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Peinture - Page 2

  • Charles Pollock (par Sylvie)

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    Au  seul nom de Pollock, la gestuelle explosive et multicolore, le dripping,  de Jackson (1912- 1956)  vient à l'esprit. Elle a profondément marqué la peinture américaine et l'abstraction toute entière. L'oeuvre, moins sauvage, de son frère ainé, Charles Pollock,  (1902-1988) , est demeurée longtemps ignorée. On la découvre peu à peu. La galerie Etc a le mérite d' exposer quelques unes de ses oeuvres  des années 60 qui témoignent, après des années de figuration et d'un réalisme socialiste à l'américaine, d'une abstraction tout aussi radicale que celle de son frère. Seulement voilà, Jackson était tourné vers l'extériorité, l'exubérance, le débordement, très représentatif de l'expressionnisme abstrait. Charles est tout intériorité. La preuve est bien là, sous nos yeux.

    20191027_092946-1.jpg- 2.jpgAu fond de la galerie, la toile "Untitled (Black), purple" (151,5 x 180,5), de 1961 m'a aimantée. Non pas qu'elle soit d'un format plus grand que les autres, plusieurs le sont. Mais quelque chose dans la qualité du violet,extrêmement travaillé et son rapport au noir d'une intensité profonde - et l'ample encerclement par les formes plastiques denses et effilochées, tout cela a suscité en moi une impression d'espace en creux, comme un support de méditation. Espace ouvert, simplement canalisé, dont les valeurs colorées, rabattues, statiques, semblent refléter la profondeur de l'âme humaine.(photo1)

    IMG_7405.JPGIMG_7406.JPGSur "Rome One", 1962, huile sur toile, (155 x 130) les aplats noirs s'organisent comme les signes d'une  calligraphie. Cette discipline, Charles Pollock s'en est fait une passion et l'a longtemps enseignée à l'université du Michigan. La pression de la main sur la brosse trace un plein puissant dont les franges seraient les déliés fragiles, les traces d'une incertitude . Cette écriture rappelle un peu celle de Jean Degottex à la même époque, en plus tragique. (photo 2)

    Dans "Rome Thirteen",1963, huile sur toile, (170 x 140), les taches informelles et multidirectionnelles flottent, d'autant plus que la couleur du fond est parfaitement uniforme et d'une valeur presque similaire. Tout est sur le même plan et le motif se répand, sans limites autres que celles du tableau. Deux caractéristiques du mouvement colorfield dont Clifford Still en est le peintre le plus représentatif. (photo 3)

    20191027_135143.jpg-2.jpgTrès surprenantes sont  les petites oeuvres des années 80 qui complètent l'exposition. Sont elles vraiment du même artiste ? On peut se poser la question. "Arches Painting II -11, 1981, gouache sur Arches, (76,5 x 49,5), a une volubilité joyeuse, un mouvement quasi  musical bien loin de l'immobilité des oeuvres précédentes. Couleurs pâles, signes virevoltants, fond piqueté comme un ciel étoilé.. Est-ce à dire que Paris où Charles Pollock a vécu ses dix dernières années, lui a permis d'exprimer,, loin de la peinture silencieuse des années 60, une certaine légèreté, une joie de vivre ..?

    Un catalogue, sous la signature de Maurice Benhamou, a été publié à l'occasion de l'exposition.

    Charles Pollock, galerie Etc, 28 rue Saint Claude, 75003 Paris. Jusqu'au 1er décembre.

  • Max WECHSLER (par Régine)

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    L'exposition de Max Wechsler à la belle et récente galerie ETC dans le Marais, rue Saint Claude, est l'une des plus intéressante de la rentrée et il serait dommage de passer à côté.

    A la fois ascétiques, ténébreuses et puissantes, d'une grande beauté plastique, les oeuvres de cet artiste sont fascinantes. Elles nécessitent de s'y arrêter longuement et de les examiner avec attention. Noires et grises, à distance elles sont presque monochromes, de près elles révèlent un travail extrêmement subtil dont le médium est difficile à déterminer. Pas d'huile, pas d'acrylique, pas de gouache, exécutées sur des supports variés, on s'aperçoit que ces oeuvres ne sont pas peintes mais faites de mots indéchiffrables ou de fragments de papiers incroyablement travaillés.

    On apprend alors que le matériel de base de ce travail énigmatique est fait de pages imprimées et déchirées, d'une photocopieuse noire et blanc, de ciseaux, de colle et de vernis. La photocopie répétée du montage de fragments de texte est la base de ce travail. Elle permet en effet toutes sortes de manipulations : de les agrandir, les réduire, d'en faire varier les contrastes, flouter les contours, inverser le positif en négatif et réciproquement. Les fragments de papier ainsi obtenus sont ensuite collés sur un support en superpositions subtiles, recouverts de jus plus ou moins sombres puis d'une couche de vernis. Libérés du sens des mots, les lettres, devenues signes plastiques, sont ainsi passées du matériau de l'écriture à une matière picturale.

    Le format des oeuvres est variable. Certaines sont très grandes telles celles accrochées sur le mur de droite dès l'entrée. Le regard s'y noie et ces tableaux à la fois vous attirent et vous tiennent à distance. Gris très clair, dans l'un les lettres s'organisent en lignes, dans l'autre elles fourmillent et se meuvent dans le vide du support (photo 1)115.jpg. "Dans les tableaux de Max Wechsler, dit Maurice Benhamou, le vide ne constitue jamais un fond sur lequel s'inscrit la lettre, tous deux sont sur le même plan et peuvent s'absorber".

    Ailleurs, telle deux stèles, se dressent deux grand formats verticaux très sombres dont la surface a des reflets de métal (photo 2)2004-Gd Dyptique noir-245x117+245x117-papiers marouflés sur contreplaqué.jpg. Impossible d'en isoler un détail. Plongée dans la colle, enduite d'un jus sombre et figée sous le vernis les milliers de débris de mots semblent fourmiller et vibrer. Comme un tissu vivant d'apparence lisse mais où les particules circulent en un incessant mouvement.

    Ici comme ailleurs nul récit linéaire. Tous ces fragments de mots se ramifient en une multitude d'ouvertures possibles et diffusent à l'ensemble une énergie qui se communique au regardeur.

    Dans un récent papier marouflé de 2019 (photo 3)xxIMG_5706.jpg, les fragments de mots et de lettres s'organisent comme dans les dessins mescaliniens d'Henri Michaux, autour d'une arrête centrale. De cette colonne vertébrale émane une lumière qui diffuse son énergie à l'ensemble sombre, mais animée de reflets mordorés.

    A l'inverse d'Opalka qui exprime l'anéantissement par un lent processus d'effacement, Max Wechsler enfouit lettres et mots et en rend la signification et l'organisation sémantique et temporelle inaccessibles. Nous sommes face à un monde englouti où tout souvenir est dissout. Comme chez Kafka, cette oeuvre interroge des vérités cachés et inaccessibles qu'on ne connaîtra jamais. Cette peinture de murmure et de retenue peut sembler aussi signifier que l'excès d'écrit tue le sens.

