un japon très fin, est aérien, les couleurs qui nimbent le papier semblent avoir été étalées avec vivacité. Le trait qui a disparu de la toile revient ici comme un griffonnage dans la couleur. Chaque groupe m'apparaît comme le développement d'une idée. Traversés par les affects de l'artiste, ils sont nous seulement très beaux mais extrêmement touchants.

    IMG_2248_edited.jpgL'exposition présente aussi un tableau très sombre, L'autre rive 6, dont la couleur occupe la totalité de la toile. Il est très différent des autres œuvres exposés qui presque toutes laissent apparaître le grain de la toile de coton ou de lin et sont exempts de la moindre ligne de dessin. Ici le fond vert sombre laisse voir ici ou là quelques lueurs tandis que des traits noirs en sillonnent le centre. Ce tableau, d'une grande beauté, qui n'est pas sans rappeler les nymphéas de Monet, dialogue avec l'ensemble de l'œuvre.

    En effet le travail de Monique Frydman ne se structure pas de façon linéaire, mais plutôt en séries qui dialoguent entre elles. Cette exposition en est un très belle démonstration.

    Monique Frydman, "L'autre rive", Galerie Dutko, 17, Quai Voltaire.=, 75007-Paris Jusqu'au 21 octobre.

     

  • Art en campagne (par Sylvie)

    Adieu les vacances, vive la rentrée et ses weekends d'automne propices à de courtes virées culturelles. La première est plein sud de Paris, en Seine et Marne, dans deux lieux à parcourir dans la foulée. Réservons pour une autre fois, en hiver, la visite du château de Fontainebleau au profit  - jusqu'au 17 septembre - d'un circuit d'une vingtaine de sculptures contemporaines dans son jardin anglais. 20230826_145600.jpg "Grandeur nature"  fait dialoguer avec plus ou moins d'humour, de poésie ou de fantastique, des oeuvres d'aujourd'hui - choisies en collaboration avec le musée de la Chasse et de la Nature - avec le paysage traditionnel. En voilà quelques unes : Carole Chebron 20230826_150029.jpga planté de multiples moulins à vent blancs dans la rocaille. Ils bruissent et tournent tels des fleurs dans la brise (photo 1).Françoise Petrovitch  fait surgir d'un buisson d'étranges créatures mi animales 20230826_153250.jpgmi humaines en grès émaillé bleu et vert comme dans un conte fantastique (2). La tortue en aluminium de Yoshikazu Goulven Le Maitre  fait l'éloge de la lenteur en accompagnant l'horizontale du  fleuve (3). On 20230826_155404.jpgy rencontre aussi un couple de personnages hybrides, mi êtres humains mi végétaux, d'une élégance toute britannique, de J.F. Fourtou ou un couple de paisibles rhinocéros  en inox, semblant brouter l'herbe, une oeuvre de François-Xavier Lalanne (4)

    Grandeur Nature, château de Fontainebleau, jardin anglais, jusqu'au 17 septembre 2023.

    20230824_110745~2.jpg20230824_122434 (1).jpg20230824_122317.jpgA quelques encablures de de Fontainebleau, à Milly la foret, a été bâtie une œuvre en béton et métal, recouverte en partie de miroirs réfléchissant la forêt environnante., le"Cyclop"  sculpture architecturale géante, époustouflante et rare exemple d'une oeuvre collective, utopie artistique entreprise à la fin des années 60 par les artistes Jean Tinguely, sa femme Niki de Saint Phalle  et leurs amis, une" fine équipe" de constructeurs hors-normes et libertaires raillant la société de consommation.                   

     L'étrange profil animal (5) de plus de 20 mètres de haut et de 350 tonnes d'acier, une tête sans corps avec un œil unique, une langue toboggan qui ruisselle d'eau et une oreille d'une tonne (6) est donc une réalisation collective au cœur de la forêt, en pleine nature, autour de grands chêne. Il faut marcher pour y accéder.  Dix ans ont été nécessaires pour l'ériger, sans architecte et sans moyens, mais grâce à l'énergie communicative et l'humour de cette bande de "Nouveaux Réalistes" que furent  Arman, Cesar, Spoerri et les autres.   Machineries complexes elles sont issues de la récupération de barres de fer, d'objets jetés, point de matériaux nobles mais déchets de la société industrielle  s'animant dans un bruit de ferraille, de moteurs et de circuits de billes géantes. Sculpture pénétrable, visitable, elle est un véritable musée où les participants, à la recherche de l'acte inutile, ont laissé leur patte : à l'entrée la "jauge" de Raynaud met en parallèle la hauteur de la" bête" et les petits visiteurs que nous sommes. César y a installé une compression. A chaque étage une surprise : ici,  un tableau de Larry Rivers en hommage à mai 68, là, sous verre, une accumulation de gants usagers d'Arman, l'oreille géante de Luginbühl (7) la colonne en  mosaïque de Nikki de St Phalle ou, référence à l'histoire, le wagon de déportés d'Eva Aeppli.. Cette  délirante échappée du réel née de l'imagination fertile du groupe a subit les affres de l'usure, des conditions climatiques et de la situation topographique. Sa conservation est particulièrement complexe. Il a fallu 20 ans pour la remettre en état et un entretien annuel est nécessaire. C'est pourquoi le site est ouvert chaque année du début avril à la fin des vacances de Toussaint. 

