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arts plastiques

  • Biennale d'art contemporain de Corse ( par Sylvie)

    La période estivale est certes terminée mais la Biennale d'art contemporain de Corse, qui a ouvert ses portes en mai, se tient toujours à Bonifacio jusqu'au 6 novembre.

    Cette heureuse initiative de l'association "De Renava", un groupe de jeunes amis de la région, donne l'occasion de voir des oeuvres, essentiellement d'art vidéo et des nouvelles technologies, d'une quinzaine d'artistes de nationalités diverses. Les thèmes font écho à l'actualité, ses faits et ses sujets de débat, et sont regroupés en "mouvement de la vie", "mouvement du corps", "mouvement de l'esprit", pas toujours très clairs pour les visiteurs.

    Mais pour cette manifestation la ville de Bonifacio a ouvert des lieux patrimoniaux généralement fermés au public. Alors, avant d'aller se restaurer sur le port et contempler les voiliers et les célèbres falaises de craie, visez les hauteurs de la ville et, à pieds si vous êtes en jambes ou en petit train, optez pour l'ascension.

    20220825_163505~2.jpgPremier arrêt, à la minuscule chapelle Saint Roch, toute de blancheur, où se déploie sur un écran une vidéo rouge de mer agitée conçue par Melissa Epaminondi, flots colorés symbolisant les dangers de la mer. La biennale elle même au titre de Rouge Odyssée, est une référence à Ulysse qui, selon Homère, passa par Bonifacio. (photo 1).

    20220825_164628~2.jpg20220825_164500(1).jpgQuelques pas plus haut, un bruit sourd comme le roulement d'une vague se fait entendre. Là, dans le jardin du Bastion, avec en arrière plan les falaises de craie, les hauts murs de la citadelle et les iles Lavezzi, le plasticien britannique Anish Kapoor a installé l'oeuvre la plus emblématique de l'exposition : Descension, véritable trou noir de 3 mètres de diamètre où un liquide sombre tourbillonne et s'enfonce au centre, comme aspiré par un vide. A l'image de la vie ? (2 et 2bis)

    A la Cisterna la fragile graphie de Mat Collishaw 20220825_170009(2).jpgsymbolise l'arbre mythique et poétique de l'Angleterre et porte son nom, Albion, mais preuve de sa difficile préservation, l'artiste l'a encadré de part et d'autres, de piliers pour le soutenir (3).

    La plus grande émotion m'est venue devant le film Le léopard du britannique Isaac Julien projeté dans l'ancien cinéma : c'est une étrange déambulation de migrants à Lampedusa, dans le décor baroque du "Guépard" de Visconti.

    kara-walker__darkytown-rebellion_2001_aware_women-artists_ar.jpgSurprises à la caserne Montlaur, haut lieu de la légion étrangère, aujourd'hui désafecté. L'américaine Kara Walker, au sujet de la création de l'Africain/Américain, fait défiler, comme dans les livres d'enfant, des images dessinées en noir et blanc en  ombres chinoises sur les thèmes hautement féministes de l'exploitation, de l'esclavage, de la domination des 20220825_180129(1).jpgcorps. (4) Et le chinois Mao Tao, dans son installation Fishing the moon interroge le visible et conduit notre oeil au fond d'un couloir vers une lune noire, changeante, tandis que sont diffusées les fréquences émises par la terre et l'esprit humain en méditation.(5)

    Le spectaculaire écrin de bois, en pin corse laricio, réputé pour être parfaitement droit, et qui a été choisi comme matériau d'introduction à chaque oeuvre de la biennale, abrite,  à l'impluvium, celle, bien connue, de l'artiste corse Ange Leccia la mer, une vidéo géante 20220825_181049(5).jpgqui place le spectateur devant le mouvement constant des 20220825_181314.jpgvagues, à la fois souple et violent, vibrant et effervescent, superbe et menaçant. Elle implique perception et mémoire. Si elle rappelle le rendu des peintres impressionnistes, elle nous ramène surtout vers le dérèglement climatique d'aujourd'hui . (6 et 6bis).

    Ces oeuvres et bien d'autres qui ne sont pas citées ici, toutes plus ou moins hypnotiques, nous questionnent sur l'état du monde et notre capacité à l'exprimer avec de nouveaux outils.

    Rouge Odyssée, biennale internationale d'art contemporain, Bonifacio, jusqu'au 6 novembre, du mercredi au samedi de 16h à 21h.

     

     

  • Visites virtuelles (par Sylvie).

    Cliquez sur les images pour les agrandir.

    En attendant la réouverture des lieux culturels portés manquants du fait du confinement, il est opportun de noter que certains musées proposent des visites virtuelles d'expositions interrompues ou récemment terminées. Tous les amateurs d'art n'étant pas des initiés aux richesses de l'internet, il m'a semblé utile de leur montrer le chemin d'accès. Sur le site du  Centre Pompidou j'ai testé celles concernant Bacon, Barré, Christo et Matisse. J'ai été emballée. Un parti pris de faire bref pour éviter l'ennui a conduit les présentateurs à une approche non exhaustive mais globalement complète et dynamique, porteuse d'une envie d'aller plus loin par soi-même, après.

    Bacon portrait.jpgBacon-en-toutes-lettres-au-Centre-Pompidou.jpg 1.jpgFrancis Bacon (1909-1992)." Bacon en toutes lettres". La peinture de cet artiste britannique à la vie mouvementée est toute imprégnée de littérature dont il s'est nourri et des écrivains qu'il a côtoyés. L'exposition suit sa navigation, d'Eschyle à Michel Leiris, de Nietsche à Bataille, d'Eliot à Conrad ou encore Garcia Lorca. Didier Ottinger, le Commissaire de l'exposition qui sert de guide, se fait le précieux interprète de cette part de l'oeuvre choc de Bacon qui, concentré sur la figure humaine, dresse des portraits, des autoportraits ou des scènes, tous saisissants de réalisme. Mouvements, distorsions synthétisent le réel, souvent dans des triptyques où le flou et le cru ont une puissance tragique. Durée 10'.

    Martin Barré 1.jpgmartin-barre- 2.jpgMartin Barré (1924-1993) demeure un peintre terriblement intellectuel qui embarrasse beaucoup  de spectateurs par sa façon de questionner l'espace du tableau. Faute d'adhérer à ce type de préoccupation, il faut lui reconnaitre une remarquable obstination dans la recherche et la continuité des motifs, si tant est que l'on considère les lignes représentées comme tels. Le commentateur de cette sorte de rétrospective, Michel Gauthier, Commissaire de l'exposition, explique clairement la démarche de l'artiste et ce qui se lit dans la succession des oeuvres, toutes en lignes peintes ou réalisées à l'aérosol, qui parcourent l'espace des toiles, le fragmentent, le zèbrent, s'inscrivent en bordure ou sont voilées. Une peinture réflexive et plus du tout descriptive. Durée 22'.

    Christo-cheval.jpgchristo-pont-neuf-empaquetté-696x580.jpgChristo (1936-,2020) . Arrivé de Bulgarie en 1958 il a commencé sa carrière française par des toiles froissées, des cratères, des barils et l'empaquetage d'objets, de mobilier, de portraits, jusqu'à voir plus grand. C'est ce que raconte Sophie Dupleix, Commissaire, dans la visite exclusive. Avec Jeanne Claude, son épouse française, Christo a "osé" empaqueter le Pont Neuf en 1985. Une vidéo retrace l'histoire de ce fabuleux projet, pharaonique pourrait on dire, ses difficultés de réalisation et d'acceptabilité et nous fait entrevoir ce que sera peut-être l'empaquetage de l'Arc de Triomphe prévu pour 2021, malheureusement sans Christo, décédé ce printemps. Durée 17'.

    henri-matisse-2.jpgMatisse Nu bleu -images.jpgHenri Matisse (1869-1954) Le titre de l'exposition "Henri Matisse..comme un roman"  se réfère au livre éponyme de Louis Aragon dont Aurélie Verdier, la Commissaire, suit le cheminement. Matisse n'est un inconnu pour personne. Il fait partie des artistes français les plus reproduits mais la richesse de son oeuvre est souvent méconnue. Des premiers portraits aux nus découpés dans le papier, il s'est fait le témoin, touche à tout, en amoureux de la couleur, du goût et de l'art de vivre de son époque, de la femme libérée -qu'il peint ou sculpte - et de l'art décoratif . Au tons saturés d'un fauvisme somptueux a succédé la réduction d'une peinture aux lignes essentielles et, dans les vitraux de la chapelle de Vence, la sobriété du recueillement. (Durée 13').

