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Peinture

  • Pierre BURAGLIO (par Régine)

    On reconnait entre mille une œuvre de Pierre Buraglio. L'exposition consacrée à cet artiste à la Galerie Ceysson et Bénétière, qui présente jusqu'au 16 mars quelques-uns de ses travaux récentes, en est l'illustration. Si la peinture y est très présente on retrouve avec bonheur la façon si personnelle avec laquelle l'artiste construit lui-même son propre espace pictural en juxtaposant des petites peintures sur tôle ou morceaux de portes creuses, en utilisant des objets ayant déjà servis (cadres de sérigraphies, montant de fenêtres, matériaux divers), en ménageant des espaces vacants, en citant le travail d'autres artistes. L'espace de son travail est donc le résultat d'un va et vient entre la réalité et sa création artistique et un pont se crée ainsi entre lui et celui du spectateur.

    Le titre de l'exposition Mon Ithaque laisse entendre la dimension biographique des œuvres exposées. Buraglio peint son histoire et l'Histoire. Son histoire bien sûr, celle de la banlieue, de Maisons-Alfort notamment, où il a vécu avec ses parents et où il vit encore, l'Histoire, notamment celle de la guerre qu'il connut enfant, et bien sûr l'histoire de l'art. Nul épanchement bien sûr mais allusion à lui-même à peinte visible.

    Prenons deux exemples. Plusieurs petites peintures ont pour titre le nom de rues ou d'avenues de Maisons Alfort ou de personnages qui y ont vécu. IMG_2777_edited.jpgCelle appelée Rue Yannis Ritsos (2021) fait allusion  à un poète grec, résistant pendant la guerre, mort en 1990. De très petite dimension (12 x 22 cm), elle est composée de deux parties clouées de façon apparente sur un morceau de bois cerclé de métal. Sur la partie du bas qui occupe les deux tiers de l'œuvre est peint un mur de briques rouges jointées de noir. Sur la partie du haut, est peinte la cime d'arbres sombres et touffus, laissant entrevoir un morceau de ciel bleu. Le mur enferme, mais au de là l'évasion et la liberté sont possibles.

    Celle appelée IMG_2772_edited.jpgMur mitoyen. A Mireille Miailhe (2022), artiste peintre, également résistante pendant la guerre, offre le même principe avec quelques variantes, mais l'atmosphère qui s'en dégage est différente. Peintes directement sur un morceau de porte creuse partiellement tronquée à droite, les briques du mur sont moins foncées et de couleur plus variées, jointés de gris elles recouvrent entièrement l'œuvre sauf une bande grise à sa base. Une échappée de verdure, d'un vert frais occupe le bout du décrochement à droite et une partie de la base.

    Plusieurs autres œuvres sont dédiées à l'artificier Roger François, également résistant pendant la guerre. Des plaques commémoratives le concernant son appliquées près d'un square à Maisons Alfort. C'est ainsi que Buraglio installe des tensions entre sa peinture, le monde extérieur et l'Histoire. Celles-ci déploient un espace poétique très particulier dans lequel est pris le spectateur.

    IMG_2771_edited.jpgLes limites et les dimensions des œuvres de Buraglio ne sont jamais données d'avance. Elles varient en fonction de son projet et des matériaux utilisés. Un bon exemple de sa façon de procéder est donné par Napalm (avec Braque) (2023) où neuf peintures sur tissus, de taille différentes, sont assemblées par agrafage. S'y côtoient la guerre et la paix. La guerre c'est la bâche de camouflage maculée qui recouvre la majorité des peintures qui composent l'ensemble. La paix c'est le dessin d'après Les oiseaux de Braque exécuté sur un tissus beige légèrement maculé. Cette même idée se retrouve dans le titre : Napalm allusion à la guerre du Vietnam ; (avec Braque), allusion à la colombe, symbole de paix.

    images.jpgAvec Fenêtre-Croix (2019), l'artiste revient à un de ses objets de prédilection : la fenêtre. Objet du quotidien c'est aussi, depuis Alberti, la métaphore de la peinture. Pour cette œuvre de 2019, d'une grande simplicité formelle, l'artiste a gardé tel quel le croisillon d'une fenêtre, en a légèrement taillé les quatre extrémités et garni la croisée d'un nuage de verre transparent et bleuté. Cette œuvre toute simple, très émouvante, fait naître chez le spectateur une multitude d'évocations et un grand sentiment d'espace et de spiritualité.

    IMG_2759_edited.jpgPlusieurs allusions à ses travaux des années 1980 sont ici présentés, telles ce fenêtre tronquées de 2022 et 2023. Objets matériels qui ouvrent sur un ailleurs et fait fonctionner l'imaginaire.

    Le format réduit de la plupart des œuvres présentées, les références nombreuses aux résistants oubliés de la guerre de 1940, au lieu où il habite, aux peintres qui l'ont intéressé, autant de caractéristiques qui relèvent de l'intime, particularisent cette exposition de Pierre Buraglio. Ce n'est pas un discours, ce sont des réflexions personnelles comme si l'artiste se parlait à lui-même et entamait une conversation avec le spectateur.

    Pierre Buraglio "Mon Ithaque", Galerie Ceysson et Bénétière, 23, rue Beaubourg, 75004-Paris. Jusqu'au 16 Mars.

     

     

     

  • Monique Frydman (par Régine)

    Le plaisir que procure les oeuvres de Monique Frydman est souvent intense. Le raffinement des couleurs, leur luminosité, leur fragilité, leur poudroiement dû à l'utilisation du pastel, enchantent. Jamais cernées par un trait elles se répartissent généralement l'espace du tableau en taches ou en damiers évanescents. Fréquemment un éclat de couleur clair ou sombre contamine l'ensemble le faisant vibrer pour notre plus grand bonheur. L'aspect poudreux et délicat du pastel et le grain de la toile de coton ou de lin laissée brute procurent un plaisir presque tactile. Cette peinture touche à la fois le corps et l'esprit ; elle nous fait sentir l'aspect fugitif des choses mais aussi l'éblouissement de leur surgissement. L'exposition qui se tient actuellement à la Galerie Dutko, intitulée L'autre rive en est une fois encore la démonstration. "L'autre rive" ce titre évoque à la fois le proche comme l'inaccessible, le familier comme l'incommunicable et aussi l'autre royaume, celui des morts.

