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  • Béatrice Casadesus par Sylvie et Régine

    Nous suivons depuis longtemps l’œuvre de Béatrice Casadesus. Nous en avons d’ailleurs déjà parlé sur ce blog à plusieurs reprises. L’exposition qui lui est actuellement consacrée à la galerie Dutko, à Paris, nous a de nouveau enthousiasmées. Elle est magnifique !

    Nous n’avons pas résisté au charme de la photo annonciatrice que voilà (photo 1)

    20241012_144957 (1).jpg

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  • Bernard REQUICHOT (par Régine)

    Au gré de mes pérégrinations dans les galeries parisiennes et de mes visites de musées, j'avais vu des œuvres de Bernard Réquichot. Je les trouvais intenses et même inquiétantes sans éprouver le besoin d'en savoir plus. Mais voir une rétrospective de son travail est une toute autre expérience. Appréhendé dans son ensemble son cheminement acquiert une grande cohérence et une incontestable puissance. Une force nous empoigne et nous bouleverse. Il serait donc dommage de rater l'exposition qui se tient actuellement  au Centre Pompidou et qui est remarquablement bien faite.

    Né en 1929, Bernard Réquichot quitte sa Sarthe natale à 17 ans pour monter à Paris où il se forme à l'école des Beaux-Arts. Il se suicide en 1961, la veille d'une exposition que lui consacrait Daniel Cordier. Il avait alors 32 ans. Son œuvre inquiète s'étale donc seulement sur une dizaine d'années. Au cours de sa courte vie, il fut d'abord peintre puis diversifia sa pratique en l'élargissant au dessin, au collage. Il fabriquât aussi de bien étranges reliquaires. 

    Requichot 1.jpgLes premières peintures exposés sont figuratives, de style plutôt cubiste, tels Sans titre ou Le bœuf assis (à la Juan Gris) (photo 1) toutes deux de 1953. Dans les œuvres de cette période l'artiste avait l'habitude de mélanger à son médium de la sciure de plastique récupérée dans une usine et du sable. Cet ajout procure à son travail une sensation tactile proche de celle éprouvée devant une tapisserie. Mais il abandonne rapidement ce style figuratif au profit d'une abstraction gestuelle et matiériste qui lui permet d'exprimer le mal être qui l'habite. Requichot 2.jpgTravaillées au couteau ses œuvres sont alors des jaillissements de tiges de végétaux striés de traces saccadées rouges et noires (photo 4). Ce sont d'inextricables enchevêtrements de cordes, de fils telle cette huile sur toile Sans titre (1956) (photo 2) qui n'est pas sans évoquer un crane en ébullition.Requichot 3.jpg

    Requichot 4.jpgParallèlement Requichot peint des formes biologiques, telluriques ou cosmiques qui se détachent sur des fonds uniformes. Ainsi avec Sans titre de 1956 on assiste à la formation d'un objet qui jaillit d'un magma en ébullition (photo 3).IMG_2994.JPG En 1957 ses tableaux atteignent un paroxisme visuel. A titre d'exemple regardons L'Episode de la guerre des nerfs (1957) (photo 4) où, de formes enchevêtrées de façon très serrée, s'échappent des tiges spiralées, sorte de ressorts, que l'artiste dessine de façon obsessionnelle et où des morceaux déchiquetés de peintures antérieures parsèment la surface. Avec Sans titre (photo 5), exécutée la même année, il nous fait assister  à une déflagration de matières diverses. A des entrecroisements de coups de brosse à l'acrylique se mêlent des illustrations de magazine et des objets puisés dans la nature tels ces plus de paon ou de faisan.

    La belle série des Traces graphiques de 1958 qui entretient, comme son nom l'indique, une relationIRequichot 6.jpg ambigüe avec l'univers du dessins, est d'un tout autre registre. Arachnéa (photo 6) peint en janvier 1958, en est un bel exemple. Une gerbe de lignes constituées de petits ponts noirs, si fins qu'on pense à une toile d'araignée, explose et envahit avec légèreté le fond blanc de la toile.

    Requichot 5bis.jpgParallèlement à son travail picturale Bernard Requichot exécute aussi plusieurs séries de dessins à l'encre où prolifèrent des spirales. Souvent rehaussées de gouache blanche, ils se déploient sur de grandes feuilles de papier blanc et sont à la fois inquiétants, gracieux et tourmentés. Ces dessins très fins évoquent des organismes troublants assez proches de ceux exécutés par son ami Fred Deux (Photo 7). Ces spirales seront prolongées en 3 dimensions avec la sculpture Nekong tanten tank mana (1959-1960) composée de circonvolutions d'anneaux de polystyrène collés les uns aux autres, enfermes dans une vitrine. Créature zoomorphe qui, de son œil de prédateur, guette sa proie.

    A la fin de sa courte vie, Requichot renouvelle en profondeur son art exécutant de grands collages qu'il baptise Papiers choisis. Pour ce faire il prélève dans des revues à grand tirage, dont il se procure plusieurs exemples, des images banales qu'il découpe compulsivement (torchons de cuisine, animaux, gâteaux industriels....) et qu'il rassemble de façon à créer d'inquiétantes formes figuratives. Requichot 8.jpgQuelques exemples de cette façon de procéder sont donnés dans l'exposition, dont La cocarde, le déchet des continents de 1961 (photo 8). Ce collage est constitué de deux motifs antithétiques : une pâtisserie industrielle et un museau de chien collé à l'envers. Répété et associés à d'autres images, ces motifs, rehaussés de peintures, dessinent une sorte de végétation fantastique et inquiétante (photo).