    Serait-elle une interrogation devant l'invisible ? Plusieurs oeuvres y font penser, notamment trois tableaux organisés comme des pages de texte légèrement voilées de blanc (photo 4) qui peuvent être vues comme celles d'un manuscrit du Moyen Age xxIMG_5698.jpgoù un glossateur aurait apposé ses commentaires de commentaires. Le magnifique polyptyque, au fond de la deuxième salle est organisé comme ceux de la Renaissance (photo 5)1994-POL5-81,5x147 papier marouflé sur contreplaqué.jpg. Dans la partie haute de chacun des 5 diptyques qui le composent sont disséminées des lettres écrasées, méconnaissables et plongées dans le noir, tandis que dans la prédelle, plus claire, les mots se sont transformées en très légères traces de lignes. Cet ensemble aux reflets argentés n'offre aucun récit. Non exempte de mysticisme c'est une oeuvre uniquement de présence.

    Max Weschler veut-il communiquer quelque chose de son rapport au langage par l'effacement du sens ? Seul l'univers plastique peut en avoir un quand l'écrit n'en porte plus. Enfant d'une famille juive, né à Berlin en 1925, il est arrivé à Paris à l'âge de 13 ans dans un pays où parler allemand était un risque mortel. Seule solution se taire. Cette expérience traumatique façonne probablement son oeuvre. La gamme des noirs et des gris cendrés évoque la disparition dans les flammes et on ne peut s'empêcher de penser qu'il s'agit d'une référence aux évènements funestes qui ont marqué son enfance.

    On serait tenté de rapprocher cet univers de rigueur, cette façon d'utiliser et de redonner une âme à des débris de celui du peintre Degottex aussi exposé dans cette galerie dont la qualité remarquable des expositions depuis son ouverture est à souligner. 

    Max Wechsler - Galerie ETC - 28, rue Saint Claude, 75003-Paris  (09 50 77 40 07). Jusqu'au 5 octobre.

  • Jean-Pierre Schneider au château de Ratilly (par Régine)

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    A deux heures de voiture de Paris, le château de Ratilly, avec ses grosses tours rondes construites en pierre ocre patinée par le temps, ses douves sèches, ses spectaculaires charpentes, offre un merveilleux but de balade ou de week-end en Bourgogne, dans la région dite de "La Puisaye", si chère à Colette. Cet intérêt se trouve redoublé par la qualité des expositions qui chaque été y sont organisées et ce depuis le début des années 1960. Sur ses cimaises se sont succédés des peintres et des sculpteurs tels que Klee, Nicolas de Staël, Tapies, Tal Coat, Veira da Silva, Geneviève Asse... pour les premiers, Chillida, Calder, Etienne Martin, Germaine Richier... pour les seconds et tant d'autres encore.

    Cet été y sont réunis deux artistes : le peintre Jean-Pierre Schneider et le sculpteur Geoffoy de Montpellier.

    Rien de plus adapté à la peinture de J.P. Schneider que la matière brute et blanchie à la chaux des murs de ce château. En effet, très murale, la texture de ses oeuvres rappelle celle de la fresque. Jamais encadrées, elles sont accrochées telles quelles sur le mur, leurs bords laissés bruts. La trame de la toile a disparu noyée sous les couches de peinture et les couleurs assourdis semblent venir du fond du tableau.

    Comme Tal Coat, l'artiste fabrique lui-même son médium et mélange ses couleurs pour faire advenir la teinte voulue. Il y a ajoute un peu de poudre de marbre pour obtenir une consistance épaisse et cet aspect mat si caractéristique de son travail. Il procède souvent par "suites", terme à connotation musicale, qu'il préfère à celui de série qui, pour lui, évoque plus l'idée de répétition que celle de développement d'un thème. L'artiste trouve généralement ses sujets dans le monde qui l'entoure, mais il se l'approprie d'une façon parfaitement personnelle. C'est le peintre qui fait advenir le motif et qui le transforme en ce qu'il veut. Le sujet n'est en fait qu'un prétexte pour laisser place à la recréation du monde par la peinture.

    Citons quelques exemples : trois somptueux tableaux de la même suite, dont le titre gravé, comme souvent, à même la peinture indique le sujet : "Tirants d'eau" sont ici exposés. Dans l'un d'eux un rectangle noir, taché de rouille signifie le cargo (photo 1)IMG_3208.JPG. Sous l'étrave son reflet miroite dans l'eau. Huit petits traits blancs sur le bord gauche de la toile marquent les jauges et dans sa partie supérieure apparaissent quelques chiffres rongés par la rouille. Le reste de l'oeuvre est occupé par un aplat d'un vert mat, extraordinairement puissant et fascinant, un océan bien inquiétant à traverser. Deux quasi-monochromes se partagent ainsi l'espace à parts égales.

    Dans une autres très belle oeuvre de cette même suite, l'étrave horizontale noire et rouille du cargo se heurte à une eau grise et troubleIMG_7239.JPG (Photo 2). Les reflets occupent toute la partie inférieure de la toile.

    Verticales ou horizontales, ces peintures éminemment silencieuses évoquent une traversée à venir. Vers quel but, quelle destination ? Quelle quête ? Nulle perspective, nul horizon en vue, le temps et l'espace sont suspendus dans l'attente de quelque chose qui va peut-être advenir dont le péril n'est pas exclu.

    Le sentiment d'une traversée dont le but est inconnu est sous-jacent à nombre d'oeuvres de J.P. Schneider. Voyons ce grand tableau intitulé "Le pont Mirabeau" (photo 3)IMG_7245.JPG qui occupe le mur d'une grande salle de l'exposition. L'espace est opaque et gris comme envahi par le brouillard. Le temps est suspendu. A gauche l'eau est sombre et ne coule pas contrairement à ce que dit le célèbre poème d'Apollinaire. A droite, où brillent quelques reflets blancs raclés dans la peinture, elle s'éclaircit. Les arches, réduites à deux lignes courbes, l'une petite et grise, l'autre ample et blanche, après avoir rebondi sur un pilier, franchissent le fleuve à la recherche de la lumière. Difficile de ne pas soupçonner qu'il s'agit d'une quête spirituelle.

    L'eau est omniprésente dans nombre de suites peintes par l'artiste ("Paestum", "Le nageur", "Chutes de mai"...) et le thème de la barque récurrent. On peut en voir ici des exemples avec deux touchants petits tableaux de la suite "Echouage". Dans l'un la barque noire occupe le centre de la toile (photo 4)IMG_7241.JPG et semble prisonnière d'une eau verte, matière mate, épaisse et sombre. Le temps s'est arrêté à la date gravée en haut à gauche : 6.5.10. Dans l'autreIMG_3215.JPG (photo 5) l'eau miroitante a la couleur du jade ; une barque (un poisson ?) aux contours mal définis, à la couleur oscillant entre le noir et le bleu foncé, tente d'esquisser un mouvement de bas en haut. Tout est indécis dans cette oeuvre délicate et émouvante.

    La toile de la série des "Hautes terres" montrée dans la première salle de l'exposition affirme la souveraineté de la peinture (photo 6)IMG_7243.JPG. Combien de couches de couleurs a-t-il fallu appliquer pour arriver à ce tressage de vert, de brun, de noir, de gris et à donner ce sentiment d'enfouissement entre ciel et terre. Une phrase d'André du Bouchet, difficilement lisible, est inscrite dans la chair de la peinture. En effet, si dans le choix de ses sujets l'artiste fait souvent référence à l'histoire de l'art : notamment à Paestum (avec la suite "Le nageur", Manet avec la suite "La servante"), Rodin (avec la série "Pierre de Wissant", etc...) il aime aussi citer les poètes et les auteurs qui lui sont chers (René Char, André du Bouchet, Marguerite Duras,...) Pour lui comme pour Twombly les mots, les lettres, les chiffres sont des dessins qui font entièrement partie du tableau.

