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peinture et sculpture

  • Impression bouquets (par Sylvie)

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    En quelques semaines, des sujets floraux, figuratifs, se trouvent exposés simultanément dans des galeries parisiennes d'orientation habituellement  contemporaines. De quoi nous étonner nous, decrypt-art, profondément "abstractophiles". Comment et pourquoi la peinture de fleurs, les bouquets en particulier, sujet traditionnel par excellence, pouvait elle encore relever de la problématique picturale dans notre XXI ème siècle tourmenté?  Nous avons vu les natures mortes de Lovis Corinth chez Karsten Greve, les gros plans de Denis Laget chez Etc et les semis de Damien Cabanes  chez Eric Dupont. Tour d'horizon.

    20220216_153100_2.jpgLovis Corinth (1858-1925) est allemand. Arrivé en 1884 dans un Paris bouleversé il s'est frotté à l'académisme des Beaux-Arts mais la liberté de geste et de couleur de Cézanne et Van Gogh l'ont convaincu. Ses natures mortes (1915 -1925) ( extraites de la collection privée Karsten Greve) reflètent la complexité d' un travail, pris entre la tradition et la modernité, les maîtres hollandais et les impressionnistes, l'émerveillement et l'anxiété. Ici  se mêlent, sur un fond terne, l'énergie vitale de chrysanthèmes blancs, à droite, un foisonnement multicolore compact au centre et, à gauche, deux tiges fleuries basculant. Pichet et fond sont balayés d'un même mouvement tournant et vibrant. L'équilibre de l'ensemble en fait une représentation extrêmement décorative néanmoins expressionniste. La peinture allemande est plus tragique qu'insouciante. (photo 1).

    Celle de Denis Laget - né en 58 - toute aussi mouvementée, a été exposée récemment à la galerie Etc. Ses petits tableaux à l'huile sur toile, bouillonnants et sombres de 20x20cm faits de gros plans au médium épais, sans cadre, nousETC 2022 - (20) Claire Chesnier & Denis Laget - Photo Origins Studio (1).jpg a mis le nez dans une matière-fleur vénéneuse ou meurtrie. Qu'ils aient été exposés aux côtés de grandes encres dépouillées, toutes en silence et lenteur de Claire Chesnier, n'en faisait que mieux voir la pourriture. (2)

    20220312_152351.jpgDamien Cabanes - né en 59- est à la galerie Dupont jusqu'au 23/04/2022.       Ses semis de fleurs ou de fragments de fleurs se dispersent joyeusement sur de grandes toiles suspendues et sans cadre, comme de fugaces apparitions. Telles les "anthropométries" d'Yves Klein, la tulipe et sa pétale légère, détachée de la tige, m'ont paru flotter dans l'espace. (3)

     D'hier à aujourd'hui, d'autres oeuvres témoignent de la persistance du sujet fleurs dans l'histoire de l'art, des techniques picturales, de l'Histoire elle même et... de sa similitude attribuée avec la condition humaine.

     Sans remonter  trop loin en arrière, les "Tournesols"(1888) de Van Gogh, leur puissance chromatique et leur simplicité formelle font presque oublier queVanGogh-tournesols.jpg-2.jpg chacune des fleurs qui composent le bouquet est à un stade différent d'évolution, véritable personnification végétale de l'homme et métaphore, si l'on veut, du temps qui passe. (4)  

    Rien de comparable chez Bernard Buffet  - 1928-1999 - qui, dans les années 50, a bousculé la société par ses tracés noirs, rigides et austères.89e5cc063cce82aa5aaf23846.jpg- B.Buffet.jpg Ce misérabilisme est palpable dans ses toiles et ses nombreuses lithographies où bouquets et fleurs griffues à l'extrême et aux couleurs peu nuancées reflètent un profond pessimisme. La chair est triste!  (5)                                

    Son contemporain américain, le maître du Pop-Art, Andy Warhol - 1928- 1987 -  a pris le devant de la scène et rendu obsolète la convention "pas de fleur sans vase". Sa série phare, les "Flowers" (1964) (6)

    cda20_focus_warhol_flowers_main-tt-width-1200-height-674-fill-1-crop-0-bgcolor-ffffff.jpgIMG_1793.jpg- Twombly.jpg                                             

    reste emblématique: les gros plans de pavots (?) stylisés et répétés, uniformes dans des couleurs parfois dissonnantes mais toujours saturées, résultent de la manipulation de l'image et de sa reproduction mécanique. Elles sont la gaité même et pourrait bien avoir puisé leur origine dans les papiers découpés de Matisse, l'impressionniste. Pas sûr cependant qu'elles traduisent vraiment la nature dans sa beauté et sa fragilité..                                             

     Les immenses toiles de pivoines éclatantes, alignées, courbées sous le poids de l'eau qui les imprègne me paraissent bien  l'image, entre équilibre et chute,  de la condition humaine. Cy Twombly - 1928-2011 - l'américain nourri d'histoire de l'art, les a peintes peu avant sa mort. "Blooming" (2007), par l'intensité des couleurs, est une célébration de la vie. Les coulures participent de l'impression de poids et d'effacement progressif.(7)

    Oui,la fleur demeure un motif qui s'impose encore au XXIème siècle. Elle témoigne de l'éternité du sujet et de la richesse expressive des artistes. Je n'en citerai que quelques uns qui m'ont particulièrement touchée.                                                                                                  philippe-cognee-amaryllis-2019-peinture-cire-toile-copyright-photo-galerie-templon.jpgPhilippe Cognée - né en 57 -    Ses amaryllis et  pivoines sont bouleversantes de beauté et de suggestivité. Les toiles, peintes à la cire puis repassées au fer et floutées par arrachage de matière, atteignent un degré de réalité charnelle que l'on croit pouvoir toucher. "Carne de fiori" chairs de fleurs, titrait leur exposition à la galerie Templon en 2019. Magnificence par les couleurs, le velouté, la puissance suggestive des gros plans glorieux ou déjà chancelant laissant voir des interstices mystérieux. Toute la chair humaine est là, sa beauté, sa décadence. Pas seulement un exercise de peinture. (8)                                                                        Miguel Barcelo - espagnol né à Malaga en 57 -  est à la fois peintre, sculpteur etalmine-rech-gallery-disloque-et-ouvert-mib000530633jpg.jpg céramiste. De sa découverte de l'Afrique sont nées des oeuvres entre tradition et modernité dans lesquelles la céramique tient une place de choix. De ses poteries ventrues comme des femmes enceintes émergent des formes souples qui rappellent le végétal ployant sous le soleil. C'est le bouquet! (9)

    Le monde change, les façons de voir aussi. Kapwani Kiwanga - née au Canada en 1978 - a obtenu le prix Marcel Duchamp pour ses compositions éphémères comme réflexion sur le temps et l'histoire. Miguel Chevalier - né en 59 au 29581554778_9dff2267c0_b.jpg-MiguelChevalier.jpgMexique expérimente un nouveau langage pictural à travers le numérique et le virtuel: ses fleurs fractales naissent, s'épanouissent et meurent aléatoirement.(10)..   

     Autre signe des temps, le quotidien Le Monde a clos, voilà peu, quelques uns de ses suppléments hebdomadaires par des photos de belles compositions florales de Simone Googh, jusqu'au simple ébouli de mimosa, pour en souligner la diversité et l'art de les composer en fonction de la pièce qui les recevra: la cuisine par exemple pour du télétravail. De quoi donner envie de perpétrer cette nouvelle habitude par un apport floral qui, je cite John Tebbs l'auteur du papier :"... apporte une touche de couleur, un repère quant à la saison et un rappel, de par la beauté éphémère des fleurs, que celle-ci passera elle aussi."

    Damien Cabanes, galerie Eric Dupont, 138 rue du temple, 75003. Tel  01.44.54.04.14, jusqu'au 23 avril.

