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décrypt'art - Page 2

  • Art en campagne (par Sylvie)

    Adieu les vacances, vive la rentrée et ses weekends d'automne propices à de courtes virées culturelles. La première est plein sud de Paris, en Seine et Marne, dans deux lieux à parcourir dans la foulée. Réservons pour une autre fois, en hiver, la visite du château de Fontainebleau au profit  - jusqu'au 17 septembre - d'un circuit d'une vingtaine de sculptures contemporaines dans son jardin anglais. 20230826_145600.jpg "Grandeur nature"  fait dialoguer avec plus ou moins d'humour, de poésie ou de fantastique, des oeuvres d'aujourd'hui - choisies en collaboration avec le musée de la Chasse et de la Nature - avec le paysage traditionnel. En voilà quelques unes : Carole Chebron 20230826_150029.jpga planté de multiples moulins à vent blancs dans la rocaille. Ils bruissent et tournent tels des fleurs dans la brise (photo 1).Françoise Petrovitch  fait surgir d'un buisson d'étranges créatures mi animales 20230826_153250.jpgmi humaines en grès émaillé bleu et vert comme dans un conte fantastique (2). La tortue en aluminium de Yoshikazu Goulven Le Maitre  fait l'éloge de la lenteur en accompagnant l'horizontale du  fleuve (3). On 20230826_155404.jpgy rencontre aussi un couple de personnages hybrides, mi êtres humains mi végétaux, d'une élégance toute britannique, de J.F. Fourtou ou un couple de paisibles rhinocéros  en inox, semblant brouter l'herbe, une oeuvre de François-Xavier Lalanne (4)

    Grandeur Nature, château de Fontainebleau, jardin anglais, jusqu'au 17 septembre 2023.

    20230824_110745~2.jpg20230824_122434 (1).jpg20230824_122317.jpgA quelques encablures de de Fontainebleau, à Milly la foret, a été bâtie une œuvre en béton et métal, recouverte en partie de miroirs réfléchissant la forêt environnante., le"Cyclop"  sculpture architecturale géante, époustouflante et rare exemple d'une oeuvre collective, utopie artistique entreprise à la fin des années 60 par les artistes Jean Tinguely, sa femme Niki de Saint Phalle  et leurs amis, une" fine équipe" de constructeurs hors-normes et libertaires raillant la société de consommation.                   

     L'étrange profil animal (5) de plus de 20 mètres de haut et de 350 tonnes d'acier, une tête sans corps avec un œil unique, une langue toboggan qui ruisselle d'eau et une oreille d'une tonne (6) est donc une réalisation collective au cœur de la forêt, en pleine nature, autour de grands chêne. Il faut marcher pour y accéder.  Dix ans ont été nécessaires pour l'ériger, sans architecte et sans moyens, mais grâce à l'énergie communicative et l'humour de cette bande de "Nouveaux Réalistes" que furent  Arman, Cesar, Spoerri et les autres.   Machineries complexes elles sont issues de la récupération de barres de fer, d'objets jetés, point de matériaux nobles mais déchets de la société industrielle  s'animant dans un bruit de ferraille, de moteurs et de circuits de billes géantes. Sculpture pénétrable, visitable, elle est un véritable musée où les participants, à la recherche de l'acte inutile, ont laissé leur patte : à l'entrée la "jauge" de Raynaud met en parallèle la hauteur de la" bête" et les petits visiteurs que nous sommes. César y a installé une compression. A chaque étage une surprise : ici,  un tableau de Larry Rivers en hommage à mai 68, là, sous verre, une accumulation de gants usagers d'Arman, l'oreille géante de Luginbühl (7) la colonne en  mosaïque de Nikki de St Phalle ou, référence à l'histoire, le wagon de déportés d'Eva Aeppli.. Cette  délirante échappée du réel née de l'imagination fertile du groupe a subit les affres de l'usure, des conditions climatiques et de la situation topographique. Sa conservation est particulièrement complexe. Il a fallu 20 ans pour la remettre en état et un entretien annuel est nécessaire. C'est pourquoi le site est ouvert chaque année du début avril à la fin des vacances de Toussaint. 

    Le Cyclop, Bois des pauvres, 91490 Milly la Forêt. 01 64 98 95 18. Jusqu'au 5 novembre 2023. Visites guidées de 45 minutes.

     

     

  • Isamu Noguchi (par Sylvie)

    Il est encore temps, très peu de temps mais ce serait vraiment dommage de la manquer, la première grande rétrospective du sculpteur, designer et passeur entre arts et culture "Isamu Noguchi" ( 1904-1988) qui se tient au Lam de Villeneuve d'Ascq jusqu'au 2 juillet.

    20230602_154208.jpgConnu en France surtout pour ses fameuses lampes AKARI en papier "washi" - issu du mûrier - et bambou, toutes de légèreté, que les plus âgés d'entre nous ont eu la chance de découvrir à la galerie Steph Simon, boulevard Saint Germain dans les années 60, on en oubliait que Noguchi, né aux Etats Unis d'une mère américaine enseignante et d'un père poète japonais,  fut un sculpteur au savoir faire traditionnel d'une grande inventivité, toujours au carrefour des cultures du monde .  Grand voyageur, rieux des traditions et recherches expérimentales du monde, il peut être qualifié d' artiste total.  L'éventail de ses créations est là: portraits , sculptures abstraites, objets du quotidien, décors, costumes et sculptures pour les grandes dames de la "modern dance" . Futuriste avec le grand architecte Buckminster Fuller il fut aussi l'assistant admiratif de Brancusi  à New York puis à Paris.

    Pour vous donner l'envie de prendre dès aujourd'hui le train pour Villeneuve d'Ascq, près de Lille - il ne faut qu'une heure - voilà quelques images de mes coups de coeur pour cet artiste qui pensait que la création était un acte social.

    20230602_153025~2.jpg20230602_153405 (1).jpg20230616_115354~2.jpgLes veines et les couleurs du bois modèlent ce portrait de 1932 (1) qui témoigne d' un attachement à la figuration. Mais déjà (1928) l'abstraction avec rondeurs et  plénitude était là dans la forme ovoïde de Globular (5). Puis en 1944, au 20230602_162300.jpgcontact des Surréalistes, Noguchi assemble de façon20230602_162706~2.jpg ludique et aléatoire, des éléments disparates et des formes incongrues (2). Elles nous rappellent Dali. Comme par un retour à la matière, est née Inner stone qui révèle formes, textures et couleurs de la pierre et les surfaces polies ou laissées brutes du basalte (4). En revanche le Walking Voïd - vide ambulant - de 1970 en granit noir illustre l'intérêt 20230602_161910~3.jpgde l'artiste pour la Grèce antique : véritable épure, elle laisse entrevoir un mouvement imperturbable de la marche (3) C'est en 1952 que sont éditées les premières lampes Akari légères et  fragiles. "Mon 20230616_112857~2.jpgobjectif a toujours été l'art en relation avec la vie. Elles semblent offrir un 20230602_160902.jpgépanouissement magique loin du monde matériel" disait leur créateur. Elles ont résisté au temps. (5). Pour lui, pas de frontières ni entre continents ni entre art et design. La table à jeu d'échecs (7) en est encore l'exemple. 