    Pour accéder à ces  visites virtuelles, et à d'autres, cliquez sur "Visite exclusive de X... au Centre Pompidou ou par le nom des artistes suivi de " Centre Pompidou".Sont également proposés des" Tutos" (tutoriels) de l'Atelier des enfants (4') : vous y trouverez: - découpe comme Matisse, - emballe comme Christo, créé du mouvement comme Agam, autre artiste de la collection.

    Le Centre Pompidou doit ouvrir à nouveau ses portes le 2 décembre; l'exposition Barré devrait durer jusqu'au 4 janvier 2021, celle de Matisse jusqu'au 22 février 2021. Tout cela est à vérifier en fonction de l'évolution de la situation sanitaire mais n'empêche pas de se faire plaisir à visionner ces visites.

  • Giacometti, Messager et Montparnasse. (par Sylvie)

    Alberto Giacometti,peintre, sculpteur d'origine suisse italienne, fait partie des artistes qui ont choisi de s'installer à Façade Follot-20190106_145715.jpg20190106_142701.jpgCarrelage Follot-20190106_142920.jpgParis dans la première moitié du XX ème siècle et qui ont contribué à en faire un lieu particulièrement riche de culture. Montparnasse fut leur quartier et, encore aujourd'hui, il en a gardé les traces et l'aura. Une Fondation Giacometti est née en 2017 sous l'égide de l'Institut du même nom créé en 2011 grâce au leg d'Annette Giacometti de tout le fond d'atelier de son mai, décédé en 1966. Elle a trouvé place non pas dans l'ancien atelier de l'artiste au 40/46 rue Hyppolyte Maindron dans le quartier Alésia que Giacometti occupa pendant près de quarante ans mais dans celui du décorateur et ébéniste Paul Follot, un des pères du style art-déco, situé le long du cimetière Montparnasse. Cet hôtel particulier de 1912 est couvert en façade de mosaïques et de ferronneries de Bataille de nez-20190106_144059.jpgl'époque (1) et l'intérieur est chaleureusement habité par des bibliothèques L'écureuil-20190106_143922.jpgGiac-tenture-20190106_144235.jpgépousant l'ovale des murs, des vitraux colorés , des tentures murales  (6) et des carreaux de sol dont l'or irradie (3): une merveille de charme intimiste. L'atelier de Giacometti y a été reconstitué avec ses murs peints/gribouillés, des oeuvres en plâtre plus ou moins achevées et tout le matériel du peintre sculpteur (2) . Plus que trois jours pour y voir "Mes chambres", une exposition qui fait dialoguer Annette Messager, plasticienne d'aujourd'hui née en 1943, qui revendique la dimension féminine de son art dans des installations où dominent la laine te le tissu, et le maître des lieux. C'est non sans humour que se font face des oeuvres de chacun d'entre eux. Ici une "Annette debout" ( Annette est le prénom de l'épouse de Giacometti) , un nu en bronze de 1954 tout en finesse, fierté, dépouillement et la "Parade de l'écureuil", 1994, un animal naturalisé pris dans des filets, entravé, d'Annette Messager (5). La "bataille de nez" met en présence l'appendice agressif de quelque Pinocchio  grotesque  créé par Giacometti, plâtre 1947, retranché dans sa cage de métal face à "La mère et l'enfant" 2018, de Messager, en tissu, comme un nounours ou un bébé suspendu au cou de sa mère dont la silhouette de métal évoque au contraire avec poésie une infinie tendresse et toute la vulnérabilité de l'humanité (4). Clin d'oeil à  l'oeuvre surréaliste de Giacometti "La boule sleeping bag", 2018, de Messager est un sac de couchage plié en forme de sexe féminin (7 et 8)A. Messager20190106_144421.jpg sleeping bag.jpg

    Institut Giacometti, 5 rue Victor Schoelcher, 75014, Paris. Jusqu'au 13 janvier 2019.  Une autre confrontation s'y tiendra dans quelques semaines.

    alberto-giacometti-contemporary-sculpture.jpgPour aller au delà de cet ensemble à deux voix une visite à l'autre exposition Giacometti au L'homme traversant-20190104_165027.jpggiacometti_jean_genet.1280459.jpgmusée Maillol s'impose. Sont présentes une cinquantaine de sculptures mises en regard avec des oeuvres d'autres artistes majeurs comme Rodin, Bourdelle dont Giacometti fut l'élève, Laurens, Maillol, Brancusi, Zadkine...

    Le parcours est chronologique, des oeuvres de jeunesse tout à fait classiques à l'influence africaine , au surréalisme -assez peu représenté malgré la présence de l'oeuvre mythique" boule suspendue" (8)- et l'abstraction jusqu'au retour à une certaine figuration.  La femme, cuillère" en plâtre de 1926 et "L'homme traversant une place" ,bronze 1949, (9), voilà deux perceptions de l'humain universel, la pensée  et l'action. Quant aux silhouettes rongées, les traits indéfinis, les postures hiératiques et les cages qui entourent les personnages, même lorsqu'ils sont peints, les enferment dans leur solitude comme ce portrait de Jean Genet (10). Sculptés souvent de mémoire, leur caractère est insaisissable. Les femmes en groupe sur des socles épais, sont élancées, dominatrices ou du moins assurées dans leur être et les hommes, en bustes, semblent écrasés. Toute l'humanité est à saisir dans ces profils où l'angoisse affleure.

    Giacometti au Musée Maillol,59-61 rue de Grenelle, 75007 Paris. Prolongation jusqu'au 3 février 2019.

  • Le Japon à Paris (par Sylvie).

    L'exposition est d'une telle qualité qu'on s'en voudrait de ne pas la signaler. La galerie Dutko présente une quinzaine d'oeuvres,  majoritairement japonaises, auxquelles s'ajoutent quelques françaises aux points communs indéniables, à l'occasion du 160 ème anniversaire des relations diplomatiques entre la France et le Japon. Toutes sont d'un extrême raffinement et traduisent l'esthétique harmonieuse propre à ce pays et l'attachement de ces artistes, dont certains sont devenus internationaux, à perpétrer les traditions de leur pays.

    20180911_172042-1.jpg20180911_172115.jpgDès l'entrée, deux oeuvres manifestent les extrêmes d'une même recherche de perfection propre à la philosophie japonaise, l'une qui se laisse devinée, l'autre qui s'expose:  "Lightscape colors" (Perl White) 2016  d'Akira Kugimachi, 130,3x 89,4 cm, pigments minéraux sur papier, est un tableau presque blanc, le dégradé du blanc au gris est si infime qu'il ne se perçoit pas immédiatement, il faut contempler pour en saisir toutes les nuances au fini soyeux comme la plus délicate des étoffes. C'est une échappée vers l'immensité, vers l'absolu.                                                                    Lui faisant face, posée sur une table basse pour mieux en saisir les entrailles, une majestueuse céramique blanche, voluptueuse, à engobes rouges de Cheiko Katsumata, exhibe ses plis, ses rondeurs et le mystère d'une presque indécente intimité. ( Les engobes sont des revêtements minces à base d'argile délayé et appliqué sur la céramique pour en modifier la couleur naturelle et lui donner un aspect lisse). Quelle fascinante citrouille entrouverte si naturelle dans sa plénitude. Tout aussi charnelle, une autre céramique, "Yellow", 2018, 24x30x22 cm, blanche et engobes jaunes, se tient debout cette fois comme une végétation marine ondulant dans les flots.