    Lovis Corinth, galerie Karsten Greve, 5 rue Debelleyme, 75003. Tel 01 42 77 19 37, juqu'au 21 mai.

     

  • L'âme primitive (par Sylvie).

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    Le musée Zadkine, à Paris, a gardé le charme d'atelier dans la nature qu'il avait lorsque le sculpteur   Ossip Zadkine y travaillait, au début du XXème siècle. C'est là, dans cette enclave végétale protégée qu'il a inventé un nouveau langage, célébrant la main de l'homme, le geste de l'artisan et le savoir ancestral. Ce néo-primitivisme russe, né dan les années 1910, privilégiait les formes naïves de l'imagerie populaire, des icônes religieuses et des objets de la culture paysanne évocatrices de pureté rurale. d'authenticité et d'expressivité. C'était aussi, dit-on, une façon de lutter contre l'influence de l'art français jugé trop raffiné et trop prépondérant.

    L'exposition qui se tient là à deux pas du jardin du Luxembourg, reflète cet engouement des artistes occidentaux de l'époque et de la nôtre aussi aujourd'hui pour les oeuvres d'Afrique, du Pacifique et de toutes les formes de primitivisme. Elle s'articule autour de trois thématiques : la perspective inversée, le corps, la demeure et réunit des oeuvres en rupture avec la cérébralité du modernisme. On chemine donc parmi des réalisations loin des codes académiques, à la recherche d'une vérité profonde.

    20211121_151950.jpgL'exposition s'ouvre sur une oeuvre double d'Abraham Poincheval, un performeur né en 1972. un  Eblouissant travail que cet Homme-lion de 2020 (84x64cm) qui fait se côtoyer un dessin sur feuille d'or et d'argent contrecollé sur carton, d'un extrême raffinement et un bronze (31x8,5x8cm) puissant d'expressivité : petite sculpture déchirante et déchirée dans le ventre de laquelle un homme se trouve niché. Poincheval, expert en enfermement, s'est maintes fois muré dans différents éléments, entre autres un ours, l'ours étant reconstitué, pour la sensation de proximité avec l'animal et/ou pour se rapprocher de la pratique méditative des ermites.

    Au Marc Chagall (1887-1985) dont les joyeux mariés s'envolent au plafond de l'Opéra  Garnier20211121_151917.jpg on opposera ce Nu en mouvement de 1912, une gouache sur papier d'emballage brun marouflé sur toile (34,7x23,9cm) où se lisent intensité du plaisir, gestuelle efficace, d'une époustouflante vérité.

    20211202_164844.jpg20211121_154241_2.jpgOssip Zadkine ( 1890-1967) lui-même, avec Les Vendanges de 1918 (Orme, 97x55x40cm) se joue de la perspective conventionnelle pour signifier, par des moyens de l'art populaire - le geste selon plusieurs points de vue à la fois - sa force expressive. Et le gigantesque et puissant Prométhée de 1955/56 (300x69x68cm) bien que prisonnier enroulé autour d'une colonne,  brandit le feu qu'il a volé aux dieux. il y a là une similitude de brutalité d'exécution avec les sculptures de l'artiste contemporain allemand Baselitz exposées actuellement  au Centre Pompidou.

    Les couleurs stridentes du corps féminin représenté par Miriam Cahan  (née en 49) sont20211121_153451.jpg difficiles à appréhender. Il ne s'agit pas de beauté mais d'intense présence. Voilà une guerrière, nue et chauve, (huile sur toile 165x100x1,5cm) avec seins et sexe exhibés, bras écartés prêts à cogner et des yeux qui nous traversent. Femme primitive et étendard féministe !

    20211121_152408_3.jpgAuguste Rodin (1840-1917) nous dit-on, était fasciné par la mécanique du corps humain et sa puissance expressive. Ses Mouvements de danse en terre cuite (vers 1911) dégagent énergie, charme et sensualité tels qu'il les a perçus dans les danses d'extrême orient et les arts populaires et folkloriques. " La nature se révèle dans la danse" dixit Nietzsche dans Naissance de la tragédie. Les supports métalliques participent de l'impression d'évolution en apesanteur.

    20211121_152500.jpgLe petit nu assis, tel que le montre Louis Fratino (USA 1993) est très parlant. Si le titre Tom's chair (2019), terre cuite et lavis d'oxyde de manganèse  (20x19x13cm) pointe le siège, c'est le corps masculin, tous poils apparents, un peu relâché, qui s'expose avec nonchalance. L'expression du visage est toute naturelle, comme en conversation avec d'autres. Il y a de la rondeur, de la tendresse dans ce corps dénudé qui se prélasse. éminemment sensuel, il traite d'homosexualité.

    20211121_152820.jpgL'humour vient de Laurent Le Deunff (1977), sculpteur et dessinateur, et de son micro Totem  de 2021, noix, bois, plume, coquillage, corde et métal (60x8x3cm). Autant de petits visages qui forment un bestiaire entre nature et animalité.

    20211121_153044.jpgElle fait l'affiche de l'exposition et accroche le regard. Etrange visage que cette oeuvre de Marisa Merz, une artiste italienne (1926- 2019) qui fut, avec son époux Mario, membre du mouvement très contestataire Arte Povera. Ce portrait Sans titre, sans date, est fait de matériaux mixtes sur papier de riz (45,5x32,5cm). Les composants : la feuille d'or, le fil de cuivre, des matériaux instables qui font des contours fragiles, esquissés, un peu brouillés ou frustres, comme créés maladroitement par un enfant ou quelque femme préhistorique. Ils participent d'une mystérieuse poésie.

    Toutes ces oeuvres témoignent d'un désir de retour à la nature, au vrai, dont la nécessité réapparait, aujourd'hui comme hier, dans les périodes d'incertitude.

    L'âme primitive, musée Zadkine, 100bis rue d'Assas, 75006 Paris. Jusqu'au 27 février 2022.

  • Calder et le second marché ( par Sylvie)

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    La FIAC a donné  l'occasion de voir, pour notre grand plaisir de parisiens, une oeuvre spectaculaire du peintre américain Alexandre Calder. 20211024_155910.jpgElle trônait au centre de la place Vendôme. Ce"Dragon volant" de 1975, sculpture monumentale en métal peint en rouge, de 9,6 x 17,1 x 6,6 m, semblait bien devoir s'envoler, à  condition toutefois d'en faire le tour et de se positionner à  l'arrière,  afin d'en mieux saisir la trajectoire ascendante (photo 1). Physiquement lourde, elle semble néanmoins légère du fait de sa dynamique et de ses points d'appui limités  au sol. Son échelle est plus importante que celle de la plupart des oeuvres les plus connues de cet artiste dont la renommée  repose trop souvent sur ses seuls "mobiles". Il est vrai que ses projets à  grande échelle datent plutôt de la fin de sa vie - il est mort en 1976 - mais lignes élégantes,  formes simples et couleurs vibrantes sont propres à son travail. L'actualité,  encore, permet de retrouver son style si particulier. Les galeristes Gagosian et Perrotin ont ouvert récemment de nouvelles salles d'exposition  dites du "second marché ", c'est à dire concernant la revente d'art, à  la différence des oeuvres inédites, apanage du" premier marché" qui se consacre à  celles d'artistes vivants ou décédés depuis peu.