    Des multiples univers dans lesquels Noguchi a aimé évoluer se trouve celui de la scène. Là encore, travailler pour Martha Graham, c'était élargir les possibilités de la sculpture. Créer des  éléments de scénographie  (7) est significatif de sa passion pour les rapports entre sculpture, espace et corps.

    Oui, Noguchi  fut un trait d'union entre l'ouest et l'est, il voulait dépasser les frontières et les catégories artistiques, et incarner une vision ouverte et décloisonnée de l'art. Il est bien temps de le découvrir.

    Isamu Noguchi, "sculpter le monde", au LAM, Villeneuve d'Ascq (59), jusqu'au 2 Juillet.

     

     

  • WOLS (par Régine)

    N'hésitez pas à double cliquer sur les phatos pour les agrandir.

    La rétrospective de Wols à la Galerie Karsten Greeve, qui dure jusqu'au 5 Août, est un évènement qu'il ne faut pas rater. Elle célèbre les 110 ans de l'artiste et présente un grand ensemble d'œuvres : huiles sur toile, aquarelles et dessins sur papier, gravures et photographies. Plusieurs ont été prêtées par le Centre Pompidou qui avait organisé une exposition sur son travail au printemps 2020 mais qui a dû fermer ses portes à cause de la Covid et du confinement. Elle n'a duré qu'une semaine et n'a pas pu être décalée. Un beau catalogue en garde heureusement la trace.

    Né à Berlin en 1913 Wols meurt à Paris à 38 ans. Photographe, peintre, dessinateur, graveur, proche du surréalisme, féru de musique et de philosophie Wols est considéré comme l'un des fondateurs de l'abstraction lyrique et de l'art informel en Europe, mais son œuvre est loin de se réduire à cela.

    Il émigre à Paris en 1932 où il rencontre sa future épouse, Greta Dabija, qui l'introduit dans le climat surréaliste de l'époque. Il rencontre Jean Arp, Giacometti, Calder, Fernand Léger. Apatride et sans papier il est contraint de quitter la France et part à Ibiza. Expulsé d'Espagne en 1935 il revient à France, obtient enfin un permis de séjour et vit surtout de ses photos. Après le déclenchement de la 2ème guerre mondiale, en tant qu'Allemand, il est interné au camp des Milles, puis de 1943 à 1945 il s'installe avec sa femme à Dieulefit dans la Drôme. De retour à Paris en 1945 il obtient un permis de séjour. Le galeriste René Drouin lui organise sa première exposition personnelle, suivie d'une autre en 1947. Il rencontre Jean-Paul Sarte dont il illustre deux ouvrages (présentés dans l'exposition ), Ubac, George Mathieu. Hélas, en 1951, il meurt brutalement d'une intoxication alimentaire.

    En regardant les nombreuses aquarelles et les petits dessins accrochés sur les murs de la galerie et dont les formats n'excèdent jamais plus de 22 x 40 c'est l'extrême liberté, la complexité du graphisme alliées au raffinement des couleurs qui fascinent. Instinctivement on les rapproche de celles de Paul Klee que Wols découvrit très jeune. Mais, comme l'écrit Sarte "Klee c'est un ange et Wols un pauvre diable. L'un crée et recrée les merveilles du monde, l'autre en éprouve la merveilleuse horreur". Rien n'est vraiment identifiable dans son travail, mais difficile de s'arracher à ces images mentales figuratives ou abstraites tant elles semblent inépuisables. Leur petitesse nous oblige à nous en approcher au plus près pour découvrir la richesse des formes intriquées. Certaines sont comme des rêves éveillés : ainsi l'aquarelle Sans titre (vers 1940) (photo 1)IMG_1962_edited.jpg : sur un fond d'un bleuté transparent, deux espaces se superposent. Dans celui du haut des constructions sont imbriquées les unes dans les autres. Une maison au centre est pourvue d'une multitude de fenêtres, de fragiles échafaudages s'élèvent au dessus de ces bâtiments et on aperçoit des remparts au loin. Dans l'espace du bas quelques légers traits horizontaux parcourent le fond aquarellé de brun donnant une impression de mouvement. On devine des ponts, des poteaux, une tour, un tout petit bateau. S'agit-il du cours d'une rivière ou de lignes électrifiées, ou est-ce le reflet du dessin d'en haut ? quelques minuscules traits, tels des notes de musique, réunissent les deux espaces.

    Une vision fantomatique et magnifique d'un bateau voguant toute voiles déployées nous est donné par Voilier breton IMG_1946_edited.jpg(1949) (photo 2) image troublante car elle est à la fois statique, la coque cristalline pourrait être celle d'un objet de décoration, et dynamique, le drapeau en haut du mas flotte, la voilure, aux couleurs transparentes, est gonflée. S'y dissimule un visage que l'on ne perçoit qu'après coup. IMG_1936_edited.jpgLe bateau devient presque cauchemardesque avec la pointe sèche et aquarelle intitulée Bateau (1945) (photo 3). Les voiles, de teintes délicates, sont les prisonnières d'un entre-croisement de lignes, nerveuses, presque arachnéennes. La4 coque du navire très fine supportera-t-elle sa charge figurée par un fourmillement de petit points noirs. La juxtaposition de deux univers et le bateau sont des thèmes récurrents dans son œuvre, façon d'exprimer sans doute son désir d'évasion totalement imaginaire.

    IMG_1933.JPGSon trait s'échappe de la réalité pour devenir une sorte de sténographie de ses états intérieurs. Dans l'encre et aquarelle Sans titre (1942) (photo 4) son univers se transforme en un lacis de lignes inquiétantes ponctuées de nœuds noirs et tourbillonnants. IMG_1961_edited.jpgUne déflagration violente et sanglante explose dans l'aquarelle Cataclysme planétaire (1946-1948) (photo 5) image d'une catastrophe. IMG_1987_edited.jpgEnfin Astre proche (Notre terre) (1944) (photo 6) représente-t-il un astre imaginaire, ou un organe qui se dissout en une multitude de paysages où fusionnent le végétal et l'animal. Cellules et cosmogonies, son dessin apparait comme le point d'intersection entre deux infinis et ses formes sont en constante métamorphose.