    Le Cyclop, Bois des pauvres, 91490 Milly la Forêt. 01 64 98 95 18. Jusqu'au 5 novembre 2023. Visites guidées de 45 minutes.

     

     

  • Isamu Noguchi (par Sylvie)

    Il est encore temps, très peu de temps mais ce serait vraiment dommage de la manquer, la première grande rétrospective du sculpteur, designer et passeur entre arts et culture "Isamu Noguchi" ( 1904-1988) qui se tient au Lam de Villeneuve d'Ascq jusqu'au 2 juillet.

    20230602_154208.jpgConnu en France surtout pour ses fameuses lampes AKARI en papier "washi" - issu du mûrier - et bambou, toutes de légèreté, que les plus âgés d'entre nous ont eu la chance de découvrir à la galerie Steph Simon, boulevard Saint Germain dans les années 60, on en oubliait que Noguchi, né aux Etats Unis d'une mère américaine enseignante et d'un père poète japonais,  fut un sculpteur au savoir faire traditionnel d'une grande inventivité, toujours au carrefour des cultures du monde .  Grand voyageur, rieux des traditions et recherches expérimentales du monde, il peut être qualifié d' artiste total.  L'éventail de ses créations est là: portraits , sculptures abstraites, objets du quotidien, décors, costumes et sculptures pour les grandes dames de la "modern dance" . Futuriste avec le grand architecte Buckminster Fuller il fut aussi l'assistant admiratif de Brancusi  à New York puis à Paris.

    Pour vous donner l'envie de prendre dès aujourd'hui le train pour Villeneuve d'Ascq, près de Lille - il ne faut qu'une heure - voilà quelques images de mes coups de coeur pour cet artiste qui pensait que la création était un acte social.

    20230602_153025~2.jpg20230602_153405 (1).jpg20230616_115354~2.jpgLes veines et les couleurs du bois modèlent ce portrait de 1932 (1) qui témoigne d' un attachement à la figuration. Mais déjà (1928) l'abstraction avec rondeurs et  plénitude était là dans la forme ovoïde de Globular (5). Puis en 1944, au 20230602_162300.jpgcontact des Surréalistes, Noguchi assemble de façon20230602_162706~2.jpg ludique et aléatoire, des éléments disparates et des formes incongrues (2). Elles nous rappellent Dali. Comme par un retour à la matière, est née Inner stone qui révèle formes, textures et couleurs de la pierre et les surfaces polies ou laissées brutes du basalte (4). En revanche le Walking Voïd - vide ambulant - de 1970 en granit noir illustre l'intérêt 20230602_161910~3.jpgde l'artiste pour la Grèce antique : véritable épure, elle laisse entrevoir un mouvement imperturbable de la marche (3) C'est en 1952 que sont éditées les premières lampes Akari légères et  fragiles. "Mon 20230616_112857~2.jpgobjectif a toujours été l'art en relation avec la vie. Elles semblent offrir un 20230602_160902.jpgépanouissement magique loin du monde matériel" disait leur créateur. Elles ont résisté au temps. (5). Pour lui, pas de frontières ni entre continents ni entre art et design. La table à jeu d'échecs (7) en est encore l'exemple. 

    Des multiples univers dans lesquels Noguchi a aimé évoluer se trouve celui de la scène. Là encore, travailler pour Martha Graham, c'était élargir les possibilités de la sculpture. Créer des  éléments de scénographie  (7) est significatif de sa passion pour les rapports entre sculpture, espace et corps.

    Oui, Noguchi  fut un trait d'union entre l'ouest et l'est, il voulait dépasser les frontières et les catégories artistiques, et incarner une vision ouverte et décloisonnée de l'art. Il est bien temps de le découvrir.

    Isamu Noguchi, "sculpter le monde", au LAM, Villeneuve d'Ascq (59), jusqu'au 2 Juillet.

     

     

  • WOLS (par Régine)

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    La rétrospective de Wols à la Galerie Karsten Greeve, qui dure jusqu'au 5 Août, est un évènement qu'il ne faut pas rater. Elle célèbre les 110 ans de l'artiste et présente un grand ensemble d'œuvres : huiles sur toile, aquarelles et dessins sur papier, gravures et photographies. Plusieurs ont été prêtées par le Centre Pompidou qui avait organisé une exposition sur son travail au printemps 2020 mais qui a dû fermer ses portes à cause de la Covid et du confinement. Elle n'a duré qu'une semaine et n'a pas pu être décalée. Un beau catalogue en garde heureusement la trace.

