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La rétrospective de Wols à la Galerie Karsten Greeve, qui dure jusqu'au 5 Août, est un évènement qu'il ne faut pas rater. Elle célèbre les 110 ans de l'artiste et présente un grand ensemble d'œuvres : huiles sur toile, aquarelles et dessins sur papier, gravures et photographies. Plusieurs ont été prêtées par le Centre Pompidou qui avait organisé une exposition sur son travail au printemps 2020 mais qui a dû fermer ses portes à cause de la Covid et du confinement. Elle n'a duré qu'une semaine et n'a pas pu être décalée. Un beau catalogue en garde heureusement la trace.
Né à Berlin en 1913 Wols meurt à Paris à 38 ans. Photographe, peintre, dessinateur, graveur, proche du surréalisme, féru de musique et de philosophie Wols est considéré comme l'un des fondateurs de l'abstraction lyrique et de l'art informel en Europe, mais son œuvre est loin de se réduire à cela.
Il émigre à Paris en 1932 où il rencontre sa future épouse, Greta Dabija, qui l'introduit dans le climat surréaliste de l'époque. Il rencontre Jean Arp, Giacometti, Calder, Fernand Léger. Apatride et sans papier il est contraint de quitter la France et part à Ibiza. Expulsé d'Espagne en 1935 il revient à France, obtient enfin un permis de séjour et vit surtout de ses photos. Après le déclenchement de la 2ème guerre mondiale, en tant qu'Allemand, il est interné au camp des Milles, puis de 1943 à 1945 il s'installe avec sa femme à Dieulefit dans la Drôme. De retour à Paris en 1945 il obtient un permis de séjour. Le galeriste René Drouin lui organise sa première exposition personnelle, suivie d'une autre en 1947. Il rencontre Jean-Paul Sarte dont il illustre deux ouvrages (présentés dans l'exposition ), Ubac, George Mathieu. Hélas, en 1951, il meurt brutalement d'une intoxication alimentaire.
En regardant les nombreuses aquarelles et les petits dessins accrochés sur les murs de la galerie et dont les formats n'excèdent jamais plus de 22 x 40 c'est l'extrême liberté, la complexité du graphisme alliées au raffinement des couleurs qui fascinent. Instinctivement on les rapproche de celles de Paul Klee que Wols découvrit très jeune. Mais, comme l'écrit Sarte "Klee c'est un ange et Wols un pauvre diable. L'un crée et recrée les merveilles du monde, l'autre en éprouve la merveilleuse horreur". Rien n'est vraiment identifiable dans son travail, mais difficile de s'arracher à ces images mentales figuratives ou abstraites tant elles semblent inépuisables. Leur petitesse nous oblige à nous en approcher au plus près pour découvrir la richesse des formes intriquées. Certaines sont comme des rêves éveillés : ainsi l'aquarelle Sans titre (vers 1940) (photo 1) : sur un fond d'un bleuté transparent, deux espaces se superposent. Dans celui du haut des constructions sont imbriquées les unes dans les autres. Une maison au centre est pourvue d'une multitude de fenêtres, de fragiles échafaudages s'élèvent au dessus de ces bâtiments et on aperçoit des remparts au loin. Dans l'espace du bas quelques légers traits horizontaux parcourent le fond aquarellé de brun donnant une impression de mouvement. On devine des ponts, des poteaux, une tour, un tout petit bateau. S'agit-il du cours d'une rivière ou de lignes électrifiées, ou est-ce le reflet du dessin d'en haut ? quelques minuscules traits, tels des notes de musique, réunissent les deux espaces.
Une vision fantomatique et magnifique d'un bateau voguant toute voiles déployées nous est donné par Voilier breton (1949) (photo 2) image troublante car elle est à la fois statique, la coque cristalline pourrait être celle d'un objet de décoration, et dynamique, le drapeau en haut du mas flotte, la voilure, aux couleurs transparentes, est gonflée. S'y dissimule un visage que l'on ne perçoit qu'après coup. Le bateau devient presque cauchemardesque avec la pointe sèche et aquarelle intitulée Bateau (1945) (photo 3). Les voiles, de teintes délicates, sont les prisonnières d'un entre-croisement de lignes, nerveuses, presque arachnéennes. La4 coque du navire très fine supportera-t-elle sa charge figurée par un fourmillement de petit points noirs. La juxtaposition de deux univers et le bateau sont des thèmes récurrents dans son œuvre, façon d'exprimer sans doute son désir d'évasion totalement imaginaire.
Son trait s'échappe de la réalité pour devenir une sorte de sténographie de ses états intérieurs. Dans l'encre et aquarelle Sans titre (1942) (photo 4) son univers se transforme en un lacis de lignes inquiétantes ponctuées de nœuds noirs et tourbillonnants. Une déflagration violente et sanglante explose dans l'aquarelle Cataclysme planétaire (1946-1948) (photo 5) image d'une catastrophe. Enfin Astre proche (Notre terre) (1944) (photo 6) représente-t-il un astre imaginaire, ou un organe qui se dissout en une multitude de paysages où fusionnent le végétal et l'animal. Cellules et cosmogonies, son dessin apparait comme le point d'intersection entre deux infinis et ses formes sont en constante métamorphose.
Wols n'a pas peint beaucoup de tableaux, mais on peut en voir quelques uns exposés ici qui sont saisissants et prémonitoires de l'abstraction lyrique des années 1950-1960. "Ses toiles il les faisait soit par terre, soit sur le lit. Avec ses mains, le plat de sa paume pour les fonds et des petits bouts de chiffon. Il travaillait très vite avec une sorte de frénésie". Ainsi s'exprime sa femme en 1953 dans une lettre au peintre Camille Bryen. Dans les tableaux plutôt tachistes ici présentés, se déploie un espace sans horizon. S'y affrontent des formes réelles et imaginaires, images mentales de son monde intérieur mises à la disposition du spectateur, libre à celui-ci de les interpréter comme il l'entent ainsi en est-il du Grand orgasme (1947) et de Sans titre (Composition) (1946-1947) (photos 7 et 8).
Il était aussi un excellent graveur et un remarquable photographe. Cette exposition le rappelle en montrant quelques délicates gravures dont le trait est soit proche de ses aquarelles, soit de l'univers de Fred Deux, tel cet être monstrueux (photo 9) visage ou organe monstrueux, on ne sait mais les règnes s'y mélangent cruellement.
Quelques photos soulignent son talent dans ce domaine. Il publia de nombreuses photo dans des magazines de mode tel que Vogue ou Le jardin des modes et fut engagé pour photographier le Pavillon de l'élégance lors de l'Exposition universelle de 1937. Plusieurs d'entre elles, ici exposées, montrent l'acuité de son regard et la qualité de son cadrage. Il savait saisir à la fois la réalité et l'étrangeté d'une situation mais aussi la solitude des êtres (photo 10)
Les œuvres de Wols mettent à jour ce qui est au cœur des choses et semblent se développer à partir de ce que Klee appelait le point primordial de la création. Par certains aspects, il est un précurseur aujourd'hui encore insuffisamment reconnu. Cette exposition quasi muséale, permet d'en prendre mieux conscience.
Wols - Galerie Karsten Greve, 5 rue Debelleyme