    20180911_172156.jpgLauren Collin est française. On retrouve chez elle l'amour du papier et du travail minutieux japonais. Deux oeuvres sur papier Arches à grain fin, l'une blanche et l'autre jaune. "Sans titre" 2016, 80x60 cm. Parfaitement uniformes dans leur couleur, elles se révèlent mouvantes sous les traits du scalpel qui, sous couvert d'une chirurgie plus ou moins anarchique soulève irrégulièrement le papier et décrit un motif répétitif en écailles comme des champignons sur un tronc d'arbre ou une carapace animale que la lumière met en relief.

    takesada-matsutani-in-between_002.jpg20180911_172325-1.jpg"In between" 2013, 195x130 cm, adhésif polyvinyl et graphite, papier japonais sur toile de Takesada Matsutami nous rappelle que la violence et le sexe participent de façon significative de l'art japonais. Ils semblent ici intrinsèquement liés : noir profond et broussailleux, rigidité féroce des diagonales aux reflets bleutés comme du métal.

    Au premier étage de la galerie la main de Yoshimi Futamura a façonné deux amples pièces en grès noir, "Black Hole, 2017, un cratère de 59x56x24 cm et "Rebirth" qui s'élève en tournoyant. La porcelaine blanche qui les habille par touches en une peau brillante et craquelée, caresse en douceur les reliefs, les souligne, les anime. Comme beaucoup de céramistes étrangers Futamura a travaillé avec la Manufacture de Sèvres.

    20180911_172300-1-1.jpg20180911_171913-1-1.jpg20180911_172013-1.jpgLe travail de Béatrice Casadesus  n'est pas étranger à l'orient extrême où elle a beaucoup voyagé. Les oeuvres exposées ici attestent d'une finesse qui s'accorde parfaitement à cet univers par delà une filiation au pointillisme de Seurat. Le paravent tissé par la Manufacture des Gobelins (d'après une peinture de 1984) reprend dans les moindres détails le tableau initial dont  le très subtil éparpillement des touches. Il a fallu dix ans pour réaliser ce chef-d'oeuvre.  Les papiers provenant d'Asie, faits à la main, ont ses faveurs. Leur texture  favorisent une certaine irrégularité et absorbent l'encre qui traverse ainsi le papier.  Le fond de '"Empreinte I", 1990, 99x63 cm, à la fois présent et distant, aérien, est tramé selon un procédé d'application devenu la marque de fabrique de cette artiste. Il porte un demi disque noir - soleil nervalien ? - promis à l'évasion.Tout s'inscrit dans la légèreté. Et sur '"Empreinte II et III 1990, horizontales de 63x93 cm, papier japon et encre de Chine, deux cibles se superposent. Dans la profondeur de l'espace ainsi créé on croit voir une éclipse lunaire. Au Japon comme en Chine la pleine lune est le symbole de l'unité et du rassemblement, de la récolte et du travail. Elle se fête à la mi automne et cette année Tsukimi - contemplation de la lune- a lieu le 24 septembre.

    20180911_174109.jpgles reliefs d'Hitomi Uchikura que la lune obsède, semble t'il, ont une volumétrie  bouillonnante. Ces "Gouttes de lune" 2015, rayonnantes  de cuivre argenté et laqué, nous parlent de l'esprit manga.

    Faute de voyage en Asie, allons trouver la poésie, la beauté, l'utile et  l'inutile dans ce "Japonisme 2018".

    France-Japon, galerie Dutko, 11 rue Bonaparte, 75006 Paris, 01 56 24 04 20, jusqu'au 13 octobre.                                       

  • L'Afrique partout (par Sylvie)

    L'année 2017 aura vu l'Afrique aux cimaises comme jamais.                                                                                20170827_143622.jpgpoings d'eau- P M tAYOU-f1f4275ee84dd84ba130a6fd48140667-.jpgPour mémoire je citerai la 16éme édition du" Parcours des mondes" dans les galeries de la rive gauche en septembre 2017 et l'exposition "Le Nouvel Atelier" à la Fondation Vuitton qui s'est tenue d'avril à septembre et qui regroupait "les Initiés"  c'est à dire la collection contemporaine de Jean Pigozzi consacrée à l'Afrique subsaharienne - ci-contre la ville fantôme, 1999,  en matériaux de récupération du congolais Bodys Izek Kingelez  (photo 1) -  et "Etre là",  des artistes d'Afrique du sud . Deux titres dont on peut trouver encore les catalogues.                                                  

    Mais pas seulement aux cimaises puisque la ville de Paris vient d'installer dans le métro, à la station Château rouge,dans le 18éme arrondissement, une fresque de Barthélémy Toguo, artiste camerounais, faisant suite aux 5 "poings d'eau" d'un autre camerounais Pascale Marthine Tayou (phot 2), placés en 2013 bd Davout dans le 20éme.  Il n'y a pas matière a s'en étonner si l'on considère la puissance évocatrice des oeuvres de ce continent dont Picasso avait déjà perçu la beauté des masques et des objets ethniques mais qui n'ont été longtemps appréciées que par une poignée d'amateurs. Depuis lors les collectionneurs se sont multipliés, toutes générations confondues - le musée du quai Branly, à l'initiative du Président Chirac, en est le témoin - et, de leur côté, les artistes africains ont pris conscience de leurs capacités à s'exprimer selon leur identité, leurs traditions, leur histoire,  leurs combats et leurs nouveaux rapports avec l'occident..A noter: le premier musée d'art contemporain  du continent africain, Zeitz Mocaa, vient d'ouvrir ses portes au Cap, en Afrique du sud.

    IMG_4868.JPG 20171025_163757.jpg Barthélémy Toguo, né en 1967, qui a reçu cette année le prix Marcel Duchamp, est exposé à la galerie Lelong. On y retrouve le motif à l'aquarelle de végétation envahissante, à la fois poétique et inquiétante (photo 3) mais surtout d'étranges fruits, c'est d'ailleurs le titre de l'exposition. Il se réfère à la chanson rendue célèbre par Billie Holiday évoquant les pendus lynchés dans les états ségrégationnistes du sud des Etats Unis (photo 4) Images saisissantes que ces têtes  qui se balancent aux branches des arbres sous le regard de chiens de bronze aux dents acérées et de corbeaux prêts à les déchiqueter. Virulente dénonciation de la violence raciste.                                                                            

    Barthélémy Toguo "Strange fruit", galerie Lelong, 13 rue de Téhéran, 75008, Paris.  Jusqu'au 25 novembre.

    La Fondation Cartier offre  une rétrospective du photographe malien Malick Sidibémalick-sibide-nuit-de-noel-happy-club-1963-malick-sibide-mali-twist-a-la-fondation-cartier-pour-lart-contemporain-150x150.jpg qui a su saisir l'euphorie d'une société en pleine mutation après l'indépendance du pays, partagée entre tradition et émergence d'une mode, d'une musique, d'un style de vie du monde occidental moderne. Une effervescence et une joie de vivre qui éclatent dans des portraits en noir et blanc. 260 oeuvres qui font revivre le Bamako des années 60. (photo 5)                                  

    Malick Sidibé, "Mali twist", fondation Cartier,   bd Raspail, 750  , Paris. Jusqu'au 25 février 2018.