    Je suis allée "traîner mes bottes" chez ces deux galeristes dont les sièges sont proches l'un de l'autre, non loin des Champs Élysées.20211026_172426.jpg Gagosian expose presque une quinzaine d'oeuvres de Calder, l'occasion de voir, ce qui est assez rare, de toutes petites sculptures en métal noir, des maquettes peut-être,  mêlant plaques de métal  de 10 à  20 cm portant en équilibre de plus petites encore (photo 2 ),20211102_155407.jpg ou un grand mobile de plafond, aux pièces  blanches, rouges et noires, dont le reflet mural figure un vol groupé d'oiseaux blancs ( photo 3). Au tour d'une sorte de montagne noire, escarpée,  l'oeuvre en porte le nom, 20211026_163857.jpgprennent vie une cascade bondissant, suggérée par l'arceau qui sous-tend les gouttes jaunes, éblouissantes de soleil, en bas le tapis de fleurs rouges, et plus haut à  gauche, les ailettes dans le vent ( photo 4). On aurait tort d'oublier que Calder fut aussi peintre. Quelques huiles sur toile de 1945 et 1949 rendent déjà  tangibles l'espace aérien et les éléments naturels auxquels il est sensible ( photos 5).

    L'exposition  "second marché " de la galerie Perrotin n'est pas consacrée  au seul Calder, mais la petite toile de sa main est bel et bien représentative de son travail, entre figuratif et abstrait : l'étoile, la lune, le rouge20211106_085608.jpg étincelant  du soleil et un signe qui dit le mouvement y ont leur place. Le reste de l'exposition offre un large aperçu de la peinture du XXème siecle : un Murakami de 1957, un surprenant Warhol de 1958, un Mathieu de 1960  et un Fontana de la même décennie,  deux Morellet de 1975 et 2006 , un Keith Haring de 1982,  un Lichtenstein  de 1990, et quelques autres grands artistes des années 2000 : Anselm Kiefer  George Baselitz, Hugo Rondinone, Lee Ufan... Autant d'oeuvres qui, déjà  achetées  par le passé puis vendues, sont aujourd'hui bonnes à  prendre. et qui, de ce fait, pourraient ne plus figurer dans cette exposition. d'autres prendront leur place...Ce second marché fonctionne très bien. En 2020 les ventes d'art de celui-ci ont atteint 64,1 milliards de dollars sur 2019.

    Gagosian,  4 rue de Ponthieu, 75008 , jusqu'au 18 décembre.

    Perrotin, 8 avenue Matignon, 75008

  • René GUIFFREY (Par Sylvie et Régine)

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    Impossible de se fier à la photographie pour appréhender l'oeuvre de René Guiffrey. En effet comment reproduire le blanc et la transparence, notions qui sont au coeur de son travail ?

    Né à Carpentras en 1938, René Guiffrey n'a jamais vraiment quitté sa région puisque, depuis de longues années, il vit et travaille à Bédoin, petite ville du Vaucluse où il poursuit un but tout à fait original et sans concession.

    Profitez dès la réouverture de la Galerie ETC à Paris, prévue dans le courant du mois de Mai, pour découvrir ce travail si personnel, si beau, si dépouillé. Faisant appel plus aux sensations qu'aux émotions, n'hésitez pas à regarder longtemps ce qui est exposé, à vous déplacer devant pour tenter d'en saisir toutes les subtilités.

    Ni vraiment peintures, ni vraiment sculptures, les oeuvres de René Guiffrey appartiennent aux deux genres. Certaines sont faites pour être accrochées au mur, d'autres pour être présentées sur un socle ou installées dans l'espace public. Elles sont constituées d'un assemblage de matériaux transparents ou blancs tels que le verre, le carrelage, la porcelaine, le miroir, le film Priplax et bien sûr le papier, la peinture acrylique ou le pastel blanc.

    De l'ensemble présenté se dégage une sérénité presque monacale, un dépouillement voulu pour se consacrer à l'essentiel. René Guiffrey ne peint pas le visible, ne montre aucun objet mais donne à voir ce qui fait que le monde peut être vu, à savoir la lumière. "Je ne m'intéresserais pas à une oeuvre (de moi j'entends), si avant tout, je n'envisageais pas comment elle se situera, comment elle évoluera dans la lumière... C'est ma préoccupation principale et permanente.... C'est de ce questionnement que sont apparus les différents matériaux que j'utilise" dit-il.

    Rien de tel que d'examiner quelques pièces pour tenter de saisir sa démarche.

    8 - MENERBES red. (page 22).jpgPosé sur un socle  "Lola" est une sculpture constituée d'un grand nombre de plaques de verre, d'environ 30 cm de côté, de format carré, superposées les unes sur les autres de façon à former un cube. Sur chacune d'elles l'artiste a posé, parallèlement aux bords, une petite feuille adhésive blanche, carrée également, le tout coïncidant exactement. L'accumulation des plaques de verre produit une sorte de couleur verte transparente et immatérielle tandis qu'une forme blanche approximativement cubique, créée par les papiers installés au coeur de la sculpture, s'avère être à la fois présente et absente, réelle et irréelle, sans existence et sans poids, insaisissable comme un fantôme. Au gré des déplacements du regardeur cette forme devient mouvante tandis que la lumière, jouant avec la transparence des plaques de verre mais aussi avec l'opacité due à leur superposition, anime et fait briller l'ensemble à sa guise. L'épaisseur de la transparence anime et coordonne tous les éléments de cette très belle sculpture.

    Sur ce principe Guiffrey a réalisé pour les églises de Bédoin et du Beaucet (Vaucluse) des vitraux singuliers, en parfait accord avec la simplissime romanité des lieux. La lumière est filtrée à travers de délicates strates parallèles de verre concassé dont les éclats irréguliers scintillent et changent du bleu au vert avec la lumière. Des inclusions verticales au centre en accentuent la spiritualité. Vous en trouverez une photo dans le catalogue de l'exposition.

    9 - Série J-FL (PAGE 31).jpgTrès différente par la forme est la série "J-FL" puisqu'il s'agit de peinture ; elle appartient cependant à la même famille d'esprit. Elle est constituée de 16 modules sur toile de format 25 x 25 cm, regroupés quatre par quatre  pour former un carré et offrent tous le même motif, sorte de faux carré, les lignes du haut et du bas comportant un léger décrochement. Certaines parties de chacun d'eux sont peintes en blanc, d'autres ne le sont pas. L'orientation des tableaux, et donc du décrochement changeant à chaque ligne, ils sont ainsi à la fois semblables et différents. Tout ici semble rigueur et calcul mais la vue n'a pas de prise tant ces peintures se renvoient les unes aux autres. Allez trouver une logique dans l'agencement de ces 16 toiles ! Comme devant certaines oeuvres de Morellet l'esprit se perd à tenter de saisir l'insaisissable. Mais c'est surtout par la différence du dépôt de blanc d'une peinture à l'autre qu'est obtenu cet effet d'effacement et de destruction de la forme par la lumière, qui brouille les limites de la réalité et empêche le regardeur de trouver un fil de lecture.

    IMG_8056.JPGBien difficile de saisir les secrets de fabrication d'un travail aussi méticuleux que celui des deux tableaux suivants, installées côte à côte. Intitulés "La mouche", mesurant 120 x 120 cm, le fond de l'un est transparent tandis que celui de l'autre diffuse une couleur d'opale. Guiffrey a joué ici sur l'inattendu du matériau : l'un de ces grands verres émaillés est très légèrement convexe et l'autre concave, conséquence due à la cuisson du matériau. Les défauts invisibles du verre font vivre la lumière bousculant la frontière entre réel et irréel. Les multiples plaques méticuleusement placées au centre créent un double effet, les plus grandes, transparentes, semblent fuir, s'enfoncer, tandis que, cernées par un trait d'émail, les blanches s'avancent vers le spectateur. L'instabilité règne.