    Bien d'autres oeuvres que celles ici citées sont à découvrir au cours de la visite tel ce tableau abstrait tout en nuances de gris qui n'est qu'espace, ou la série des "Bols" aux somptueuses couleurs. Vides, isolés, peints en contre-plongée, ils occupent le centre de la toile, comme en attente d'une offrande. Dans le travail de J.P. Schneider jamais le sujet ne prend le dessus de la peinture, celle-ci règne en maître, mais elle possède un pouvoir d'évocation propre qui fait résonner en nous nombre d'échos.

    IMG_7242.JPGLa forte présence des sculptures de Geoffroy de Montpellier n'enlève rien à celle des oeuvres de J.P. Schneider. Le matériau utilisé par ce sculpteur est la roche dont il tient à conserver la forme brute donnée par la nature. Par un lent travail de polissage et de sablage des parties non préservées il installe un climat de perfection et de beauté voulue qui contraste avec la splendeur révélée des parties originelles laissées brutes. L'immense et pesante sculpture posée dans la première salle d'exposition en fournit un magnifique et stupéfiant exemple (photo 7).

    Jean-Pierre SCHNEIDER, peintures, Geoffroy de MONTPELLIER, sculptures - Château de Ratilly - 89520-Treigny (Yonne). 03 86 74 79 54 - www.chateauderatilly.fr. Jusqu'au 3 novembre

    La galerie parisienne qui représente J.P. Schneider est la Galerie Michèle et Odile Aitouares -14 rue de Seine, 75006-Paris (o1 43 26 53 09)

     

  • Vera Molnar (par Sylvie)

    Artiste française d'origine hongroise née en 1924, Vera Molnar est une référence pour les fervents d'abstraction et  particulièrement de rigueur géométrique. La galerie Aittouarès rappelle en une vingtaine d'oeuvres la confondante subtilité de son travail ininterrompu depuis les années 40 (elle a aujourd'hui 95 ans), fait de lignes, entrelacs et motifs colorés ou non, d'une extrême sobriété.

    Celle qui participa, à la fin des années 50 à la naissance de l'art cinétique, fonda en 1960, avec son mari, le GRAV (Groupe de Recherche d'Art Visuel), fut aussi dès 1968 une pionnière en art assisté par ordinateur. On constatera ici que non seulement elle en a perçu l'immense capacité combinatoire, mais qu'elle en a exploré le champ des possibles. Avec pour outils un ordinateur, un écran et un traceur.

    Pour l'exposition que lui consacrent les "dames", mère et fille Berthet- Aittouarès, elle a choisi de montrer des travaux des années 2000 inspirés par d'illustres peintres du passé qui l'ont particulièrement marquée. Etonnant travail de reconnaissance sous le sceau d'une personnalité, pleine d'énergie et de créativité dont les thèmes de prédilection se retrouvent pas à pas: ligne, répétition, transformation, contrastes et, pour moyens, essentiellement le noir et le blanc.

    Sainte Victoire- Cézanne.jpgVera Molnar, 4 couleurs, d'un seul trait, 2001, 20x20 cm, _© Galerie Berthet-Aittouarès.jpgSi Paul Cézanne lui fut révélé dès sa jeunesse étudiante, c'est après s'être penchée sur les travaux du mathématicien Gauss qu'elle a pris conscience de la ressemblance de cette fameuse courbe en cloche avec le profil de la Montagne Sainte Victoire (1), courbe d'autant mieux reproductible par ordinateur qu'elle est née d'un calcul de probabilités. Dans les oeuvres qui en résultent - 4 couleurs, un seul trait, 20x20cm, 2001 (2) - les lignes, ici multicolores, la superposition des courbes, le tremblé semblable à celui d'un sismographe, évoquent autant le profond séisme originel que la luminosité et la douceur du modèle cézannien.    

    Klee-Ad-Parnassum.jpgMontparnasse, d'après Klee, en bleu, vert et rouge 2006 N_uméro 3 17x17cm 12x12cm ©galerieberthetaittouares.jpgMontparnasse à la lune Blanche (2), 3 lignes et 1 cercle _2007 15x15cm 10x10cm ©galerieberthetaittouares.jpgLe souvenir de Paul Klee  est lié à son tableau "Ad Parnassum" de 1932, conservé au musée de Berne (3.), ce Parnasse de la mythologie grecque, lieu de résidence d'Apollon et des neuf muses, lieu idéal cher au peintre, où tous les arts cohabitent.  Montparnasse d'après Klee, 2006 (4)....Déjà une abstraction sous le pinceau de Klee  - on devine plus qu'on ne voit montagne, toiture, soleil - ce tableau a ravivé  chez Molnar un idéal vécu d'enfance, de soleil et de bien-être confiant qu'elle traduit avec  rigueur et simplification des motifs. Les grands aplats de couleur scintillent comme les petits carrés de Klee et il émane de ce tableau une sérénité, une joie qui emporte.  Dans Montparnasse a la lune blanche , 3 lignes, 1 cercle, 2007, 15x15cm (5), l'astre -pastille ajoutée- enveloppe le paysage, simple croisée de lignes, dans tout son éclat.  Défiguration, juste des lignes et de la transparence... Une épure.

    800px-Dürer_Melancholia_I.jpgmontage polyptyque Plus petit, plus épais.jpgMelancholia est une gravure sur cuivre d'Albrecht Durer de 1514 (6 ). A la fois peintre, graveur, mathématicien, géomètre.. l'artiste allemand a intégré en haut à droite de cette oeuvre, dans une sorte d'échiquier, une multiplicité de chiffres symboliques dont les interprétations ont été nombreuses depuis le Renaissance. Ce carré magique est, dans les ésotérismes juifs et islamiques, associé à des connaissances secrètes. "Ce petit machin me fait travailler  depuis 50 ans" confesse Vera. Ainsi est né le "Montage polyptyque. Plus petit, plus épais... (7 ). Cinq graphies s'y succèdent, chacune dans un carré. Au premier abord elles semblent différentes. Il s'agit en fait du même motif,répété, d'une parfaite rigueur géométrique. La variante est l'épaisseur du trait ( plein ou délié). Pour que  la perception s'en trouve ainsi  changée, il fallait une bonne connaissance des mécanismes de la création .  Vera Molnar l'a fait sienne  et ce n'est pas pour rien que son travail entre aujourd'hui dans le cursus des écoles d'art.

    Vera Molnar , Affinités particulières, galerie Berthet-Aittouarès, 14 et 29  rue de Seine, 75006. Jusqu'au 20 avril.

    Aux lecteurs: pour mieux voir, cliquez sur les images.               

  • Tacita Dean et Julie Mehretu (par Sylvie)

    Deux plasticiennes amies de longue date ont travaillé de concert pour une exposition en l'honneur des 90 ans de Marian Goodman qui les accueille dans sa galerie parisienne et présente leurs créations personnelles et leurs oeuvres à 4 mains réalisées spécialement en 2018 pour cette occasion. Tacita Dean est née en Grande Bretagne en 1965, Julie Mehretu, américaine, est née en Ethiopie en 1970. Au premier abord leur point commun ne saute pas aux yeux mais une vraie poésie se dégage de leur travail et la mise en place comparative permet d'apprécier leurs différences.