    Monique Frydman travaille au sol sur une toile de lin ou de coton, non préparée, non tendue, humidifiée par une colle légère car elle veut que la couleur imbibe la toile. Elle peint directement avec des blocs de pastel car pour elle, le rapport direct de la main avec le matériau est indispensable pour donner à la couleur toute son amplitude. "Quand on travail à l'horizontale, au sol, l'opticalité fait place à la tactilité, l'horizon on l'a sous les doigts", dit-elle. On retrouve ici avec bonheur la façon unique dont cette artiste fait jaillir la lumière par son maniement de la couleur. IMG_2240_edited.jpgAinsi dans L'autre rive 4 la tache d'un rose mauve éblouissant située en bas du tableau accroche immédiatement le regard. Elle fait vibrer la gamme des verts qui tournoient dans l'espace de la toile tandis que le rectangle noir posé au dessus d'elle renforce son impact. L'existant dans sa splendeur et sa fugacité me semble célébré ici avec force.

    IMG_2247_edited.jpgEn voici un autre exemple avec l'autre rive 10 où s'étagent une série de rectangles aux contours flous qui, de bas en haut, déploient toute une gamme de verts inouïs, puis un bleu cobalt lumineux, et en apothéose un rose délicat. Tout est mouvant, en tension et en équilibre fragile. Difficile de s'arracher à la fascination exercée par ces œuvres qui touchent à la fois tous les sens et l'âme.

    Mais l'exposition réserve d'autres surprises, notamment deux tableaux dont les tonalités multiples et très subtiles esquissent peut-être un renouveau. 20230914_182832_edited.jpgIl en est ainsi de L'autre rive 5 - Ophélie dont les couleurs qui se diffusent dans la toile flottent légère sur le fond laissé brut. On peut même deviner un visage fantomatique. Il y a quelque chose de musical au sens de Debussy ou de Webern dans leur répartition, leur harmonie, leur immatérialité. Ce tableau n'illustre pas le poème de Rimbaud, mais fait écho à sa mélancolie et à sa beauté. Il confirme la tonalité quelque nostalgique de cette série.

    20230914_181057_edited.jpgLe second, L'autre rive 3, est particulièrement émouvant. Deux tableaux de format carré sont assemblés pour former un diptyque de 249 cm de large sur 129 cm de hauteur. Sur un fond légèrement brun des taches de tonalités multiples et très subtiles, dont la légèreté et l'élégance rappellent certaines œuvres de Paul Klee, s'organisent en damiers évanescents qui semblent vouloir s'échapper de la toile ou circuler de l'une à l'autre. Il se dégage de cette œuvre un fort sentiment du temps qui passe et une douce mélancolie qui vous entraîne vers un ailleurs du tableau.

    Monique Frydman a toujours aimé travailler le papier. 20230914_181339_edited.jpgL'exposition en présente un certain nombre et c'est une autre belle surprise. Exposés avec soin, presque comme les pages d'une partition, trois groupes de quatre dessins occupent un mur de la galerie. 20230914_181321_edited.jpgLe papier de soie, un japon très fin, est aérien, les couleurs qui nimbent le papier semblent avoir été étalées avec vivacité. Le trait qui a disparu de la toile revient ici comme un griffonnage dans la couleur. Chaque groupe m'apparaît comme le développement d'une idée. Traversés par les affects de l'artiste, ils sont nous seulement très beaux mais extrêmement touchants.

    IMG_2248_edited.jpgL'exposition présente aussi un tableau très sombre, L'autre rive 6, dont la couleur occupe la totalité de la toile. Il est très différent des autres œuvres exposés qui presque toutes laissent apparaître le grain de la toile de coton ou de lin et sont exempts de la moindre ligne de dessin. Ici le fond vert sombre laisse voir ici ou là quelques lueurs tandis que des traits noirs en sillonnent le centre. Ce tableau, d'une grande beauté, qui n'est pas sans rappeler les nymphéas de Monet, dialogue avec l'ensemble de l'œuvre.

    En effet le travail de Monique Frydman ne se structure pas de façon linéaire, mais plutôt en séries qui dialoguent entre elles. Cette exposition en est un très belle démonstration.

    Monique Frydman, "L'autre rive", Galerie Dutko, 17, Quai Voltaire.=, 75007-Paris Jusqu'au 21 octobre.

     

  • Gribouillages ( par Sylvie)

    Le gribouillage s'affiche au  Palais des Beaux-arts à ¨Paris et nous plonge au coeur de cette très ancienne  pratique déjà utilisée par les artistes de la Renaissance et dont on croyait tout savoir. Alors qu'en est il ? L'exposition révèle comment ces gestes graphiques plus ou moins barbouillés mais toujours, à l'origine, complémentaires à l'oeuvre elle-même, a évolué dans le temps. Du croquis de détail au revers d'un tableau ou dans  un coin du support, ils sont devenus plus transgressifs, régressifs ou libératoires selon les artistes, leur temps et leur conception de l'art. 

     Introduction légitime,  voilà  deux exemples italiens  des XVIéme- XVIIéme siècles : un dessin préparatoire à la sanguine de Domenico Cresti (1) pour une grande fresque religieuse. Au dessus du personnage agenouillé du premier plan , est représenté un 20230331_154813 (2).jpg20230331_160918.jpgfragment plus détaillé d'un  dos comme si l'artiste avait besoin de comprendre la construction  profonde du corps pour en montrer la surface.  Sur une feuille d'étude d'Annibal Carrache (2) ( 1560-1609 ) figure l'ébauche, d'un trait enlevé et joyeux, d'un ange en vol tenant un calice, et d'un masque antique minutieusement dessiné. Deux captations différentes du réel : le mouvement bouillonnant pour l'un, la perfection du travail pour l'autre.  

    L'exposition a un autre mérite, celui de montrer ce qu'ont fait les artistes20230331_155756.jpg Dubuffet.jpg contemporains de cette nécessité ; deux 20230331_160045.jpg Alechinsky.jpg d'entre eux  sont particulièrement piquants: ils ont "croqué" in situ, comme les architectes font des "crobards" , des profils rencontrés:  arabes moustachus du désert  à Timimoun (1049)  par Dubuffet, théoricien de l'Art Brut - celui des enfants et des malades mentaux- (3), gardien du Louvre endormi sur sa chaise (1984) par Alechinsky (4) dont la rapidité de trait touche à l'instantané photographique.