    Carrés, blancs et se côtoyant encore pour former temporairement diptyque, les deux "Pastels secs sur papier vélin" estampés, marouflés sur bois (100 x 100 cm, 1998) sont troublants. Difficile d'échapper au désir de les rapprocher du mystique (et mythique) "Carré blanc sur fond blanc" de Malévitch (1918). IMG_8065.JPGGuiffrey, avec ce travail digne d'un bénédictin, ne tente-t-il pas ici d'accéder lui aussi à l'insaisissable ? Présentés chacun dans une boîte en plexiglas qui reflète l'environnement, il faut les contempler longuement pour apprécier les subtiles différences de valeur du pastel et percevoir les infimes décrochements qui propulsent ou enfoncent le carré pastellé. L'artiste reprend à son compte les mots de Beckett "non pas le blanc mais la notion de blanc" et cela ouvre le champ des possibles : le blanc crayeux du pastel sec (plus fragile que  le pastel à l'huile) et celui plus froid du papier vélin, des contraires en quelque sorte, le peint et le non-peint ; la lumière et ses jeux toujours différents sur les surfaces, selon les pas du spectateur et le voisinage. Tout cela crée un mouvement, un flottement qui déroute et contredit la géométrie statique du carré, forme impersonnelle, minimaliste, sans volonté de séduction, délibérément choisie par Guiffrey, "parce que ce format s'ancre mieux sur les murs, qu'il est moins flottant, plus statique et ramène toujours le regard des bords vers le centre, et inversement". Comme Ryman en son temps pour ses monochromes blancs à la matière picturale sensuelle, l'artiste a choisi la même pauvreté formelle du support pour faire mieux apparaître le frémissement de la vie.

    Si le blanc a son mystère, le miroir et la porcelaine aussi, Guiffrey en a senti la richesse. Avec "Ah Léa !" 6 - Ah!Léa! RET BIS. (page 17).jpg(acrylique sous verre, miroir brisé, porcelaine, 25 x 25, 2020), il les utilise avec parcimonie et les conjugue l'un dans le plein et la densité - la porcelaine - l'autre - le miroir - dans son rayonnement. Ces deux là s'équilibrent ici en une joyeuse légèreté. L'instabilité du miroir biseauté, avec ses reflets multicolores du monde qui l'entoure et du spectre de la lumière, livre un bougé continu où rien n'est saisissable, réveille le blanc de la porcelaine si raisonnable et rassurante dans sa forme et sa parfaite platitude. La vigoureuse fente centrale conduit le regard vers un ailleurs, un mystérieux hors limite.

    Chez Guiffrey, tout décidément est attente et mouvement, présence et absence, vide et fermentation. Son oeuvre est  déconcertante, toute en retenue et questionnement, et sa part d'imprévisible sous la lumière implique concentration pour en découvrir la multiplicité d'aspects et de signifiance.

    René Guiffrey "Blancs" - Réouverture probable mi Mai Galerie ETC, 28, rue Saint Claude, 75003-Paris (Tél : 09 24 24 35 43). Jusqu'à fin Mai 2021. Le très beau catalogue est visible sur internet.

  • Jean-Pierre Schneider au château de Ratilly (par Régine)

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    A deux heures de voiture de Paris, le château de Ratilly, avec ses grosses tours rondes construites en pierre ocre patinée par le temps, ses douves sèches, ses spectaculaires charpentes, offre un merveilleux but de balade ou de week-end en Bourgogne, dans la région dite de "La Puisaye", si chère à Colette. Cet intérêt se trouve redoublé par la qualité des expositions qui chaque été y sont organisées et ce depuis le début des années 1960. Sur ses cimaises se sont succédés des peintres et des sculpteurs tels que Klee, Nicolas de Staël, Tapies, Tal Coat, Veira da Silva, Geneviève Asse... pour les premiers, Chillida, Calder, Etienne Martin, Germaine Richier... pour les seconds et tant d'autres encore.

    Cet été y sont réunis deux artistes : le peintre Jean-Pierre Schneider et le sculpteur Geoffoy de Montpellier.

    Rien de plus adapté à la peinture de J.P. Schneider que la matière brute et blanchie à la chaux des murs de ce château. En effet, très murale, la texture de ses oeuvres rappelle celle de la fresque. Jamais encadrées, elles sont accrochées telles quelles sur le mur, leurs bords laissés bruts. La trame de la toile a disparu noyée sous les couches de peinture et les couleurs assourdis semblent venir du fond du tableau.

    Comme Tal Coat, l'artiste fabrique lui-même son médium et mélange ses couleurs pour faire advenir la teinte voulue. Il y a ajoute un peu de poudre de marbre pour obtenir une consistance épaisse et cet aspect mat si caractéristique de son travail. Il procède souvent par "suites", terme à connotation musicale, qu'il préfère à celui de série qui, pour lui, évoque plus l'idée de répétition que celle de développement d'un thème. L'artiste trouve généralement ses sujets dans le monde qui l'entoure, mais il se l'approprie d'une façon parfaitement personnelle. C'est le peintre qui fait advenir le motif et qui le transforme en ce qu'il veut. Le sujet n'est en fait qu'un prétexte pour laisser place à la recréation du monde par la peinture.

    Citons quelques exemples : trois somptueux tableaux de la même suite, dont le titre gravé, comme souvent, à même la peinture indique le sujet : "Tirants d'eau" sont ici exposés. Dans l'un d'eux un rectangle noir, taché de rouille signifie le cargo (photo 1)IMG_3208.JPG. Sous l'étrave son reflet miroite dans l'eau. Huit petits traits blancs sur le bord gauche de la toile marquent les jauges et dans sa partie supérieure apparaissent quelques chiffres rongés par la rouille. Le reste de l'oeuvre est occupé par un aplat d'un vert mat, extraordinairement puissant et fascinant, un océan bien inquiétant à traverser. Deux quasi-monochromes se partagent ainsi l'espace à parts égales.

    Dans une autres très belle oeuvre de cette même suite, l'étrave horizontale noire et rouille du cargo se heurte à une eau grise et troubleIMG_7239.JPG (Photo 2). Les reflets occupent toute la partie inférieure de la toile.

    Verticales ou horizontales, ces peintures éminemment silencieuses évoquent une traversée à venir. Vers quel but, quelle destination ? Quelle quête ? Nulle perspective, nul horizon en vue, le temps et l'espace sont suspendus dans l'attente de quelque chose qui va peut-être advenir dont le péril n'est pas exclu.

    Le sentiment d'une traversée dont le but est inconnu est sous-jacent à nombre d'oeuvres de J.P. Schneider. Voyons ce grand tableau intitulé "Le pont Mirabeau" (photo 3)IMG_7245.JPG qui occupe le mur d'une grande salle de l'exposition. L'espace est opaque et gris comme envahi par le brouillard. Le temps est suspendu. A gauche l'eau est sombre et ne coule pas contrairement à ce que dit le célèbre poème d'Apollinaire. A droite, où brillent quelques reflets blancs raclés dans la peinture, elle s'éclaircit. Les arches, réduites à deux lignes courbes, l'une petite et grise, l'autre ample et blanche, après avoir rebondi sur un pilier, franchissent le fleuve à la recherche de la lumière. Difficile de ne pas soupçonner qu'il s'agit d'une quête spirituelle.

    L'eau est omniprésente dans nombre de suites peintes par l'artiste ("Paestum", "Le nageur", "Chutes de mai"...) et le thème de la barque récurrent. On peut en voir ici des exemples avec deux touchants petits tableaux de la suite "Echouage". Dans l'un la barque noire occupe le centre de la toile (photo 4)IMG_7241.JPG et semble prisonnière d'une eau verte, matière mate, épaisse et sombre. Le temps s'est arrêté à la date gravée en haut à gauche : 6.5.10. Dans l'autreIMG_3215.JPG (photo 5) l'eau miroitante a la couleur du jade ; une barque (un poisson ?) aux contours mal définis, à la couleur oscillant entre le noir et le bleu foncé, tente d'esquisser un mouvement de bas en haut. Tout est indécis dans cette oeuvre délicate et émouvante.

