Un détour par la rue Debelleyme (par Régine)
Deux artistes dont l'oeuvre est exposée jusqu'à mi-juillet, l'un au 2ème étage de la galerie Thaddeus Ropac, l'autre à la galerie Karsten Greve, valent de faire un détour par la rue Debelleyme. Deux artistes aussi différents l'un que l'autre qu'il est possible : Pierrette Bloch, née en 1928 est morte en 2017 à l'âge de 91 ans, et Patrick Neu, né en 1963. Mais tous deux, chacun de façon très personnelle, expriment de façon obsédante leur fascination pour le Temps.
Nous avons déjà parlé de ces deux artistes sur ce blog (cf : "decrypt-art Pierrette Bloch 19.01.2015" et "decrypt-art Patrick Neu 19.10.2015"), mais nous n'hésitons pas à revenir ici sur leur travail et à vous encourager à profiter de ces deux expositions voisines l'une de l'autre pour redécouvrir leur singularité;
Pierrette Bloch
Pour aborder cette oeuvre il est nécessaire de ne pas vouloir lui trouver un sens mais de se laisser aller au rythme obsédant qui s'en dégage. Car que fait Pierrette Bloch ? D'un geste répétitif, sur des supports variés (papiers ou baguettes de bois) elle trace des lignes, des bâtonnets, des points, des bouches et ces dessins, déclinés en séries, noirs sur fond blanc ou blancs sur fond noir, suggèrent à qui sait le ressentir la présence d'un espace infini et d'un temps en expansion, écran invisible sur lequel se déroule notre existence.
Ces graphies ne sont pas un écriture à la recherche d'une signification, mais, tels ses tissages avec du fil de crin, elles nous parlent de l'origine de l'art, de son essence. C'est du langage originaire de la création artistique dont il est ici question.
Ce travail d'une grande austérité est proche de celui des artistes de l'art minimal qui lui sont contemporains. Comme eux elle pose la question des limites de l'art.
Patrick Neu
Chaque printemps, depuis des années, Patrick Neu peint les iris du jardin de sa mère pendant le court moment de leur floraison. Seule, sans feuillage, peinte sous différents angles au centre d'une feuille blanche, la fleur s'offre sans pudeur à notre regard. La façon dont l'artiste arrive à nous faire sentir le velouté des pétales, la densité de leur couleur violette ou la fraîcheur de leur mauve délicat, à nous dévoiler le moindre de ses replis est emprunt d'une grande charge érotique. Cette suite d'aquarelles, d'une beauté et d'une délicatesse captivante, s'inscrit dans le temps long de l'artiste qui, chaque année répète le même geste s'accordant au temps de la nature.
L'enchantement et la fascination devant la méticulosité de ce travail sont les mêmes devant les minuscules visages dessinés sur des ailes de papillon d'un bleu étincelant et les dessins faits dans le noir de fumée sur les parois d'une vitrine ; la stupéfaction est à son comble lorsqu'on prend conscience qu'il s'agit de la reproduction du "Jardin des délices" de Jérôme Bosch.
L'éphémère est au coeur de ce travail et comme la vie de la nature, les oeuvres de Patrick Neu portent en elle le présage de leur propre disparition.
Deux façons différentes mais complémentaires de nous faire ressentir le Temps : l'une son immuabilité, son flux incessant, l'autre son extrême fugacité.
Pierrette Bloch "Quelques traits" Galerie Karsten Greve - 5, rue Debelleyme, 75003-Paris (01 42 77 19 37) jusqu'au 28 juillet.
Patrick Neu "Iris, Jardin des délices" Galerie Thaddeus Ropac, 3ème étage - 7, rue Debelleyme, 75003 (01 42 72 99 00) jusqu'a 28 juillet.