    IMG_1935_edited.jpgWols n'aIMG_1940_edited.jpg pas peint beaucoup de tableaux, mais on peut en voir quelques uns exposés ici qui sont saisissants et prémonitoires de l'abstraction lyrique des années 1950-1960. "Ses toiles il les faisait soit par terre, soit sur le lit. Avec ses mains, le plat de sa paume pour les fonds et des petits bouts de chiffon. Il travaillait très vite avec une sorte de frénésie". Ainsi s'exprime sa femme en 1953 dans une lettre au peintre Camille Bryen. Dans les tableaux plutôt tachistes ici présentés, se déploie un espace sans horizon. S'y affrontent des formes réelles et imaginaires, images mentales de son monde intérieur mises à la disposition du spectateur, libre à celui-ci de les interpréter comme il l'entent ainsi en est-il du Grand orgasme (1947) et de Sans titre (Composition) (1946-1947) (photos 7 et 8).

    IMG_1937_edited.jpgIl était aussi un excellent graveur et un remarquable photographe. Cette exposition le rappelle en montrant quelques délicates gravures dont le trait est soit proche de ses aquarelles, soit de l'univers de Fred Deux, tel cet être monstrueux  (photo 9) visage ou organe monstrueux, on ne sait mais les règnes s'y mélangent cruellement.

    IMG_1988_edited.jpgQuelques photos soulignent son talent dans ce domaine. Il publia de nombreuses photo dans des magazines de mode tel que Vogue ou Le jardin des modes et fut engagé pour photographier le Pavillon de l'élégance lors de l'Exposition universelle de 1937. Plusieurs d'entre elles, ici exposées, montrent l'acuité de son regard et la qualité de son cadrage. Il savait saisir à la fois la réalité et l'étrangeté d'une situation mais aussi la solitude des êtres (photo 10)

    Les œuvres de Wols mettent à jour ce qui est au cœur des choses et semblent se développer à partir de ce que Klee appelait le point primordial de la création. Par certains aspects, il est un précurseur aujourd'hui encore insuffisamment reconnu. Cette exposition quasi muséale, permet d'en prendre mieux conscience.

    Wols - Galerie Karsten Greve, 5 rue Debelleyme

     

  • Anna Eva Bergman (par Régine)

    La passionnante rétrospective de l'œuvre d'Anna Eva Bergman, qui se tient actuellement au Musée d'Art Moderne de Paris, répare une injustice. En effet, trop longtemps restée dans l'ombre de son mari, le peintre Hans Hartung, dont le travail est totalement différent du sien, elle bénéficie aujourd'hui de l'attention particulière portée aux femmes artistes, à un regain d'intérêt pour les artistes des années 1950-1970 et peut-être aussi à une nouvelle importance accordée à la peinture scandinave.

    Née en 1909 d'une mère norvégienne et d'un père suédois, elle suit des enseignements artistiques successivement à Oslo, Stockholm, Vienne et Paris. En 1929 elle rencontre Hartung qu'elle épouse aussitôt. La misère et la maladie les sépareront et ils divorceront en 1938, mais 20 ans plus tard ils se retrouveront et se remarieront.

    L'exposition est très intéressante car elle ne néglige aucune phase de son évolution. Dans les années 1930 son œuvre est figurative. Elle peint, de façon assez géométrique, de beaux villages blancs, des montagne ou des scènes de la vie. IMG_1509_edited.jpgC'est aussi une épatante caricaturiste au talent proche de celui d'Otto Dix ou de George Grosz. Nombre de ses dessins parurent alors dans la presse. Quelques exemples sont ici présentés, tel ce portrait à charge du generalissimo Franco (photo 1) et quelques caricatures du nazisme. Son trait satirique et très expressif dénote un humour corrosif.

    872201-anna-eva-bergman-nos-photos-de-l-expo-a-paris-img-8972_edited_edited.jpgPuis son travail évolue vers des œuvres délicates et oniriques dans l'esprit de celle de Klee et de Kandinsky. Deux beaux exemples, datés de 1951, sont ici montrés avec deux temperas sur panneau isorel Rêve bleu (photo 2) et Phare. Le raffinement de la couleur, la finesse et l'élégance du trait, invitent à la rêverie et leurs donnent une dimension cosmique.

    Mais c'est la nature qui la fascine et pour la saisir dans sa puissance elle se dégage de la figuration, fait disparaître toute représentation de la figure humaine et bascule dans un autre registre qui ne se situe pas vraiment entre abstraction et figuration mais ailleurs, peut-être dans la tension entre ces deux formes d'expression. Fascinée par la section d'or et par les possibilités offertes par le métal elle va bâtir une œuvre qui ne ressemble à aucune autre. Voici quelques exemples de cette transformation.

    IMG_1528_edited.jpgLes formes biomorphiques d'une tempera sur papier de 1952 proches de celles que l'on trouve chez Arp, fait partie d'une série intitulée Fragments d'îles norvégiennes (photo 3). Ces formes peuvent être des îles, des rochers polis ou tout autre chose. Elles semblent se déplacer doucement sans se toucher et un rythme se dégage de leur cohabitation. Leurs couleurs sont celles de la neige, des lichens ou des mousses de ces régions. IMG_1533_edited.jpgStèle avec lune de 1953 (photo 4) est un tableau saisissant. Sur un fond beige très clair se dresse avec majesté une grande stèle d'un noir intense. Un rond de métal blanc, collé à même la toile, figure la lune. De cette extrême simplicité se dégage une grande présence mystique.

    Plus l'artiste avance dans cette voie, plus l'emploi de feuilles de métaux divers (or, argent étain, cuivre... dont elle a dû puiser l'idée à Vienne en regardant les œuvres de Klimt) s'impose à elle en lui permettant, grâce aux jeux de la lumière sur leur surface, d'exprimer le changement constant qui anime la nature et la vie. Comme souvent en peinture, les reproductions photographiques ne rendent pas vraiment compte de ces aspects.