    Né à Berlin en 1913 Wols meurt à Paris à 38 ans. Photographe, peintre, dessinateur, graveur, proche du surréalisme, féru de musique et de philosophie Wols est considéré comme l'un des fondateurs de l'abstraction lyrique et de l'art informel en Europe, mais son œuvre est loin de se réduire à cela.

    Il émigre à Paris en 1932 où il rencontre sa future épouse, Greta Dabija, qui l'introduit dans le climat surréaliste de l'époque. Il rencontre Jean Arp, Giacometti, Calder, Fernand Léger. Apatride et sans papier il est contraint de quitter la France et part à Ibiza. Expulsé d'Espagne en 1935 il revient à France, obtient enfin un permis de séjour et vit surtout de ses photos. Après le déclenchement de la 2ème guerre mondiale, en tant qu'Allemand, il est interné au camp des Milles, puis de 1943 à 1945 il s'installe avec sa femme à Dieulefit dans la Drôme. De retour à Paris en 1945 il obtient un permis de séjour. Le galeriste René Drouin lui organise sa première exposition personnelle, suivie d'une autre en 1947. Il rencontre Jean-Paul Sarte dont il illustre deux ouvrages (présentés dans l'exposition ), Ubac, George Mathieu. Hélas, en 1951, il meurt brutalement d'une intoxication alimentaire.

    En regardant les nombreuses aquarelles et les petits dessins accrochés sur les murs de la galerie et dont les formats n'excèdent jamais plus de 22 x 40 c'est l'extrême liberté, la complexité du graphisme alliées au raffinement des couleurs qui fascinent. Instinctivement on les rapproche de celles de Paul Klee que Wols découvrit très jeune. Mais, comme l'écrit Sarte "Klee c'est un ange et Wols un pauvre diable. L'un crée et recrée les merveilles du monde, l'autre en éprouve la merveilleuse horreur". Rien n'est vraiment identifiable dans son travail, mais difficile de s'arracher à ces images mentales figuratives ou abstraites tant elles semblent inépuisables. Leur petitesse nous oblige à nous en approcher au plus près pour découvrir la richesse des formes intriquées. Certaines sont comme des rêves éveillés : ainsi l'aquarelle Sans titre (vers 1940) (photo 1)IMG_1962_edited.jpg : sur un fond d'un bleuté transparent, deux espaces se superposent. Dans celui du haut des constructions sont imbriquées les unes dans les autres. Une maison au centre est pourvue d'une multitude de fenêtres, de fragiles échafaudages s'élèvent au dessus de ces bâtiments et on aperçoit des remparts au loin. Dans l'espace du bas quelques légers traits horizontaux parcourent le fond aquarellé de brun donnant une impression de mouvement. On devine des ponts, des poteaux, une tour, un tout petit bateau. S'agit-il du cours d'une rivière ou de lignes électrifiées, ou est-ce le reflet du dessin d'en haut ? quelques minuscules traits, tels des notes de musique, réunissent les deux espaces.

    Une vision fantomatique et magnifique d'un bateau voguant toute voiles déployées nous est donné par Voilier breton IMG_1946_edited.jpg(1949) (photo 2) image troublante car elle est à la fois statique, la coque cristalline pourrait être celle d'un objet de décoration, et dynamique, le drapeau en haut du mas flotte, la voilure, aux couleurs transparentes, est gonflée. S'y dissimule un visage que l'on ne perçoit qu'après coup. IMG_1936_edited.jpgLe bateau devient presque cauchemardesque avec la pointe sèche et aquarelle intitulée Bateau (1945) (photo 3). Les voiles, de teintes délicates, sont les prisonnières d'un entre-croisement de lignes, nerveuses, presque arachnéennes. La4 coque du navire très fine supportera-t-elle sa charge figurée par un fourmillement de petit points noirs. La juxtaposition de deux univers et le bateau sont des thèmes récurrents dans son œuvre, façon d'exprimer sans doute son désir d'évasion totalement imaginaire.

    IMG_1933.JPGSon trait s'échappe de la réalité pour devenir une sorte de sténographie de ses états intérieurs. Dans l'encre et aquarelle Sans titre (1942) (photo 4) son univers se transforme en un lacis de lignes inquiétantes ponctuées de nœuds noirs et tourbillonnants. IMG_1961_edited.jpgUne déflagration violente et sanglante explose dans l'aquarelle Cataclysme planétaire (1946-1948) (photo 5) image d'une catastrophe. IMG_1987_edited.jpgEnfin Astre proche (Notre terre) (1944) (photo 6) représente-t-il un astre imaginaire, ou un organe qui se dissout en une multitude de paysages où fusionnent le végétal et l'animal. Cellules et cosmogonies, son dessin apparait comme le point d'intersection entre deux infinis et ses formes sont en constante métamorphose.