    La toile de la série des "Hautes terres" montrée dans la première salle de l'exposition affirme la souveraineté de la peinture (photo 6)IMG_7243.JPG. Combien de couches de couleurs a-t-il fallu appliquer pour arriver à ce tressage de vert, de brun, de noir, de gris et à donner ce sentiment d'enfouissement entre ciel et terre. Une phrase d'André du Bouchet, difficilement lisible, est inscrite dans la chair de la peinture. En effet, si dans le choix de ses sujets l'artiste fait souvent référence à l'histoire de l'art : notamment à Paestum (avec la suite "Le nageur", Manet avec la suite "La servante"), Rodin (avec la série "Pierre de Wissant", etc...) il aime aussi citer les poètes et les auteurs qui lui sont chers (René Char, André du Bouchet, Marguerite Duras,...) Pour lui comme pour Twombly les mots, les lettres, les chiffres sont des dessins qui font entièrement partie du tableau.

    Bien d'autres oeuvres que celles ici citées sont à découvrir au cours de la visite tel ce tableau abstrait tout en nuances de gris qui n'est qu'espace, ou la série des "Bols" aux somptueuses couleurs. Vides, isolés, peints en contre-plongée, ils occupent le centre de la toile, comme en attente d'une offrande. Dans le travail de J.P. Schneider jamais le sujet ne prend le dessus de la peinture, celle-ci règne en maître, mais elle possède un pouvoir d'évocation propre qui fait résonner en nous nombre d'échos.

    IMG_7242.JPGLa forte présence des sculptures de Geoffroy de Montpellier n'enlève rien à celle des oeuvres de J.P. Schneider. Le matériau utilisé par ce sculpteur est la roche dont il tient à conserver la forme brute donnée par la nature. Par un lent travail de polissage et de sablage des parties non préservées il installe un climat de perfection et de beauté voulue qui contraste avec la splendeur révélée des parties originelles laissées brutes. L'immense et pesante sculpture posée dans la première salle d'exposition en fournit un magnifique et stupéfiant exemple (photo 7).

    Jean-Pierre SCHNEIDER, peintures, Geoffroy de MONTPELLIER, sculptures - Château de Ratilly - 89520-Treigny (Yonne). 03 86 74 79 54 - www.chateauderatilly.fr. Jusqu'au 3 novembre

    La galerie parisienne qui représente J.P. Schneider est la Galerie Michèle et Odile Aitouares -14 rue de Seine, 75006-Paris (o1 43 26 53 09)

     

  • Thomas HOUSEAGO (par Sylvie).

    Cliquer sur les photos pour les agrandir.

    Sous les vastes et hautes salles du Musée de l'Art Moderne de la Ville de Paris, les oeuvres de Thomas Houseago, artiste britannique né en 1972, ont une place à leur mesure. L'espace, la lumière naturelle à travers les grandes vitres donnant sur les marbres extérieurs du bâtiment de 1937, forment un écrin monumental parfait pour des oeuvres majoritairement de grand format. Le long du parcours plus ou moins chronologique, des année 90 à Leeds, puis Amsterdam et Los Angeles aujourd'hui, il est question de la représentation de la figure humaine dans sa force et sa fragilité, deux aspects qui se lisent simultanément au sein de chaque oeuvre, suscitant sensations ou idées contradictoires. Les mediums sont artisanaux et viennent changer le regard sur la tradition de la sculpture anglaise. Ouvrier dans le bâtiment, corollaire d'une difficile vie d'artiste, Houseago a gardé la pratique des matériaux de cette profession et, de ses études, un attachement à l'histoire de l'art. On retrouve sous sa patte les influences les plus diverses: 'Henry Moore, Rodin, Picasso, Brancusi, Lupertz, Baselitz...

    20190412_155421.jpgBien ancrés dans le sol et blancs comme l'antique - ce sont des plâtres - Walking Man, L'homme qui marche, 1995, plein d'énergie, et le nonchalant nu assis, Sitting Nude, 2006 (1), s'inscrivent dans la gestuelle du quotidien, marche dynamique et musclée ou pose statique. Ils campent l'homme universel. Sont elles seulement presque humaines ces silhouettes anthropomorphes, selon le titre de l'exposition "Almost human" qui reprend les mots d'une chanson de Leonard Cohen ? Elles n'ont pas de tête et la belle assurance de l'homme assis laisse voir le vide de ses entrailles: il est tranché verticalement.

    Près d'eux, comme jetant un regard accablé sur ces humains, L'homme pressé, Man in a hurry, 2011, (2) , un colosse de bronze noir, impose sa gigantesque stature et ses 20190412_162649.jpg20190412_155922.jpg20190412_160656.jpgorbites vides, courbé sous un poids qui semble le dépasser. Tout le contraire de L'Echelle (1991) d'Etienne Martin, à voir dans le nouveau parcours du Musée.

    C'est un étrange personnage que ce  Serpent, 2008 (3), mi homme mi animal, tenant à peine debout mais lourdement ancré dans le sol - un singe aux longs bras pendants, une sorte de pantin désarticulé, comique et dramatique en même temps. Les composants multiples - Tuf-Cal, chanvre, fer à béton, Oilbar, mine de plomb, bois - et leur visible assemblage digne d'un Picasso,  participent de la désespérance de son affaissement.

     Sur un socle en bois massif et rassurant comme ceux de Brancusi, L'oeuf, UntitledEgg, 2015 (4) n'en demeure pas moins mystérieux et précaire, nid percé d'un trou accueillant ou possible bouche avaleuse...Encore une oeuvre qui marque l'attraction de l'artiste pour la béance.

    20190412_160936.jpg20190412_162533.jpgLa sculpture mais aussi l'architecture se côtoient tout au long de l'exposition dialogant entre elles et avec le lieu. L'arche majestueuse Entitled Moongate, 2015, (5) répond à l'architecture des années 30 alentour, et les dessins hallucinés au charbon sur toile blanche, Somatic Paintings, 2018 (6) qui rappellent notre inéluctable disparition, font écho aux bas reliefs de marbre de la façade, signés Alfred Janniot.

    20190412_155825.jpg20190412_161128.jpgAprès des corps sans visage, des crânes, Fractured Face, 2015,(6) sont là, aux murs, grands médaillons en plâtre, entre dessin et sculpture, portraits schématiques aux structures osseuses soulignées qui fragilisent l'unité. Ils voisinent avec le primitivisme des toiles  Blue Faces, 2015 (7) à la mine de plomb, crayons de couleur et charbon. Un dernier regard  s'impose sur la série des 8 20190412_162723.jpgpeintures noires- sur les 12 réalisées - Black Paintings, 2015 (8). La lumière caressante fait apparaitre une succession de crânes dans l'épaisseur de la pâte., comme autant de stations d'un chemin de croix.

    La richesse de cette exposition est telle que l'on se contenterait de tout cela. Ce serait une erreur de passer outre le film réalisé par la compagne de l'artiste, Muna El Fituri, où l'on voit Thomas Houseago à l'oeuvre dans son atelier,  Cast-Studio, déployant une énergie jubilatoire à malaxer la glaise d'une installation à venir. Belle performance.

     

    Thomas Houseago, "Almost human", MAMVdeP, 12-14 av. de New-York, 75016 Paris.  01 53 67 40 00. Jusqu'au 14 juillet.

  • Vera Molnar (par Sylvie)

    Artiste française d'origine hongroise née en 1924, Vera Molnar est une référence pour les fervents d'abstraction et  particulièrement de rigueur géométrique. La galerie Aittouarès rappelle en une vingtaine d'oeuvres la confondante subtilité de son travail ininterrompu depuis les années 40 (elle a aujourd'hui 95 ans), fait de lignes, entrelacs et motifs colorés ou non, d'une extrême sobriété.

    Celle qui participa, à la fin des années 50 à la naissance de l'art cinétique, fonda en 1960, avec son mari, le GRAV (Groupe de Recherche d'Art Visuel), fut aussi dès 1968 une pionnière en art assisté par ordinateur. On constatera ici que non seulement elle en a perçu l'immense capacité combinatoire, mais qu'elle en a exploré le champ des possibles. Avec pour outils un ordinateur, un écran et un traceur.