    20180608_182420.jpgAu rez de chaussée, l'oeuvre de Julie Mehretu, A Love  Supreme, encre et acrylique sur toile (228,6x457,2cm) est si monumentale qu'elle polarise le regard. Dans cette superposition de transparences entre figuration et abstraction, s'enchevêtrent et tourbillonnent des traits énergiques, des formes et des couleurs sur un fond pâle. A scruter cet univers pour en chercher le sens, on devine, en haut au centre,  le tracé du seul élément figuratif, un buste plutôt masculin. Il n'explique rien, semble-t'il. L'oeil est charmé, happé par la légèreté de l'ensemble, le côté flottant des éléments purement graphiques et les couleurs douces qui rappellent les images virtuelles. Espace, mouvement suscitent le rêve.

    20180608_182323-1.jpg20180608_182233-1.jpgEn face sont accrochés 9 petits tableaux figurant des temps d'éclipse solaire, Suite of Nine, gouache, fusain et chaux vaporisée sur ardoise, un travail en noir et blanc, éblouissant comme l'est une éclipse dans sa réalité. Et d'une sublime tranquillité. Dans ce processus cyclique Tacita Dean met le doigt sur la fugacité du phénomène naturel, comme une  métaphore du changement et de la permanence. Cette artiste s'est toujours beaucoup intéressée au cinéma et à la photo pour montrer le mouvement ou les subtiles changements d'atmosphère et de lumière. Ici, deviennent presque tactiles les variations de valeurs du ciel et les infimes et mystérieux défauts inscrits sur le soleil noir.        

    Le rapprochement le plus évident entre ces deux artistes est leur pouvoir de mettre l'imaginaire en action.   

    20180608_183217.jpgDans la grande salle du bas sont exposés 90 monotypes Monotype Melody  (procédé d'impression sans gravure qui produit un tirage unique), 45 chacune, accrochés, dispersés tout autour, à la manière  des expositions d'autrefois. Pour Tacita Dean il s'agit de cartes postales anciennes, donc des petits formats, souvent humoristiques et légendées  qu'elle a retravaillées à la couleur, en taches ou en coulures d'encre d'imprimante. De près, elles rappellent certains travaux de Max Ernst ou les collages de Schwitters et transforment la réalité  en transcendance.

    20180608_183302-1.jpg20180608_183023-1.jpgDominant cet univers presque intime, les monotypes de Julie Mehretu en noir et blanc font ici presque figure de coup de poing. Avec leurs lignes écourtées, gigotantes, les taches à l'aérosol, au doigt et à l'encre d'imprimante, elles s'offrent en compositions ébouriffées. Tant de vigueur et de spontanéité tranche avec la méticulosité de Tacita Dean.

    Fulgurance chez l'une, lenteur réfléchie chez l'autre, l'idée de temps parcourt leurs oeuvres qui, toutes imprégnées des médiums de la modernité - couleurs d'imprimante, taches à l''aérosol et au doigt - invitent à l'évasion.

    Tacita Dean Julie Mehretu, galerie Marian Goodman, 79 rue du Temple, 75003 Paris. Jusqu'au 20 juillet.

                 

  • Béatrice Casadesus (par Régine)

    Intitulée "Pluie d'or" l'exposition de Béatrice Casadesus qui se tient actuellement à la Galerie Dutko dans l'Ile Saint Louis est d'une beauté fascinante. Il est rare aujourd'hui, où le concept de beauté dans l'art n'est plus considéré comme un critère de qualité pertinent, de ressentir une telle émotion esthétique.

    A peine la porte franchie, un somptueux triptyque nommé "Flamboyant" situé sur le mur du fond à gauche happe notre regard (photo 1)_DSC6159.JPG. Peint sur une toile laissée libre, il semble tissé de lumière. La multitude de points or qui s'étagent et structurent sa surface crépitent à travers les roux, les fauves cuivrés, les jaunes qui en organisent la surface. Dans notre esprit se bousculent les références aux artistes qui, au cours des siècles, ont utilisé l'or pour traduire les vibrations et l'immatérialité de la lumière : les peintres d'icônes, ceux de la Renaissance italienne Giotto ou Fra Angelico, les réalisateurs de mosaïques byzantines, les bâtisseurs des temples bouddhistes, notamment ceux de Bagan en Birmanie dont les coupoles dorées flamboient au coucher du soleil. Sa légèreté, le mouvement qui semble l'animer l'apparente aussi à un luxueux et soyeux sari indien. Le support à perdu sa consistance.

    A l'autre extrémité de la galerie lui fait face un autre polyptyque monté sur châssis et intitulé "Plein été" (photo 2)_DSC6365.JPG. Ici la lumière est à son zénith et la fixité des panneaux accentue cette sensation d'un moment suspendu. Une ligne de points sombres occupe le haut de la toile. D'autres lignes et points roux et oranges lui succèdent. Leur flamboyance décroît peu à peu vers le bas pour finir par s'éteindre sous le ruissellement des coulures dont la verticalité stabilise l'ensemble.

    Enfin, difficile de s'arracher au plaisir de contempler le diptyque "Nymphéa zinzolin" qui a servi pour le carton d'invitation (photo 3)20170910_164216 (2).jpg. La lumière jaillit à la jointure des deux panneaux horizontaux qui le compose. Elle disparait en haut sous les rouges zinzolin et les violets qui se font de plus en plus sombres et s'éteint en bas sous de légères coulures et une infinité de petites taches d'une variété inouïe de couleurs.

    Il y a aussi les bleus dont la gamme chez Béatrice Casadesus est infinie. Plusieurs exemples sont ici présentés dont le triptyque "Larmes d'or" où la nuit le dispute au jour (photo 4)14976871_363701750638362_2556367258457647278_o.jpg. La bande noire située en haut du tableau est débordée par d'autres dont le bleu de plus en plus clair se transforme en jaune très pâle à l'extrémité inférieure. Une pluie de coulures bleues, noires ou jaunes en contredit l'horizontalité.

    Les trois panneaux qui composent le triptyques "Nox" sont posés à l'horizontal, ce qui en étire la surface (photo 5)20171108_131504.jpg. Ici les points ont presque disparu pour faire place à une pluie d'un noir velouté qui se transforme en bleu violet comme celui de la nuit. Elle se déverse depuis le haut de la toile pour s'amenuiser dans le deuxième panneau et disparaître dans le troisième en laissant place à un poudroiement de petites taches ou de giclures d'une immense diversité de couleurs, laissant apparaître le gris de la toile de lin. La matérialité des coulures s'oppose et accentue l'immatérialité de la lumière qui sourd de ce tableau.

    Résistons au plaisir de continuer à décrire les oeuvres ici présentées - il faut aller les voir - pour nous demander comment procède Béatrice Casadesus pour donner au spectateur une émotion qui soit à la fois si physique et si métaphysique.

    Comme on a pu le constater ces tableaux sont essentiellement constitués de points. Comme Seurat à son époque, l'entité "point" fascine Béatrice. N'est-ce pas lui qui est à l'origine de toute chose ? l'atome, les cellules qui composent le vivant, les pixels des images et bien sûr les particules de la lumière. Or ce sont bien ces dernières que Béatrice tente de piéger pour en retrouver l'immatérialité et la transcendance. Saisir la lumière et ses vibrations, en révéler les sortilèges qui transfigurent le réel ne sont-ils pas le but de son inlassable quête ?