    IMG_1935_edited.jpgWols n'aIMG_1940_edited.jpg pas peint beaucoup de tableaux, mais on peut en voir quelques uns exposés ici qui sont saisissants et prémonitoires de l'abstraction lyrique des années 1950-1960. "Ses toiles il les faisait soit par terre, soit sur le lit. Avec ses mains, le plat de sa paume pour les fonds et des petits bouts de chiffon. Il travaillait très vite avec une sorte de frénésie". Ainsi s'exprime sa femme en 1953 dans une lettre au peintre Camille Bryen. Dans les tableaux plutôt tachistes ici présentés, se déploie un espace sans horizon. S'y affrontent des formes réelles et imaginaires, images mentales de son monde intérieur mises à la disposition du spectateur, libre à celui-ci de les interpréter comme il l'entent ainsi en est-il du Grand orgasme (1947) et de Sans titre (Composition) (1946-1947) (photos 7 et 8).

    IMG_1937_edited.jpgIl était aussi un excellent graveur et un remarquable photographe. Cette exposition le rappelle en montrant quelques délicates gravures dont le trait est soit proche de ses aquarelles, soit de l'univers de Fred Deux, tel cet être monstrueux  (photo 9) visage ou organe monstrueux, on ne sait mais les règnes s'y mélangent cruellement.

    IMG_1988_edited.jpgQuelques photos soulignent son talent dans ce domaine. Il publia de nombreuses photo dans des magazines de mode tel que Vogue ou Le jardin des modes et fut engagé pour photographier le Pavillon de l'élégance lors de l'Exposition universelle de 1937. Plusieurs d'entre elles, ici exposées, montrent l'acuité de son regard et la qualité de son cadrage. Il savait saisir à la fois la réalité et l'étrangeté d'une situation mais aussi la solitude des êtres (photo 10)

    Les œuvres de Wols mettent à jour ce qui est au cœur des choses et semblent se développer à partir de ce que Klee appelait le point primordial de la création. Par certains aspects, il est un précurseur aujourd'hui encore insuffisamment reconnu. Cette exposition quasi muséale, permet d'en prendre mieux conscience.

    Wols - Galerie Karsten Greve, 5 rue Debelleyme

     

  • Anna Eva Bergman (par Régine)

    La passionnante rétrospective de l'œuvre d'Anna Eva Bergman, qui se tient actuellement au Musée d'Art Moderne de Paris, répare une injustice. En effet, trop longtemps restée dans l'ombre de son mari, le peintre Hans Hartung, dont le travail est totalement différent du sien, elle bénéficie aujourd'hui de l'attention particulière portée aux femmes artistes, à un regain d'intérêt pour les artistes des années 1950-1970 et peut-être aussi à une nouvelle importance accordée à la peinture scandinave.

    Née en 1909 d'une mère norvégienne et d'un père suédois, elle suit des enseignements artistiques successivement à Oslo, Stockholm, Vienne et Paris. En 1929 elle rencontre Hartung qu'elle épouse aussitôt. La misère et la maladie les sépareront et ils divorceront en 1938, mais 20 ans plus tard ils se retrouveront et se remarieront.

    L'exposition est très intéressante car elle ne néglige aucune phase de son évolution. Dans les années 1930 son œuvre est figurative. Elle peint, de façon assez géométrique, de beaux villages blancs, des montagne ou des scènes de la vie. IMG_1509_edited.jpgC'est aussi une épatante caricaturiste au talent proche de celui d'Otto Dix ou de George Grosz. Nombre de ses dessins parurent alors dans la presse. Quelques exemples sont ici présentés, tel ce portrait à charge du generalissimo Franco (photo 1) et quelques caricatures du nazisme. Son trait satirique et très expressif dénote un humour corrosif.

    872201-anna-eva-bergman-nos-photos-de-l-expo-a-paris-img-8972_edited_edited.jpgPuis son travail évolue vers des œuvres délicates et oniriques dans l'esprit de celle de Klee et de Kandinsky. Deux beaux exemples, datés de 1951, sont ici montrés avec deux temperas sur panneau isorel Rêve bleu (photo 2) et Phare. Le raffinement de la couleur, la finesse et l'élégance du trait, invitent à la rêverie et leurs donnent une dimension cosmique.

    Mais c'est la nature qui la fascine et pour la saisir dans sa puissance elle se dégage de la figuration, fait disparaître toute représentation de la figure humaine et bascule dans un autre registre qui ne se situe pas vraiment entre abstraction et figuration mais ailleurs, peut-être dans la tension entre ces deux formes d'expression. Fascinée par la section d'or et par les possibilités offertes par le métal elle va bâtir une œuvre qui ne ressemble à aucune autre. Voici quelques exemples de cette transformation.