    Pour l'exposition que lui consacrent les "dames", mère et fille Berthet- Aittouarès, elle a choisi de montrer des travaux des années 2000 inspirés par d'illustres peintres du passé qui l'ont particulièrement marquée. Etonnant travail de reconnaissance sous le sceau d'une personnalité, pleine d'énergie et de créativité dont les thèmes de prédilection se retrouvent pas à pas: ligne, répétition, transformation, contrastes et, pour moyens, essentiellement le noir et le blanc.

    Sainte Victoire- Cézanne.jpgVera Molnar, 4 couleurs, d'un seul trait, 2001, 20x20 cm, _© Galerie Berthet-Aittouarès.jpgSi Paul Cézanne lui fut révélé dès sa jeunesse étudiante, c'est après s'être penchée sur les travaux du mathématicien Gauss qu'elle a pris conscience de la ressemblance de cette fameuse courbe en cloche avec le profil de la Montagne Sainte Victoire (1), courbe d'autant mieux reproductible par ordinateur qu'elle est née d'un calcul de probabilités. Dans les oeuvres qui en résultent - 4 couleurs, un seul trait, 20x20cm, 2001 (2) - les lignes, ici multicolores, la superposition des courbes, le tremblé semblable à celui d'un sismographe, évoquent autant le profond séisme originel que la luminosité et la douceur du modèle cézannien.    

    Klee-Ad-Parnassum.jpgMontparnasse, d'après Klee, en bleu, vert et rouge 2006 N_uméro 3 17x17cm 12x12cm ©galerieberthetaittouares.jpgMontparnasse à la lune Blanche (2), 3 lignes et 1 cercle _2007 15x15cm 10x10cm ©galerieberthetaittouares.jpgLe souvenir de Paul Klee  est lié à son tableau "Ad Parnassum" de 1932, conservé au musée de Berne (3.), ce Parnasse de la mythologie grecque, lieu de résidence d'Apollon et des neuf muses, lieu idéal cher au peintre, où tous les arts cohabitent.  Montparnasse d'après Klee, 2006 (4)....Déjà une abstraction sous le pinceau de Klee  - on devine plus qu'on ne voit montagne, toiture, soleil - ce tableau a ravivé  chez Molnar un idéal vécu d'enfance, de soleil et de bien-être confiant qu'elle traduit avec  rigueur et simplification des motifs. Les grands aplats de couleur scintillent comme les petits carrés de Klee et il émane de ce tableau une sérénité, une joie qui emporte.  Dans Montparnasse a la lune blanche , 3 lignes, 1 cercle, 2007, 15x15cm (5), l'astre -pastille ajoutée- enveloppe le paysage, simple croisée de lignes, dans tout son éclat.  Défiguration, juste des lignes et de la transparence... Une épure.

    800px-Dürer_Melancholia_I.jpgmontage polyptyque Plus petit, plus épais.jpgMelancholia est une gravure sur cuivre d'Albrecht Durer de 1514 (6 ). A la fois peintre, graveur, mathématicien, géomètre.. l'artiste allemand a intégré en haut à droite de cette oeuvre, dans une sorte d'échiquier, une multiplicité de chiffres symboliques dont les interprétations ont été nombreuses depuis le Renaissance. Ce carré magique est, dans les ésotérismes juifs et islamiques, associé à des connaissances secrètes. "Ce petit machin me fait travailler  depuis 50 ans" confesse Vera. Ainsi est né le "Montage polyptyque. Plus petit, plus épais... (7 ). Cinq graphies s'y succèdent, chacune dans un carré. Au premier abord elles semblent différentes. Il s'agit en fait du même motif,répété, d'une parfaite rigueur géométrique. La variante est l'épaisseur du trait ( plein ou délié). Pour que  la perception s'en trouve ainsi  changée, il fallait une bonne connaissance des mécanismes de la création .  Vera Molnar l'a fait sienne  et ce n'est pas pour rien que son travail entre aujourd'hui dans le cursus des écoles d'art.

    Vera Molnar , Affinités particulières, galerie Berthet-Aittouarès, 14 et 29  rue de Seine, 75006. Jusqu'au 20 avril.

    Aux lecteurs: pour mieux voir, cliquez sur les images.               

  • Le Minimalisme chez Thaddaeus Ropac (par Régine)

    Si l'un des buts essentiels des oeuvres de l'art minimal est de révéler l'espace qui les environnent, la grande exposition que la Galerie Thaddaeus Ropac a organisée dans son spectaculaire lieu de Pantin autour de ce mouvement des années 1960, est une totale réussite. En effet, la sobriété, la rigueur, la beauté et les multiples déclinaisons des oeuvres de Donald Judd, Dan Flavin, Carl André, Robert Morris ou Robert Mangold sont exposées de façon à englober l'espace qui les entoure et à fonctionner de concert.

    Né aux USA en même temps que le Pop Art, en réaction aux débordements subjectifs de l'expressionnisme abstrait, ce mouvement se caractérise par un souci d'économie de moyens, le désir d'insister sur la globalité des perceptions, par la pratique de la répétition annonçant la notion de série et bien sûr l'élimination de toute expressivité.

    Le titre paradoxal de l'exposition "Monumental minimal"souligne le bouleversement que ces sculptures ont créé face à la notion de sculpture classique, notion déjà mise à mal au début du siècle par les avant-gardes russes, notamment par le constructiviste Tatlin, et en Pologne par le peintre Strezminski et la sculptrice Katarzyna Kapro fondateurs de l'Unisme et fort heureusement exposés récemment à Beaubourg.

    La pièce de Dan Flavin "Hommage à Tatlin" (photo 1)IMG_6965.JPG rappelle cette dette et évoque schématiquement le projet utopique de l'artiste russe "Monument à la troisième internationale". Avec cette construction faite de néons à la lumière blanche évanescente Flavin célèbre l'oeuvre de son prédécesseur. Sa sculpture irradie les colonnes sans socles de Donald Judd qui sont faites de parallélépipèdes en métal usiné, de même dimension (untitled 1989), dont le fond est soit noir (photo 2)IMG_6967.JPG, soit tapissé de plexiglass noir et rouge (Menziken 1988), soit différemment occulté par une plaque du même métal (Mensiken 1988) (photo 3) IMG_6952.JPG; ceux-ci sont accrochés en saillie, également espacés et leur nombre dépend de la hauteur du plafond. Le regard effectue donc un va et vient de bas en haut (ou de gauche à droite suivant le mode d'accrochage - Untitled 1986-87)(photo 4))IMG_6960.JPG et amène le regarder à constater les effets de perspective et de variation de la couleur en fonction de la lumière environnante. Débarrassées de tout affect, ne reposant jamais sur le sol, dénués de toute dimension représentative ou illusionniste, de toute hiérarchie entre les éléments qui les composent ces oeuvres s'opposent totalement aux idéaux de la sculpture occidentale. Accrochée non sans humour non loin de là, l'oeuvre de Robert Morris IMG_6951.JPGvalorise la matière (photo 5), oppose à la rigidité des oeuvres de D. Judd la notion d'informe en laissant le feutre dont elle est constituée s'organiser de lui-même .

    L'oeuvre de Sol Lewit "Seven basic colors and all their combinations in a square within a square" 2005, vibrant hommage à Albers, est ébouissante. Partant des trois couleurs primairesIMG_6942.JPG et de leurs complémentaires (photo 6) plus le gris, utilisant le carré comme forme de base, l'oeuvre se déroule tout autour d'une grande salle en une série de toiles de couleur vive dans lesquelles sont placés un autre carré plus petit d'une autre couleur (photo 7 et 8)IMG_6944.JPGIMG_6947.JPG. Comme avec les oeuvres précédentes, s'installe alors un dialogue entre le regardeur, l'espace et l'oeuvre et ici c'est avec jubilation qu'on ne se lasse pas d'étudier l'interaction des couleurs entre elles. L'art, dit  Sol Lewit, doit engager doit engager l'esprit du spectateur plus que ses yeux et ses émotions. Cette déclaration, plus conceptuelle que minimaliste, s'applique à la sculpture faite de modules de bois laqué blanc, tous identiques, installée en réseau dans la salle voisine (123454321 - 1978-80) (photo 9)IMG_6986.JPG. Elle offre, comme les sculptures de Judd, ne nouvelle perception mentale et spatiale de l'oeuvre, celle d'une forme de base dont les éléments sont susceptibles d'être installés différemment en fonction du lieu ou elle s'inscrit.