    20171016_145900.jpg20171016_144414.jpg20171016_150728.jpgEn Avignon, la fondation Blachère,  dont le siège est à Apt, déploie sa formidable collection au Palais des Papes, au Musée Calvet, au Musée Lapidaire et au Musée du Petit Palais, de quoi pénétrer les grandes questions de l'Afrique d'aujourd'hui à travers des mediums souvent simples dans un dialogue entre lieux de création européenne des siècles passés - le Palais des Papes, symbole majeur de l'histoire de la chrétienté - et des pièces d'artistes du continent africain. Voici quelques exemples parmi les 76 sculptures présentes :  "Confluences"( 2008) éblouissante tapisserie en métal du ghanéen El Anatsui qui cliquette de ses innombrables capsules de bouteilles - persuasif recyclage - et renvoie aux habitudes de consommation d'alcool, au commerce avec  l'Europe  et son corollaire celui des esclaves. Multicolore, veloutée comme un manteau royal (photo 6).  Les silhouettes longilignes en fer à béton  (2002) du sénégalais Ndary Lo semblent exhorter l'Afrique à se dresser et avancer (photo 7). Les grandes ailes de polystyrène et de néon,"Solipsis" (2016) du sud africain Wim Botha,  s'élèvent en tourbillonnant (photo 8), tels des oiseaux migrateurs . Est-ce encore une injonction? marcheurs_0- Abdoulaye Konaté.jpeg860_ousmanesow-lanceur.jpg"Les marcheurs" (2006) du malien Abdoulaye Konaté, vêtus de découpes de cotons traditionnels multicolores, cheminent en procession sur une très longue tapisserie (photo 9). Vers quoi vont ils ? On ne saurait oublier "le lanceur zoulou" (1990-91) géant en résine et matériaux divers du regretté sénégalais Ousmane Sow, mort en 2016 :un hommage au combat et à la résistance contre le colonialisme et l'Apartheid. D'autres pourraient être cités. Par delà leur beauté, la simplicité de leur matériaux naturels (le bois, l'argile, la toile de jute...) leur étrangeté, sont une réflexion sur l' environnement et les grandes luttes contemporaines comme la désertification. 

    "Les Eclaireurs", sculpteurs d'Afrique, Avignon, jusqu'au 14 janvier 2018. 

    Berlinische-Galerie-Dada-Africa-2.jpgTémoins d'un engouement pour l'Afrique les artistes iconoclastes du mouvement dada - né en 1916 - et qui s'est déployé à  Zurich, Paris, Berlin, New-York, se sont penchés sur les formes culturelles et artistiques  de  l'art extra-occidental, l'Afrique, l'Océanie, l'Amérique, l'Asie. Le musée de l'Orangerie présente les oeuvres de Max Ernst, Picabia, Arp et bien d'autres en une joyeuse confrontation/inspiration ...à proximité des Nymphéas de Monet (photo 10).

    Dada Africa, musée de l'Orangerie, place de la Concorde, 75OO. Jusqu'au 2 février 2018.

     

     

  • Minimalistes et enchanteurs (par Sylvie).

    A l'opposé de la peinture d'aujourd'hui plutôt portée vers le vacarme, le mouvement, les couleurs, reste une lignée d'artistes à la sobriété presque monacale qui maintiennent le cap d'une abstraction rigoureuse, minimaliste et répétitive, d'une rare qualité. 

    20170125_155913.jpg20170120_164524.jpg20170120_164506.jpg20170120_164752- Pierrette Bloch.jpgPierrette Bloch est de ceux là. La galerie Karsten Greve lui a ouvert une fois encore ses portes pour "Un certain nombre d'oeuvres", toutes sans titre, juste datées. C'est le titre de l'exposition et un témoignage de créativité et de poésie. Véritable rétrospective d'une artiste née en 1928 dont le travail fait de traits, lignes, points ou taches sur papier, s'exprime avec des matériaux élémentaires comme l'encre, la craie grasse, le pastel ou la plume, dans les nuances illimitées du noir. Que le noir s'inscrive dans le blanc (photo1) ou l'inverse, les signes, plus ou moins espacés et répétitifs, plus ou moins appuyés, se déploient en une progression aléatoire faite d'élans et de silences. L'espace y semble infini et le temps sans limite. Parfois les très légères et ludiques spirales jetées sur le papier deviennent un tissu de robustes mailles en ficelle de chanvre (photo2) ou des papiers découpés envahissent un épais isorel ambré(photo 4).. Comble d'élégance et de subtilité, des boucles en fil de crin noir et leur ombre forment une calligraphie, une sorte de mélodie délicate sur une portée en fil transparent (photo3).                                                                                                  

    Pierrette Bloch, galerie Karsten Greve, 5 rue Debelleyme, 75003 Paris, jusqu'au 25 mars.

     

    20170114_174514.jpgClaude Chaussard, Hélène Durdilly, Lars Fredrikson  et Jean Degottex sont chez Jacques Lévy, rassemblés sur le thème du " Le Vide libéré".                                                                     Le travail de Chaussard, architecte français devenu plasticien, né en 1954 et vivant entre Montréal et Paris, est tout en retenue, à la limite du visible. Ses huiles dépigmentées évoquent par leur transparence et leur légèreté le mystère du Saint Suaire. Il a fait sien le bleu, celui de la craie de traçage, un bleu qui, dit-il, "n'est pas une couleur mais une aventure intérieure". Le trait de craie sur papier (2004. photo5) est à la fois une réalité - une cordelette bleue tendue et de la poussière bleue sur le papier - et l' évocation de la tension du geste: pincer le cordeau pour qu'il claque et projette la craie, comme se concentre l'archer pour libérer la flèche.                                                                                        Chez Hélène Durdilly (Lyon 1947) l'austérité règne. L'encre noire trace une ligne en creux dans la peinture épaisse et accidentée, et tente de contredire son unité en s'installant dans les angles.                                                                                Lars Fredrikson (1926-1987) approche l'espace par le son. Il en explore la dimension plastique et ses dessins sont des fréquences sonores, légères et emportées.                                                             20170114_174259.jpgJean Degottex (1918-1988) et ses Débris, 1980, (photo6): les matériaux exhibent leur propre nature et leurs phénomènes naturels de symétrie, leurs couleurs, leurs textures. Le plâtre, la brique, le bois, peints à l'acrylique, moins connues que ses grandes toiles gestuelles, sont la matière même de l'oeuvre. L'artiste parlait de l'intelligence des matériaux faisant siens les supports, aussi humbles soient-ils, et n'intervenant qu'avec respect. Gloire aux possibilités du minimum.                                                                   

    Galerie Jacques Lévy, 62 rue Charlot, 75003 Paris. Jusqu'au 11 février.                                                                    

    20170126_104724.jpg20160927_120123.jpgElle est à des kilomètres de Paris mais mérite qu'on s'y rende. L'exposition de René Guiffrey (né en1938) prend le relais d'une rétrospective cet été au centre d'art Campredon à l'Isle sur la Sorgue . Il s'agit toujours de carrés, de blanc, de lumière et de transparence comme le cube de verre Lola 2008 (photo 7 du dessin), un dépouillement radical mené de la peinture au carrelage, à la céramique, au verre, au miroir dans une sorte de quête de pureté et de sérénité. Cette géométrie intemporelle n'implique aucun repentir de la part de l'artiste mais le regardeur que nous sommes, en se déplaçant latéralement, ne peut que se laisser prendre par les nuances et les vibrations qu'offrent l'agencement de la matière, son lieu et ses rapports à la lumière. Pour preuve, ce projet de vitrail en tranches de verre cisaillé comme autant de stigmates de la lapidation de Saint Etienne (photo 8), et qui devrait bientôt prendre place en l' église qui lui est consacrée au Beaucet dans le Vaucluse.                                                                                    

    René Guiffrey "Le blanc et sa notion", musée P.A.B. Rochebelle, Alès 30100. Jusqu'au 12 février.                                                                  

  • APOLLINAIRE ( pa Sylvie).