    20230331_162031.jpg Mandelbaum.jpg20230331_160803.jpgLe dessin mescalien, à l'encre de Chine sur papier, (1959) d' Henri Michaux (6), véritable grouillement de lignes denses et hypnotisantes reflète bien sa "pensée non dirigée". Oeuvre hallucinogène à partir de son expérience des toxiques, elle inscrit sur le papier le trouble linéaire de son subconscient.                                  Le Rimbaud de Stephane Mandelbaum (5 )1980 a la violence du malaise intérieur de l'artiste. Le portrait du poète a beau être tout à fait académique, il est encerclé par une prolifération de gribouillages violents et obscènes dont la masse semble vouloir envahir l'espace. Le médium stylo à bille, un peu visqueux, contribue à la sensation de prolifération.

    20230331_163515~2.jpgBrassaï a photographié Matisse à côté de son portrait exécuté de mémoire ,les yeux fermés. (1939). Caricatural et par là même d'une grande liberté (7) il montre le pouvoir de l'artiste  à capter l'essentiel  comme, parfois le saisissent les enfants, hors de contraintes académiques . Le rendu très personnel nous fait goûter l'essence même du personnage.

    Parmi les très nombreuses autres oeuvres d'artistes contemporains  exposées je n'en citerai que deux: 

    20230331_160214_2.jpg20230331_160502.jpgla "Maille" de Pierrette Bloch (8) 1980 où c'est le geste répété du tressage qui  prend la forme d'un gribouillage, et "Delian, ode 19" (1961) de l'expressionniste abstrait américain Cy Twombly (9)  dans laquelle l' énergie de la volée de griffures  de couleur  en apesanteur participent de l'émotion . 

    Les occasions sont plus ou moins propices au griboullage, mai 68 en a été une, les murs de la capitale en témoignent, preuve à20230331_161115.jpg l'appui dans cette exposition (10).

    Gribouillages, Scarabocchio, de Vinci à Twombly.,  Palais des Beaux Arts, 13 quai Malaquais, 75006 Parsi, jusqu'au 30 avril , puis à la Villa Médicis à Rome jusqu'au 22 mai.

     

     

     

     

     

     

  • S.H. RAZA au Centre Pompidou par Régine et Sylvie

    La rétrospective de S.H. RAZA actuellement en place au Centre Pompidou est une bonne surprise et une belle découverte. Exposer ce peintre d'origine indienne, actuellement peu connu en France, mais où il vécut près d'une cinquantaine d'années, fut sans doute une gageure, mais le musée ne remplit-il pas ici parfaitement son rôle en faisant découvrir au public des oeuvres qui portent la marque de leur époque ? L'accrochage chronologique nous permet en effet non seulement de suivre l'évolution du travail de cet artiste, mais surtout de revisiter l'histoire de la peinture des années 1950 à 1990 sous le prisme d'une autre culture, celle de l'Inde.

    Né en 1922 au coeur de l'Inde, dans l'état de Madya Pradesh, S.H. Raza fait ses études artistiques à Bombay. Il découvre le cubisme, l'art moderne français et crée en 1947 le Progressive Artist Group qui réunit les artistes indiens d'alors, traumatisés par l'indépendance et la partition  de leur pays. Il se rend en France en 1950 où il restera jusqu'en 2011, partageant sa vie avec son épouse française entre Paris et le petit village de Gobio dans le midi. A la fin de sa vie il rentre en Inde et meurt à New Delhi en 2016.

    Les aquarelles peintes en Inde dans les années 1940 qui ouvrent l'exposition sont pleine de charme et révèlent le grand coloriste et la réalité indienne. Dans Sans titre, rue de IMG_1367_edited.jpgBombay (1941) tout se dissout (photo 1). Les bleus, les mauves et les verts se diluent les uns dans les autres, la rue est transformée en rivière et les personnages se hâtent dans une atmosphère liquéfiée par la pluie tropicale. Dans Bénarès (1944)  les couleurs soulignent les variations de la lumière, ses vibrations et la foule  suggérée par des touches enlevées.

    A son arrivée en France, en 1950, il regarde Picasso, Soutine, Nicolas de Staël, Olivier Debré, IMG_1413_edited.jpgdécouvre les peintres de l'Ecole de Paris. Il connait Bernard Buffet dont l'influence est manifeste dans une série assez convenue. Pendant plus de dix ans, à part quelques représentations humaines, ce sera la nature son sujet essentiel . Deux délicieux exemples de sa découverte du midi de la France nous sont données: Paysage provençal. gouache et encre sur carton (photo 2) et Paysage de Cagnes de 1951. Leur simplification formelle et la délicatesse de leurs couleurs apparentent ces oeuvres à celles de Paul Klee.IMG_1376.JPG Réalisé avec la technique de la peinture IMG_1380_edited.jpgappliquée au couteau chère à nombre d'artistes de l'école de Paris et à Nicolas de Staël, il peint plusieurs toiles dont Un village corse, huile sur toile ,1957, (photo 3) où sous un ciel bleu intense, quelques maisons blanches maculées d'inscription colorées émergent d'une végétation luxuriante. Le souvenir de la forêt indienne qui a marqué son enfance fait ici retour et hantera désormais son travail. Au début des années 1960 sa peinture se simplifie. La croix invisible de 1963 (photo 4) nous donne un exemple de cette évolution vers l'abstraction. C'est un tableau très sombre où plane une angoisse métaphysique symbolisée par une nuée noire qui s'élance vers le ciel surplombant un paysage très simplifié, où s'allument quelques lueurs.

    IMG_1390_edited.jpgDès 1968, soit moins de 20 ans après son arrivée en France, bien que toujours inspirée par la nature, sa peinture devient abstraite. La composition s'organise en nuées de taches, les formats IMG_1392_edited.jpgs'agrandissent. De beaux exemples de cette période, très marquées par leur époque, nous sont montrés ici dont Grey landscape (1968), acrylique sur toile, (photo 5) où, sur un fond très minéral, s'affrontent l'ombre et la lumière, Sikri (photo 6) dont les tons bruns rappellent les vestiges de la ville fantôme de Fatehpur Sikri au Rajasthan.