    Si les "Plan/figure series A B et G" de Robert Mangold (photo 10 et 11)IMG_6979.JPG IMG_6981.JPGne créent pas la même jubilation que les Wall Drawing de Sol Lewit, il n'en sont pas moins significatifs de la rigueur de ce mouvement auquel cet artiste est rarement rattaché. Influencé par le travail de Barnet Newman et par les recherches de Stella sur les limites du tableau il va façonner lui-même ses cadres. Ici sur de grands diptyques parallélépipédiques enduits d'un jus de deux couleurs différentes, il dessine à la main et au crayon des formes géométriques (ovales, ronds...) légèrement déformées introduisant un peut d'humanité dans ces grands monochromes où se perd le regard. Dans l'angle opposé de la pièce "Untitled (to Sabine and Holger 1966" de Dan Flavin, composée d'un ensemble de néons diffusant une couleur rose, transforme l'espace environnant et contamine par sa beauté l'ensemble de la pièceIMG_6984.JPG.

    L'idée de modules préfabriqués se retrouve aussi chez Car André qui a bouleversé une caractéristique essentielle de la sculpture à savoir la verticalité en instaurant l'horizontalité. Le long chemin de grosses poutres en sapin Douglas laissé brut avec leurs accidents et leurs couleurs chaudes se déroule avec bonheur au pied des toiles de Sol Lewit (photo 11 et 12)IMG_6973.JPGIMG_6971.JPG. Cett oeuvre de 1981 institulée "Bar" rappelle l'attachement de Carl André à Brancusi dont il disait "Je ne fais que poser la colonne sans fin de Brancusi à même le sol au lieu de la dresser vers le ciel". Dans sa façon d'inviter le spectateur à toucher ses oeuvres en les parcourant, en ne lui offrant aucun point privilégié, aucune hiérarchie, en choisissant des matériaux naturels (cuivre, calcaire, ardoise) son oeuvre provoque un plaisir presque sensuel. Illuminé par le halo vert diffusé par l'éclair des néons de Dan Flavin, "Copper blue vein" de 1990 constitué de plaques de calcaire qui enserrent des modules de cuivre est d'une grande beauté et vous saisit dès l'entrée de l'exposition.

    Même si la plupart des oeuvres exposées sont plus tardives que celles créées au moment de la naissance de ce mouvement, elles montrent que le minimalisme a continué son chemin jusqu'au début de XXIème siècle. Il a non seulement marqué certains artistes français tels que François Morellet, Martin Barré, Jean Degottex mais aussi ouvert la voie à la pratique des installations qui, elles aussi, se transforment en fonction du lieu ou elles s'inscrivent.

    "Monumental minimal" - Galerie Thaddaeus Ropac - 69 avenue du Général Leclerc, 93522 - PANTIN (01 55 89 01 10). Jusqu'au 23 mars.

  • Lee Bae (par Sylvie)

         Des souches brûlées assemblées en menhir ouvrent, à la galerie Perrotin à Paris, l'exposition consacrée à Lee Bae - prononcer Bé - un artiste sud coréen, né en 56, installé depuis lors en France. Sur la droite, le motif d'un tableau évoque la calligraphie. Voilà deux œuvres qui ont en commun la quête du noir, un noir couleur et un noir matière dans la plus pure tradition extrême orientale à laquelle est attaché l'artiste.

    20180428_153047.jpg"Issu du feu", 360x110x110cm. 2018. (1) a tout de la tour penchée dont les éléments , empilés et emprisonnés dans un réseau de fils élastiques, offrent au regard trois étages denses de bûches calcinées. Par sa taille, son volume et sa couleur elle s'impose avec une redoutable puissance. Pourtant il en émane une évidente légèreté à l'image du poids réel de ses constituants, un bois qui, sous l'action du feu a perdu sa matière vivante, son humidité, et n'est plus que l'ombre de lui-même tout en gardant sa forme qui réagit à la lumière: des miroitements s'inscrivent ça et là sur les surfaces polies. Loin d'être inconnu de Lee Bae, ce matériau appartient à la culture ancestrale de la Corée. Il est utilisé dans la construction pour protéger les fondations de l'humidité et des insectes et la première lune de janvier est traditionnellement saluée par des bûchers de troncs de pins. Bae l'a retrouvé lorsque, artiste avec peu de moyens à Paris en 1990, il tombe sur des briquettes pour barbecues. Pour lui le charbon de bois évoque l'encre de Chine et le lien avec la nature.  Comme  Lee Ufan dont il a été l'assistant, il pratique l'appropriation artistique d'éléments naturels.

    Sur la toile d'une extrême sobriété "Sans titre", 150x80cm, acrylique et charbon de bois, 2008, (1, à droite) la force du noir intense et la souplesse du motif abstrait sont d'autant plus présents que le medium de fond se compose de plusieurs couches d'acrylique laiteux et caressant de couleur coquille d’œuf. Toute l'énergie et la densité du charbon de bois s'en dégage.

    20180428_152817.jpg"Issu du feu", charbon de bois sur toile  210X120cm, 2001 (2) fait partie d'une série. L'approche en est à la fois austère et fascinante. Lee Bae, comme Soulages recherche la lumière changeante et vibrante. Soulages, avec panache, travaille sa pâte, racle la matière-peinture pour en tirer des motifs qui feront jaillir la lumière. Chez Lee Bae, les couches de charbon de bois friable, d'un noir profond, taillées, poncées, juxtaposées  et travaillées méticuleusement en surface comme une marquèterie cachent bien leur complexité. Leur propre matière les animent. Des touches argentées naissent selon l'environnement et la place du regardeur, et parfois le noir se montre blanc. La nature si chère aux coréens, est là dans ce charbon de bois aux propriétés plastiques et symboliques né de la main de l'homme.

    20180428_152728.jpg"Landscape", 162x130cm, 1999 et 2000. (3) Deux œuvres sur toiles côte à côte où de grands rectangles noirs épais semblent s'effilocher, prêts à partir en fumée. Derrière l'opacité des plaques de charbon de bois se dissimule un assemblage complexe mais invisible, unifié à l'eau. Collées au support, ces formes géométriques d'un aspect aride, se montrent fragiles: leur bord devient poudre, frange floue, irrégulière, vivante, à partir de la matière morte simplement frottée.

    "Sans titre", charbon de bois dimensions variables, 1997. (4 et 5) Des blocs, 20180428_153237.jpg20180428_153145.jpgplus ou moins sphériques  sont accrochés aux murs, sorte de paysage minimaliste, à la fois tangible et immatériel. Tellement noir sur un fond tellement blanc qu'on ne sait plus où se trouve le plein, où se trouve le vide. Si  un orifice creusé est visible, on pense à quelques nids d'oiseaux abandonnés, à quelques bouches d'ombre. Tout flotte, entre concentré d'énergie et de spiritualité.

    Lee Bae "Black mapping", galerie PERROTIN, 76 rue de Turenne, 75003 Paris. Jusqu'au 26 mai.

     Lee Bae , à voir aussi à la galerie RX, 16 rue des Quatre fils, 75003 Paris, jusqu'au 14 mai.

