Lee Bae (par Sylvie)
Des souches brûlées assemblées en menhir ouvrent, à la galerie Perrotin à Paris, l'exposition consacrée à Lee Bae - prononcer Bé - un artiste sud coréen, né en 56, installé depuis lors en France. Sur la droite, le motif d'un tableau évoque la calligraphie. Voilà deux œuvres qui ont en commun la quête du noir, un noir couleur et un noir matière dans la plus pure tradition extrême orientale à laquelle est attaché l'artiste.
"Issu du feu", 360x110x110cm. 2018. (1) a tout de la tour penchée dont les éléments , empilés et emprisonnés dans un réseau de fils élastiques, offrent au regard trois étages denses de bûches calcinées. Par sa taille, son volume et sa couleur elle s'impose avec une redoutable puissance. Pourtant il en émane une évidente légèreté à l'image du poids réel de ses constituants, un bois qui, sous l'action du feu a perdu sa matière vivante, son humidité, et n'est plus que l'ombre de lui-même tout en gardant sa forme qui réagit à la lumière: des miroitements s'inscrivent ça et là sur les surfaces polies. Loin d'être inconnu de Lee Bae, ce matériau appartient à la culture ancestrale de la Corée. Il est utilisé dans la construction pour protéger les fondations de l'humidité et des insectes et la première lune de janvier est traditionnellement saluée par des bûchers de troncs de pins. Bae l'a retrouvé lorsque, artiste avec peu de moyens à Paris en 1990, il tombe sur des briquettes pour barbecues. Pour lui le charbon de bois évoque l'encre de Chine et le lien avec la nature. Comme Lee Ufan dont il a été l'assistant, il pratique l'appropriation artistique d'éléments naturels.
Sur la toile d'une extrême sobriété "Sans titre", 150x80cm, acrylique et charbon de bois, 2008, (1, à droite) la force du noir intense et la souplesse du motif abstrait sont d'autant plus présents que le medium de fond se compose de plusieurs couches d'acrylique laiteux et caressant de couleur coquille d’œuf. Toute l'énergie et la densité du charbon de bois s'en dégage.
"Issu du feu", charbon de bois sur toile 210X120cm, 2001 (2) fait partie d'une série. L'approche en est à la fois austère et fascinante. Lee Bae, comme Soulages recherche la lumière changeante et vibrante. Soulages, avec panache, travaille sa pâte, racle la matière-peinture pour en tirer des motifs qui feront jaillir la lumière. Chez Lee Bae, les couches de charbon de bois friable, d'un noir profond, taillées, poncées, juxtaposées et travaillées méticuleusement en surface comme une marquèterie cachent bien leur complexité. Leur propre matière les animent. Des touches argentées naissent selon l'environnement et la place du regardeur, et parfois le noir se montre blanc. La nature si chère aux coréens, est là dans ce charbon de bois aux propriétés plastiques et symboliques né de la main de l'homme.
"Landscape", 162x130cm, 1999 et 2000. (3) Deux œuvres sur toiles côte à côte où de grands rectangles noirs épais semblent s'effilocher, prêts à partir en fumée. Derrière l'opacité des plaques de charbon de bois se dissimule un assemblage complexe mais invisible, unifié à l'eau. Collées au support, ces formes géométriques d'un aspect aride, se montrent fragiles: leur bord devient poudre, frange floue, irrégulière, vivante, à partir de la matière morte simplement frottée.
"Sans titre", charbon de bois dimensions variables, 1997. (4 et 5) Des blocs, plus ou moins sphériques sont accrochés aux murs, sorte de paysage minimaliste, à la fois tangible et immatériel. Tellement noir sur un fond tellement blanc qu'on ne sait plus où se trouve le plein, où se trouve le vide. Si un orifice creusé est visible, on pense à quelques nids d'oiseaux abandonnés, à quelques bouches d'ombre. Tout flotte, entre concentré d'énergie et de spiritualité.
Lee Bae "Black mapping", galerie PERROTIN, 76 rue de Turenne, 75003 Paris. Jusqu'au 26 mai.
Lee Bae , à voir aussi à la galerie RX, 16 rue des Quatre fils, 75003 Paris, jusqu'au 14 mai.