    IMG_1541_edited.jpgDans Der Hachschwebende (Celui qu surplombe) (photo 5) de 1955 une forme circulaire dorée flotte majestueusement dans l'espace bleu de la toile évoquant une entité spirituelle supérieure. IMG_1549_edited.jpgPour Moïse ou grand arbre (tempera et feuilles de métal sur toile, 1957) (photo 6) l'artiste n'a gardé de l'arbre que l'ampleur du tronc et la force dynamique des branches pour évoquer la puissance des deux entités du titre, la couleur vert bleuté des glacis qui recouvre le métal fait merveilleusement jouer la lumière. IMG_1551_edited.jpgSur le fond entièrement tapissé de feuilles d'or de Grande vallée (photo 7), ce grand tableau de 1960, elle a dessiné une multitude de traits noirs et bleutés qui figurent sans doute la courbe d'une combe, d'un filet, peut-être de tout autre chose. Cette œuvre, comme nombre d'autres, invite à se déplacer pour faire jouer la lumière et créer des effets visuels inédits.IMG_1554_edited.jpg La simplicité géométrique de Pyramide (huile et feuille de métal sur toile de 1960) (photo 8) qui clôt fort heureusement cette décennie de l'œuvre de Bergman, construite avec le nombre d'or, faite de feuilles d'argent, me semble être un symbole de stabilité et d'éternité.

    IMG_1597_edited.jpgA partir des années 1960 A.E. Bergman va abandonner l'huile pour utiliser de plus en plus fréquemment la peinture vinylique, le métal restant toujours présent. Cette façon de faire donnera des œuvres plus austères, plus géométriques, plus dépouillées encore. Ce diptyque de 1968 par exemple, baptisé Paysage jour et Paysage nuit (photo 9)IMG_1602_edited.jpgles trois parties qui divisent de façon très nette chaque toile évoque non pas un paysage, mais les étapes de la lumière qui scandent la nuit et le jour. Avec Grand horizon bleu de 1969 (photo 10) l'extrême simplicité de la toile divisée en deux parties l'une bleu, l'autre en métal argent, séparées par une fine ligne dorée, nous fait vivre la sensation d'inatteignable ressentie devant un horizon. IMG_1607_edited.jpgLe dépouillement le plus extrême est atteint avec Montagne en une ligne de 1978 où une simple ligne noire, légèrement asymétrique, traverse le haut d'une toile blanche. On n'échappe pas à la magie que dégage ce tableau si minimaliste. "Existe-t-il quelque chose de plus beau qu'une ligne pure et sensible ? La ligne est le squelette indispensable de la peinture" dit-elle.

    L'exposition, très complète, et très bien accrochée (les tableaux sont présentés sans cadre ce qui permet de leur donner toute leur ampleur), montre aussi que cette artiste était une excellente graveuse et une très bonne photographe. Elle se servait, dans sa peinture, de photos prises au cours de ses voyages.

    Anna Eva Bergman entretenait avec la nature un rapport quasi spirituel et elle a magnifiquement réussi à en capter la mobilité. Si sa peinture peut être rapprochée de certains artistes américains de son époque tels que Rothko ou Barnet Newman, son rapport au monde est plutôt proche d'artistes du XIXème tels que Turner ou Friedrich.

    Anna Eva Bergman, Voyage vers l'intérieur - Musée d'Art Moderne de Paris, 11, avenue du Président Wilson, 75116-Paris (01 53 67 40 00) jusqu'au 16 juillet 2023

     

  • Gribouillages ( par Sylvie)

    Le gribouillage s'affiche au  Palais des Beaux-arts à ¨Paris et nous plonge au coeur de cette très ancienne  pratique déjà utilisée par les artistes de la Renaissance et dont on croyait tout savoir. Alors qu'en est il ? L'exposition révèle comment ces gestes graphiques plus ou moins barbouillés mais toujours, à l'origine, complémentaires à l'oeuvre elle-même, a évolué dans le temps. Du croquis de détail au revers d'un tableau ou dans  un coin du support, ils sont devenus plus transgressifs, régressifs ou libératoires selon les artistes, leur temps et leur conception de l'art. 

     Introduction légitime,  voilà  deux exemples italiens  des XVIéme- XVIIéme siècles : un dessin préparatoire à la sanguine de Domenico Cresti (1) pour une grande fresque religieuse. Au dessus du personnage agenouillé du premier plan , est représenté un 20230331_154813 (2).jpg20230331_160918.jpgfragment plus détaillé d'un  dos comme si l'artiste avait besoin de comprendre la construction  profonde du corps pour en montrer la surface.  Sur une feuille d'étude d'Annibal Carrache (2) ( 1560-1609 ) figure l'ébauche, d'un trait enlevé et joyeux, d'un ange en vol tenant un calice, et d'un masque antique minutieusement dessiné. Deux captations différentes du réel : le mouvement bouillonnant pour l'un, la perfection du travail pour l'autre.  

    L'exposition a un autre mérite, celui de montrer ce qu'ont fait les artistes20230331_155756.jpg Dubuffet.jpg contemporains de cette nécessité ; deux 20230331_160045.jpg Alechinsky.jpg d'entre eux  sont particulièrement piquants: ils ont "croqué" in situ, comme les architectes font des "crobards" , des profils rencontrés:  arabes moustachus du désert  à Timimoun (1049)  par Dubuffet, théoricien de l'Art Brut - celui des enfants et des malades mentaux- (3), gardien du Louvre endormi sur sa chaise (1984) par Alechinsky (4) dont la rapidité de trait touche à l'instantané photographique.

    20230331_162031.jpg Mandelbaum.jpg20230331_160803.jpgLe dessin mescalien, à l'encre de Chine sur papier, (1959) d' Henri Michaux (6), véritable grouillement de lignes denses et hypnotisantes reflète bien sa "pensée non dirigée". Oeuvre hallucinogène à partir de son expérience des toxiques, elle inscrit sur le papier le trouble linéaire de son subconscient.                                  Le Rimbaud de Stephane Mandelbaum (5 )1980 a la violence du malaise intérieur de l'artiste. Le portrait du poète a beau être tout à fait académique, il est encerclé par une prolifération de gribouillages violents et obscènes dont la masse semble vouloir envahir l'espace. Le médium stylo à bille, un peu visqueux, contribue à la sensation de prolifération.

    20230331_163515~2.jpgBrassaï a photographié Matisse à côté de son portrait exécuté de mémoire ,les yeux fermés. (1939). Caricatural et par là même d'une grande liberté (7) il montre le pouvoir de l'artiste  à capter l'essentiel  comme, parfois le saisissent les enfants, hors de contraintes académiques . Le rendu très personnel nous fait goûter l'essence même du personnage.

