Francois Rouan à Fontevraud (par Sylvie)
Ceux qui nous suivent sur decrypt'art ont peut-être lu mon papier sur le renouveau du vitrail. C'était en avril à l'occasion des grands travaux à Notre-Dame. Retour sur le sujet. Encore ? direz-vous. Oui, parce qu'ils concernent l'abbaye de Fontevraud dans le Val de Loire où ils viennent d'être installés, et sont l'œuvre surprenante de François Rouan, un peintre né en 1943 à Montpellier, dont la technique très personnelle évoque un tissage multicolore de lignes, de formes, de signes, plus ou moins nets ou tressés, qui font de chaque œuvre un monde d'une subtile richesse, un travail pictural extrêmement élaboré.
Les vitraux à prévoir concernaient l'ancien réfectoire du cloître du Grand Moutier, un gigantesque espace millénaire de 400m2, à deux façades bien différentes mais qu'il fallait faire dialoguer : l'une, au sud, donnant sur le jardin, et offrant des variations d'intensité de lumière, et l'autre, quasi aveugle au nord, à laquelle il était nécessaire de restituer l'idée de fenêtres, avec leurs dimensions, leurs formes et leurs décors. Et qu'une certaine "conversation" s'établissent entre ces deux murs.
Pour mieux comprendre les difficultés du projet, il faut revenir un peu sur la longue histoire de cette abbaye, fondé au XIIème siècle par Aliénor d'Aquitaine, qui accueillit pendant 7 siècles moniales de haut rang et noblesse, avant que la Révolution ne les chasse et que Napoléon la transforme en prison qui fonctionnera jusqu'en 1963, oui, 1963 ! Longue et tumultueuse histoire du laïc et du spirituel qui nécessitait d'être manifestée in situ, par des conflits d'au moins deux surfaces, des transparences et des opacités.
Photo 1. La porte de la façade Sud donne accès au jardin . Recevant toute la lumière du soleil, elle est mise en valeur par les fonds et les sujets colorés, en particulier le rouge qui flamboie et semble faire tourner les ailes des tryskèles, ces motifs giratoires, d'origine celte, qui symbolisent l'énergie, le déroulement du temps. La spiritualité des des minces croix, ascendantes comme des flèches, n'en n'est que plus tangible.

Photo 2 et 2bis: Sur les hautes fenêtres, comme portées par la croix que forme le chassis de bois, s'éparpillent de multiples croisillons formant grillage - serait-ce un rappel des confessionnaux ? - sur un fond rayonnant de jaune d'argent,. Cette technique médiévale appliquée ici sur le fond vert de la végétation exterieure, répond à la complexité de l'histoire. Viennent se glisser des portraits d'Aliénor d'Aquitaine, de quelques fous et d'inclassifiables sédiments. Que de mouvementsdans cette surface qui rappelle ainsi la longue histoire des lieux. Au dessus, dans l'ogive d'uneouverture, un large tryskèle se déploie dans toute sa gloire tranquille et exhaltante.

Photo 3. Au nord, point de soleil. Pour dialoguer entre ces murs, l'un aveugle et l'autre presque éblouissant l'artiste a voulu restituer l'idée de fenêtre disparue et a conçu des pseudo volets de bois peints, épousant la ligne des pierres et dont la couleur orangée répond au jaune d'argent de la paroi sud.
Photo 4. Dans le couloir qui longe le bâtiment côté nord, à hauteur des
pseudo volets, la galerie pénitentiaire alterne témoignages de deux univers: les sombres et verrouillées portes de prison de jadis et au travers des circonvolutions d'un tressage blanc les taches de couleur de la vie d'aujourd'hui . Le dehors est là, par derrière. La sédimentation est à l'œuvre, comme l'abbaye a sa longue histoire.
Abbaye de Fontevraud - Place des Plantagenets - 49590-Fontevraud l'Abbaye. 02 41 51 73 52