    20160619_164614.jpg20160619_174810.jpg20160620_181200.jpgL'exposition "Apollinaire, le regard du poète" qui se tient au musée de l'Orangerie depuis le 6 avril ne concerne pas, à proprement parler, notre créneau art contemporain mais l'artiste dont il s'agit a tant fait pour l' avènement de la modernité qu'il m'a paru important de la signaler. D'autant plus qu'elle est enthousiasmante. Parce qu'elle est riche d'oeuvres extrêmement diverses, parce qu'elle couvre la période précédent la Grande Guerre, années de bouleversements artistiques qui allaient ébranler tous les fondements de l'art, parce qu'enfin et surtout elle met en lumière le rôle de passeur de Guillaume Apollinaire, plus connu du grand public pour ses écrits poétiques (Alcools, Calligrammes) ,érotiques (Les onze mille verges) et ses dessins. Poète-critique, comme le furent Beaudelaire et Mallarmé en leur temps, il a permis de regarder autrement les oeuvres et d'initier l'art d'aujourd'hui. (photo 1= portrait-charge d'Apollinaire en académicien par Picasso, 1905 ; photo 2= un calligramme à Lou, 1915 ; photo 3= Apollinaire tête bandée, par Picasso, 1916 - il a reçu un éclat d'obus au Chemin des Dames).                                        

    D'origine polonaise, de son vrai nom Guglielmo Alberto Wladimiro Alessandro Apollinare de Kostrowitzky, sa sensibilité au visuel l'a très tôt conduit à fréquenter les musées d'Allemagne et d'Europe centrale et, après une enfance ballotée, il est arrivé à Paris en 1900. S'intéressant à tout, il est introduit dans les milieux littéraires et artistiques, travaille comme journaliste,  publie contes et poèmes dans des revues, se lie avec de nombreux artistes. Son rôle de critique d'art, de 1902 à 1918 - sujet même de l'exposition - en a fait le témoin des révolutions stylistiques de son temps, un découvreur visionnaire - mort prématurément de la grippe espagnole - et l'acteur central qui donna naissance à l'art moderne. "Vous êtes un homme époque autant qu'un homme de l'époque" dira de lui Alberto Savinio. La multiplicité de ses centres d'intérêt, de ses rôles, de ses amitiés- en particulier avec Picasso - les débats menés avec les artistes, les galeristes et les marchands, ses écrits de journaliste nous font comprendre la vitalité de l'homme et de l'époque, les premiers pas du cubisme, de l'orphisme, du surréalisme, de la reconnaissance des arts premiers et des arts populaires. Peinture, sculpture mais aussi théâtre, cinéma, cirque, marionnettes, affiches, sans oublier la réhabilitation du monde médiéval et toutes les marges de l'art. Rien ne lui échappe. Cela donne un peu le tournis mais c'est passionnant. Quelle époque et quel bonhomme !

    650-188-e85c7.jpg-Marie Laurencin-Apollinaire et ses amis.jpgSes amis: ils ont été immortalisés par Marie Laurencin qui fut un temps sa compagne (1909, photo 4). Touchant portrait où figurent entre autres, autour d'Apollinaire dans un fauteuil qui l'auréole, Gertrude Stein, Picasso, Marie Laurencin elle-même et sa chienne Fricka. Si le Douanier Rousseau n'en fait pas partie, il sera néanmoins célébré par Apollinaire : "je bois à mon Rousseau, je bois à sa santé..." écrira t'il sur son tombeau après en avoir tardivement reconnu l'originalité.                                                                                                                                   

    La ren800px-Juan_Gris_-_Man_in_a_Café.jpgcontre avec Picasso en 1905 fut déterminante. Leur correspondance reflète leur goût commun pour des oeuvres littéraires, fussent-elles populaires, pour l'érotisme, le cinéma ou le cirque et tout porte à croire que la liberté d'Apollinaire a contribué à développer l'audace de Picasso. Comme un clin d'oeil à leur complicité, leurs initiales apparaissent dans le tableau cubiste de Juan Gris L'homme dans un café, 1912. (photo 5). En 1913 Apollinaire publie "Méditations esthétiques, les peintres cubistes", un recueil de divers textes sur le sujet rédigés entre 1905 et 1913 où il place Picasso et Braque en tête des peintres nouveaux.

    Mais il ne soutient pas que le cubisme, il reconnait l'idée d'une peinture pure 20160619_164441.jpget d'une 20160619_173623.jpgexpressivité comme dépassement de l'impressionnisme, ce que prône les fauves, Matisse, Derain, Vlaminck, Marquet... Dès 1907 il publie un texte sur Matisse dans La Phalange et,à son propos il ajoute un peu plus tard: " Si l'on devait comparer l'oeuvre d'Henri Matisse à quelque chose, il faudrait choisir l'orange. Comme elle, l'oeuve de H.M. est un fruit de lumière éclatante" écrit-il en 1918 dans la préface du catalogue de l'exposition Matisse-Picasso.(Les citrons, 1914.photo 7). Il prend en compte aussi les cubo-futuristes, les rythmes colorés de Delaunay (Le bal Bullier, 1913, photo 6) tout un réseau d'idées partagées et de réalisations communes.

    20160620_180918.jpgDans une même tentative de briser les critères du bon goût, de renverser l'ordre établi et les rapports de hiérarchie Apollinaire affirme que l'Europe aurait quelque chose à apprendre des contrées lointaines. Il met en avant les "arts sauvages", fait campagne dans le Journal du soir en faveur d'une reconnaissance institutionnelle des arts premiers, soulignant la "sublime beauté des sculptures...des artistes anonymes de l'Afrique" (photo 8) et apprécie le travail d'Archipenko et de Picasso.

    Ses relations avec les galeristes et les marchands d'art ont été constantes, aussi bien en France qu'à l'étranger:  Stieglitz, Kahnweiler, Vollard,  Rosenberg... Apollinaire fut particulièrement proche de Paul Guillaume à partir de 1911, "un des premiers touchés par la révélation moderniste" selon André Breton. Longue histoire pleine de rebondissements et de coups de coeur.

    Faute de pouvoir donner une image exhaustive de l'exposition - on pourra se rapporter à l'excellent catalogue édité par les musées d'Orsay et de l'Orangerie chez Gallimard - je voudrais juste rappeler les autres sujets pour lesquels Apollinaire s'est investi avec autant d'ardeur et d'efficacité :

    - Le cinéma d'abord pour lequel il écrivit son premier texte en 1910 qui mena à l'ouverture de la Cinémathèque de Paris en 1926 .

    - la scène: à la grande époque des ballets russes il signa un essai sur le spectacle "Parade" en 1917, saluant la collaboration Massine/Picasso. Il y employa pour la première fois l'expression sur-réalisme. Sa propre pièce "Les mamelles de Tiresias" montée la même année provoqua des troubles et des réactions passionnées. Le cirque et  les marionnettes convenaient à son goût de la dérision hérité de Jarry.

    Dernier point qui n'est pas négligeable, l'abondance des oeuvres présentées: certaines viennent de grands musées étrangers comme le MoMA à New-York. "Le passage de la vierge à la mariée" de Duchamp (1912) participe de cette capacité  qu'avait d'Apollinaire à s'approprier son époque ,de regarder vers le passé, le Moyen Age par exemple mais aussi "l'esprit nouveau" de l'avenir.

    Apollinaire, le regard du poète, Musée de l'Orangerie, place de la Concorde 75008 Paris. Du mercredi au lundi, jusqu'au 18 juillet.

     

     

     

     

     

     

  • Biennale de Venise 2015 (par Régine)

    Après avoir arpenté "Illumination" la Biennale de 2011 (mon article du 22/10/2011), si riche en oeuvres spectaculaires d'artistes connus, "Il palazzo enciclopedico", la Biennalle de 2013 (mon article du 16/10/2013), centrée sur le monde intérieur des artistes avec son lot de très belles découvertes d'oeuvres méconnues ou oubliées, me voici en 2015 de nouveau et pour mon plus grand bonheur à Venise, curieuse de découvrir "All the word's futures"

    Sur ce titre ambigu le commissaire de la Biennale 2015, Okwul Enwesor, a souhaité apposer trois filtres : "Garden, disaster, liveness" ; "On epic duration" ; "Reading Capital" dont le sens, la cohérence et l'intérêt ne sont pas évidents et n'ont sans doute pas laissé aux artistes un champ bien balisé ; en effet, de l'énorme quantité d'oeuvres exposées qui évoquent plus les problèmes du monde actuel ou les conséquences des évènements passés que les possibles futurs du monde, il est difficile de dégager des lignes de force se rapportant au thème proprement dit. Seul un nombre restreints d'artistes, souvent déjà repérés ailleurs, émergent de la masse, les autres se dissolvent dans la mémoire.