     

     

                                                                               

  • Jean Michel ALBEROLA (par Régine)

    L'exposition de Jean Michel Alberola (né en 1953 en Algérie) qui se tient actuellement au Palais de Tokyo ne s'appréhende pas facilement. Ni chronologique, ni hiérarchique elle est construite comme un labyrinthe aux multiples ramifications. On peut la voir comme la traversée d'un espace mental, celui de l'artiste dont la préoccupation est d'explorer et de visualiser le processus complexe de l'élaboration de la pensée. Pour lui, celle-ci est le résultat d'une multitude de connexions entre des domaines aussi variés que l'économie, la géographie, le jeu, le cinéma, la littérature, l'économie, les mathématiques... noms qu'il a donné aux différentes salles de l'exposition.

    Des noms de philosophes : W. Benjamin, S. Weil, S. Kofman, G. Debord, K. Marx, voisinent ceux de cinéastes : J.L. Godard, Fritz Lang ou d'écrivains : Kafka ou Stevenson dont l'écriture très visuelle et les récits (l'Ile aux trésor, Le maître de Ballantrae) qui requièrent une part active du lecteur, le fascinent. Leurs ouvrages figurent d'ailleurs dans une bibliothèque visible depuis plusieurs salles de l'exposition. Pour Alberola tout est flux et échange. Ces auteurs se sont aidés, dit-il, de ce qui les a précédés pour penser.

    Entre abstraction et figuration, cette oeuvre bavarde, envahie de mots et de slogans, offre une multitude de dessins, de sculptures, de peintures, de néons... En effet chez lui peinture et parole sont intrinsèquement liées ; pas de hiérarchie entre l'un et l'autre, pas de différence entre le "fecit, le dixit et le pinxit".

    Pour illustrer mon propos, parmi les 300 oeuvres exposées j'en décrirai quelques unes qui ont particulièrement retenu mon attention.

    Dès la première salle intitulée "présentation" une oeuvre fragile et d'une grande beauté se nomme "le seul état de mes idées" (photo 1)IMG_1572.JPG. Dans une vitrine posée sur une précieuse petite table dorée, une pluie d'oeufs d'autruche tombe et entoure un visage en papier mâché ; l'un d'entre eux est en or et git éclos sur le sol. Oui une idée ne nait jamais seule mais fait appel à une multitude de notions qui l'enrichissent et lui permettent de prendre forme.

    Alberola fait énormément de dessins et le papier est son support de prédilection, mais il n'y a pas de hiérarchie dans les techniques utilisées : gouache, aquarelle, pastel, dessin à l'encre noire, il passe de l'une à l'autre ou les mélange.

    Pour figurer le bouillonnement et la complexité d'une pensée en train de se faire, celle par exemple de Stevenson, de Nietzsche ou de Godard, sur un fond de couleur fluo, jaune, orange ou vert, il a dessiné une série de spirales de tailles diverses toutes imbriquées les unes dans les autres (photo 2)IMG_1576.JPG. Telles des bulles elles tournoient autour d'une ligne infinie, s'enroulent sur elles-mêmes, se bousculent et tentent de se frayer un passage dans la multitude des autres. Tout cela traduit un activité intense.

    Plusieurs dessins se présentent comme un cheminement, comme une sorte de carte de géographie mentale. Prenons pour exemple la gouache intitulée "Katarina Joséphine Watcher" (photo 3)IMG_1626.JPG. Cette femme fut exilée de son propre pays, la Suisse. Il en offre un portrait conceptualisé. Elle n'est pas dépeinte d'après son apparence physique, mais par une série de bulles roses qui émergent d'une mer bleu intense et qui, reliées entre elles, porte toutes un nom différent en rapport avec son destin.

    Quelques sculptures, pleines d'humour, expriment l'impasse dans laquelle se trouve parfois la pensée, telle cette petite maison en bois, intitulée, elle aussi, "Le seul état de mes idées. 3" (photo 4) IMG_1574.JPGet à laquelle on peut accéder par deux escaliers qui se croisent mais qui débouchent tous deux sur le vide. De frêles constructions en planchettes de bois jaunes, qui ressemblent à des cabanes pour oiseaux, figurent la fragile et complexe construction de la pensée d'un J.L. Godard ou d'un stevenson (photo 5)IMG_1615.JPG.

    La question du pouvoir est posée par une série de magnifiques peintures, toutes intitulées "Le roi de rien" (photos 6, 7, 8)IMG_1583.JPGIMG_1587.JPGIMG_1591.JPG. Démarrée en 1990 et poursuivie encore aujourd'hui cette série occupe une salle entière. S'agit-il de l'artiste lui-même, de la mise en cause du pouvoir quel qu'il soit ou du refus de toute hiérarchie ? Il n'est évidemment pas anodin qu'une ouverture ménagée dans un des murs permette, tout en regardant les tableaux, de lire "Le discours sur la servitude volontaire" de La Boétie affichée dans la salle voisine. Ces peintures, très frontales, très plates, sont faites de la superposition de magnifiques aplats colorés -jaune d'or, mauve, rose tendre, vert émeraude - qui s'imbriquent les uns dans les autres comme dans un collage. Ces personnages dont le visage est effacé ont perdu leur identité ; leurs corps sont disloqués, leurs membres sont inachevés ou tronqués, seuls leurs pieds sont bien posés sur le sol. Le motif central est entouré de bandes colorées qui se mêlent et se superposent. Comme chez ses contemporains de la Transavangarde italienne ces oeuvres sans profondeur semblent habitées de fantasmes morcelés, projection et juxtaposition du vécu de l'artiste.

    La nostalgique série intitulée "Paupières inférieures/paupières supérieures", peinte en noir et blanc, dévoile un univers de l'entre deux fait de souvenirs, de visions. Dans la salle consacrée à l'Histoire, Alberola, très concernée par les problèmes de société, en expose notamment deux consacrées aux émeutes raciales qui ont eu lieu dans le quartier de Watts à Los Angeles (photo 9)IMG_1606.JPG. Vides de tout personnage, avec une perspective qui débouche  sur des ouvertures aveugles, d'un noir intense, il s'en dégage un étrange sentiment de solitude et de déréliction.

    Les néons enfin dessinent des paroles qui mêlent réflexion politique ou artistique. Fonctionnant comme de petits oracles ironiques, leurs mots interpellent le spectateur, renforcent et reprennent ce qui est exprimé par les autres medium. Parmi la multitude de ceux qui sont exposés, j'en retiendrai deux qui me semblent résumer mon propos. L'un reprenant les réflexions de l'artiste sur le pouvoir, inscrit en rouge "Il n'y a pas de figure centrale" (photo 10)IMG_1625.JPG et l'autre, sur la complexité de l'élaboration de la pensée, inscrit dans un brouillard bleu rendant la lecture difficile "La conscience claire" (photo 11)IMG_1628.JPG.

    Inclassable, énigmatique, très cérébrale, l'oeuvre de Jean Michel Alberola n'est pas d'un accès facile et le spectateur est sans cesse interpellé pour trouver lui-même un sens à cet ensemble protéiforme. "Va chercher toi-même" nous dit l'artiste à plusieurs reprises.  L'exposition avec son espace décloisonné où tout se répond par un jeu de connexions, se vit comme la traversée d'un univers, celle d'une pensée en mouvement. Dans ce foisonnement et parallèlement à cette façon d'appréhender l'exposition comme un tout, on est forcément amené à faire des choix, à s'arrêter sur telle ou telle oeuvre qui trouve en soi un écho. Mais le monde de Jean-Michel Alberola est un monde en couleur, et quelles couleurs ! Tantôt puissantes, tantôt douces et tendres, tantôt chaleureuses, leur charme opère indéniablement et procure un plaisir intense pendant tout le parcours.

    Jean Michel Alberola "L'aventure des détails" jusqu'au 16 mai. Palais de Tokyo, 13 avenue de Président Wilson, 75116-Paris - de midi à minuit tous les jours sauf mardi.