    IMG_1528_edited.jpgLes formes biomorphiques d'une tempera sur papier de 1952 proches de celles que l'on trouve chez Arp, fait partie d'une série intitulée Fragments d'îles norvégiennes (photo 3). Ces formes peuvent être des îles, des rochers polis ou tout autre chose. Elles semblent se déplacer doucement sans se toucher et un rythme se dégage de leur cohabitation. Leurs couleurs sont celles de la neige, des lichens ou des mousses de ces régions. IMG_1533_edited.jpgStèle avec lune de 1953 (photo 4) est un tableau saisissant. Sur un fond beige très clair se dresse avec majesté une grande stèle d'un noir intense. Un rond de métal blanc, collé à même la toile, figure la lune. De cette extrême simplicité se dégage une grande présence mystique.

    Plus l'artiste avance dans cette voie, plus l'emploi de feuilles de métaux divers (or, argent étain, cuivre... dont elle a dû puiser l'idée à Vienne en regardant les œuvres de Klimt) s'impose à elle en lui permettant, grâce aux jeux de la lumière sur leur surface, d'exprimer le changement constant qui anime la nature et la vie. Comme souvent en peinture, les reproductions photographiques ne rendent pas vraiment compte de ces aspects.

    IMG_1541_edited.jpgDans Der Hachschwebende (Celui qu surplombe) (photo 5) de 1955 une forme circulaire dorée flotte majestueusement dans l'espace bleu de la toile évoquant une entité spirituelle supérieure. IMG_1549_edited.jpgPour Moïse ou grand arbre (tempera et feuilles de métal sur toile, 1957) (photo 6) l'artiste n'a gardé de l'arbre que l'ampleur du tronc et la force dynamique des branches pour évoquer la puissance des deux entités du titre, la couleur vert bleuté des glacis qui recouvre le métal fait merveilleusement jouer la lumière. IMG_1551_edited.jpgSur le fond entièrement tapissé de feuilles d'or de Grande vallée (photo 7), ce grand tableau de 1960, elle a dessiné une multitude de traits noirs et bleutés qui figurent sans doute la courbe d'une combe, d'un filet, peut-être de tout autre chose. Cette œuvre, comme nombre d'autres, invite à se déplacer pour faire jouer la lumière et créer des effets visuels inédits.IMG_1554_edited.jpg La simplicité géométrique de Pyramide (huile et feuille de métal sur toile de 1960) (photo 8) qui clôt fort heureusement cette décennie de l'œuvre de Bergman, construite avec le nombre d'or, faite de feuilles d'argent, me semble être un symbole de stabilité et d'éternité.

    IMG_1597_edited.jpgA partir des années 1960 A.E. Bergman va abandonner l'huile pour utiliser de plus en plus fréquemment la peinture vinylique, le métal restant toujours présent. Cette façon de faire donnera des œuvres plus austères, plus géométriques, plus dépouillées encore. Ce diptyque de 1968 par exemple, baptisé Paysage jour et Paysage nuit (photo 9)IMG_1602_edited.jpgles trois parties qui divisent de façon très nette chaque toile évoque non pas un paysage, mais les étapes de la lumière qui scandent la nuit et le jour. Avec Grand horizon bleu de 1969 (photo 10) l'extrême simplicité de la toile divisée en deux parties l'une bleu, l'autre en métal argent, séparées par une fine ligne dorée, nous fait vivre la sensation d'inatteignable ressentie devant un horizon. IMG_1607_edited.jpgLe dépouillement le plus extrême est atteint avec Montagne en une ligne de 1978 où une simple ligne noire, légèrement asymétrique, traverse le haut d'une toile blanche. On n'échappe pas à la magie que dégage ce tableau si minimaliste. "Existe-t-il quelque chose de plus beau qu'une ligne pure et sensible ? La ligne est le squelette indispensable de la peinture" dit-elle.

    L'exposition, très complète, et très bien accrochée (les tableaux sont présentés sans cadre ce qui permet de leur donner toute leur ampleur), montre aussi que cette artiste était une excellente graveuse et une très bonne photographe. Elle se servait, dans sa peinture, de photos prises au cours de ses voyages.

    Anna Eva Bergman entretenait avec la nature un rapport quasi spirituel et elle a magnifiquement réussi à en capter la mobilité. Si sa peinture peut être rapprochée de certains artistes américains de son époque tels que Rothko ou Barnet Newman, son rapport au monde est plutôt proche d'artistes du XIXème tels que Turner ou Friedrich.