    Ici comme les fois précédentes les installations et les vidéos sont largement majoritaires. Certaines n'ont pas besoin d'être détaillées, au premier coup d'oeil on est saisi, ébranlé ou sous le charme alors que d'autres se résument à des discours, des archives ou des reportages. Comme les fois précédentes la peinture fait figure de parent pauvre. Il y a aussi beaucoup de séries de photos ou de dessins qui déclinent à l'infini un même thème ; rarement drôles, parfois émouvantes, elles sont souvent un peu ennuyeuses.

    Aux Giardini comme à l'Arsenal, parmi l'abondance des oeuvres exposées, voici celles qui ont particulièrement retenu mon attention.

     

    Aux Giardini, avant de pénétrer dans le pavillon central où les oeuvres nous présentent un avenir peu réjouissant, une halte s'impose au Pavillon hollandais où l'installation "To be all ways to be" d'Herman de Vries est une merveille de sensibilité et de poésie. En glanant ici ou là dans une ile abandonnée proche de Venise, plantes, cailloux, coquillages fragments divers et en les organisant en un vaste herbierIMG_1035.JPG (photo 1), en rangeant sur le sol une multitude de faucilles de toute taille et de toute forme IMG_1040.JPG(photo 2), en imprégnant des feuilles de papier des innombrables teintes de terre de toutes les régions du monde, il nous montre que l'expérience de l'infini passe par la réalité physique du monde qui nous entoure ; il nous dit l'importance de regarder le monde et nous fait toucher du doigt son incroyable variété.

    Dès l'entrée dans le pavillon central la grande installation de Fabio Mauri "Il muro occidentale del Pianto" donne le ton IMG_1043.JPG(photo 3). Conçue en 1993 par un homme qui aurait aujourd'hui 90 ans elle est bouleversante. Sur 4 mêtres de haut un mur de vieilles valises de tailles et de couleurs différentes s'élève, chacune contient une histoire, une vie et exprime un voyage sans retour, celui des déportés d'Auschwitz ; traumatisme du XXème siècle dont les effets se font toujours sentir. Cette oeuvre résonne bien sûr avec l'actualité, celle des émigrés fuyant la guerre et sa destruction.

    Lui fait écho l'installation "Roof off" de Thomas Hirschorn dont la puissance est comparable à celle de la déflagration d'une bombe. Du toit éventré d'une pièce du pavillon central s'échappe tout un fratras d'éléments de construction généralement dissimulés : tuyaux, gaines d'évacuation, fils électriques, bouts de carton, scotch ; ils envahissent l'espace du spectateur et tombent sur des monceaux de pages imprimées en Grec qui jonchent le sol IMG_1048.JPGIMG_1049.JPG(photos 4 et 5). L'étroitesse du lieu confronte physiquement le spectateur à cette destruction : celle des bases de notre civilisation (la Grèce), de notre technique, de notre environnement envahi de déchets. Comme à la Biennale de 2011 où il était déjà présent, Hirschorn nous propose la vision d'un monde déglingué et en voie de destruction.

    Walker Evans et Chris Marker, ces deux figures tutélaires de la photo, nous confirment que le talent n'a pas d'âge et leurs oeuvres résonnent encore fortement avec l'époque actuelle ; l'un ici avec sa série documentaire de 1936 sur 3 familles de cultivateurs d'Alabama pris dans un cycle de dettes et de menaces d'éviction dues aux lois du marché et à la crise économique ; l'autre à l'Arsenal avec son beau et très humain reportate sur les passagers du métro. Dans un registre inverse leur fait écho le travail d'Andréas Gursky. Pas de série mais quelques grandes photos de foules besogneuses IMG_1062.JPGdans lesquelles l'individu se trouve dissous. Ainsi ces ouvriers chinois fabriquant des paniers d'osier à la chaine dans un immense atelier partagé en rangées identiques et parallèles ou cette salle de change à Chicago où une foule de traders spéculent en même temps (photo 6). En un cliché l'artiste a su saisir le vertige de la répétition uniformisée et la deshumanisation de notre société.

    Enfin un moment de rêverie et de douceur nous est donné grâce aux trois toiles d'Hellen Gallagher qui nous entraînent dans un univers aquatique. Sur un fond tapissé de feuilles de papier millimétré de couleur vert d'eau évoquant l'immensité de l'océan elle a réalisé de magnifiques collages IMG_1055.JPGextrêmement complexes et raffinés évoquant d'étranges êtres mi animaux, mi végétaux, habitants d'une mythique Atlantide noire qui existerait au fond de l'Océan indien (photo 7) ; ils flottent et ondoient en s'éparpillant dans l'espace. De cet univers onirique nait une sensation de fluidité, de liberté, de beauté et de grande complexité du vivant.

    Quoi qu'il en soit la mort nous guette tous au bout du chemin nous rappelle l'impressionnante et poignante série de crânes peints par Marlène Dumas. Du même format les 50 tableaux, qui sont tous de magnifiques morceaux de peinture, font le tour d'une salle.IMG_1065.JPG(photo 8) Aussi différents que des visages ces crânes vous encerclent et vous regardent avec leurs yeux vides. Impossible d'échapper à leur cri muet et désespéré.

    Oui "Everything will be taken away" IMG_1067.JPGnous répète à l'envie Adrian Peper, lion d'or du festival. Cette phrase est écrite à la craie des centaines de fois sur de grands tableaux noirs et sur des photos dont les visages des personnes ont été effacés (photo 9).

    Mais laissons nous emporter par la magie et la beauté de l'installation "The key in the hand" de Chiharu Shiota. IMG_1080.JPGEn suspendant des milliers de vieilles clefs à des fils rouge vermillon, elle a transformé le pavillon japonais en une immense grotte arachnéenne où gisent deux barques remplies de clefs usées, sorte de matérialisation d'une image mentale (photo 10). Que sommes nous sans la mémoire, celle qui nous relie à nos ancêtres, à notre présent et à notre futur ? semble-t-elle nous dire.

    La belle et mystérieuse vidéo du pavillon coréen du duo Moon Kyungwon et Jeon Joonho nous fascine et nous glace en nous entraînant dans une bulle de survie quelque part dans un futur lointain où l'héroïne, vêtue d'une combinaison immaculée, mène une vie solitaire et parfaitement réglée.

    IMG_1088.JPGEnfin amusons nous en regardant se déplacer les pins de Celeste Boursier Mougenot au pavillon français, allusion ironique aux traumatismes que l'homme inflige à la nature (photo 11) .

     

    L'horizon ne s'éclaircit guère à l'arsenal où les sujets abordés sont essentiellement les conflits armés et les crises économiques ou politiques, écho à de nombreuses situations actuelles dans le monde, particulièrement au Moyen Orient et en Afrique et qui augurent d'un avenir bien sombre.

    Deux oeuvres magistrales ouvrent et ferment le long parcours de la corderie. On commence dans l'obscurité d'une grande salle seulement éclairée par les néon colorés de Bruce Naumann IMG_1115.JPGqui font clignoter alternativement les mots de "life, pain, death, love, hate, plasure" (photo 12) ; ils éclairent les bouquets de machettes d'Adel Abdessemed qui s'épanouissent sur le sol avec magnificenceIMG_1117.JPG (photo 12), ironiquement nommés "Nymphéas". C'est superbe et terrifiant. On termine par les magnifiques et bouleversantes toiles de Georges Bazelitz : 8 nus masculins, tête en bas, de près de 5m de haut, et dont les corps se désagrègent, crient toute la misère et le désespoir du monde IMG_1141.JPG(photo 13). Entre les deux une multitude d'oeuvres où la violence de notre monde s'affiche sous différentes forme.