    Avec des couleurs pures et vibrantes, évoquant les Ragas,IMG_1398.JPG cadres mélodiques utilisés dans la musique classique indienne, suivent plusieurs tableaux ayant pour titre La terre ou Zam in, la terre en indien (photo 6) où la couleur devient incandescente ; embrasée par la lumière qui vient du fond de la toile elle irradie les rouges, les jaunes les oranges, les bruns et les verts sombres. 3389.jpg.jpg

    IMG_1394_edited.jpgL'influence de l'art indien se fait de plus en plus prégnante et l'organisation de la surface picturale par bandes ou carrés rappelle celle des miniatures Rajput et des peintures tantriques. Maa de 1981 (photo 7) est un bel exemple de cette évolution qui réunit le cercle noir, harmonie du monde de l'esprit et les carrés rouges, symboles de la matière et du savoir. On retrouve cette même idée dans Bengladesh (1971) (photo 8) qui, scindé en son milieu, évoque probablement la guerre de libération de cette région : les deux univers traduisant la violence des faits.

    A partir des années 1980, Raza oriente sa pratique vers une abstraction géométrique symbolique et radicale. Laissant de côté le contrastes de valeurs opposées, il opte pour des formes élémentaires issues de la méditation. Le noir, couleur "mère" dans la pensée indienne acquiert ici profondeur et densité et le motif du Bindu devient omniprésent. Mais qu'est-ce que le "Bindu" ? ce terme désigne, en sanskrit, la graine, la germination. Dans l'oeuvre de Raza 20230301_160733.jpgil est la figure de l'origine. Le point, le cercle (mandala) renvoient, dans son oeuvre, à la conception cyclique du temps. L'acrylique sur toile intitulée, comme plusieurs autres,  Bindu (1984) (photo 8)   d'un bleu foudroyant, symbolise la puissance séminale de toute vie et la forme visible qui contient toutes les composants plastiques essentielles :cercles, triangles, carrés, rectangles. Tableaux qui sont autant profondément indiens que d'une modernité propre à l'époque.

    IMG_1404_edited.jpgSi les mandalas tibétains sont les supports visuels basés sur la représentation géométrique de la méditation bouddhique, les oeuvres des dernières années de Sayed Haider Raza,  révèlent l'expansion de la création, du centre vers la périphérie. Une philosophie qui ne nous est pas familière mais dont l'expression picturale nous rappelle Rothko pour sa spiritualité.

    En complément vous pouvez voir aussi "Cercle et territoire sacré, le mandala dans l'oeuvre de S.H. Raza" au musée Guimet, place d'Iéna, paris, jusqu'au 15 mai.

    Sayed Haider Raza, au Centre Pompidou, Paris, jusqu'au 15 mai 2023.

     

     

  • Anselm Kiefer (par Sylvie).

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               C'est un éblouissement que réserve l'exposition d'Anselm Kiefer à la galerie Gagosian du Bourget. L'accès un peu difficile ne doit pas décourager les visiteurs, ils seront récompensés, même s'ils ont déjà pu apprécier son travail à travers des expositions antérieures. C'est grandiose. Kiefer, né en 45, travaille en France depuis les années 90. Elève de Beuys, il est l'un des plus importants artistes allemands de la génération de l'après guerre et témoigne de l'histoire tragique de son pays, sa poésie, son romantisme, des grands mythes de l'Ancien et du Nouveau Testament, de la Kabbale et de l'Histoire en général.  A la différence d'un important courant de la peinture actuelle, il est un matieriste prodigieux qui utilise les matériaux les plus divers, du sable à la paille, du goudron aux cendres, des branches d'arbre au plomb en couches superposées comme des sédiments. et nous ébranle entre beauté et effroi.

    Quatre peintures monumentales, récentes, occupent le vaste bâtiment. Leur sujet ? Le Camp du drap d'or, rappelez vous 1520 dans le Pas de Calais et la tentative - échouée -d'alliance entre la France et l'Angleterre pour proscrire la guerre  avec Charles Quint, autant dire entre les nations européennes. Kiefer en fait une allusion à la violence et l'imprévisibilité des relations humaines. Hasard du temps, la pandémie du Covid 19, apparue pourtant après exécution des toiles, présente une étrange similitude. La base des multiples mediums utilisés sont à peu près les mêmes : huile, acrylique, shellac, paille, feuille d'or, bois et métal sur toile, les formats semblables: 470 x 840 cm. et les dates de réalisations 2019-2020.

    20210306_155904.jpg

    En référence au poème de Paul Celan"Les plants de la nuit naissent de l'âme et de l'esprit" est le titre - ma traduction du moins - de cette première oeuvre  (1). L'or du ciel est à l'image des fastes somptueux du Camp du drap d'or. Un ciel éclatant et chaud comme on le voit chez les primitifs italiens, sans le lissé de la peinture sur bois mais chiffonné par les feuilles d'or et parsemé de délicates touches vert amande qui ont tant de douceur chez Giotto. S'y détachent comme des hallebardes les faux et leurs lames qui couperont le blé riche de pailles touffues du premier plan, traversé en sa mitan par un sentier en lacets qui disparait dans l'infini, là haut, au dessus de l'horizon, obligeant le regard à pénétrer dans l'oeuvre.

    20210306_155931.jpg"L'âge du loup" (2) : ciel et terre d'orage comme si les dieux se fâchaient. Les haches ont remplacé les faux au bout des branches déracinées, fruits précaires mais toujours menaçants. Terre dévastée où rien d'autre ne pousse. Le tragique est bien là sous nos yeux, sombre, violent à l'image probable de l'inconscient tourmenté de l'artiste. Le gigantisme y participe autant que les contrastes colorés du bleu, du brun et du noir d'un ciel bas, oppressant et d'une lune d'une blancheur...glaçante. On ne pressent rien de bon dans le chemin tortueux bordé de tranchants. Les mots écrits participent de l'oeuvre plastique : "Voluspa" en haut à droite est issu d'un autre poème de Paul Celan, "Les prédictions de la voyante" : "les brillantes étoiles vacillent dans le ciel,.. les fumées tourbillonnent.."

    20210306_160132.jpg" Les sept boules de la colère" (3) : dans ce champ de blé dont on pourrait toucher la paille sèche  se fraient deux chemins qui se rejoignent en un point central du sombre horizon, comme les rails des trains de la mort. Kiefer se souviendrait il des mots de Goethe dans Faust : "En montant, en montant  vers les hauteurs, enfonce toi dans l'abîme". Un retour vers le passé vaut un pas vers le futur en une dialectique destruction-création positive. Le triangle, figure récurrente chez Kiefer, pointe ici un lieu où s'échangent des colonnes de nuées, émanations des drames passés et surgissement du processus créateur.