    La fabrication de reliquaires a toujours accompagné son travail. A l'inverse de ceux qu'on trouve dans les églises et qui renferment des fragments de corps sanctifiés, ceux de Réquichot ne contiennent que des débris de la nature ou des rebuts manufacturés qu'l recouvre entièrement et rageusement d'une épaisse couche de peinture et qu'il enferme dans des boîtes en bois recouvertes de tissus. Nappage protecteur ou suc gastrique destructeur qui enduit ou détruit ce qu'il recouvre en le dissimulant. Requichot 9.jpgAinsi Le reliquaire de la forêt (1957-58) (photo 8) contient des ossements d'animaux, morceaux de bois, racines, ficelles.... La maison du manège endormi (1957-58) des ossements d'animaux, chaussures, bois, champignons fragments de toile peintes à l'huile. Le plus monumental est L'armoire de Barbe bleue dont le titre renvoie à celui d'un conte cruel et inquiétant. Il contient des rouleaux de toile enduites de peinture épaisse, serré les uns contre les autres. Figureraient-ils des corps de femmes assassinées ?

    On a souvent rapproché l'œuvre de Bernard Réquichot de celle d'Antonin Artaud. Tous deux en effet expriment leur extrême difficulté d'exister. Mais si le second en traduit la douleur, le premier dévoile avec rage et insistance le dérèglement de son esprit.

    Bernard REQUICHOT. Je n'ai jamais commencé à peindre. Centre Pompidou, Galerie Ouest, 4ème étage. 4 Place Georges Pompidou, 75004-Paris. Jusqu'au 2 septembre. (fermé mardi)

     

  • Robert Ryman (par Régine)

    N'hésitez pas à double cliquer sur les images pour les agrandir.

    Exposer Robert Ryman qui, toute sa vie, n'a peint que des tableaux blancs, à l'Orangerie, à proximité des Nymphéas de Monet  qui ne sont que couleur peut sembler paradoxal ou tout au moins provocateur. Mais il ne faut pas s'arrêter à cette première réaction et essayer d'a bord de comprendre les raisons qui sous-tendent cette démarche.

    L'exposition produit une impressions très particulière. On ne peut nier la beauté de l'ensemble et la somptuosité de la lumière qui s'en dégage. Mais pour apprécier cette œuvre si radicale et très sophistiquée, il faut essayer d'abandonner notre façon habituelle de regarder un tableau pour tenter de comprendre la complexité qui sous-tend cette répétition à l'infini.

    Qui est Robert Ryman ? Né à Nashville dans le Tennessee, Ryman arrive à New York en 1952 et il est saxophoniste. Pour survivre il exerce toute sorte de petits métiers, entre autres celui de gardien du Museum of Modern Art. Dans ce haut lieu de l'art, la peinture l'intrigue et l'attire et il dispose alors de beaucoup de temps pour appréhender avec perspicacité tous ces tableaux qui l'entourent et surtout leur avoir-faire. Peu à peu l'envie lui vient de s'y mettre à son tour.

    Mais il ne veut pas représenter le monde. Ni tels Rothko ou Klein, provoquer une émotion ou un quelconque sentiment de transcendance chez le spectateur, il veut montrer les multiples et infinis aspects de a peinture elle-même et faire de celle-ci son sujet. Il n'y aura donc pas d'image, pas de couleur, seulement du blanc et son infini variété de nuances. Ce qu'il veut mettre en évidence c'est à quel point tout compte pour réaliser un tableau : le grain de la toile, son support, la façon de manier le pinceau et d'entrecroiser les couches, leurs épaisseurs, le rapport du tableau au mur, au sol, l'endroit de la signature, le mode de fixation, et ainsi de suite. "Rien de ce qui est visible n'est indifférent" dit-il. Et si en France, quelques années plus tard, avec le mouvement support-surface, des artistes mettront en évidence les composants du tableau (châssis, toile, encadrement...), Ryman, quant à lui, ne se consacrera qu'à la peinture elle-même et à ce qui l'environne pour la mettre en valeur. Il dira aussi "Je n'estime pas que je peins des tableaux blancs. Le blanc est seulement un moyen d'exposer d'autres éléments de la peinture. Le blanc permet à autre chose de devenir visible".

    Prenons quelques exemples pour mieux saisir cette démarche si singulière. Deux tableaux Untitled de 1962 (photo 1) et Check de 1993 (photo 2)IMG_2889_edited.jpg, de factures très prochesIMG_2906_edited.jpg bien que 30 années les séparent, sont tous deux de même format carré, format qu'affectionne particulièrement l'artiste. Dans le premier les touches, faites avec une peinture assez épaisse, virevoltent sur la toile, recouvrant une couleur sous-jacente. On se sent emporté par la vitalité qui se dégage du grouillement incessant qui envahit l'espace. Elles ne recouvrent pas toute la toile, jouant avec les limites de l'oeuvre en ménageant un cadre, elles s'arrêtent à quelques centimètres du bord laissant la toile de lin nue. Le second tableau, très proche du précédent, est entièrement recouvert de blanc, mais les touches sont plus calmes, plus statiques. là aussi un cadre, peint d'un blanc lisse, a été ménagé.

    En comparant ces deux tableaux et bien d'autres encore, tous proches les uns des autres mais différents quand-même, on prend conscience de l'importance des modalités d'application de la peinture, de son épaisseur, du cadre, de la couleur du fond... Ryman variera à l'infini les supports et les mediums : huile et gesso sur toile de lin pour Chapter (1963),  toile de coton, peinture à l'émail et laque pour General (1970) ; acrylique et laque sur panneau de fibre de verre pour Concert (1987) IMG_2904.JPG(photo 3). Avec cette dernière toile il souligne l'importance de l'accrochage. Les 4 clous qui la maintiennent accrochée sont mis en évidence. Il expérimente en effet différentes façons de présenter ses œuvres afin de les intégrer à leur environnement et mettre en valeur des éléments oubliés de la peinture comme la tranche du tableau qu'il recouvre de bois ou d'aluminium pour la rendre visible : horizontalement IMG_2911_edited.jpget à quelques centimètres du sol (Pair navigation, 1984)IMG_2958_edited.jpg (photo 4) perpendiculairement au mur afin de dévoiler l'importance de l'ombre portée (Pace,1984) (photo 5). Il créera même des systèmes d'accrochage sophistiqué pour détacher l'œuvre du mur et mieux capter la lumière.