    Les armes omniprésentes offrent aux artistes un inépuisable sujet. En voici quelques exemples avec le canon que Pino Pascali n'a pas hésité à pointer dans l'allée centrale entouré d'une longue suite de dessins énumérant les multiples formes que peuvent prendre les machines à détruire, les monceaux de tronçonneuses goudronnées que Monica Bonvicini a suspendues à des chaines ou les magnifiques trônes de chef de Gonzalo MabundaIMG_1160.JPG, réalisés uniquement avec de cartouches, obus, révolvers ou mitraillettes (The knowledge throne) (photo 14) .

    Heureusement l'humour affleure parfois. Il apparait discrètement à plusieurs reprises, par exemple dans l'herbier confectionné par Tary Simon qui, après avoir reconstitué les bouquets accompagnant les cérémonies de signature d'une multitude d'accords politiques, en a séché quelques fleurs qu'il a collées en vis à vis de la photo du bouquet et du texte de l'accord IMG_1128.JPG(photo 15); ou dans la série de dessins d'Olga Chernysheva IMG_1138.JPGqui croque avec humour et subtilité la vie quotidienne des russes à l'époque actuelle (photo 16) ; ou encore dans l'installation de Boris Achour "Game whose rules I ignore" (le jeux dont j'ignore les règles), écho à bien des situations actuelles. On sourit et on est touché devant la série des délicats dessins faits au crayon de couleur de l'Algérienne Massinissa Selmani "A-t-on besoin des ombres pour se souvenir" qui représentent des situations quotidiennes absurdes et très humaines .

    La géopolitique se dessine sur des cartes telles que celles de la vietnamienne Tiffany Chung IMG_1156.JPG(photo16). En 36 subtils dessins sur calque, à l'aide de statistiques joliment colorées, elle a redéfini l'histoire du conflit syrien. La géopolitique se filme avec l'installation de Chantal Akerman "A tragic space". Sur plusieurs écrans, installés en quinconce défilent des paysages immenses et désertiques tandis qu'une bande son diffuse le bruit assourdissant de bombardements, allusion sans doute aux guerres actuelles qui se déroulent dans les déserts syrien et irakien.

    Comme dans cette dernière les vidéos, la plupart du temps, offrent des projections simultanées ; soit elles mettent en parallèle de façon parfois arbitraire des situations différentes et dont le sens n'est pas toujours évident, tel "The bell" du kurdistant Hiwa K où l'on assiste à la fois à la confection d'une tombe et à celle d'une cloche ; soit elles projettent sur plusieurs murs d'une pièce un reportage tel le très sympathique "Fara fara" de Carsten Holler qui offre un portrait dansant et ensorcelant de la capitale congolaise avec ses rythmes déchainés. Mais ne relève-t-elle pas plutôt du journalisme que de l'oeuvre d'art ?

    Beaucoup d'autres travaux mériteraient sans doute notre attention, mais la lassitude finit par gagner devant tant d'oeuvres déprimantes. Pourtant avant de partir n'omettez pas d'arpenter le pavillon italien. Il est beau, bien fait et présente plusieurs artistes passionnants. Une balade dans Venise offre aussi quelques plaisirs, entre autres l'exposition de peintures de Sean Scully (photo 18) au Palais FalierIMG_1227.JPG sur le Grand Canal et l'installation de Jaume Plensa IMG_1242.JPGà San Giogio  (photo 19)

     

     

     

     

  • Jean Paul MARCHESCHI à Bastia (par Sylvie)

    Dans son dernier billet Régine vous a parlé du travail tout en finesse de Patrick NEU qu'elle a vu au Palais de Tokyo à Paris. Parmi les expositions de l'été figure celle d'un autre artiste, Jean Paul MARCHESCHI, inspiré lui aussi par le noir de fumée. Son registre est différent et se mêle à d'autres techniques plus classiques, mais il poursuit la même fascination pour ce médium à transparence brumeuse né de sa découverte du volcan Stromboli en 1984. Si Neu retire du noir au profit d'une image claire, Marcheschi crée une image avec ce noir.

    Jean Paul Marcheschi est corse, de Bastia où il est né en 1951 et sa ville lui rend hommage au Palais des Gouverneurs, un lieu chargé d'histoire qui offre une déambulation mystérieuse à travers salles hautes, cachots et fortifications. Peintures et sculptures, réalisées spécialement pour cet endroit, se déploient en un parcours poétique et sombre, tout empreint du monde de la Divine comédie de Dante.

    Pour aller ainsi des ténèbres vers la lumière, le visiteur est accueilli par une oeuvre photographique en noir et blanc de grand format, un mur de visages qui en appelle à la fois à la diversité des êtres humains ,  à leur uniformité dans la masse, et, comme dans les assemblages de Christian Boltanski, à la mémoire et à l'oubli. C'est une bonne introduction à l'univers hors du temps des oeuvres suivantes de l' artiste qui a, depuis le début des années 80, troqué le pinceau pour le flambeau et la couleur pour la suie, la cire et le noir de fumée. Voici quelques exemples où matière et lumière nous confrontent aux âmes errantes, aux gouffres et aux astres nés de son imaginaires.

    L'homme clair, suie sur plexiglass, installe une figure debout impalpable, aux contours flous, née de la superposition des plaques transparentes irrégulièrement peintes à la suie. Un homme fantôme en quelque sorte. 20150716_104253.jpg(photo 1)

    Le lac du sommeil et de l'oubli. Encre, pastels, cire, suie, sur papier marouflé sur toile. Marcheschi ne se suffit pas du noir de fumée. Il y introduit divers médiums qui en changent l'effet comme si une cuisine différente était nécessaire à chaque sujet.  Serait-ce la solitude humaine, fixée dans le déterminisme graphique que forment les multiples feuillets de cette composition onirique de lac où vont se perdre les âmes ? 20150716_104048.jpg(photo 2)

    Sanglier II (Hommage à Fautrier). Encres, mèches, huile, gouache, fusain, cire, suie, sur papier marouflé sur toile. Rare exception, une introduction de la couleur propre à symboliser, peut-être, la chair, animale ou humaine, leurs souffrances jusqu'au martyr, et les tempêtes intérieures.(photo 3).20150716_103710.jpg D'une grande culture, l'artiste est autant bon connaisseur de la peinture que bon écrivain. Il a en particulier publié des ouvrages sur Piero della Francesca et sur Goya.

    Sur un conte de la lune vague (hommage à Mizoguchi). Nombreuses sont donc les références culturelles de Marcheschi, littérature, peinture ou, comme ici, le cinéma. Cette Installation avec sculpture, vélum rétroacté, encre, cire, suie sur papier, drap noir est une évocation nocturne astrale, comme un espoir vers la lumière.20150716_102944.jpg (photo 4)

    Oracle du bélier. Encre, pastels, cire, suie sur papier marouflé sur toile. Autre assemblage de feuilles calligraphiées - le journal de l'artiste -où écritures et dessins transparaissent sous les traits de pinceau de feu. 20150716_103828.jpg(photo 5)

    Ceux qui n'auront pu se rendre à Bastia devront, à l'automne 2016, courir au musée Rodin à Paris : une exposition d'envergure de cet artiste y est programmée.

     

    "Abîmes, Abysses" de Jean Paul Marcheschi, Palais des Gouverneurs à Bastia, Haute Corse, jusqu'au 4 octobre 2015.

  • La Biennale de Venise (par Régine)

    10 GEDC0321.JPG

    Deux ans plus tard et pour mon plus grand bonheur me voici de nouveau à Venise, curieuse de découvrir cette nouvelle Biennale 2013 pour laquelle les avis divergent. Elle est en effet très différente de la brillante et spectaculaire Biennale 2011 qui, par des oeuvres phares d'artistes connus (Thomas Hirschorn, Christian Boltansky, Urs Fischer, Maurizio Catellan, etc...) montrait que l'art d'aujourd'hui loin d'être introspectif, était essentiellement tourné vers le problèmes de notre société (cf. mon article du 22/01/2011).

