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Rien de vaut un tour, fut il rapide, dans les galeries autour de Beaubourg pour se remettre en phase avec l'actualité artistique automnale.
Nous avons commencé par la galerie Templon, rue Beaubourg, où sont exposés les derniers travaux de Prune Nourry, française née en 1985, qui nous avait régalée il y a quelques années par ses sculptures en terre cuite inspirées des guerriers de Xi'an. Cette fois, elle nous fait cheminer dans le noir et tâter des visages d'aveugles, inconnus d'elle, qu'elle a sculptés les yeux bandés. Etrange démarche qui démontre la puissance de la mémoire tactile. Ses huit modèles sont eux-mêmes mal voyants, mais ayant surmonté leur handicap.
On sort de ce "tunnel", ébahis, troublés et un peu chancelantes : nous, bien-voyants avons toutes sortes d'autres repères pour comprendre les formes, et nous voilà perdus, il faut réapprendre.
A tâter ces visages d'argiles, cuits selon la technique ancestrale, japonaise, dite du Raku, nos doigts deviennent intelligents et perçoivent de mieux en mieux les rondeurs d'un nez, les plis de la peau. Et de l'un à l'autre des visages, les personnalités s'en dégagent comme si nous avions acquis un gain de perception. Il en a fallu un, extrême, à Prune Nourry pour qu'elle parvienne à sculpter des visages sans les avoir vus. Le toucher fait voir.
Au milieu du parcours une pièce lumineuse interrompt celui-ci. Sur un écran en argile est projeté un court métrage relatant la rencontre de l'artiste avec ses modèles. Sans dévoiler les visages et les oeuvres, il met l'accent sur la matière, les mains et leur complicité. Sur le côté sont disposés les moulages des mains des non-voyants, en creux dans du métal, en relief dans du papier, selon la technique du gaufrage propre à l'impression en braille.
Devant ce travail nous avons éprouvé le même sentiment d'effroi et de stupéfaction que celui ressenti devant l'ouvrage de Sophie Calle intitulé "Aveugles" qui comporte une série de photos d'aveugles de naissance et dessous la réponse à la question posée par l'artiste : Quel est pour vous l'image de la beauté ?
Prune Nourry "Projet Phénix" - Galerie Templon, 30 rue Beaubourg, 75002-Paris. Jusqu'au 23 octobre.
Après cette expérience extrêmement forte nous avons poursuivi notre chemin rue Beaubourg et un peu plus bas à la galerie Poggi, nous avons eu la bonne surprise d'y découvrir l'oeuvre de Georges Tony Stoll (né à Marseille en 1955) que nous ne connaissions pas. Sur le fond aux belles couleurs très travaillées de ses grands formats surgissent des éléments hétérogènes dont on ne comprend guère l'assemblage. Il faut lire les explications de l'artiste : positionné devant sa toile il peint les images qui lui viennent spontanément à l'esprit et qui s'imposent à lui. On est proche ici de la technique de l'automatisme chère aux surréalistes. "Paris-Abysse", titre de l'exposition, serait donc une sorte de puzzle de formes imaginaires émanant du plus profond de lui-même, et souvent nées de souvenirs : personnages, bruits, paysages, oeuvres, surgis de ses propres "abysses" en quelque sorte. Ses tableaux sont souvent partagés par une ligne horizontale, les cieux, les sols, d'où s'élèvent des formes très colorées. . "Il ne raconte rien, laisse surgir quelque chose comme la beauté" écrit Eric de Chassey. Comme Jean-Michel Alberola, Georges Tony Stoll nous mets face à son espace mental.
Georges Tony Stoll "Incontournable" - Galerie Poggi, 2 rue Beaubourg, 75004-Paris. Jusqu'au 23 octobre
Nathalie Obadia présente pour la première fois des oeuvres de l'américain Robert Kushner" (né en 1949). Renversant des valeurs lui aussi, mais cette fois s'opposant au Minimalisme et à l'art conceptuel de son époque, il défend un retour au motif qui donna naissance dans les années 70 au mouvement "Pattern and décoration".
Ses multiples fleurs en grand format, à l'huile ou l'acrylique, à la feuille de palladium et l'or traduisent son intérêt pour l'ornementation, née de ses voyages en Turquie, Iran Afghanistan. S'y retrouve un peu de la joie de vivre de Matisse mais surtout la recherche du pur plaisir visuel. Dessins fluides, très colorés, qui s'éparpillent sur des formes géométriques abstraites, comme si le vieux débat figuration-abstraction ne pouvait être tranché. Rien à voir avec la sensualité de la série "Les amarilys" de Philippe Cognée qui sont de véritables vanités dans lesquelles la mort est implicite (cf. decrypt-art du 28/01/2020). Ici on est dans le décoratif.
Robert Kushner "Jardin sauvage" - Galerie Nathalie Obadia - 3, rue du Cloitre St Merri, 75004 - Paris - Jusqu'au 23 octobre.
Retour chez Templon, mais dans l'espace de la rue du Grenier St Lazare. C'est encore un choc, à l'image des mauvaises nouvelles de la société qui nous submergent et que traduit l'américain Robin Kid. Images très américaines qui mêlent, en superpositions hétéroclites et bousculantes, celles des violences elles-mêmes et ses effets délétères sur la jeune génération. L'artiste s'explique : "...Besoin de créer mon propre monde... construit à coups de fragments du quotidien de ma génération et de ma mélancolie pour un hier sans souci". Image patchwork d'un XXIème siècle désenchanté et qui interroge la civilisation américaine et suscite la réflexion.
Robin Kid "It's all your fault" - Galerie Templon, 28, rue du Grenier St Lazare, 75003-Paris. Jusqu'au 23 octobre.
Dernier arrêt et autre belle découverte à la Galerie Catherine Putman, le japonais Keita Mori, dont le travail, d'une extrême délicatesse, nous a éblouies. Ce jeune artiste, né en 1981, vit et travaille à Paris. Il développe, depuis 2011, une technique très particulière : Faits de fils coton, de soie ou de métal tendus et collés à l'aide d'un petit pistolet à colle à même le mur, le papier ou la toile, ses dessins composent d'incroyables réseaux graphiques.
Ainsi naissent ce qui pourrait être des objets, ou des systèmes fascinants dans lesquels les coupures ou "bug" révèlent des espaces éclatés, en mouvement, provisoires, un monde en expansion où, comme dans les romans de Murakami, on se trouve projeté dans une autre dimension. Contrairement au crayon qui permet des nuances, le trait de fil est froid, uniforme, sans ombre comme dans les dessins industriels et informatiques. Son tracé tendu est droit, les formes sont simples mais les fils se chevauchent, s'accumulent, s'entrecroisent pour former des images en apparence bien construite, mais qui ouvrent sur des paysages inconnus et nous égarent.
Dans le beau dessin ici représenté, la ligne suggère la trajectoire d'un vaisseau spatial lancé à grande vitesse, passant outre de beaux obstacles dorés.
Rien n'est pensé à l'avance, les dessins résultent, dit l'artiste, d'une élaboration progressive. C'est un "échafaudage d'hypothèses" qui se révèle au fur et à mesure de l'avancement du travail.
Keita Mori "Kasetsu no kasetsu" - Galerie Catherine Putman, 40, rue Quincampoix - 75004-Paris. Jusqu'au 10 novembre.