    Parmi les très nombreuses autres oeuvres d'artistes contemporains  exposées je n'en citerai que deux: 

    20230331_160214_2.jpg20230331_160502.jpgla "Maille" de Pierrette Bloch (8) 1980 où c'est le geste répété du tressage qui  prend la forme d'un gribouillage, et "Delian, ode 19" (1961) de l'expressionniste abstrait américain Cy Twombly (9)  dans laquelle l' énergie de la volée de griffures  de couleur  en apesanteur participent de l'émotion . 

    Les occasions sont plus ou moins propices au griboullage, mai 68 en a été une, les murs de la capitale en témoignent, preuve à20230331_161115.jpg l'appui dans cette exposition (10).

    Gribouillages, Scarabocchio, de Vinci à Twombly.,  Palais des Beaux Arts, 13 quai Malaquais, 75006 Parsi, jusqu'au 30 avril , puis à la Villa Médicis à Rome jusqu'au 22 mai.

     

     

     

     

     

     

  • S.H. RAZA au Centre Pompidou par Régine et Sylvie

    La rétrospective de S.H. RAZA actuellement en place au Centre Pompidou est une bonne surprise et une belle découverte. Exposer ce peintre d'origine indienne, actuellement peu connu en France, mais où il vécut près d'une cinquantaine d'années, fut sans doute une gageure, mais le musée ne remplit-il pas ici parfaitement son rôle en faisant découvrir au public des oeuvres qui portent la marque de leur époque ? L'accrochage chronologique nous permet en effet non seulement de suivre l'évolution du travail de cet artiste, mais surtout de revisiter l'histoire de la peinture des années 1950 à 1990 sous le prisme d'une autre culture, celle de l'Inde.

    Né en 1922 au coeur de l'Inde, dans l'état de Madya Pradesh, S.H. Raza fait ses études artistiques à Bombay. Il découvre le cubisme, l'art moderne français et crée en 1947 le Progressive Artist Group qui réunit les artistes indiens d'alors, traumatisés par l'indépendance et la partition  de leur pays. Il se rend en France en 1950 où il restera jusqu'en 2011, partageant sa vie avec son épouse française entre Paris et le petit village de Gobio dans le midi. A la fin de sa vie il rentre en Inde et meurt à New Delhi en 2016.

    Les aquarelles peintes en Inde dans les années 1940 qui ouvrent l'exposition sont pleine de charme et révèlent le grand coloriste et la réalité indienne. Dans Sans titre, rue de IMG_1367_edited.jpgBombay (1941) tout se dissout (photo 1). Les bleus, les mauves et les verts se diluent les uns dans les autres, la rue est transformée en rivière et les personnages se hâtent dans une atmosphère liquéfiée par la pluie tropicale. Dans Bénarès (1944)  les couleurs soulignent les variations de la lumière, ses vibrations et la foule  suggérée par des touches enlevées.

    A son arrivée en France, en 1950, il regarde Picasso, Soutine, Nicolas de Staël, Olivier Debré, IMG_1413_edited.jpgdécouvre les peintres de l'Ecole de Paris. Il connait Bernard Buffet dont l'influence est manifeste dans une série assez convenue. Pendant plus de dix ans, à part quelques représentations humaines, ce sera la nature son sujet essentiel . Deux délicieux exemples de sa découverte du midi de la France nous sont données: Paysage provençal. gouache et encre sur carton (photo 2) et Paysage de Cagnes de 1951. Leur simplification formelle et la délicatesse de leurs couleurs apparentent ces oeuvres à celles de Paul Klee.IMG_1376.JPG Réalisé avec la technique de la peinture IMG_1380_edited.jpgappliquée au couteau chère à nombre d'artistes de l'école de Paris et à Nicolas de Staël, il peint plusieurs toiles dont Un village corse, huile sur toile ,1957, (photo 3) où sous un ciel bleu intense, quelques maisons blanches maculées d'inscription colorées émergent d'une végétation luxuriante. Le souvenir de la forêt indienne qui a marqué son enfance fait ici retour et hantera désormais son travail. Au début des années 1960 sa peinture se simplifie. La croix invisible de 1963 (photo 4) nous donne un exemple de cette évolution vers l'abstraction. C'est un tableau très sombre où plane une angoisse métaphysique symbolisée par une nuée noire qui s'élance vers le ciel surplombant un paysage très simplifié, où s'allument quelques lueurs.

    IMG_1390_edited.jpgDès 1968, soit moins de 20 ans après son arrivée en France, bien que toujours inspirée par la nature, sa peinture devient abstraite. La composition s'organise en nuées de taches, les formats IMG_1392_edited.jpgs'agrandissent. De beaux exemples de cette période, très marquées par leur époque, nous sont montrés ici dont Grey landscape (1968), acrylique sur toile, (photo 5) où, sur un fond très minéral, s'affrontent l'ombre et la lumière, Sikri (photo 6) dont les tons bruns rappellent les vestiges de la ville fantôme de Fatehpur Sikri au Rajasthan.

    Avec des couleurs pures et vibrantes, évoquant les Ragas,IMG_1398.JPG cadres mélodiques utilisés dans la musique classique indienne, suivent plusieurs tableaux ayant pour titre La terre ou Zam in, la terre en indien (photo 6) où la couleur devient incandescente ; embrasée par la lumière qui vient du fond de la toile elle irradie les rouges, les jaunes les oranges, les bruns et les verts sombres. 3389.jpg.jpg

    IMG_1394_edited.jpgL'influence de l'art indien se fait de plus en plus prégnante et l'organisation de la surface picturale par bandes ou carrés rappelle celle des miniatures Rajput et des peintures tantriques. Maa de 1981 (photo 7) est un bel exemple de cette évolution qui réunit le cercle noir, harmonie du monde de l'esprit et les carrés rouges, symboles de la matière et du savoir. On retrouve cette même idée dans Bengladesh (1971) (photo 8) qui, scindé en son milieu, évoque probablement la guerre de libération de cette région : les deux univers traduisant la violence des faits.

    A partir des années 1980, Raza oriente sa pratique vers une abstraction géométrique symbolique et radicale. Laissant de côté le contrastes de valeurs opposées, il opte pour des formes élémentaires issues de la méditation. Le noir, couleur "mère" dans la pensée indienne acquiert ici profondeur et densité et le motif du Bindu devient omniprésent. Mais qu'est-ce que le "Bindu" ? ce terme désigne, en sanskrit, la graine, la germination. Dans l'oeuvre de Raza 20230301_160733.jpgil est la figure de l'origine. Le point, le cercle (mandala) renvoient, dans son oeuvre, à la conception cyclique du temps. L'acrylique sur toile intitulée, comme plusieurs autres,  Bindu (1984) (photo 8)   d'un bleu foudroyant, symbolise la puissance séminale de toute vie et la forme visible qui contient toutes les composants plastiques essentielles :cercles, triangles, carrés, rectangles. Tableaux qui sont autant profondément indiens que d'une modernité propre à l'époque.