    "La coupure/blessure de la faucille" (4). Deux grandes faux s'entrecroisent, un peu comme les 20210306_160918.jpgbranches d'une croix gammée, les lames figurant les crochets. Référence historique à ce qui s'est appelé le "plan jaune" de l'armée allemande en 1940. Les blés coupés jonchent le sol en un épais désordre donnant force à la matérialité de la toile. Les lames sanglantes mais fières semblent, en même temps, vouloir rassembler, contenir, les colonnes de nuées.

    20210306_162904.jpgDans les galeries en surplomb sont exposées des oeuvres de moindre taille comme ce "Champ" (280 x 380 cm, émulsion,huile et acrylique comme  sur toile) (5). Aucun fer agressif n'y figure. C'est un pré fleuri dense et bruissant. La perspective n'est pas centrée mais dirigée, soufflée énergiquement vers la gauche, comme un passé que l'on voudrait faire disparaitre malgré la force de résistance de ces fleurs charnues déjà flétries qui désespérément s'accrochent. Tonalité rédemptrice du cosmos.

    20210306_161901.jpg20210306_161525.jpg"Ernest Theodor Hoffman : le bloc doré"  (6) Ce pourrait être un blockhaus ou une maison abandonnée sur lequel, resté accroché , pend un vieux vêtement. Tout rappelle la Shoah et ce n'est pas surprenant de la part d'un artiste qui ne veut en rien renier l'histoire de son pays. "L'histoire, pour moi, est un matériau, comme le paysage ou la couleur" dit il. Sur le bloc  emporté dans un courant violent - le courant de l'histoire ? -,  grimpe un serpent d'or, symbole de l'énergie vitale. Selon l'artiste " les ruines sont des moments où les choses se montrent telles qu'elles sont. C'est le moment où les choses peuvent recommencer".

    Un regard s'impose sur quelques oeuvres  sous vitrine comme ce dessin (7) dont l'abstraction première, trompeuse, évoque dans sa mélancolie et sa noirceur, les horreurs des camps d'extermination. Piquets alignés comme autant de sillons, de barrières s'étirant vers un infini incertain, blanc verdâtre d'un sol enneigé, éparpillement de taches sombres au milieu desquelles des flammes se consument.. Pas d'allégories, simple constat qui nous laisse pétrifiés.

    Derrière la puissance évocatrice de ces tableaux mélancoliques, leur échelle, leur épaisseur presque géologique, et leur richesse colorée, Kiefer nous fait percevoir un sens qui nous dépasse. Il fait appel à la mémoire individuelle et collective et sublime le tragique.

    Anselm Kiefer: Field of the Cloth of Gold, galerie Gagosian, 26 av. de l'Europe, Le Bourget 93350. Jusqu'au 28 mars 2021. tel 01 47 16 16 48. De Paris - sans voiture - RER B jusqu'au Bourget puis bus 152 jusqu'à ...

     

     

     

     

  • Gunther Uecker (par Sylvie)

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    La galerie Levy Gorvy ne s'affiche pas. Il faut la chercher pour la trouver. Et aujourd'hui, comme toutes les galeries, elle est fermée du fait du confinement. Dommage, car elle s'est tout juste installée dans le  3ème arrondissement de Paris, dans un passage, histoire de s'intégrer discrètement mais fermement dans le tissu social et artistique de la ville. Le lieu, conçu à l'origine par Jean Nouvel et remanié par Luis Laplace, est assez fameux pour avoir abrité les bureaux et collections de Claude Berri.

    Pour sa première "monstration", cette galerie américaine, implantée à New-York mais également à Londres et Hong Kong, a mis en place des oeuvres d'un artiste allemand peu connu du grand public français, Gunther Uecker qui, né en 1930 à Wendorf, a pourtant appartenu au groupe Zéro - dont l'objectif était de révolutionner le langage de l'image - puis adhéré en 61 au Nouveau Réalisme, au côté d'Yves Klein, Giulio Fontana,  Arman.. et représenté l'Allemagne à la Biennale de Venise en 70.

    A l'occasion de cette première exposition en solo depuis 1968, les plus avertis d'entre nous se rappelleront ce qui, dès les années 50, a caractérisé son art : une peinture à clous de gros calibre - objets du quotidien par excellence - disposés en quantité  sur toile et autres supports, leur assemblage et leur nombre donnant une perception vibratoire de la lumière et une dynamique linéaire parfois aussi poétique que celle du vent dans les embruns. Je ne résiste pas à les montrer même s'ils ne figurent pas dans cette exposition.

    gunther_uecker_a-x_zero_garden_d5768220g.jpgvanham_uecker.jpg-double spirale.jpgPour illustrer cette démarche qui perdure, voyez deux de ses Spirales  (2017 photo 1 et 2010 2 photo 2) dont les mouvements d'ensemble tourbillonnants, avec leur flux de matière et d'énergie, évoquent aussi bien des diagrammes chimiques que des mouvements de foule, des rides à la surface de l'eau ou quelque rituel méditatif. Comme sur un cadran solaire le spectateur y lira le temps en fonction de ses déplacement et de la lumière.Uecker-Baume-740x480.jpg6-troncs.jpg La sculpture  hérissée en tous sens de gigantesques clous sur des troncs d'arbres ( 2020,photo 3 ), interroge. Sont-ce de piquants oursins cramponnés à leurs rochers, et les trois fûts des fétiches de sorcellerie destinés à conjurer le mauvais sort, tous porteurs de violence et témoignage d'une évidente barbarie ?  Un autre regard existe cependant : ces pelotes à la volumétrie toute en rondeur réveillent des images de nids douillets. Question d'état d'esprit !

    vODLa0Wc.jpeg-Uecker vue gene 2.jpegQuel rapport, direz vous, avec ce qui était exposé dans le Marais et qui le sera peut-être encore, nous l'espérons, dans quelques semaines, puisque "Gunther Uecker: Lichtbogen", titre de l'exposition, montre des toiles monumentales peintes à l'aquarelle et nommées - je traduis en français - "Arc de lumière". (2020 photo 4)                                   

    Quelle plénitude ! C'est un éblouissement. La limpidité des bleus traverse les toiles avec la même énergie que les clous plantés- ce qui était déjà une façon de se détourner de la figuration - mais l'agressivité du médium métallique s'est muée en une gestuelle gaie, ample, aérienne, répétitive comme le sont les saisons et le labeur de la terre, toutes choses environnementales auxquelles l'artiste est sensible.. Elle se manifeste dans le processus d'exécution de l'oeuvre :FOvt48s0.jpeg-Uecker multicolore.jpeg le pinceau attaché au bout d'une ficelle, Uecker, tel un géomètre, trace sur le toile au sol un arc de cercle fluide et lumineux, presque immatériel, à la régularité apaisante. Ces toiles ont été peintes dans le désert ocre et scintillant du golfe persique, terre biblique qui a fait naitre un enthousiasme et une jubilation communicative. Etonnant chez un artiste d'un âge aussi respectable. Ses toiles nous emportent. Et lorsqu'il affiche les multiples variations de la lumière, c''est le même chatoiement (photo 5).