    L'exposition se termine sur les derniers tableau de Ryman qui arrêtera définitivement de peindre en 2010. Les fonds colorés, rouge, violet ou vert, sont recouverts de blanc, mais ps entièrement. Leur perception en est évidemment changée. IMG_2947.JPGJouxtant deux cathédrales de Rouen de Monet dont la lumière change imperceptiblement nous prenons conscience de l'incroyable complexité de l'art de peindre. Cet artiste hors du commun qu'était Ryman en peignant la peinture nous donne l'occasion peut-être de renouveler notre regard sur elle.

    Robert Ryman, le regard en acte : Musée de l'Orangerie, jardin des tuileries, Place de la Concorde, jusqu'au 1er juillet.

     

  • Louis Soutter (par Sylvie)

    Non, la peinture au doigt n'est pas seulement une technique pour enfants.

    Louis Soutter, un artiste suisse ( 1871-1942) ,en a laissé une œuvre très particulière et profondément bouleversante exposée aujourd'hui à la galerie Karsten Greve qui nous l'avait fait découvrir en 2020. Régine Lissarrague, ma comparse de ce blog, l'avait brièvement signalée. La nouvelle monstration est composée de 14 peintures réalisées entre 1930 et 1942 et de portraits photographiques du peintre.

    C'est un coup de poing dans notre univers parisien nous faisant oublier la chance que nous avons d'être là, paisibles spectateurs, car la brutalité des images nous rappelle toute la douleur d'exister de certains et l'éternel mystère des grands mythes de l'humanité. Soutter a étudié l'architecture, le violon, la peinture en Suisse, en Belgique, à Paris, avant d'aller vivre aux Etats-Unis, s'y marier, divorcer, une vie déjà bien secouée qui l'a fragilisé, et dégradé sa santé . De retour Il est interné par sa famille dans un hospice ou il mourra une vingtaine d'années plus tard, n'ayant trouvé pour s'exprimer de 1936 à 1942 que son index trempé dans la peinture à l'huile. La force des œuvres exposées reflète son univers mental et sa culture et nous offre une sorte d'art primitif revisité. Dans des tableaux de petit format,  des corps noirs, comme à contrejour, s'animent avec  une frénésie qui pourrait être aussi comique que les contorsions endiablées de Josephine Baker. Elles signent plutôt la folie humaine. Sur un fond  généralement clair qui met en valeur l'expressivité des silhouettes noires rappelant celles des amphores grecques, un rythme est donné par l'insertion de points éparpillés, tels des notes de musique. Sous la patte du peintre vit encore le violoniste.

    Voici quelques exemples de ce théâtre d'ombre.

    20240313_163933.jpgLa foule nue met en scène une cohorte de personnages qui se contorsionnent , agitant leurs membres tentaculaires et leurs mains démesurées comme dans la statuaire africaine. A gauche la silhouette assise semble avoir été poussée à terre par son voisin, les mains de celui-ci en sont la preuve et le personnage de droite, avec son bâton, tire par les cheveux sa voisine...Toute la brutalité du monde est là. Les points , empreintes de l'index sur le fond clair, font vibrer l'air. Comme dans  d'autres œuvres, le titre s'inscrit  de façon aléatoire sur le papier lui-même mais n'éclaire pas toujours le sujet.

    20240313_163725.jpgIl est né écrit au centre, sous la courbe indiquant un espace fermé, se réfère à la naissance du Christ. L'enfant est au centre de ce théâtre d'ombre entre ses deux parents. L'un, à gauche,  bras écartés,  bouche ouverte, semble exprimer la joie. Au dessus de l'enfant plane la croix, symbole brûlant de son avenir ? Il y a toujours une dimension tragique dans les œuvres de Louis Soutter.

    20240313_163235.jpgDans ce dos à dos sans nom il est facile de voir un couple se disant adieu à l'image de Soutter divorcé de son épouse américaine. Deux silhouettes dont les bras disent aurevoir à une terre plutôt sombre  et regardent vers un avenir  autre, plus clair mais blanc d'incertitude. Voilà qui rend visible une réalité invisible.

    20240313_163537.jpgPotentats d'infirmité rassemble les horreurs subies ou à venir, puissances attaquantes, armées, à droite, les accablés, amputés  au centre, à gauche l'emprisonneur et sa pelle pour creuser les tombes. Soutter  était il informé ou prophétique concernant les horreurs de la guerre  qui battait son plein? Le  cercle orange pourrait figurer un soleil rédempteur ou n'être qu'un procédé pour dynamiser la scène.

     Une tête d'homme  à l'huile aux couleurs violentes peint à la même période marque l'appartenance du peintre à20240313_164244.jpg l'expressionisme  de l'époque, sa volonté d'exprimer une réalité subjective et un profond pessimisme. "Je peins avec de l'encre et du sang, je peins vrai, la vérité est terrifiante" disait il.

    Louis Soutter, galerie Karsten Greve, 5 rue Debelleyme 75003, Paris. Jusqu'au 4 mai.

  • Pierre BURAGLIO (par Régine)

    On reconnait entre mille une œuvre de Pierre Buraglio. L'exposition consacrée à cet artiste à la Galerie Ceysson et Bénétière, qui présente jusqu'au 16 mars quelques-uns de ses travaux récentes, en est l'illustration. Si la peinture y est très présente on retrouve avec bonheur la façon si personnelle avec laquelle l'artiste construit lui-même son propre espace pictural en juxtaposant des petites peintures sur tôle ou morceaux de portes creuses, en utilisant des objets ayant déjà servis (cadres de sérigraphies, montant de fenêtres, matériaux divers), en ménageant des espaces vacants, en citant le travail d'autres artistes. L'espace de son travail est donc le résultat d'un va et vient entre la réalité et sa création artistique et un pont se crée ainsi entre lui et celui du spectateur.