    IMG_1404_edited.jpgSi les mandalas tibétains sont les supports visuels basés sur la représentation géométrique de la méditation bouddhique, les oeuvres des dernières années de Sayed Haider Raza,  révèlent l'expansion de la création, du centre vers la périphérie. Une philosophie qui ne nous est pas familière mais dont l'expression picturale nous rappelle Rothko pour sa spiritualité.

    En complément vous pouvez voir aussi "Cercle et territoire sacré, le mandala dans l'oeuvre de S.H. Raza" au musée Guimet, place d'Iéna, paris, jusqu'au 15 mai.

    Sayed Haider Raza, au Centre Pompidou, Paris, jusqu'au 15 mai 2023.

     

     

  • Sudobh Gupta au Bon Marché (par Sylvie).

            Temple de la consommation de luxe, le magasin du Bon Marché a depuis longtemps manifesté son intérêt pour l'art contemporain en accrochant de ci de là sur ses murs - on dit cimaises lorsqu'il s'agit de galeries - des toiles d'artistes. Les dames du 7ème arrondissement et les nombreux étrangers qui se pressent à tous le étages, ne les remarquent pas toujours, semble t'il, ainsi accrochées le long des couloirs. Mais depuis 2016, tous les ans, sont organisées ponctuellement des expositions monographiques d'artistes étrangers. Rappelez vous nos pages sur celles du chinois AÏ Weï Weï et de la portugaise Joana Vasconcelos.; Avec le temps les lieux traditionnels d'exposition  ont changé.

    Aujourd'hui, pour quelques semaines encore, c'est au tour de Sudobh Gupta, né en Inde en 1964, dont l'oeuvre principale, gigantesque (photo1), est installée sous la fameuse verrière au centre du magasin, les autres figurant à l'étage ou dans les vitrines de la rue de Sèvres, là où d'habitude prennent place vêtements et objets des plus grands faiseurs de mode et de décoration. Mais, cette fois, il s'agit de casseroles et autres pièces utilitaires en métal. Culotté diront certains, justifié diront les autres qui s'appuient sur l'origine de l'établissement, une mercerie propre à bouleverser les codes commerciaux d'alors. Boucicaut, en 1852, voyait loin.

    20230107_164552.jpg

    Qu'est ce que ce grand "Sangam" (confLuence) suspendu au centre du magasin?  Un gobelet cliquetant fait d'un assemblage de casseroles d'aluminium qui déverse en cascade un flot éblouissant de plaques d'inox, comme un liquide qui accroche la lumière. La magnifiscence de l'oeuvre fait oublier la banalité du médium, simples outils de toutes les cuisines du monde mais qui portent en eux l'identité indienne et sa pauvreté.   L'artiste compose ainsi depuis 1995, transformant l'ordinaire en art. " J'habite en Inde et j'aime le travail" dit-il. A constater dans les vitrines: ici un landau itinérant dont le matériel de nettoyage est ligoté par des ficelles (2), là une étoffe de brisures d'assiettes sous l'aiguille d'une machine à coudre 20230109_151838 (1).jpg(3), ou encore une botte d'outils dans un tonneau de fortune...20230109_151915.jpg

    20230109_150440.jpgRetour à l'intérieur: L'installation "The Proust effect" se poursuit au deuxième étage, avec une cabane suspendue (4), dont les composants un peu ternis par le passage du temps évoquent un labeur ordinaire si spécifiquement indien, la chaleur communicative des cuisines et des repas. Bien loin de notre société de consommation et la "malbouffe" industrielle..

    GEDC0027.JPG El Anatsui.JPGroad to exile de B. Toguo.jpgCet attachement aux racines, aux difficultés existentielles nées bien souvent de la colonisation, se retrouve chez quelques autres  artistes de par le monde. Quelle émotion devant  "Road to exile" et ses baluchons dérivant sur un canot du camerounais Barthelemy Toguo ou la tapisserie de capsules de coca cola assemblées du ghanéen El Anatsui, ensemble chatoyant qui pourrait bien incarner les rapports Afrique-Occident...Décidément la sculpture contemporaine est entrée dans le champ du vécu et de la communauté. La potentialité des matières la fait sociale, politique..

    SANGAM de Subodh Gupta, au Bon Marché, 24 rue de Sèvres 75007 Paris, jusqu'au 19 fevrier.

     

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  • Biennale de Venise 2022 (par Régine)

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    Fervents amateurs de Venise et de ses Biennales, mon mari et moi attendions avec impatience le plaisir d'arpenter pour la 6ème fois les Giardini et l'Arsenal de cette merveilleuse ville. Décalée d'une année à cause du Covid, cette 59ème Biennale, dont le beau titre "Le lait des rêves" est emprunté à celui d'un ouvrage de la surréaliste Léonora Carrington, est à la fois surprenante, passionnante et décevante.

    Surprenante car la curatrice, Giogia Alemani, a pris le parti de n'exposer aux Giardini que des femmes artistes. A l'Arsenal elles sont présentes à 90%. Les œuvres des 213 heureuses élues, venues de 58 pays différents, sont donc réparties entre ces deux lieux.

    Passionnante car la plupart des artistes exposées sont des inconnues et on va de découverte en découverte. La décision de l'organisatrice de féminiser cette Biennale permet de considérer l'histoire de l'art sous un angle différent comme l'avait magnifiquement montré la belle exposition du Centre Pompidou "Elles font l'abstraction". De se trouver plongée au milieu de cette stupéfiante quantité de créations est extrêmement stimulant et enthousiasmant.

    Décevante enfin car les femmes surréalistes, dont Léonora Carrington qui fournit le titre de cette Biennale, sont bien mal traitées ; plusieurs sont absentes ou représentées par des œuvres mineures souvent mal exposées. Leur lieu d'exposition en sous-sol, censé symboliser l'origine des créations exposées à l'étage supérieur, est mal éclairé. Décevante aussi car les grandes dames de l'abstraction, telles que Viera Da Sylva, Judith Reigl, Joan Mitchell, Geneviève Asse.... sont toutes absentes. Niki de St Phalle n'est représentée que par une seule Nana et pas la meilleure.