    Anna Eva Bergman, Voyage vers l'intérieur - Musée d'Art Moderne de Paris, 11, avenue du Président Wilson, 75116-Paris (01 53 67 40 00) jusqu'au 16 juillet 2023

     

  • Gribouillages ( par Sylvie)

    Le gribouillage s'affiche au  Palais des Beaux-arts à ¨Paris et nous plonge au coeur de cette très ancienne  pratique déjà utilisée par les artistes de la Renaissance et dont on croyait tout savoir. Alors qu'en est il ? L'exposition révèle comment ces gestes graphiques plus ou moins barbouillés mais toujours, à l'origine, complémentaires à l'oeuvre elle-même, a évolué dans le temps. Du croquis de détail au revers d'un tableau ou dans  un coin du support, ils sont devenus plus transgressifs, régressifs ou libératoires selon les artistes, leur temps et leur conception de l'art. 

     Introduction légitime,  voilà  deux exemples italiens  des XVIéme- XVIIéme siècles : un dessin préparatoire à la sanguine de Domenico Cresti (1) pour une grande fresque religieuse. Au dessus du personnage agenouillé du premier plan , est représenté un 20230331_154813 (2).jpg20230331_160918.jpgfragment plus détaillé d'un  dos comme si l'artiste avait besoin de comprendre la construction  profonde du corps pour en montrer la surface.  Sur une feuille d'étude d'Annibal Carrache (2) ( 1560-1609 ) figure l'ébauche, d'un trait enlevé et joyeux, d'un ange en vol tenant un calice, et d'un masque antique minutieusement dessiné. Deux captations différentes du réel : le mouvement bouillonnant pour l'un, la perfection du travail pour l'autre.  

    L'exposition a un autre mérite, celui de montrer ce qu'ont fait les artistes20230331_155756.jpg Dubuffet.jpg contemporains de cette nécessité ; deux 20230331_160045.jpg Alechinsky.jpg d'entre eux  sont particulièrement piquants: ils ont "croqué" in situ, comme les architectes font des "crobards" , des profils rencontrés:  arabes moustachus du désert  à Timimoun (1049)  par Dubuffet, théoricien de l'Art Brut - celui des enfants et des malades mentaux- (3), gardien du Louvre endormi sur sa chaise (1984) par Alechinsky (4) dont la rapidité de trait touche à l'instantané photographique.

    20230331_162031.jpg Mandelbaum.jpg20230331_160803.jpgLe dessin mescalien, à l'encre de Chine sur papier, (1959) d' Henri Michaux (6), véritable grouillement de lignes denses et hypnotisantes reflète bien sa "pensée non dirigée". Oeuvre hallucinogène à partir de son expérience des toxiques, elle inscrit sur le papier le trouble linéaire de son subconscient.                                  Le Rimbaud de Stephane Mandelbaum (5 )1980 a la violence du malaise intérieur de l'artiste. Le portrait du poète a beau être tout à fait académique, il est encerclé par une prolifération de gribouillages violents et obscènes dont la masse semble vouloir envahir l'espace. Le médium stylo à bille, un peu visqueux, contribue à la sensation de prolifération.

    20230331_163515~2.jpgBrassaï a photographié Matisse à côté de son portrait exécuté de mémoire ,les yeux fermés. (1939). Caricatural et par là même d'une grande liberté (7) il montre le pouvoir de l'artiste  à capter l'essentiel  comme, parfois le saisissent les enfants, hors de contraintes académiques . Le rendu très personnel nous fait goûter l'essence même du personnage.

    Parmi les très nombreuses autres oeuvres d'artistes contemporains  exposées je n'en citerai que deux: 

    20230331_160214_2.jpg20230331_160502.jpgla "Maille" de Pierrette Bloch (8) 1980 où c'est le geste répété du tressage qui  prend la forme d'un gribouillage, et "Delian, ode 19" (1961) de l'expressionniste abstrait américain Cy Twombly (9)  dans laquelle l' énergie de la volée de griffures  de couleur  en apesanteur participent de l'émotion . 

    Les occasions sont plus ou moins propices au griboullage, mai 68 en a été une, les murs de la capitale en témoignent, preuve à20230331_161115.jpg l'appui dans cette exposition (10).

    Gribouillages, Scarabocchio, de Vinci à Twombly.,  Palais des Beaux Arts, 13 quai Malaquais, 75006 Parsi, jusqu'au 30 avril , puis à la Villa Médicis à Rome jusqu'au 22 mai.

     

     

     

     

     

     

  • S.H. RAZA au Centre Pompidou par Régine et Sylvie

    La rétrospective de S.H. RAZA actuellement en place au Centre Pompidou est une bonne surprise et une belle découverte. Exposer ce peintre d'origine indienne, actuellement peu connu en France, mais où il vécut près d'une cinquantaine d'années, fut sans doute une gageure, mais le musée ne remplit-il pas ici parfaitement son rôle en faisant découvrir au public des oeuvres qui portent la marque de leur époque ? L'accrochage chronologique nous permet en effet non seulement de suivre l'évolution du travail de cet artiste, mais surtout de revisiter l'histoire de la peinture des années 1950 à 1990 sous le prisme d'une autre culture, celle de l'Inde.