    Le titre de l'exposition Mon Ithaque laisse entendre la dimension biographique des œuvres exposées. Buraglio peint son histoire et l'Histoire. Son histoire bien sûr, celle de la banlieue, de Maisons-Alfort notamment, où il a vécu avec ses parents et où il vit encore, l'Histoire, notamment celle de la guerre qu'il connut enfant, et bien sûr l'histoire de l'art. Nul épanchement bien sûr mais allusion à lui-même à peinte visible.

    Prenons deux exemples. Plusieurs petites peintures ont pour titre le nom de rues ou d'avenues de Maisons Alfort ou de personnages qui y ont vécu. IMG_2777_edited.jpgCelle appelée Rue Yannis Ritsos (2021) fait allusion  à un poète grec, résistant pendant la guerre, mort en 1990. De très petite dimension (12 x 22 cm), elle est composée de deux parties clouées de façon apparente sur un morceau de bois cerclé de métal. Sur la partie du bas qui occupe les deux tiers de l'œuvre est peint un mur de briques rouges jointées de noir. Sur la partie du haut, est peinte la cime d'arbres sombres et touffus, laissant entrevoir un morceau de ciel bleu. Le mur enferme, mais au de là l'évasion et la liberté sont possibles.

    Celle appelée IMG_2772_edited.jpgMur mitoyen. A Mireille Miailhe (2022), artiste peintre, également résistante pendant la guerre, offre le même principe avec quelques variantes, mais l'atmosphère qui s'en dégage est différente. Peintes directement sur un morceau de porte creuse partiellement tronquée à droite, les briques du mur sont moins foncées et de couleur plus variées, jointés de gris elles recouvrent entièrement l'œuvre sauf une bande grise à sa base. Une échappée de verdure, d'un vert frais occupe le bout du décrochement à droite et une partie de la base.

    Plusieurs autres œuvres sont dédiées à l'artificier Roger François, également résistant pendant la guerre. Des plaques commémoratives le concernant son appliquées près d'un square à Maisons Alfort. C'est ainsi que Buraglio installe des tensions entre sa peinture, le monde extérieur et l'Histoire. Celles-ci déploient un espace poétique très particulier dans lequel est pris le spectateur.

    IMG_2771_edited.jpgLes limites et les dimensions des œuvres de Buraglio ne sont jamais données d'avance. Elles varient en fonction de son projet et des matériaux utilisés. Un bon exemple de sa façon de procéder est donné par Napalm (avec Braque) (2023) où neuf peintures sur tissus, de taille différentes, sont assemblées par agrafage. S'y côtoient la guerre et la paix. La guerre c'est la bâche de camouflage maculée qui recouvre la majorité des peintures qui composent l'ensemble. La paix c'est le dessin d'après Les oiseaux de Braque exécuté sur un tissus beige légèrement maculé. Cette même idée se retrouve dans le titre : Napalm allusion à la guerre du Vietnam ; (avec Braque), allusion à la colombe, symbole de paix.

    images.jpgAvec Fenêtre-Croix (2019), l'artiste revient à un de ses objets de prédilection : la fenêtre. Objet du quotidien c'est aussi, depuis Alberti, la métaphore de la peinture. Pour cette œuvre de 2019, d'une grande simplicité formelle, l'artiste a gardé tel quel le croisillon d'une fenêtre, en a légèrement taillé les quatre extrémités et garni la croisée d'un nuage de verre transparent et bleuté. Cette œuvre toute simple, très émouvante, fait naître chez le spectateur une multitude d'évocations et un grand sentiment d'espace et de spiritualité.

    IMG_2759_edited.jpgPlusieurs allusions à ses travaux des années 1980 sont ici présentés, telles ce fenêtre tronquées de 2022 et 2023. Objets matériels qui ouvrent sur un ailleurs et fait fonctionner l'imaginaire.

    Le format réduit de la plupart des œuvres présentées, les références nombreuses aux résistants oubliés de la guerre de 1940, au lieu où il habite, aux peintres qui l'ont intéressé, autant de caractéristiques qui relèvent de l'intime, particularisent cette exposition de Pierre Buraglio. Ce n'est pas un discours, ce sont des réflexions personnelles comme si l'artiste se parlait à lui-même et entamait une conversation avec le spectateur.

    Pierre Buraglio "Mon Ithaque", Galerie Ceysson et Bénétière, 23, rue Beaubourg, 75004-Paris. Jusqu'au 16 Mars.

     

     

     

  • Antony Gormley ( par Sylvie).

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    Une matière schématique et austère qui raconte l'histoire du vivant: quelle gageure !

    Ce n'est pas un hasard si l'exposition du britannique né en 1950 Antony Gormley se tient à Paris dans le somptueux ancien hôtel Biron du XVIIIeme siècle et son jardin à la française, devenu en 1911 l'atelier et la résidence du sculpteur (1840-1917) Auguste Rodin, aujourd'hui Musée Rodin. Ce judicieux rapprochement qui révèle leur commune préoccupation et leur passion pour le corps humain, permet  de voir ou revoir les pièces maitresses du maitre de céans - le Penseur, les Bourgeois de Calais, les Portes de l'Enfer..., celles de ses hôtes d'alors, Antoine Bourdelle, Aristide Maillol, Camille Claudel... et de saluer la puissante modernité de l'invité.

    20231022_16324320231119_125322~3.jpgDès la cour d'entrée débute l'installation principale, Critical Mass (1995) terme de référence en physique nucléaire du moment ou la matière devient instable. Gormley a dispersé des moulages noirs de corps humains en différentes positions, assis, couchés, debout ou suspendus, sculptures d'individus dans leur matérialité, semble t'il . Leur perception diffère selon leur position, leur contexte et le lieu où ils se trouvent dans le jardin (2) A l'intérieur, on les retrouve amoncelés en une pyramide burlesque ou inquiétante, comme le fit Rodin dans les portes de l'Enfer. Etrange sujet pour une sculpture. (1). 