    Les angoisses liées à notre époque sont sous-jacentes à la majorité des œuvres présentes. Le corps et ses métamorphoses, les rapports ente les êtres humains et les technologies, l'hybridation du corps et de la nature, le féminisme et la fin de l'anthropocentrisme sont les thèmes récurrents de cette Biennale. Il faut noter enfin que la peinture et la sculpture ont pris cette année le pas sur les vidéos et les installations.

    Une dernière remarque : peu d'artistes ont eu la possibilité d'exposer plus d'une œuvre, encore moins de disposer d'une salle entière. Difficile dans ces conditions de se faire une idée sur l'ensemble de leur travail. Néanmoins, parmi cette avalanche d'oeuvres voici quelques coups de coeur.

    Avant d'entrer dans le pavillon central des Giardini, faites un léger détour par le pavillon belge. Les vidéos tournées aux quatre coins du monde par Francis Alys sont jubilatoires. L'artiste a magnifiquement filmé des enfants la plupart démunis, jouant dans l'espace public, avec des objets trouvés sur place. Leur imagination, leur plaisir, leur vitalité, leur acharnement, exaltent la vie et on sort de là ravis et ragaillardis.

    IMG_1027_edited.jpgOccupant une salle entière du pavillon central, le travail de Cecilia Vicuna, lion d'or de la Biennale, retient et émeut. Cette chilienne, née en 1948, est une artiste engagée. La belle installation suspendue au centre de la pièce qui lui est consacrée est un immense mobile constitué de vieux filets et de détritus glanés sur les plages vénitiennes et dans la lagune. Sur les murs ses peintures sont largement inspirées des cosmologies incas. Ainsi dans celle intitulée Léoparda de ojitos une léoparde au regard humain se tient entre deux arbres, l'un rose, l'autre bleu. Elle est revêtue d'une fourrure rose parsemée d'yeux et de sexes masculins et exhibe ses parties génitales féminines.

    IMG_1011_edited.jpgLes troublantes sculptures en verre d'Andra Ursata, aux couleurs mouvantes et fluides, retiennent l'attention. Le modifications qu'elle fait subir au corps humain en soulignent la vulnérabilité.

    IMG_1047_edited.jpgIMG_1048_edited.jpgUne série de petites œuvres graphiques, réalisées au début du siècle et réunies au sein d'un même lieu intitulé "Corps orbite" sont réjouissantes. Citons par exemple Mirella Bentivoglio (1922-2017) et d'Annalisa Alleati (1926-2000) qui, jouant avec les lettres et leur graphisme, ont cherché une façon de matérialiser le langage. La créativité et la beauté de leur réalisations sont stimulantes. Les façons si inventives dont chacune a visualisé graphiquement le mot "Monument" sont ici exposées. Le poème visuel d'Ilse Garnier (1927-2020), Blason du corps féminin, est une merveille de subtilité et d'intelligence. Tout se joue autour de la lettre O, symbole du corps féminin.

    IMG_1154_edited.jpgTrès différente mais aussi fascinante est la façon de traiter les signes de Carla Accardi (1924-20114). La vitalité qui se dégage du tableau Assedio rosso n° 3 de 1956 est captivante. Peint en rouge sur fond noir une multitude de signes (boucles, vrilles, crochets...) se disputent l'espace semblant vouloir exprimer quelque chose avec impétuosité, mais on ne sait pas quoi.

    IMG_1168_edited.jpgLa perfection avec laquelle Ulla Wiggen suggère l'iris d'un œil me poursuivra longtemps.

    IMG_1115_edited.jpgIMG_1120_edited_edited.jpgIl y a du Goya et plus proche de nous du Lucien Freud ou du Francis Bacon dans l'œuvre de Paula Rego devant laquelle il et difficile de rester indifférent. Cette artiste portugaise née en 1935 à Lisbonne sous Salazar et qui a passé sa vie à Londres, est morte récemment. Comme ses prédécesseurs, elle ne se faisait aucune illusion sur l'humanité. Ce qu'elle peignit magnifiquement ou fabriqua avec dextérité (personnages grotesques ou poupées de chiffon) avec un grand réalisme fascine et répugne à la fois. Ce qui est montré dans la salle qui lui est réservée ici ne sont que scènes de violences envers des enfants ou des femmes.

    IMG_1196.JPGPour clore cette visite des Giardini une surprise vous attend au pavillon danois. L'installation d'Uffe Isolotto est à couper le souffle. Dans la première salle un centaure hyperréaliste s'est pendu au plafond avec une grosse corde. Dans la deuxième salle une centauresse, plus vraie que nature, vient d'accoucher d'un être hybride encore engluée dans son placenta bleuté. L'inquiétante étrangeté qui se dégage de cette œuvre, proche de celles de Berlinde de Bruychkere, est extrêmement ensorcelante et dérangeante.

    IMG_0794_edited.jpgIl se dégage des grandes estampes sombres de la cubaine Belkis Ayon, qui ouvrent l'exposition de l'Arsenal un mystère et une puissance captivante. Réalisées avec la technique de la collagraphie (qui consiste à fixer à la surface d'une place des matières très résistantes qui, à la pression vont retenir l'encre et créer creux et reliefs à la surface du papier au moment de l'impression), inspirés de la culture afro-cubaine des Abakua, société secrète importée du Nigéria par des esclaves africains, elles mettent en scène des scénarios énigmatiques peuplées de silhouettes noires, grises ou blanches. Les yeux grands ouverts mais dépourvues de bouche, elles ne peuvent ni raconter ni ce qu'elles voient, ou ont vu, ni dire ce qu'elles savent.

    La grâce et la légèreté des sculptures suspendues de la japonaise Ruth Asawa IMG_0831_edited.jpgnée en Californie en 1926, morte en 2013, enchantent. Adoptant des techniques artisanales apprises au Mexique où elle séjourna, elle tissa avec des fils métalliques : fer, cuivre ou laiton. IMG_0923_edited.jpgLeurs formes légères et gracieuses évoquent celles de la nature. Les céramiques de sa contemporaine, Toshibo Takaesu, japonaise elle aussi, née en 1922 à Honolulu, morte en 2011, sont très belles et mystérieuses. Ressemblant à des contenants, elles n'offrent cependant aucune ouverture sur l'extérieur et ne peuvent donc rien contenir. Elles se dressent tels des totems symbolisant peut-être l'âme d'un être.

    C'est non seulement par sa taille (4 m x 12) que la tapisserie fabriquée par le sud-africain Igshaan Adams stupéfie mais par sa beauté. IMG_0878_edited.jpgEn voici un détail car impossible de la photographier en entier.Comme le fait l'artiste nigérien El Anatsoui, il l'a réalisée avec de déchets, tissant ensemble des morceaux de bois ou de plastique, de chiffons, des perles, des coquillages, de la corde ou de la ficelle. Né sous l'apartheid, musulman élevé par des grands parents chrétiens, homosexuel, l'artiste entrecroisent probablement dans cette oeuvre les fils de son questionnement sur l'identité et l'hybridation des cultures.