    Pour rendre palpable cette lumière l'artiste a besoin d'un contact matériel avec son outil. C'est ainsi que, depuis les années 1980, elle utilise le Bull pack, ce matériau d'emballage transparent fait d'une multitude de bulles d'air de différentes grosseurs encapsulées dans des feuilles de plastique et qui sert à emballer les objets fragiles. Cette feuille, elle la plonge dans la peinture et l'applique sur la surface du tableau en impliquant tout son corps (on pense aux anthropométries d'Yves Klein). L'accident, l'aléatoire entrent évidemment en jeu suivant qu'elle applique le bull pack avec plus ou moins de force. C'est de la répétition du geste, effectué presque à l'aveugle et suivant un certain rythme, que va naître l'image. De superposition en superposition les traces se font de plus en plus évanescentes et diffusent cet aura qui nous fascine. Pour les coulures elle utilise un pinceau fortement imbibé de peinture et avec une maîtrise sans pareil, du haut du tableau, elle laisse filer la couleur tout en profitant des aléas du support. C'est aussi de ce pinceau qu'elle fait gicler des myriades de petits points colorés.

    Cet engagement du corps de l'artiste dans la réalisation de ses oeuvres retentit inévitablement sur celui du spectateur qui, dans une sorte de vertige, a le sentiment de se fondre dans l'espace de la toile et sent naître en lui le sentiment d'un face à face avec l'infini.

    Cette exposition exceptionnelle semble marquer une évolution dans l'oeuvre de Béatrice Casadesus. Cependant, malgré les différentes formes qu'a pu prendre sa peinture au long de sa carrière d'artiste on reconnaît au premier coup d'oeil un tableau de Béatrice, ce qui montre bien la permanence de sa recherche.

     Béatrice Casadesus "pluies d'or" - Galerie DUTKO Ile Saint Louis, 4, rue de Bretonvilliers, - 75004-Paris (01 56 24 04 20. Jusqu'au 27 janvier 2018.

    A signaler également :  Deux expositions du 16 décembre 2017 au 4 mars 2018 à RAMBOUILLET : Béatrice Casadesus, Particules de lumières :

    Palais du Roi de Rome - Musée d'art et d'histoire - 52-54 rue de Gaulle - 78420-Rambouillet (01 75 03 44 50)

    La Lanterne - Place André Thome et Jacqueline Thome-Patenôtre - 78120-Rambuillet (01 75 03 44 01)

  • Debré et d'autres en Touraine (par Sylvie)

    Envie de vous échapper à l'approche de l'été ? Optez pour la Touraine, pas seulement pour ses multiples châteaux, ses bons vins et la somptueuse Loire.                                                                                                                     20170503_142010.jpg         A Tours même s'est ouvert en mars 2017 un nouveau musée d'art contemporain signé par deux architectes portugais Francisco et Manuel Aires Mateus qui ont eu le mérite de réaliser un bâtiment noble et rigoureux, adouci par la pierre blonde locale, dans un environnement hélas un peu ingrat malgré son nom de "Jardin François Ier" (photo 1). Ce Centre de Création Contemporaine abrite le fonds du  peintre, lithographe, décorateur, céramiste, Olivier Debré (1920-1999), architecte de formation dont on sait les racines locales et l'attachement profond au Val de Loire. Sa liberté de langage plastique en a fait un des représentants de l'Ecole de Paris. Il qualifiait son propre travail d' "abstraction fervente".                   

    20170503_143349-Gris bleu de Loire.jpgL'exposition actuelle qui se tient dans la galerie blanche est consacrée à des oeuvres peintes en Norvège où il a maintes fois séjourné à partir du milieu des années 60.  Le bleu domine. Rien de surprenant, "abstraite, immatérielle, spirituelle" tels sont les adjectifs employés par Debré à son sujet. Si on la sent, plus ou moins vibrante ou sombre selon qu'elle côtoie le blanc de la neige poudreuse ou glacée ou les noirs du crépuscule, il est clair que l'artiste a retrouvé dans le grand nord cette teinte du ciel tourangeau qu'il a toujours aimé. Pour en bien marqué le caractère symbolique, un 20170503_143726.jpg20170503_143239.jpg20170519_084647.jpggrand "Gris bleu de Loire" ouvre l'exposition (huile sur toile, 370x915cm, 1990. Photo 2).    Elle précède des oeuvres de petit format, tout aussi abstraites, créées souvent sur le motif.  Se profilent ainsi des signes récurrents comme les blancheurs hivernales d'Oppdal (photo 3) les bleus nocturnes ou orageux de Lysne(photo 4), les stavkirke, églises traditionnelles en bois (photo 5, capture d'écran), les tons sourds et terreux de l'automne en montagne ou  les tonalités outremer des marines de Svanoy. D'une matière épaisse, onctueuse, elles sont l'expression instinctive, spontanée d'une émotion que le spectateur peut lui-même ressentir... ou pas.

    20170503_15044Sous le titre "Innland" le musée présente également des oeuvres de jeunes créateurs norvégiens. Parmi eux Per Barclay qui a réalisé une "chambre d'huile", bassin monochrome noir et inerte qui reflète les hautes baies vitrées du bâtiment : magique.(photo 6).

    Olivier Debré, CCC OD, jardin François Ier, 37000 Tours.  Un voyage en Norvège, jusqu'au 17 septembre et Innland, jusqu'au 11juin. Du mercredi au samedi.

    20170503_151058.jpg

     

    Avant de quitter Tours pour remonter vers le nord, on peut s'enchanter de la présence, fut-elle temporaire, à quelques mètres du CCC OD, devant la façade Renaissance de l'hôtel Gouïn, d'un stabile coloré (phot 7) du sculpteur américain Alexandre Calder dont l'atelier de Saché où il travailla à partir de 1953, est aujourd'hui un lieu de résidence et de création artistique.

    A une quarantaine de kilomètres de là, au Domaine de Chaumont sur Loire, se tient le Festival international annuel des jardins. Il faut beaucoup de temps pour tout voir entre château, écuries, cour de ferme, parc...tous plus beaux les uns que les autres. Mais une simple promenade parmi les installations du parc est fort réjouissante. Nous avons ainsi retrouvé les travaux d'aiguille de l'anglaise 20170503_170958- Sheila Hicks.jpg20170503_170549-Henrique Oliveira(momento fecundo).jpg20170503_180024- Patrick Dougherty-1.jpg20170503_175107- El Anatsui (Ugwu) 1..jpgSheila Hicks (Glossolalia, photo 8), les entrelacs biomorphiques en bois du brésilien Henrique Oliveira (photo9), les cages végétales de l'américain Patrick Dougherty (photo 10) et les amoncellements alanguis de matériaux de récupération du ghanéen El Anatsui (photo 11). Il en est beaucoup d'autres à découvrir aux détours des chemins et des bâtiments.                               

    Les fleurs, dans leur variété, leur luxuriance, tiennent salon. thème 2017:  "Le pouvoir des fleurs".

    Festival international des jardins, Domaine de Chaumont sur Loire. Jusqu'au 5 novembre.

     

  • Karel Appel (par Régine)

    L'exposition Karel Appel, honorant une donation de 21 peintures et sculptures de la Karel Appel Foundation et de la veuve de l'artiste, réveille le Musée d'Art Moderne de la ville de Paris de sa torpeur. En effet de nombreuses salles sont vides ou en travaux, la programmation éclectique des derniers mois et le flou de celle à venir permet de s'interroger sur son avenir.

    L'exposition de Karel Appel qui n'occupe qu'une partie du rez-de-chaussée, n'est hélas pas à proprement parler une rétrospective. Elle met particulièrement l'accent sur les oeuvres des années 1945-1965 et mis à part l'ensemble de dix sept sculptures sur la thématique du cirque de 1978, le nombre des peintures des années 1970-2006, année de sa mort, est si restreint qu'il ne permet pas d'avoir une idée précise de l'ensemble de son travail.