    20231109_154237 (2).jpg20231109_154411.jpg L'exposition se déploie  ensuite dans toutes les pièces du musée en des matériaux bien de notre temps, à l'exemple de Rodin qui, à son époque, associa techniques et matériaux anciens et modernes. En tournant autour de cette construction  (3) on découvre ce qui pourrait être une autruche ou, sous un autre angle, une 20231118_100813.jpgforme 20231109_160912.jpghumaine, un corps recroquevillé avec ce que cela peut évoquer d' élan ou d'affaissement. Tout est là, les courbes du corps, sa gestuelle et sa dense volumétrie schématisées en petites pièces géométriques d'acier ( 4), formant un espace en soi. Plus loin,  une silhouette rigide fait écho à l'opulente déesse (5) et la silhouette en fils d'aluminium n'a pas de chair. Elle est  presque évanescente. Si nous existons dans l'espace, nous le contenons également.

    A interroger le corps, Gormley questionne aussi les structures spatiales qui l'entourent. Elles en modifient la perception : la place du regardeur, l'ombre ou la lumière caressante, l'espace ouvert ou restreint...contribuent à faire naitre les émotions, à transmettre quelque chose de notre condition humaine, sa vérité. Giacometti, lui aussi, cherchait à traduire cette réalité. Ainsi de la figure filiforme et fragile de "l'homme qui chavire"(1950) dans le grand vide environnant. Quel isolement !

    20231109_155235.jpg20231109_155941.jpg20231109_161005.jpgAvec une grande liberté de représentation Gormley donne à certains corps des profils de bâtiments propres à rendre leur puissance (5). La géométrie du bloc  de plâtre  égale  la masse  du corps sculpté et son âme. Rien de choquant pour notre oeil du XXIème siècle. C'est une métaphore de l'évolution humaine.  "Small skein" (1923) en fonte de fer nous le rappelle aussi, pauvre chassis que nous sommes (6). Et  voir se côtoyer ce qui pourrait bien être un portrait de Balzac bouffi et son double en polystyrène renvoi à notre pouvoir d'imagination...(7) .

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    20231109_165106 (1).jpgCompléments fort instructifs, des carnets d'études et de projets figurent dans des vitrines: ils renseignent sur les recherches très personnelles de l'artiste et la façon dont s'élaborent les œuvres depuis les dessins jusqu'aux maquettes. (photo 8, 9). Passionnant !

    Antony Gormley, Critical Mass, Musée Rodin, 77 rue de Varenne 75007 Paris, jusqu'au 3 / 03/2024.

     

     

  • Monique Frydman (par Régine)

    Le plaisir que procure les oeuvres de Monique Frydman est souvent intense. Le raffinement des couleurs, leur luminosité, leur fragilité, leur poudroiement dû à l'utilisation du pastel, enchantent. Jamais cernées par un trait elles se répartissent généralement l'espace du tableau en taches ou en damiers évanescents. Fréquemment un éclat de couleur clair ou sombre contamine l'ensemble le faisant vibrer pour notre plus grand bonheur. L'aspect poudreux et délicat du pastel et le grain de la toile de coton ou de lin laissée brute procurent un plaisir presque tactile. Cette peinture touche à la fois le corps et l'esprit ; elle nous fait sentir l'aspect fugitif des choses mais aussi l'éblouissement de leur surgissement. L'exposition qui se tient actuellement à la Galerie Dutko, intitulée L'autre rive en est une fois encore la démonstration. "L'autre rive" ce titre évoque à la fois le proche comme l'inaccessible, le familier comme l'incommunicable et aussi l'autre royaume, celui des morts.

    Monique Frydman travaille au sol sur une toile de lin ou de coton, non préparée, non tendue, humidifiée par une colle légère car elle veut que la couleur imbibe la toile. Elle peint directement avec des blocs de pastel car pour elle, le rapport direct de la main avec le matériau est indispensable pour donner à la couleur toute son amplitude. "Quand on travail à l'horizontale, au sol, l'opticalité fait place à la tactilité, l'horizon on l'a sous les doigts", dit-elle. On retrouve ici avec bonheur la façon unique dont cette artiste fait jaillir la lumière par son maniement de la couleur. IMG_2240_edited.jpgAinsi dans L'autre rive 4 la tache d'un rose mauve éblouissant située en bas du tableau accroche immédiatement le regard. Elle fait vibrer la gamme des verts qui tournoient dans l'espace de la toile tandis que le rectangle noir posé au dessus d'elle renforce son impact. L'existant dans sa splendeur et sa fugacité me semble célébré ici avec force.

    IMG_2247_edited.jpgEn voici un autre exemple avec l'autre rive 10 où s'étagent une série de rectangles aux contours flous qui, de bas en haut, déploient toute une gamme de verts inouïs, puis un bleu cobalt lumineux, et en apothéose un rose délicat. Tout est mouvant, en tension et en équilibre fragile. Difficile de s'arracher à la fascination exercée par ces œuvres qui touchent à la fois tous les sens et l'âme.

    Mais l'exposition réserve d'autres surprises, notamment deux tableaux dont les tonalités multiples et très subtiles esquissent peut-être un renouveau. 20230914_182832_edited.jpgIl en est ainsi de L'autre rive 5 - Ophélie dont les couleurs qui se diffusent dans la toile flottent légère sur le fond laissé brut. On peut même deviner un visage fantomatique. Il y a quelque chose de musical au sens de Debussy ou de Webern dans leur répartition, leur harmonie, leur immatérialité. Ce tableau n'illustre pas le poème de Rimbaud, mais fait écho à sa mélancolie et à sa beauté. Il confirme la tonalité quelque nostalgique de cette série.