    IMG_0971_edited.jpgAvec ses sculptures biomorphiques, aux formes parfaites et fluides et aux couleurs tendres, inspirées par la science-fiction et les films de Cronenberg et grâce aux nouvelles technologies, Humeau Marguerite donne naissance à des êtres inconnus ou existant dans d'autres mondes. L'artiste, qui travaille avec des scientifiques, en dessine les formes qui sont ensuite traduites en volume dans une version digitale, puis matérialisées en 3D. Le résultat donne des oeuvres imaginaires d'une grandeur fascinante.

    IMG_0989.JPGIMG_0991.JPGDe la magnifique installation Voir la terre avant la fin du monde de la nigérienne Precious Okoyomon, qui termine la visite de l'Arsenal, se dégage une grande poésie. Dans un jaurdin envahi par une végétation rampante et traversé par un ruisseau dont on entend le clapotis, on marche entre des monticules de terre au sommet desquels se dressent des formes sommaires de personnes. Elles dominent la scène, mais façonnées des mêmes matériaux que ce qui les entourent finiront-elles enfouies elle-aussi ? Tout ici exprime le dynamisme de la nature où vie et mort s'entremêlent.

    Les oeuvres sont si nombreuses qu'il est difficile de les apprécier une par une. Je suis sûre d'en voir négligée. Mais cette abondance tient du miracle, en fin de compte. Elle témoigne de la variété apparemment inépuisable de la création contemporaine, et l'on, se demande déjà : Que nous réserve la prochaine Biennale ?

    Biennale de Venise  : Les Giardini et l'Asenal. jusqu'au dimanche 27 novembre.

     

  • Biennale d'art contemporain de Corse ( par Sylvie)

    La période estivale est certes terminée mais la Biennale d'art contemporain de Corse, qui a ouvert ses portes en mai, se tient toujours à Bonifacio jusqu'au 6 novembre.

    Cette heureuse initiative de l'association "De Renava", un groupe de jeunes amis de la région, donne l'occasion de voir des oeuvres, essentiellement d'art vidéo et des nouvelles technologies, d'une quinzaine d'artistes de nationalités diverses. Les thèmes font écho à l'actualité, ses faits et ses sujets de débat, et sont regroupés en "mouvement de la vie", "mouvement du corps", "mouvement de l'esprit", pas toujours très clairs pour les visiteurs.

    Mais pour cette manifestation la ville de Bonifacio a ouvert des lieux patrimoniaux généralement fermés au public. Alors, avant d'aller se restaurer sur le port et contempler les voiliers et les célèbres falaises de craie, visez les hauteurs de la ville et, à pieds si vous êtes en jambes ou en petit train, optez pour l'ascension.

    20220825_163505~2.jpgPremier arrêt, à la minuscule chapelle Saint Roch, toute de blancheur, où se déploie sur un écran une vidéo rouge de mer agitée conçue par Melissa Epaminondi, flots colorés symbolisant les dangers de la mer. La biennale elle même au titre de Rouge Odyssée, est une référence à Ulysse qui, selon Homère, passa par Bonifacio. (photo 1).

    20220825_164628~2.jpg20220825_164500(1).jpgQuelques pas plus haut, un bruit sourd comme le roulement d'une vague se fait entendre. Là, dans le jardin du Bastion, avec en arrière plan les falaises de craie, les hauts murs de la citadelle et les iles Lavezzi, le plasticien britannique Anish Kapoor a installé l'oeuvre la plus emblématique de l'exposition : Descension, véritable trou noir de 3 mètres de diamètre où un liquide sombre tourbillonne et s'enfonce au centre, comme aspiré par un vide. A l'image de la vie ? (2 et 2bis)

    A la Cisterna la fragile graphie de Mat Collishaw 20220825_170009(2).jpgsymbolise l'arbre mythique et poétique de l'Angleterre et porte son nom, Albion, mais preuve de sa difficile préservation, l'artiste l'a encadré de part et d'autres, de piliers pour le soutenir (3).

    La plus grande émotion m'est venue devant le film Le léopard du britannique Isaac Julien projeté dans l'ancien cinéma : c'est une étrange déambulation de migrants à Lampedusa, dans le décor baroque du "Guépard" de Visconti.

    kara-walker__darkytown-rebellion_2001_aware_women-artists_ar.jpgSurprises à la caserne Montlaur, haut lieu de la légion étrangère, aujourd'hui désafecté. L'américaine Kara Walker, au sujet de la création de l'Africain/Américain, fait défiler, comme dans les livres d'enfant, des images dessinées en noir et blanc en  ombres chinoises sur les thèmes hautement féministes de l'exploitation, de l'esclavage, de la domination des 20220825_180129(1).jpgcorps. (4) Et le chinois Mao Tao, dans son installation Fishing the moon interroge le visible et conduit notre oeil au fond d'un couloir vers une lune noire, changeante, tandis que sont diffusées les fréquences émises par la terre et l'esprit humain en méditation.(5)

    Le spectaculaire écrin de bois, en pin corse laricio, réputé pour être parfaitement droit, et qui a été choisi comme matériau d'introduction à chaque oeuvre de la biennale, abrite,  à l'impluvium, celle, bien connue, de l'artiste corse Ange Leccia la mer, une vidéo géante 20220825_181049(5).jpgqui place le spectateur devant le mouvement constant des 20220825_181314.jpgvagues, à la fois souple et violent, vibrant et effervescent, superbe et menaçant. Elle implique perception et mémoire. Si elle rappelle le rendu des peintres impressionnistes, elle nous ramène surtout vers le dérèglement climatique d'aujourd'hui . (6 et 6bis).

    Ces oeuvres et bien d'autres qui ne sont pas citées ici, toutes plus ou moins hypnotiques, nous questionnent sur l'état du monde et notre capacité à l'exprimer avec de nouveaux outils.

    Rouge Odyssée, biennale internationale d'art contemporain, Bonifacio, jusqu'au 6 novembre, du mercredi au samedi de 16h à 21h.

     

     

  • Biennale d'art contemporain de Corse ( par Sylvie)

    La période estivale est certes terminée mais la première Biennale d'art contemporain de Corse, qui a ouvert ses portes en mai, se tient toujours à Bonifacio jusqu'au 6 novembre;