    Ces réserves étant faites, elle vaut le déplacement car les oeuvres puissantes de la première période sont passionnantes à plus d'un titre.

    Né en 1921 à Amsterdam, Karel Appel y suit les cours de l'école des Beaux Arts puis vient à Paris en 1947. Il y découvre l'oeuvre de Dubuffet et un an plus tard y fonde le groupe COBRA, acronyme de l'origine de la plupart de ses membres (Copenhague, Bruxelles, Amsterdam). Dissoud en 1951, ce groupe qui réunissait des artistes tels que Jorn, Constant, Corneille, Dotremont, ne durera que trois ans mais suffisamment longtemps pour avoir permis à ses membres de rompre avec les formes artistiques de l'époque, contaminées par les normes et les conventions. Il aura donné à ses adeptes la liberté de puiser aux sources de l'instinct, de découvrir la richesse des arts dits primitifs, la valeur de la spontanéité créatrice du dessin d'enfant ou des handicapés mentaux.

    "La Promenade", un tableau de 1950, (photo 1)IMG_3914.JPG illustre parfaitement cet état d'esprit. Dans un festival de couleurs ou se disputent les rouges, les jaunes, les turquoises, les bleus et les bruns, deux créatures, peut-être des poissons, emmènent en promenade un drôle de petit individu juché sur le dos d'un animal extravagant. Le tout campé comme un dessin d'enfant où formes et couleurs se répondent, nous communique, à la manière de Miro, un sentiment de plénitude joyeuse.

    Mais pour l'artiste, l'art est-il réellement une fête comme l'indique le titre de l'exposition ? En effet, avec d'autres oeuvres, un peu plus tardives, le visiteur se trouve bousculé par un climat beaucoup plus inquiétant, mélange de candeur, de tristesse et de violence.

    Dans "Carnaval tragique" de 1954, (photo 2) IMG_3918.JPGau dessus du visage d'un homme aux yeux écarquillés, s'agglutinent plusieurs personnages terrifiés. Tous semblent figés d'effroi devant un spectacle tragique. L'ensemble, sommairement dessiné d'un trait nerveux, griffé, jaillit de la matière picturale aux couleurs vives, franches et peu travaillées.

    Une grande solitude et un profond désarroi se dégage de "Danseurs du désert", (photo 3) IMG_3916.JPGpeint la même année. Sur un fond de couleur sable, deux êtres (homme ou animal ?) nerveusement griffonnés se tiennent debout de face. Leurs visages et leurs corps réduits au minimum sont balafrés de couleurs éteintes et de quelques taches de rouge.  Entourés d'un tourbillon de traits, pour quel public dansent-ils ces deux êtres si pathétiques ?IMG_3920.JPG et à quel évènement assiste le personnage de "Tête tragique" de 1956  (photo 4). Peint en noir et blanc avec quelques touches de bleu il semble jaillir de la matière en hurlant sa terreur.

    Dans les années 1962, l'artiste peint une série de nus dont sa compagne "Mashteld" qui mourra en 1970 (photo 5)IMG_3924.JPG. Portant pour tout vêtement un grand chapeau noir, elle se tient de face et occupe toute la surface de la toile. La matière, le personnage sommairement esquissé évoquent irrésistiblement les femmes de de Kooning mais dont l'agressivité et la fougue auraient été évacuées pour laisser place à une tendresse emprunte de mélancolie.

    Appel est également sculpteur.  Il construit d'étranges sculptures réalisées avec des objets trouvés, tel "L'homme hibou" (1962) (photo 6) IMG_3929.JPGfaites à partir d'une souche d'olivier. Dressé sur ses ergots l'individu observe le monde de ses yeux troués. Peint à la manière de Gaston Chaissac, le jaune, l'orange, le noir et le blanc se partagent sa surface rugueuse. Deux autres sculptures-installations monumentales, toutes deux exécutées en 2000, ouvrent et ferment l'exposition. L'une est faite de têtes d'ânes hilares coiffés de parasols, "Anes chanteurs", l'autre de chevaux de foire entremêlés de totems indonésiens "La chute du cheval dans l'espace silencieux". Ces assemblages baroques, à l'atmosphère assez grinçante, empruntant au monde de la foire sont beaucoup moins convaincants que la série des dix sept sculptures joyeuses qu'il réalise en 1978 (photo 6) IMG_3943.JPGsur le thème du cirque et qui sont toutes là. Faites de bouts de bois, vivement colorées, ce sont autant d'animaux IMG_3938.JPGen action (photo 7), de clowns acrobates (photo 8) IMG_3936.JPGou musiciens, saisis dans l'instantanéité de leur numéro. Affranchie de toute convention, Appel laisse ici libre cours à sa spontanéité, sa drôlerie, son imagination.

    A partir des années 1980, Karel Appel partage sa vie entre Paris et New York. Cette période est très peu représentée dans l'exposition. Deux oeuvres, pour lesquelles l'artiste renonce à la couleur, ont retenu mon attention. Bien que figuratif le grand polyptyque en 4 panneaux intitulé "Les décapités" (1982) (photo 8) Les décapités.jpgest tragiquement énigmatique. Le sol flambe sous les pieds du personnage et sous les pattes des oiseaux peints en noir sur un fond blanc mouvementé. Tous les protagonistes se livrent à une lutte cruelle dont personne ne sort vainqueur. Nude figure"de 1989 (photo 9IMG_3945.JPG) est un tableau poignant. Sur un fond uniformément noir qui occupe les trois quart de la toile un personnage peint en blanc évite de tomber en s'appuyant sur un mur. Bien que puissamment bâti, son corps se défait, les maculations de peinture blanche qui s'en échappent et les crispations des traits de son visage sommairement dessiné traduisent son effort pour se maintenir debout.

    En regardant les oeuvres d'Appel ici exposées, ce n'est pas vraiment la représentation qui compte mais son énergie communicative. Par la façon dont il travaille la matière, dont il utilise les couleurs, c'est le mouvement même de l'émotion qu'il nous communique. "Son anthropomorphisme sous-tendu par le grotesque et l'ironie est comme un rêve éclaté et halluciné par l'explosion créatrice à la fois tourmentée et heureuse", disait si bien le critique d'art G.C. Argan.

    "Karel Appel, l'art est une fête" Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris - 11, avenue du Président Wilson, 75116-Paris, (01 53 67 40 00) ouvert du mardi au dimanche de 10 à 18 h. Jusqu'au 20 Août 2017.

     

     

  • GABRISCHEVSKY (par Sylvie)

    L'exposition se tient jusqu'au 18 septembre seulement. Il ne faut pas la rater. L'oeuvre d'Eugen Gabrischevsky (1893-1979) est en effet exceptionnelle bien que cet artiste russe soit peu connu du grand public. On comprendra l'intérêt que lui a porté Jean Dubuffet dès 1950 lorsqu'il a été mis en présence de la peinture de ce scientifique interné depuis le début des années 30 en hôpital psychiatrique pour troubles mentaux et qui y restera jusqu'à sa mort en 1979. Non pas qu'il soit classable parmi les représentants de l'Art Brut dont l'art découle d'un dénuement affectif, social et intellectuel. Eugen Gabrischevsky fut au contraire un intellectuel aux multiples talents, un biologiste réputé et d'une origine sociale aisée lui ayant permis d'accéder très jeune au dessin, à la sculpture, à la musique, aux langues étrangères, aux sports. Sa passion pour l'observation de la nature l'a mené vers l'étude de la biologie et, plus particulèrement, la génétique. "Son talent n'est pas né de sa maladie, il en a été la cause, non la suite." selon son frère Georg qui a oeuvré pour sa reconnaissance et que les collectionneurs Alphonse Chave et Daniel Cordier ont soutenu.