    20230914_181057_edited.jpgLe second, L'autre rive 3, est particulièrement émouvant. Deux tableaux de format carré sont assemblés pour former un diptyque de 249 cm de large sur 129 cm de hauteur. Sur un fond légèrement brun des taches de tonalités multiples et très subtiles, dont la légèreté et l'élégance rappellent certaines œuvres de Paul Klee, s'organisent en damiers évanescents qui semblent vouloir s'échapper de la toile ou circuler de l'une à l'autre. Il se dégage de cette œuvre un fort sentiment du temps qui passe et une douce mélancolie qui vous entraîne vers un ailleurs du tableau.

    Monique Frydman a toujours aimé travailler le papier. 20230914_181339_edited.jpgL'exposition en présente un certain nombre et c'est une autre belle surprise. Exposés avec soin, presque comme les pages d'une partition, trois groupes de quatre dessins occupent un mur de la galerie. 20230914_181321_edited.jpgLe papier de soie, un japon très fin, est aérien, les couleurs qui nimbent le papier semblent avoir été étalées avec vivacité. Le trait qui a disparu de la toile revient ici comme un griffonnage dans la couleur. Chaque groupe m'apparaît comme le développement d'une idée. Traversés par les affects de l'artiste, ils sont nous seulement très beaux mais extrêmement touchants.

    IMG_2248_edited.jpgL'exposition présente aussi un tableau très sombre, L'autre rive 6, dont la couleur occupe la totalité de la toile. Il est très différent des autres œuvres exposés qui presque toutes laissent apparaître le grain de la toile de coton ou de lin et sont exempts de la moindre ligne de dessin. Ici le fond vert sombre laisse voir ici ou là quelques lueurs tandis que des traits noirs en sillonnent le centre. Ce tableau, d'une grande beauté, qui n'est pas sans rappeler les nymphéas de Monet, dialogue avec l'ensemble de l'œuvre.

    En effet le travail de Monique Frydman ne se structure pas de façon linéaire, mais plutôt en séries qui dialoguent entre elles. Cette exposition en est un très belle démonstration.

    Monique Frydman, "L'autre rive", Galerie Dutko, 17, Quai Voltaire.=, 75007-Paris Jusqu'au 21 octobre.

     

  • Art en campagne (par Sylvie)

    Adieu les vacances, vive la rentrée et ses weekends d'automne propices à de courtes virées culturelles. La première est plein sud de Paris, en Seine et Marne, dans deux lieux à parcourir dans la foulée. Réservons pour une autre fois, en hiver, la visite du château de Fontainebleau au profit  - jusqu'au 17 septembre - d'un circuit d'une vingtaine de sculptures contemporaines dans son jardin anglais. 20230826_145600.jpg "Grandeur nature"  fait dialoguer avec plus ou moins d'humour, de poésie ou de fantastique, des oeuvres d'aujourd'hui - choisies en collaboration avec le musée de la Chasse et de la Nature - avec le paysage traditionnel. En voilà quelques unes : Carole Chebron 20230826_150029.jpga planté de multiples moulins à vent blancs dans la rocaille. Ils bruissent et tournent tels des fleurs dans la brise (photo 1).Françoise Petrovitch  fait surgir d'un buisson d'étranges créatures mi animales 20230826_153250.jpgmi humaines en grès émaillé bleu et vert comme dans un conte fantastique (2). La tortue en aluminium de Yoshikazu Goulven Le Maitre  fait l'éloge de la lenteur en accompagnant l'horizontale du  fleuve (3). On 20230826_155404.jpgy rencontre aussi un couple de personnages hybrides, mi êtres humains mi végétaux, d'une élégance toute britannique, de J.F. Fourtou ou un couple de paisibles rhinocéros  en inox, semblant brouter l'herbe, une oeuvre de François-Xavier Lalanne (4)

    Grandeur Nature, château de Fontainebleau, jardin anglais, jusqu'au 17 septembre 2023.

    20230824_110745~2.jpg20230824_122434 (1).jpg20230824_122317.jpgA quelques encablures de de Fontainebleau, à Milly la foret, a été bâtie une œuvre en béton et métal, recouverte en partie de miroirs réfléchissant la forêt environnante., le"Cyclop"  sculpture architecturale géante, époustouflante et rare exemple d'une oeuvre collective, utopie artistique entreprise à la fin des années 60 par les artistes Jean Tinguely, sa femme Niki de Saint Phalle  et leurs amis, une" fine équipe" de constructeurs hors-normes et libertaires raillant la société de consommation.                   

     L'étrange profil animal (5) de plus de 20 mètres de haut et de 350 tonnes d'acier, une tête sans corps avec un œil unique, une langue toboggan qui ruisselle d'eau et une oreille d'une tonne (6) est donc une réalisation collective au cœur de la forêt, en pleine nature, autour de grands chêne. Il faut marcher pour y accéder.  Dix ans ont été nécessaires pour l'ériger, sans architecte et sans moyens, mais grâce à l'énergie communicative et l'humour de cette bande de "Nouveaux Réalistes" que furent  Arman, Cesar, Spoerri et les autres.   Machineries complexes elles sont issues de la récupération de barres de fer, d'objets jetés, point de matériaux nobles mais déchets de la société industrielle  s'animant dans un bruit de ferraille, de moteurs et de circuits de billes géantes. Sculpture pénétrable, visitable, elle est un véritable musée où les participants, à la recherche de l'acte inutile, ont laissé leur patte : à l'entrée la "jauge" de Raynaud met en parallèle la hauteur de la" bête" et les petits visiteurs que nous sommes. César y a installé une compression. A chaque étage une surprise : ici,  un tableau de Larry Rivers en hommage à mai 68, là, sous verre, une accumulation de gants usagers d'Arman, l'oreille géante de Luginbühl (7) la colonne en  mosaïque de Nikki de St Phalle ou, référence à l'histoire, le wagon de déportés d'Eva Aeppli.. Cette  délirante échappée du réel née de l'imagination fertile du groupe a subit les affres de l'usure, des conditions climatiques et de la situation topographique. Sa conservation est particulièrement complexe. Il a fallu 20 ans pour la remettre en état et un entretien annuel est nécessaire. C'est pourquoi le site est ouvert chaque année du début avril à la fin des vacances de Toussaint. 