    Le très personnel projet du commissaire 2013, Massimiliano Gioni, est tout autre. Empruntant son titre "Il Palazzo enciclopedico" au projet fou d'un artiste du début du XXème siècle, Marino Ariti, qui voulait construire à Washington une immense tour contenant toutes les réalisations humaines et dont la maquette trône à l'entrée de l'Arsenal, il ne met pas en évidence un état actuel de la création artistique mais se penche sur le monde intérieur des artistes.

    Mélangeant des travaux du passé récent avec des oeuvres contemporaines, brouillant les lignes entre les artistes professionnels, les amateurs, les philosophes, les illuminés, il nous montre que pour faire de l'art il faut être habité par une force qui vous dépasse, que l'art est un moyen d'accès à la connaissance de soi et que les images extérieures retravaillées par l'imaginaire permettent à l'invisible qui vous habite d'accéder au visible. Beaucoup de dessins donc, peu de peinture aux Giardini et une invasion de vidéos et d'installation à l'Arsenal.

    Ainsi tentant de réconcilier le Moi et l'univers, le personnel et l'universel, certains artistes dans leur quête d'une dimension spirituelle de l'univers, élaborent et mettent en image ou en scène une cosmogonie personnelle, d'autres en faisant des dessins extrêmement minutieux, en collectionnant des merveilles de la nature ou par tout autre moyen tentent de percer le secret du visible, d'autres en faisant des travaux répétitifs et inépuisables veulent capter l'infini et le temps, enfin d'autres encore laissent libre cours à leurs obsessions....

    Dans le pavillon central des Giardini, d'entrée de jeu, le propos est introduit avec la présentation du "Red Book" de jungGEDC0004.JPG, (photo 1) manuscrit enluminé sur lequel le fameux psychologue travailla pendant 60 ans calligraphiant ses théories en lettres gothiques et peignant minutieusement différentes scènes fruit de sa relation avec son inconscient, tout un univers étrange et halluciné qui fait penser à celui des alchimistes ou à celui de William Blake. Les beaux diagrammes sur tableau noir qui servaient au philosophe Rudolf SteinerGEDC0005.JPG (photo 2) à expliquer fiévreusement à son auditoire sa vision de l'univers tapissent entièrement les murs d'une salle. Né en 1876 et mort en 1954, Augustin LesageGEDC0001.JPG (photo 3) fait partie de ces artistes d'art brut (très présents ici) qui conversent avec les esprits et travaillent sous leurs ordres. Son univers, tout imprégné de catholicisme, est kaléidoscopique. La symétrie de ses dessins, leur inventivité et leur extrême minutie fascinent. Avec ses dessins à l'encre, au crayon, au style à bille de couleur, tracés sur de longs rouleaux de Papier, Guo Fenguy (photo 4), guérie d'une arthrite aigue grâce au Qigong, exprime les énergies qui traversent le corps des humains et le relie au cosmos. On peut citer les innombrables graphiques abstraits figurant les concepts de mort, de paradis, de culture qui couvrent l'environnement labyrinthique de Matt Mullican (photo 5) à l'Arsenal, mais c'est dans la simplicité et la beauté de la série des Siva linga

    52 Guo Fengyi.JPG136 Matt Mullican.JPG33 peinture tantriques.JPG(photo 6), peint par des artistes indiens anonymes, que s'exprime de façon la plus forte la transcendance. Une simple forme ovoïde flotte dans un milieu coloré qu'elle irradie. Ce linga n'est pas simple phallus mais la représentation la plus dépouillée et la plus convaincante de l'énergie vitale.

    Modelant dans une terre grise près de 200 petites sculptures représentant une multitude d'événements, d'objets, d'idées, Fischli and Weiss202 Peter Fischli et Davgid Weiss (1).JPG 200 Peter Fischli et Davod Weiss.JPG(photos 7 et 8) 
    avec leur installation "Suddenly huis overvieux (1981-2012), offrent un merveilleux antidote à ces excès romantiques. Ici ce sont les parents d'Einstein se reposant après avoir conçu leur fils, là un rocher dans un jardin zen, là-bas un boulanger enfournant son pain ou une petite souris sortant de son trou. Cette anthologie de situations cocasses, graves, quotidiennes célèbrent avec jubilation le monde dans son incroyable variété.

    La collection, la notation, la photographie d'un minuscule fragment du grand tout de l'univers sont autant de façons d'accéder au secret bien gardé du visible. Ainsi les magnifiques pierres collectionnées par Roger Caillois54 R. Caillois.JPG (photo 9) dont la variété de couleurs enchante offrent une infinité d'étonnants paysages, d'écritures mystérieuses, de formes extravagantes, illustration disait-il de l'existence d'une syntaxe universelle puisée dans la réalité de la matière. Entre 1969 et 1976 Brehmer réalisa sa série des Himmerlfarben en notant au pinceau chaque jour à heure fixe, sur des feilles quadrillées la couleur et la texture du ciel. Avec son appareil de photos, Eliot Porter104 Eliot Porter.JPG, (photo 10) mort en 1990, traqua toute sa vie le vol des oiseaux pour tenter d'en percer le secret, nous révélant la grâce de ces mouvements impossibles à voir à l'oeil nu. Citons aussi les merveilles dessins de coquillage de Stefan Bertalan (photo 11)203 Stefan Bertalam (2).JPG.

    D'autres artistes donnent corps au bestiaire imaginaire issu du fond des âges de l'humanité en s'inspirant d'écrits ou de légendes. Christiana Soulou dessine minutieusement celui décrit par Borges dans son livre "Les êtres imaginaires", Domenico Gnoli57 Domenico Gnoli.JPG (photo 12) puise son inspiration chez les surréalistes ou Jérôme Bosch pour composer des animaux extravagants et troublants de réalisme tel cet énorme escargot qui se prélasse dans un sofa. Citons encore les dragons, démons ou autres créatures fantastiques, hérissés de centaines de petites pointes, modelés dans la glaise par Shinichi Sawada128 Schinich Swada.JPG (photo 13).

    Très présente à l'Arsenal, la vidéo est le médium idéal pour mettre en évidence les transformations incessantes du visible et montrer la façon dont le monde qui nous entoure est constamment modifié. Les 207 vidéos en batterie de Kan Xuan117 Kan Xuan (Chine).JPG (photo 14) en sont une parfaite illustration. Tournant simultanément en boucle à une vitesse difficile à soutenir, elles montrent que le passé de la Chine a rapidement été distancié par la frénésie de la course au développement. La belle vidéo "Grosse fatigue" de Camille Henrot qui a reçu le Lion d'argent de la Biennale, quant à elle, met en scène avec humour et à un rythme effréné les efforts désespérés des services d'archives des musées pour conserver l'ensemble des connaissances humaines.

    Mon propos n'est pas d'embraser la totalité des oeuvres exposées, mais je voudrais encore citer les hiératiques figures de Marina Merz50 Marina Merz.JPG, (photo 15)les cartes mentales de Geta Bratescu (photo 16) 37 Greta Bratescu.JPGet surtout les amples, sauvages et magnifiques marines de Thierry de Cordier47 Thierry de Cordier.JPG (photo 17) ; les sombres océans démontés qu'il peint, à la fois attirant et terrifiant, atteignent au sublime.

    Oui Massimiliano Gioni réussit sa démonstration : les artistes sont habités par une obsession qu'ils déclinent à l'infini sous de multiples formes.

    Avant de quitter la Biennale, bien que l'on soit près de l'épuisement, un petit tour dans les pavillons nationaux, où ne s'exerce plus le choix de ce commissaire, s'impose. Citons par exemple, le pavillon russe avec une mise en scène grandiose et humoristique du mythe de Danaë64 idem.JPG,(photo 18) le pavillon américain avec la proliférante, fascinante et fragile installation de Sarah Sze82 Sarah Sze.JPG, (photo 19) le pavillon belge où l'arbre abattu de Berlinde de Bruyckere exhibe des blessures quasi humaines1 berlinde de Bruyckere deadwood.JPG (photo 20)....