    Gabrischevsky. st-1952(-autoportrait )da49c665dfa4b3ffcdf0a6e178f61d0d.jpgGabrischevsky-st-1947-gouache sur papier (visage -trous noirs).jpgGabrischevsky-Gringalet-1949-gouache sur papier (tetard).jpgGabrischevsky-st-sd-gouache et crayon sur papier calque (torse plante).jpgAu début de l'exposition, l'autoportrait de 1952 à l'aquarelle et au crayon sur papier, frappe par l'acuité du regard renforcé par les lèvres serrées. Regard inquisiteur qui semble vouloir percer le mystère de lui-même et du monde, d'une pâleur diaphane comme une absence de chair (photo1). Les visages, seuls ou groupés, fourmillent dans les oeuvres présentes. Il ne s'agit pas de réalisme. Ce sont des surfaces plates, lunaires et sans relief, placides, où s'inscrivent des yeux, simples ronds ou points comme en font les enfants, ou bien trous noirs et profonds de cadavre (photo2). Avec ses globes oculaires à fleur de peau et son cou long et sinueux le Gringalet de 1949, se perçoit comme un amphibien à la transparence glaireuse (photo3). Et l'homme-montagne étend ses bras en fleurs (photo4). Le généticien d'origine est allé de plus en plus vers la représentation de figures humaines en mutation, faisant coïncider les imaginations scientifiques et artistiques. On ne s'étonnera pas de la récurrence des sujets.

    Gabrischevsky-st dec 47-gouache sur papier-femme.jpgGabrischevsky-st-1949-gouache sur papier (foule ds immeuble).jpgD'innombrables créatures fantastiques et mythologiques hantent cette production foisonnante et raffinée où se lit la multiplicité du vivant, les déformations du corps. Certaines rappellent le surréalisme comme ce corps de femme hybride (photo5). Des êtres s'assemblent , spectateurs ou acteurs cadrés dans des rideaux de scène ou dans une folie tournoyante de cirque ou de carnavals. Les yeux sont toujours là, obsédants. Parfois des foules en procession pénètrent, se dispersent et disparaissent en fumée dans des bâtiments quadrillés de percées (photo 6). Malgré son isolement, l'artiste aurait il été informé des camps de concentration ou bien était-ce le résultat de son imagination seule?. Des paysages saturés, hantés de silhouettes fantomatiques, grouillent d'une vie indéchiffrable. Il y a du Jérome Bosch parfois dans cet univers.                                                    

    Gabrischevsky- st-1939-gouache sur papier (vers aquatiques).jpgGabrischevsky-st-1941-gouache sur papier calque (oiseau).jpgUne nature folle où le végétal devient animal, tels ces chenilles perlées agencées comme des gènes qui jaillissent d'une matière presque transparente (st.1939, photo 7). Faune, flore luxuriantes, multicolores, s'emmêlent pour un enchantement visuel : serpents, insectes et oiseaux somptueux, dragons imaginaires dont la magnificence éblouit ou effraie comme un possible (phot8).

    Tant de sujets que l'art du dessinateur prend à bras le corps et applique à la surface entière du support. Cinquante années d'internement n'ont pas réduit ses capacités de renouvellement, à s'inventer des supports les plus divers dans cet univers confiné,  pages de magazines,  papier photo ou radiographique, calque ou notes administratives ; à explorer toutes sortes de procédés,  le frottage, le grattage, le tamponnage à l'éponge, le pliage et le passage de la couleur au doigt ou au pinceau : un éblouissement malgré les petits formats. Un sens de la couleur parfaitement maitrisé où l'on retrouve les noirceurs d'un Victor Hugo, des transparences aquarellées, des flamboyances contrastées à la gouache propres à faire apparaitre par hasard des images. Un trait maitrisé, Gabrischevsky-Ds l'au delà en chainé-1941-gouache sur papier(gestuel).jpgsophistiqué, d'une précision d'entomologiste ou d'une gestuelle violente comme cet Au delà enchainé de 1941(photo 9) qui plonge dans l'invisible à la découverte d'un visible.. Un régal pour le spectateur certes, mais à quel prix...

    Eugen Gabrischevsky à La Maison rouge, 10 bd de la Bastille, 75012 Paris. 01 40 01 08 81. Jusqu'au 18 septembre. Et après Au Musée de l'Art Brut à Lausanne du 11/11/16 au 19/02/17, et du 13/03/17 au 13/08/17 à l'American Folk Art Museum à New York.

     

     

  • Judit REIGL (par Régine)

    Installée en France depuis 1950 Judit Reigl, qui a aujourd'hui 93 ans, est une artiste rare à la fois parce que son oeuvre est exceptionnelle et qu'elle est très peu montrée dans les Musées et les galeries. C'est pourquoi le fait que 5 galeries parisiennes se soient entendues pour exposer simultanément jusqu'au 31 mai, une soixantaine de ses oeuvres, est un évènement. Il ne s'agit pas d'une rétrospective mais la répartition chronologique de son travail entre les différents lieux permet d'en montrer les étapes importantes et de comprendre son chemin au sein des courant de l'époque.

    La Galerie Le Minotaure ouvre le parcours avec les années 1950-1965, ses quinze premières années parisiennes. Fuyant la Hongrie et son régime totalitaire pur "faire de la peinture comme elle l'entend", après un périple inimaginable à travers l'Europe, elle arrive à Paris à 27 ans. Accueillie par son compatriote Simon Hantaï elle rencontre André Breton qui, subjugué par son travail, lui organisera sa première exposition. Grâce à lui elle découvre le surréalisme dont elle retient surtout la liberté que lui procurent l'écriture automatique et l'importance du geste. Elle développe alors rapidement ce qui sera présent tout au long de sa carrière de peintre, à savoir son intérêt pour l'implication simultanée du corps et de l'esprit.

    Les quelques encres sur papier de la série "Eclatement" (1954) présentées dans la galerie illustrent la jubilation que lui procure cette découverte. Le trait jaillit, tourbillonne, explose tel un feu d'artifice dirigeant le regard au delà du cadre (photo 1)IMG_1747.JPG ; l'euphorie est communicative. Deux impressionnantes toiles de la série "Ecriture en masse" sont également présentes. Dans l'une (1959), au coeur d'une forme ronde d'un noir intense qui semble traverser en apesanteur l'espace de la toile blanche, flamboie un magma rouge feu. Judit Reigl nous entraîne ici dans le cosmos, à l'unisson du mouvement des planètes et au coeur de la formation du monde (photo 2)IMG_1749.JPG. Laissons la expliquer sa façon très personnelle de réaliser cette série : "A partir d'un fond blanc, je plaçais sur la toile les mottes de peinture avec une lame souple et arrondie... et je les "montais" ensuite de bas en haut de la toile en recouvrant avec un pigment noir broyé les couleurs plus légères placées en dessous". Comme d'autres artistes de sa génération Judit Reigl a toujours créé elle-même ses propres outils les adaptant au plus près à ce qu'elle souhaite faire.