    En choisissant le bleu en grand format, Uecker ne s'est il pas aussi retrouvé dans les mots d'Yves Klein : "le bleu n'a pas de dimension...Toutes les couleurs amènent des associations d'idées concrètes...tandis que le bleu rappelle tout au plus la mer et le vide...".

    Gunther Uecker: Lichtbogen, galerie Lévy Gorvy, 4 passage Sainte Avoye, 75003, Paris ( entrée 8 rue Rambuteau) 01 58 80 82 40. www.levygorvy.com

    Si le confinement prend fin début décembre, l'exposition devrait se poursuivre jusqu'au 9 janvier. Sinon, la possibilité d'une visite virtuelle serait la bienvenue. A voir !

     

  • La collection d'un poète ( par Sylvie).

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    La galerie ETC a ouvert ses portes en 2018. L'exposition en cours aujourd'hui, programmée jusqu'au 20 septembre, est un hommage à Maurice Benhamou, décédé à 90 ans en décembre 2019, père du collectionneur Pierre-Henri Benhamou et grand père du galeriste Thomas Benhamou. Le nom d'ETC résume fort bien la filiation qui unit les 3 générations d'amateurs d'art dans la continuité d'un même goût pour la peinture contemporaine, sous influence Zen, minimaliste, sensible et dominée par une absence du Moi.

    Rappelons que Maurice fut un grand découvreur de talents, critique d'art et poète....L'écouter parler des artistes était passionnant et sa plume a beaucoup fait pour expliquer, faire sentir, comprendre les grands mystères qui se cachent derrière des oeuvres que beaucoup qualifient de difficiles d'accès. Citons, par exemple "L'espace plastique", ed Name, 1999, et, aux éditions L'Harmattan "Le visible et l'imprévisible", 2006, "De la peinture à proprement parlé", 2011...et, bien sûr "La trace du vent",  2004, qui sert de titre à cette exposition représentant une partie de la collection personnelle de Maurice Benhamou. Pour le plaisir, j'en citerai quelques unes.

    Photo Degottex.jpgTrès curieusement, en entrant dans la galerie, l'oeil est attiré par une petite sculpture multicolore trônant au centre de la pièce, sur une sellette. Elle a tout d'une sphère armillaire, symbole de l'univers, dont les anneaux sont en métal peint de différentes couleurs. Oeuvre de l'artiste américain Dennis Oppenheim, invité dans les années 80 par la ville de Thiers, ville de la coutellerie, au Symposium international de sculpture monumentale métallique, elle figurait sur le bureau de Maurice Benhamou, tel un objet familier représentatif de son ouverture sur le monde.

    Du grand tableau de Jean Degottex,  à droite, Lignes-report III, (acrylique et colle sur toile, 205x420cm)1977 (photo 1) qui figurait lui aussi dans le bureau de Maurice -  on ne voit tout d'abord que la couleur, le noir - comme un infini démesuré - et la verticalité des trois panneaux qui forment une sorte de triptyque, puis la multitude de lignes horizontales. Rien d'autre que cette trame devenue texte, dépouillement absolu, aboutissement d'un long travail dont l'artiste lui même dira en 1987, résumant son parcours: " Du signe, je suis passé à l'écriture, de l'écriture à la ligne d'écriture, de la ligne d'écriture à la ligne", mais toujours avec la même précision, la fulgurance du geste, devenues ici pliage, arrachage au coeur de la matière, ainsi exaltée. Car tout participe de l'oeuvre, les lignes tracées en report, reliefs et creux, les taches, les déchirures, les infimes accidents, autant de phénomènes nés de l'intelligence des matériaux auxquels Degottex était attentif, évacuant toute marque de sa présence. Il ira jusqu'à délaisser la peinture traditionnelle au profit d'un découpage de la toile, de la brique et du bois. Une réalité arpentée et transfigurée, ici à la fois tragique et sereine.

    Casadesus.20200520_154827(4).jpgComme Degottex, Béatrice Casadesus s'est trouvé des affinités avec l'extrême orient où elle a séjourné. Ce Printemps, (huile sur toile 100x100cm), 2008, (photo 2) est comme une fenêtre sur l'univers, profond, léger, fragile et vaporeux d'où émergent et s'éparpillent des bulles colorées comme des taches de soleil. Seurat l'avait perçu, Casadesus a trouvé dans ces pastilles à trame semi- transparente, qui sont devenues sa marque de fabrique, un symbole du mouvement du monde, ses vibrations. Architecte de formation, elle sait la puissance créatrice de la lumière, son pouvoir générateur de couleurs, de nuances, qui donne une vision fugitive des choses. Comme s'il n'y avait pas de sujet mais seulement des illusions.

    Sous les noirs secoués de quelque sismographe qui rythment l'oeuvre de Claude 20200520_154950(1).jpgChaussard - dessin d'approche n°9, (gouache et trait de craie, 152x56cm), 1981, (photo 3) se faufile une ligne bleue, comme un instant furtif, aléatoire.. Elle est à peine visible mais elle grimpe, éphémère, imprévisible. Chaussard, lui aussi architecte, déploie une rigueur et une extême sensibilité, il aime s'effacer dans la neutralité des blancs, en pigments à stabilité variable, et dans l'absolu avec le bleu en liserets énergiques. Véritable "aventure intérieure" proche de celle de Degottex, ce bleu intense n'est pas peint ou tracé, mais projeté selon un rituel très précis: claqué au cordeau de carrier, comme au tir à l'arc et qui se dépose en poudre sèche comme une auréole., un très léger flou, vibrant, qui suggère la vie.  