    Né en 1922 au coeur de l'Inde, dans l'état de Madya Pradesh, S.H. Raza fait ses études artistiques à Bombay. Il découvre le cubisme, l'art moderne français et crée en 1947 le Progressive Artist Group qui réunit les artistes indiens d'alors, traumatisés par l'indépendance et la partition  de leur pays. Il se rend en France en 1950 où il restera jusqu'en 2011, partageant sa vie avec son épouse française entre Paris et le petit village de Gobio dans le midi. A la fin de sa vie il rentre en Inde et meurt à New Delhi en 2016.

    Les aquarelles peintes en Inde dans les années 1940 qui ouvrent l'exposition sont pleine de charme et révèlent le grand coloriste et la réalité indienne. Dans Sans titre, rue de IMG_1367_edited.jpgBombay (1941) tout se dissout (photo 1). Les bleus, les mauves et les verts se diluent les uns dans les autres, la rue est transformée en rivière et les personnages se hâtent dans une atmosphère liquéfiée par la pluie tropicale. Dans Bénarès (1944)  les couleurs soulignent les variations de la lumière, ses vibrations et la foule  suggérée par des touches enlevées.

    A son arrivée en France, en 1950, il regarde Picasso, Soutine, Nicolas de Staël, Olivier Debré, IMG_1413_edited.jpgdécouvre les peintres de l'Ecole de Paris. Il connait Bernard Buffet dont l'influence est manifeste dans une série assez convenue. Pendant plus de dix ans, à part quelques représentations humaines, ce sera la nature son sujet essentiel . Deux délicieux exemples de sa découverte du midi de la France nous sont données: Paysage provençal. gouache et encre sur carton (photo 2) et Paysage de Cagnes de 1951. Leur simplification formelle et la délicatesse de leurs couleurs apparentent ces oeuvres à celles de Paul Klee.IMG_1376.JPG Réalisé avec la technique de la peinture IMG_1380_edited.jpgappliquée au couteau chère à nombre d'artistes de l'école de Paris et à Nicolas de Staël, il peint plusieurs toiles dont Un village corse, huile sur toile ,1957, (photo 3) où sous un ciel bleu intense, quelques maisons blanches maculées d'inscription colorées émergent d'une végétation luxuriante. Le souvenir de la forêt indienne qui a marqué son enfance fait ici retour et hantera désormais son travail. Au début des années 1960 sa peinture se simplifie. La croix invisible de 1963 (photo 4) nous donne un exemple de cette évolution vers l'abstraction. C'est un tableau très sombre où plane une angoisse métaphysique symbolisée par une nuée noire qui s'élance vers le ciel surplombant un paysage très simplifié, où s'allument quelques lueurs.

    IMG_1390_edited.jpgDès 1968, soit moins de 20 ans après son arrivée en France, bien que toujours inspirée par la nature, sa peinture devient abstraite. La composition s'organise en nuées de taches, les formats IMG_1392_edited.jpgs'agrandissent. De beaux exemples de cette période, très marquées par leur époque, nous sont montrés ici dont Grey landscape (1968), acrylique sur toile, (photo 5) où, sur un fond très minéral, s'affrontent l'ombre et la lumière, Sikri (photo 6) dont les tons bruns rappellent les vestiges de la ville fantôme de Fatehpur Sikri au Rajasthan.

    Avec des couleurs pures et vibrantes, évoquant les Ragas,IMG_1398.JPG cadres mélodiques utilisés dans la musique classique indienne, suivent plusieurs tableaux ayant pour titre La terre ou Zam in, la terre en indien (photo 6) où la couleur devient incandescente ; embrasée par la lumière qui vient du fond de la toile elle irradie les rouges, les jaunes les oranges, les bruns et les verts sombres. 3389.jpg.jpg

    IMG_1394_edited.jpgL'influence de l'art indien se fait de plus en plus prégnante et l'organisation de la surface picturale par bandes ou carrés rappelle celle des miniatures Rajput et des peintures tantriques. Maa de 1981 (photo 7) est un bel exemple de cette évolution qui réunit le cercle noir, harmonie du monde de l'esprit et les carrés rouges, symboles de la matière et du savoir. On retrouve cette même idée dans Bengladesh (1971) (photo 8) qui, scindé en son milieu, évoque probablement la guerre de libération de cette région : les deux univers traduisant la violence des faits.