    Le parcours continue avec les années 1966-1972 présentées par la Galerie Antoine Laurentin. On assiste ici à l'arrivée des figurations anthropomorphes qui, malgré les efforts de l'artiste pour revenir à la non figuration, se sont, malgré elle, imposée sans programme préconçu. Ce sont de grandes toiles (la plupart mesure 233 x 208 cm) où l'on perçoit, de façon plus ou moins évidente, des torses d'homme, peints de façon plus abstraite en noir et blanc ou plus figurative dans des couleurs très franches. Ainsi le buste d'homme d'un violet très pur parcouru d'un buisson de ramifications noires qui lui donne sa présence, sa vigueur et son dynamisme. Il est nu, musclé, puissant, traverse et déborde la toile (photo 3)IMG_1737.JPG. Un autre également intitulé "Homme" est si grand qu'il remplit la totalité du tableau. Il l'excède de toute sa force, il l'enflamme et la traverse comme un météore. En parlant de ces torses, judit Reigl s'exprime ainsi "Ils se dressent activement contre le néant, ils affirment leur existence, leur libération et expriment l'expérience d'être humain".

    Comme dans les oeuvres précédentes ces représentations fragmentaires renvoie à l'idée ce continuité de la figure hors cadre, à l'infini. Ce sont aussi des morceaux de corps qui incarnent la peinture.

    Dans la belle Galerie Anne de Villepoix ce sont les impressionnantes toiles libres de la série "Drap/décodage" de 1973 qui sont accrochées et qui ne sont que l'empreinte des tableaux de la série "Homme" dont nous venons de parler. Pour les réaliser elle a agrafé des draps transparents sur les tableaux, en a relevé l'empreinte dans des tons ocres, vert ou bleu puis a retourné la toile (photo 4)IMG_1750.JPG. Ce que l'on voit c'est donc le verso autrement dit le vestige de la peinture qui a diffusé à travers le tissu. On se trouve donc entouré d'immenses suaires, dont la trace humaine, asexuée, désincarnée, flotte dans l'espace blanc du drap. A travers la chair de ces corps qu'elle a dépouillés de leur armature de traits noirs, Judit Reigl traque la quête d'infini de l'âme humaine. "Au fond l'expérience fondamentale n'est pas proprement humaine ; c'est l'expérience d'être, en de ça et au delà de l'humain" dit-elle.

    Enfin dans un tout autre esprit un somptueux triptyque de 1976, totalement abstrait, s'impose avec une force exceptionnelle et invite à la méditation. Deux panneaux très sombres sur lesquels courent des traces bleu nuit entourent le troisième, un monochrome mordoré qui semble en métal. On reste subjuguéIMG_1751.JPG (photo 5).

    La Galerie Etienne Gaillard revient aux années 1965-1966 avec "Ecritures d'après musique" qui sont prémonitoires de la série de tableaux intitulée "L'art de la fugue" des années 1975-1982 et de son retour à l'abstraction En 1965 en effet Judit Reigl perd momentanément l'usage du coude et se trouve dans l'impossibilité de peindre de grands formats, elle en est réduite à faire des petits dessins qu'elle exécute en écoutant de la musique. Ce sont des pages de graphies légères, délicates et rythmées" (photo 6)IMG_1730.JPG.

    En entrant dans la galerie on set immédiatement happé par la beauté, l'aspect mélodieux et aérien d'une grande toile carrée de la série "L'art de la fugue" (photo 7)IMG_1758.JPG. Le fond d'un bleu profond, monochrome comme l'azur, est seulement traversé en son milieu par deux lignes de touche légères et délicates qui ne font que la parcourir. Tous les tableaux de cette série sont réalisés par l'artiste en déambulant au son de la musique, souvent de Bach, le long de grandes toiles blanches qu'elle a agrafées sur tous les murs de son atelier. Elle en effleure le recto à chaque pas avec un pinceau trempé dans une peinture glycérophtalique, donc très grasse, et enregistre ainsi son déplacement, sa danse. Puis elle taille dans le drap les parties qui lui plaisent et applique au verso une teinture acrylique, ici du bleu, à travers laquelle les traces ondoyantes de ses déplacements se diffusent et transparaissent. Sur une autre toile enduite de rouge vif les multiples traces de son passage transparaissent comme des portées musicales en orange ou beige clair. On retrouve ici son souci d'utiliser aussi bien le verso que le recto de ses toiles.

    Comme dans ses autres oeuvres, on éprouve devant celles-ci ce sentiment d'apesanteur et d'espace qui continue bien au delà du cadre. Elle s'exprime d'ailleurs ainsi : "La fugue court, engendre sa propre énergie, crée sa propre loi, s'étend sans fin ni repos.

    L'exposition au Studiolo de la Galerie de France termine ce périple en présentant "Fragments des années 1960-2015". Sur la vitrine ces quelques mots prononcés en 2016 par Judit Reigl en résume le thème "Je regarde les grandes toiles ratées ou abandonnées, Guano, Drap/décodage, Déroulement et j'y retrouve des possibilités infinies, des paysages jamais vus, fragments d'horizons lointains, hasards heureux".

    Ce sont donc des petits tableaux faits à partir de fragments découpés dans des oeuvres vouées à l'abandon. Certains sont baptisés "Guano" en référence aux excréments des oiseaux marins et que l'on utilise comme engrais naturel extrêmement riche. Les notions de strates et de mémoire, de destruction/reconstruction sont omniprésentes dans son travail.

    Plusieurs sont extraits des séries "Déroulement". Certaines ont particulièrement retenu mon attention, notamment une merveilleuse toile grise que seules quelques touches jaunes traverse en apesanteur la partie supérieure (photo 8)IMG_1724.JPG ; également quatre petits formats fort heureusement regroupés sur une cimaise. Deux sont vert bronze, deux autres pourpre sombre. Sur chacune flottent ou s'évanouissent quelques taches plus claire. Si tous ces petits formats ne retiennent pas avec la même force, ils font partie de cette constante qui est que chaque série s'engendre toujours de ce qui l'a précédé.

     

    Sous-tendue par des constantes qui traversent tout son travail, et malgré les différentes formes que celui-ci a pu prendre au cours des années, l'oeuvre de Judit Reigl est d'une grande cohérence et dépasse l'opposition figuration/abstraction. Elle le précise d'ailleurs en disant "La seule constante de mon travail est l'expérience d'être ! Si ça doit être figuratif j'accepte, si cela devient abstrait j'accepte aussi".

    Oui, Judit Reigl s'impose comme une des artistes majeurs du XXème siècle. A quand une grande rétrospective de sa peinture à Beaubourg comme celle qui a été consacrée en 2013 à son compatriote Hantaï. Elle permettrait de prendre conscience de l'ampleur et de la force de cette oeuvre exceptionnelle.

    Expositions jusqu'au 21 Mai 2016 :

    Galerie Le minotaure : "Eclatement écriture en masse" - 2, rue des Beaux Arts, 75006-Paris (01 43 54 62 93)

    Galerie Antoine Laurentin : "Homme" - 23, Quai Voltaire, 75007-Paris (01 42 97 43 42)

    Galerie Anne de Villepoix : " Drap/décodage" - 43, rue de Montmorency, 75003-Paris (01 42 72 32 24)

    Galerie Alain Le Gaillard : "Ecriture d'après musique, art de la fugue" -  19, rue Mazarine, 75006-Paris (01 43 26 25 35)

    Le Studiolo Galerie de France : "Fragements de peinturesz" - 54, rue de la Verrerie, 75004-Paris (01 42 74 38 00)