    Le Cyclop, Bois des pauvres, 91490 Milly la Forêt. 01 64 98 95 18. Jusqu'au 5 novembre 2023. Visites guidées de 45 minutes.

     

     

  • Isamu Noguchi (par Sylvie)

    Il est encore temps, très peu de temps mais ce serait vraiment dommage de la manquer, la première grande rétrospective du sculpteur, designer et passeur entre arts et culture "Isamu Noguchi" ( 1904-1988) qui se tient au Lam de Villeneuve d'Ascq jusqu'au 2 juillet.

    20230602_154208.jpgConnu en France surtout pour ses fameuses lampes AKARI en papier "washi" - issu du mûrier - et bambou, toutes de légèreté, que les plus âgés d'entre nous ont eu la chance de découvrir à la galerie Steph Simon, boulevard Saint Germain dans les années 60, on en oubliait que Noguchi, né aux Etats Unis d'une mère américaine enseignante et d'un père poète japonais,  fut un sculpteur au savoir faire traditionnel d'une grande inventivité, toujours au carrefour des cultures du monde .  Grand voyageur, rieux des traditions et recherches expérimentales du monde, il peut être qualifié d' artiste total.  L'éventail de ses créations est là: portraits , sculptures abstraites, objets du quotidien, décors, costumes et sculptures pour les grandes dames de la "modern dance" . Futuriste avec le grand architecte Buckminster Fuller il fut aussi l'assistant admiratif de Brancusi  à New York puis à Paris.

    Pour vous donner l'envie de prendre dès aujourd'hui le train pour Villeneuve d'Ascq, près de Lille - il ne faut qu'une heure - voilà quelques images de mes coups de coeur pour cet artiste qui pensait que la création était un acte social.

    20230602_153025~2.jpg20230602_153405 (1).jpg20230616_115354~2.jpgLes veines et les couleurs du bois modèlent ce portrait de 1932 (1) qui témoigne d' un attachement à la figuration. Mais déjà (1928) l'abstraction avec rondeurs et  plénitude était là dans la forme ovoïde de Globular (5). Puis en 1944, au 20230602_162300.jpgcontact des Surréalistes, Noguchi assemble de façon20230602_162706~2.jpg ludique et aléatoire, des éléments disparates et des formes incongrues (2). Elles nous rappellent Dali. Comme par un retour à la matière, est née Inner stone qui révèle formes, textures et couleurs de la pierre et les surfaces polies ou laissées brutes du basalte (4). En revanche le Walking Voïd - vide ambulant - de 1970 en granit noir illustre l'intérêt 20230602_161910~3.jpgde l'artiste pour la Grèce antique : véritable épure, elle laisse entrevoir un mouvement imperturbable de la marche (3) C'est en 1952 que sont éditées les premières lampes Akari légères et  fragiles. "Mon 20230616_112857~2.jpgobjectif a toujours été l'art en relation avec la vie. Elles semblent offrir un 20230602_160902.jpgépanouissement magique loin du monde matériel" disait leur créateur. Elles ont résisté au temps. (5). Pour lui, pas de frontières ni entre continents ni entre art et design. La table à jeu d'échecs (7) en est encore l'exemple. 

    Des multiples univers dans lesquels Noguchi a aimé évoluer se trouve celui de la scène. Là encore, travailler pour Martha Graham, c'était élargir les possibilités de la sculpture. Créer des  éléments de scénographie  (7) est significatif de sa passion pour les rapports entre sculpture, espace et corps.

    Oui, Noguchi  fut un trait d'union entre l'ouest et l'est, il voulait dépasser les frontières et les catégories artistiques, et incarner une vision ouverte et décloisonnée de l'art. Il est bien temps de le découvrir.

    Isamu Noguchi, "sculpter le monde", au LAM, Villeneuve d'Ascq (59), jusqu'au 2 Juillet.

     

     

  • WOLS (par Régine)

    N'hésitez pas à double cliquer sur les phatos pour les agrandir.

    La rétrospective de Wols à la Galerie Karsten Greeve, qui dure jusqu'au 5 Août, est un évènement qu'il ne faut pas rater. Elle célèbre les 110 ans de l'artiste et présente un grand ensemble d'œuvres : huiles sur toile, aquarelles et dessins sur papier, gravures et photographies. Plusieurs ont été prêtées par le Centre Pompidou qui avait organisé une exposition sur son travail au printemps 2020 mais qui a dû fermer ses portes à cause de la Covid et du confinement. Elle n'a duré qu'une semaine et n'a pas pu être décalée. Un beau catalogue en garde heureusement la trace.

    Né à Berlin en 1913 Wols meurt à Paris à 38 ans. Photographe, peintre, dessinateur, graveur, proche du surréalisme, féru de musique et de philosophie Wols est considéré comme l'un des fondateurs de l'abstraction lyrique et de l'art informel en Europe, mais son œuvre est loin de se réduire à cela.

    Il émigre à Paris en 1932 où il rencontre sa future épouse, Greta Dabija, qui l'introduit dans le climat surréaliste de l'époque. Il rencontre Jean Arp, Giacometti, Calder, Fernand Léger. Apatride et sans papier il est contraint de quitter la France et part à Ibiza. Expulsé d'Espagne en 1935 il revient à France, obtient enfin un permis de séjour et vit surtout de ses photos. Après le déclenchement de la 2ème guerre mondiale, en tant qu'Allemand, il est interné au camp des Milles, puis de 1943 à 1945 il s'installe avec sa femme à Dieulefit dans la Drôme. De retour à Paris en 1945 il obtient un permis de séjour. Le galeriste René Drouin lui organise sa première exposition personnelle, suivie d'une autre en 1947. Il rencontre Jean-Paul Sarte dont il illustre deux ouvrages (présentés dans l'exposition ), Ubac, George Mathieu. Hélas, en 1951, il meurt brutalement d'une intoxication alimentaire.