    A partir des années 1980, Raza oriente sa pratique vers une abstraction géométrique symbolique et radicale. Laissant de côté le contrastes de valeurs opposées, il opte pour des formes élémentaires issues de la méditation. Le noir, couleur "mère" dans la pensée indienne acquiert ici profondeur et densité et le motif du Bindu devient omniprésent. Mais qu'est-ce que le "Bindu" ? ce terme désigne, en sanskrit, la graine, la germination. Dans l'oeuvre de Raza 20230301_160733.jpgil est la figure de l'origine. Le point, le cercle (mandala) renvoient, dans son oeuvre, à la conception cyclique du temps. L'acrylique sur toile intitulée, comme plusieurs autres,  Bindu (1984) (photo 8)   d'un bleu foudroyant, symbolise la puissance séminale de toute vie et la forme visible qui contient toutes les composants plastiques essentielles :cercles, triangles, carrés, rectangles. Tableaux qui sont autant profondément indiens que d'une modernité propre à l'époque.

    IMG_1404_edited.jpgSi les mandalas tibétains sont les supports visuels basés sur la représentation géométrique de la méditation bouddhique, les oeuvres des dernières années de Sayed Haider Raza,  révèlent l'expansion de la création, du centre vers la périphérie. Une philosophie qui ne nous est pas familière mais dont l'expression picturale nous rappelle Rothko pour sa spiritualité.

    En complément vous pouvez voir aussi "Cercle et territoire sacré, le mandala dans l'oeuvre de S.H. Raza" au musée Guimet, place d'Iéna, paris, jusqu'au 15 mai.

    Sayed Haider Raza, au Centre Pompidou, Paris, jusqu'au 15 mai 2023.

     

     

  • Sudobh Gupta au Bon Marché (par Sylvie).

            Temple de la consommation de luxe, le magasin du Bon Marché a depuis longtemps manifesté son intérêt pour l'art contemporain en accrochant de ci de là sur ses murs - on dit cimaises lorsqu'il s'agit de galeries - des toiles d'artistes. Les dames du 7ème arrondissement et les nombreux étrangers qui se pressent à tous le étages, ne les remarquent pas toujours, semble t'il, ainsi accrochées le long des couloirs. Mais depuis 2016, tous les ans, sont organisées ponctuellement des expositions monographiques d'artistes étrangers. Rappelez vous nos pages sur celles du chinois AÏ Weï Weï et de la portugaise Joana Vasconcelos.; Avec le temps les lieux traditionnels d'exposition  ont changé.

    Aujourd'hui, pour quelques semaines encore, c'est au tour de Sudobh Gupta, né en Inde en 1964, dont l'oeuvre principale, gigantesque (photo1), est installée sous la fameuse verrière au centre du magasin, les autres figurant à l'étage ou dans les vitrines de la rue de Sèvres, là où d'habitude prennent place vêtements et objets des plus grands faiseurs de mode et de décoration. Mais, cette fois, il s'agit de casseroles et autres pièces utilitaires en métal. Culotté diront certains, justifié diront les autres qui s'appuient sur l'origine de l'établissement, une mercerie propre à bouleverser les codes commerciaux d'alors. Boucicaut, en 1852, voyait loin.

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    Qu'est ce que ce grand "Sangam" (confLuence) suspendu au centre du magasin?  Un gobelet cliquetant fait d'un assemblage de casseroles d'aluminium qui déverse en cascade un flot éblouissant de plaques d'inox, comme un liquide qui accroche la lumière. La magnifiscence de l'oeuvre fait oublier la banalité du médium, simples outils de toutes les cuisines du monde mais qui portent en eux l'identité indienne et sa pauvreté.   L'artiste compose ainsi depuis 1995, transformant l'ordinaire en art. " J'habite en Inde et j'aime le travail" dit-il. A constater dans les vitrines: ici un landau itinérant dont le matériel de nettoyage est ligoté par des ficelles (2), là une étoffe de brisures d'assiettes sous l'aiguille d'une machine à coudre 20230109_151838 (1).jpg(3), ou encore une botte d'outils dans un tonneau de fortune...20230109_151915.jpg

    20230109_150440.jpgRetour à l'intérieur: L'installation "The Proust effect" se poursuit au deuxième étage, avec une cabane suspendue (4), dont les composants un peu ternis par le passage du temps évoquent un labeur ordinaire si spécifiquement indien, la chaleur communicative des cuisines et des repas. Bien loin de notre société de consommation et la "malbouffe" industrielle..

    GEDC0027.JPG El Anatsui.JPGroad to exile de B. Toguo.jpgCet attachement aux racines, aux difficultés existentielles nées bien souvent de la colonisation, se retrouve chez quelques autres  artistes de par le monde. Quelle émotion devant  "Road to exile" et ses baluchons dérivant sur un canot du camerounais Barthelemy Toguo ou la tapisserie de capsules de coca cola assemblées du ghanéen El Anatsui, ensemble chatoyant qui pourrait bien incarner les rapports Afrique-Occident...Décidément la sculpture contemporaine est entrée dans le champ du vécu et de la communauté. La potentialité des matières la fait sociale, politique..

    SANGAM de Subodh Gupta, au Bon Marché, 24 rue de Sèvres 75007 Paris, jusqu'au 19 fevrier.

     

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