    20200520_154843.jpgMax Wechsler vient de s'éteindre à l'âge de 95  ans. Né à Berlin et installé en France depuis 1939, il est passé de la figuration initiale au Surréalisme avant de s'orienter vers une abstraction affranchie de toute gestualité subjective. Le papier marouflé Sans titre,(collage sur toile, 120x80cm),  1985 (photo 4) allie la peinture à l'huile, et des éléments typographiques collés en surface.  Etrange processus éminemment matiériste qui aboutit à un champ de lettres ou débris de lettres en relief, aux formes variées, disséminées sur un fond aux tons sourds. Les aspérités un peu volcaniques nées de cette accumulation dansent sur le velouté de la couleur. Tableau sans bord ni centre, de format modeste contrairement aux dernières toiles de l'artiste, texte illisible qui renvoie à la culture, à l'histoire indicible, à celle, personnelle et familiale de Wechsler. Des lettres qui signifient "silence, solitude, ombre et lumière.."

     René Guiffrey revendique le qualificatif d'artiste plasticien. S'il oeuvre tojours dans la peinture-peinture, il travaille de longue date avec le papier ou le verre, choix délibéré de transparence ou de blancheur parce que le propGuiffrey.20200520_154708(1).jpgre du blanc, comme la musique, c'est le silence, la neutralité, l'inachevé. Page 181 B, émail, acrylique, miroir sur plaque de verre, 70x70cm, 1994 (photo 5) n'y échappe pas. Elle allie le sensible de la main et l'insensible industriel, le poids du verre et sa fragilité, le brillant et le mat, le terne et le miroitant, autant de données qui font de l'oeuvre tout le contraire d'un tableau immobile que le regardeur perçoit d'autant mieux qu'il se déplace. Dans le format carré, presque austère, l'oeil chemine, se perd dans la profondeur des superpositions et l'instabilité des lignes et reflets qui font vaciller les formes: oeuvre toujours en devenir dont la vie semble monter d'une substance enfouie, comme la germination des lettres chez Wechsler.

     

    La trace du vent, galerie ETC,  28 rue Saint Claude, 75003 Paris. Jusqu'au 20 septembre 2020.

     

  • Jean Tinguely (par Sylvie).

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    Etre confiné peut avoir du bon.

    En levant la tête du livre en lecture, l'imbroglio du tableau sur le mur en face me saute aux yeux. Je me rends compte de ce que l'habitude anihile toute capacité d'examen. On ne fait plus attention. Puisque confinement il y a, le moment est propice à y remédier, par exemple devant cette oeuvre de Jean Tinguely  (1925-1991), multicolore et dansante. Peu importe qu'elle ne soit qu'une reproduction sur papier.

    20200326_150548 (1).jpg

    Devant le désordre apparent de la composition abstraite je découvre tout à coup les structures et la rationalité de ce qui, au premier regard, n'a pas de logique : des cercles, comme jetés sur la toile, les uns pâles, les autres soutenus, deux grands à gauche, cinq autres de taille variable à droite; de larges traits impératifs de part et d'autre ; de minces traits en escalier vers le haut ou vers le bas, en diagonale ; d'autres en échelle verticale plus ou moins centrés... autant d'esquisses de montées et de descentes. Voilà, à peu près, pour les lignes, ce qui ressort en clignant des yeux. Allez comprendre quelque chose !

    La couleur crépite dans une gamme de primaires : le chaud et le froid se côtoient, se mélangent. De l' épicentre, un aplat de jaune, rouge et bleu - couleurs dominantes de l'oeuvre -  se déploie en arc de cercles,  comme un bouquet, un feu d'artifice ou un spectacle de jongleur, précédés et suivis d'un trait bleu directif. Tiens, voilà encore de gros traits, barbouillés de brun au centre, qui s'entrecroisent comme des baguettes de Mikado, accentuant par leur orientation, le mouvement tournant général.      

    Rien ici n'est statique. Ce n'est pas surprenant de la part de Tinguely dont on se rappellera l'appartenance aux mouvements des années 60, l'art cinétique et les Nouveaux Réalistes.

    Une ligne de contour clôt l'image tout en ménageant des portes ouvertes : tantôt, elle suit le bord de la toile, bloquant le regard en haut puis s'échappe en zigzag à droite. et se prolonge jusqu'en bas en un trait rouge vertical, une vraie barrière ! Signe qu'elle participe également de son mouvement interne, elle s'évanouit alors en une écriture-signature de moins en moins lisible mais explicative : "Meta maxi pénétrable transversable, Alu Fer, bois, totalement...1987 van Roll Jean Tinguely " Ce n'est pas , à proprement parlé, un titre mais sans doute une sorte de mémo pour une sculpture passée ou à venir dont l'artiste a le secret et qui mêle toutes sortes de matériaux du quotidien animés par une machinerie complexe. Tinguely est le premier artiste a avoir introduit le mouvement dans la sculpture, une manière de s'approprier le réel.

    Au delà de l'explosion de couleurs et de lignes, c'est toute une histoire de liberté, de dynamique, de jeu et de poésie, qui émane de ce tableau, des thématiques qu'il est toujours bon d'avoir en tête, et aujourd'hui plus qu'hier. 

    Passé le confinement, allez au chevet de Beaubourg, voir la malicieuse agitation de la fontaine, oeuvre du couple Jean Tinguely- Niki de Saint Phalle. D'ici là laissez vous porter, comme moi, chez vous, par  le tohubohu d'une oeuvre, celle là ou une autre..

     
     
     
     
  • Philippe Cognée (par Sylvie)

    Si la végétalisation des villes est un sujet eminemment contemporain, la représentation de fleurs ne figure pas parmi les préoccupations les plus répandues parmi les artistes du moment, fussent ils abstraits ou figuratifs. On peut s'étonner lorsque l'un d'eux, après avoir représenté  des bâtiments, des routes, des meubles de cuisine, des carcasses animales, des foules anonymes ou des portraits de concitoyens, autant de sujets témoignant de notre art de vivre dans la modernité, s'en vienne à peindre des fleurs. C'est pourtant le cas de Philippe Cognée, un artiste nantais né en 1957.                 Selon une technique très éléborée, il a prouvé ses capacités à rendre mystérieusement présent l'impalpable de la vie, un flou vibrant de puissance suggestive. Partant de photos, il peint à la cire, la revêt d'un film plastique, la repasse au fer pour l'écraser, l'aplatir et en arracher quelques morceaux avec le film plastique: ce floutage du medium est devenu sa marque de fabrique.