    En regardant les nombreuses aquarelles et les petits dessins accrochés sur les murs de la galerie et dont les formats n'excèdent jamais plus de 22 x 40 c'est l'extrême liberté, la complexité du graphisme alliées au raffinement des couleurs qui fascinent. Instinctivement on les rapproche de celles de Paul Klee que Wols découvrit très jeune. Mais, comme l'écrit Sarte "Klee c'est un ange et Wols un pauvre diable. L'un crée et recrée les merveilles du monde, l'autre en éprouve la merveilleuse horreur". Rien n'est vraiment identifiable dans son travail, mais difficile de s'arracher à ces images mentales figuratives ou abstraites tant elles semblent inépuisables. Leur petitesse nous oblige à nous en approcher au plus près pour découvrir la richesse des formes intriquées. Certaines sont comme des rêves éveillés : ainsi l'aquarelle Sans titre (vers 1940) (photo 1)IMG_1962_edited.jpg : sur un fond d'un bleuté transparent, deux espaces se superposent. Dans celui du haut des constructions sont imbriquées les unes dans les autres. Une maison au centre est pourvue d'une multitude de fenêtres, de fragiles échafaudages s'élèvent au dessus de ces bâtiments et on aperçoit des remparts au loin. Dans l'espace du bas quelques légers traits horizontaux parcourent le fond aquarellé de brun donnant une impression de mouvement. On devine des ponts, des poteaux, une tour, un tout petit bateau. S'agit-il du cours d'une rivière ou de lignes électrifiées, ou est-ce le reflet du dessin d'en haut ? quelques minuscules traits, tels des notes de musique, réunissent les deux espaces.

    Une vision fantomatique et magnifique d'un bateau voguant toute voiles déployées nous est donné par Voilier breton IMG_1946_edited.jpg(1949) (photo 2) image troublante car elle est à la fois statique, la coque cristalline pourrait être celle d'un objet de décoration, et dynamique, le drapeau en haut du mas flotte, la voilure, aux couleurs transparentes, est gonflée. S'y dissimule un visage que l'on ne perçoit qu'après coup. IMG_1936_edited.jpgLe bateau devient presque cauchemardesque avec la pointe sèche et aquarelle intitulée Bateau (1945) (photo 3). Les voiles, de teintes délicates, sont les prisonnières d'un entre-croisement de lignes, nerveuses, presque arachnéennes. La4 coque du navire très fine supportera-t-elle sa charge figurée par un fourmillement de petit points noirs. La juxtaposition de deux univers et le bateau sont des thèmes récurrents dans son œuvre, façon d'exprimer sans doute son désir d'évasion totalement imaginaire.

    IMG_1933.JPGSon trait s'échappe de la réalité pour devenir une sorte de sténographie de ses états intérieurs. Dans l'encre et aquarelle Sans titre (1942) (photo 4) son univers se transforme en un lacis de lignes inquiétantes ponctuées de nœuds noirs et tourbillonnants. IMG_1961_edited.jpgUne déflagration violente et sanglante explose dans l'aquarelle Cataclysme planétaire (1946-1948) (photo 5) image d'une catastrophe. IMG_1987_edited.jpgEnfin Astre proche (Notre terre) (1944) (photo 6) représente-t-il un astre imaginaire, ou un organe qui se dissout en une multitude de paysages où fusionnent le végétal et l'animal. Cellules et cosmogonies, son dessin apparait comme le point d'intersection entre deux infinis et ses formes sont en constante métamorphose.

    IMG_1935_edited.jpgWols n'aIMG_1940_edited.jpg pas peint beaucoup de tableaux, mais on peut en voir quelques uns exposés ici qui sont saisissants et prémonitoires de l'abstraction lyrique des années 1950-1960. "Ses toiles il les faisait soit par terre, soit sur le lit. Avec ses mains, le plat de sa paume pour les fonds et des petits bouts de chiffon. Il travaillait très vite avec une sorte de frénésie". Ainsi s'exprime sa femme en 1953 dans une lettre au peintre Camille Bryen. Dans les tableaux plutôt tachistes ici présentés, se déploie un espace sans horizon. S'y affrontent des formes réelles et imaginaires, images mentales de son monde intérieur mises à la disposition du spectateur, libre à celui-ci de les interpréter comme il l'entent ainsi en est-il du Grand orgasme (1947) et de Sans titre (Composition) (1946-1947) (photos 7 et 8).

    IMG_1937_edited.jpgIl était aussi un excellent graveur et un remarquable photographe. Cette exposition le rappelle en montrant quelques délicates gravures dont le trait est soit proche de ses aquarelles, soit de l'univers de Fred Deux, tel cet être monstrueux  (photo 9) visage ou organe monstrueux, on ne sait mais les règnes s'y mélangent cruellement.

    IMG_1988_edited.jpgQuelques photos soulignent son talent dans ce domaine. Il publia de nombreuses photo dans des magazines de mode tel que Vogue ou Le jardin des modes et fut engagé pour photographier le Pavillon de l'élégance lors de l'Exposition universelle de 1937. Plusieurs d'entre elles, ici exposées, montrent l'acuité de son regard et la qualité de son cadrage. Il savait saisir à la fois la réalité et l'étrangeté d'une situation mais aussi la solitude des êtres (photo 10)

    Les œuvres de Wols mettent à jour ce qui est au cœur des choses et semblent se développer à partir de ce que Klee appelait le point primordial de la création. Par certains aspects, il est un précurseur aujourd'hui encore insuffisamment reconnu. Cette exposition quasi muséale, permet d'en prendre mieux conscience.

    Wols - Galerie Karsten Greve, 5 rue Debelleyme