    En 2019 il s'est penché sur les fleurs, pas les bouquets, mais des fleurs solitaires, en gros plan et grands formats qui subliment leur opulence magnétique et leur dégradation. Quelques exemples:

    "L'Amarillys rouge" 20200117_145356-1.jpgétale sa magnificence comme une vieille tragédienne sur le retour. Elle ouvre son coeur avec volupté. De ce trou noir comme une gorge émergent les larges pétales rouge sombre striées de blanc. On croit voir une langue tirée, une bouche qui vomit. Voilà de la chair humaine dirait on! La cire, lisse et brillante sous le fer à repasser, offre aux yeux la densité et le velouté d'une peau et là où elle a été arrachée, les imperfections inhérentes au vivant.

    "L'Amarrilys blanc"20200117_150030.jpg est presque animal. Un animal qui s'écroule, foudroyé. Il a perdu sa fierté, son unité. Les corolles s'éparpillent, se ratatinent ; la blancheur éblouissante vire au jaunâtre et au gris en plissés multiples comme un visage qui prend de l'âge. Les pistils tentaculaires pendent mollement. Seul reste dressé, un stigmate central rouge, comme un attribut sexuel. Attesterait'il d'un renouvellement futur ? On est loin de la tradition décorative des peintres flamands ou d'une planche de Redouté.On serait plus près des fleurs vénéneuses de l'anglais Beardesley au XIX ème siècle. Un effondrement visuel comme témoignage de la brièveté de la vie. Tout est vanité !

    "Le Tournesol"IMG_7556.JPG ne tourne pas son visage lunaire vers l'est. Il courbe sa longue tige duveteuse sous le poids de graines assemblées en son coeur et de ses pétales asséchées. Il est encore royal par les couleurs et l'exubérance de ses jupes, mais celles ci ont le tremblé de qui chancelle. Il n'y a pas d'immobilisme définitif chez Cognée, seulement de la mélancolie.

    "La Pivoine"IMG_7550.JPG. Les pétales d'une jeune pivoine forment une boule étoffée, homogène, presque douillette dans sa légèreté. Celle peinte par Cognée est une pauvre hère qui s'étiole. Ses pétales s'affaissent, se frippent - on voit ses rides - et ses couleurs changent. Telle un breuvage qui "tourne" elle se métamorphose. Certaines fleurs fanées restent en gloire, comme celle-ci., malgré tout. La touche onctueuse de la surface n'y est pas pour rien. C'est une autre forme de somptuosité. Mais qu'est-ce que la beauté ?

    Cognée a beau changer de sujet, il veut dire toujours la même chose, que le regard et la peinture évoluent avec la modernité; que le temps passe, que tout vieillit et se dégrade, nous aussi, mais que la beauté est partout, même dans sa décadence. Une oeuvre éminemment matièriste ET philosophique.

    Philippe Cognée "Carne dei fiori", galerie Templon, 28 rue du Grenier Saint Lazare? 75003, Paris. Jusqu'au 7 mars.

  • Charles Pollock (par Sylvie)

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    Au  seul nom de Pollock, la gestuelle explosive et multicolore, le dripping,  de Jackson (1912- 1956)  vient à l'esprit. Elle a profondément marqué la peinture américaine et l'abstraction toute entière. L'oeuvre, moins sauvage, de son frère ainé, Charles Pollock,  (1902-1988) , est demeurée longtemps ignorée. On la découvre peu à peu. La galerie Etc a le mérite d' exposer quelques unes de ses oeuvres  des années 60 qui témoignent, après des années de figuration et d'un réalisme socialiste à l'américaine, d'une abstraction tout aussi radicale que celle de son frère. Seulement voilà, Jackson était tourné vers l'extériorité, l'exubérance, le débordement, très représentatif de l'expressionnisme abstrait. Charles est tout intériorité. La preuve est bien là, sous nos yeux.

    20191027_092946-1.jpg- 2.jpgAu fond de la galerie, la toile "Untitled (Black), purple" (151,5 x 180,5), de 1961 m'a aimantée. Non pas qu'elle soit d'un format plus grand que les autres, plusieurs le sont. Mais quelque chose dans la qualité du violet,extrêmement travaillé et son rapport au noir d'une intensité profonde - et l'ample encerclement par les formes plastiques denses et effilochées, tout cela a suscité en moi une impression d'espace en creux, comme un support de méditation. Espace ouvert, simplement canalisé, dont les valeurs colorées, rabattues, statiques, semblent refléter la profondeur de l'âme humaine.(photo1)

    IMG_7405.JPGIMG_7406.JPGSur "Rome One", 1962, huile sur toile, (155 x 130) les aplats noirs s'organisent comme les signes d'une  calligraphie. Cette discipline, Charles Pollock s'en est fait une passion et l'a longtemps enseignée à l'université du Michigan. La pression de la main sur la brosse trace un plein puissant dont les franges seraient les déliés fragiles, les traces d'une incertitude . Cette écriture rappelle un peu celle de Jean Degottex à la même époque, en plus tragique. (photo 2)

    Dans "Rome Thirteen",1963, huile sur toile, (170 x 140), les taches informelles et multidirectionnelles flottent, d'autant plus que la couleur du fond est parfaitement uniforme et d'une valeur presque similaire. Tout est sur le même plan et le motif se répand, sans limites autres que celles du tableau. Deux caractéristiques du mouvement colorfield dont Clifford Still en est le peintre le plus représentatif. (photo 3)

    20191027_135143.jpg-2.jpgTrès surprenantes sont  les petites oeuvres des années 80 qui complètent l'exposition. Sont elles vraiment du même artiste ? On peut se poser la question. "Arches Painting II -11, 1981, gouache sur Arches, (76,5 x 49,5), a une volubilité joyeuse, un mouvement quasi  musical bien loin de l'immobilité des oeuvres précédentes. Couleurs pâles, signes virevoltants, fond piqueté comme un ciel étoilé.. Est-ce à dire que Paris où Charles Pollock a vécu ses dix dernières années, lui a permis d'exprimer,, loin de la peinture silencieuse des années 60, une certaine légèreté, une joie de vivre ..?

    Un catalogue, sous la signature de Maurice Benhamou, a été publié à l'occasion de l'exposition.

    Charles Pollock, galerie Etc, 28 rue Saint Claude, 75003 Paris. Jusqu'au 1er décembre.