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Peinture - Page 4

  • BEATRICE CASADESUS (par Sylvie)

    Sous le titre d' "Ocellures", un mot au charme désuet qui signifie bigarrures, la galerie Gimpel et Müller présente des oeuvres récentes de Béatrice Casadesus. L'ocelle est le terme zoologique de tache. On ne s'étonnera pas de cet emploi sous la plume d'une artiste dont le travail repose sur le point, ce motif-espace par lequel apparait ou s'évanouit la lumière. Rappelons nous l'ile de la Jatte sous le pointillisme de Seurat.

    L'exposition donne un aperçu du travail récent de l'artiste, bien que les grandes tarlatanes flottantes n'y figurent pas, ni les intissés, ni les oeuvres architecturales. La figure ne l'a jamais intéressée. "Peindre ?", résumait-elle en 2000, " Rien de plus que traverser la lumière". Quelle gageure !

     

    4 - avec Giotto.jpgocellures-2010-2011-acrylique sur toile, 60x60- 001.JPGIMG_7023 (2) - Copie.jpgDés l'entrée de la galerie, le regard est absorbé par un grand diptyque d'une extrême gaité, qui rayonne de bleus percés d'or. "avec Giotto", (2009, acrylique sur toile de lin, 200x280 cm), photo 1, déploie un espace léger, infini - sans bord - tout en vibrations, un cliquetis visuel raffiné. Béatrice Casadesus y décline ce qui fait sa marque de fabrique, les empreintes, comme si elle avait volé aux rûchers leurs rayons de cire pour donner forme à la couleur. La netteté des pastilles hexagonales qui en sont issues n'est que ponctuelle, temporaire en quelque sorte, tellement leur effacement progressif vers le bas de la toile, leur dilution en trainées verticales sur le fond or ou blanc, s'inscrit dans le temps. Les coulées de bleu et de blanc brouillent le fond. Peu à peu les alvéoles repoussent leur plein de couleur, blanchissent et se dissolvent au profit de leur tracé linéaire dans un jeu d'apparition-disparition. Cette inversion module l'espace de la toile comme l'or, en paillettes, décuple sa dimension. Capture d'un instant chatoyant et évanescent qui inspire, comme dans les fresques de Giotto, une émouvante spiritualité.

    Autour, figurent d'autres oeuvres carrées de petit format (60x60cm) aux nuances singulières et douces.  Dans l'une, photo 2, "ocellures" 2010-2011, Les trames de rose et de jaune en haut de la toile passent au blanc puis se teintent d'un bleu lavé. De près, vraiment de très près, j'ai constaté qu'elles étaient de gabarits différents: les plus grandes, en taches claires se disputent la surface - laquelle est dessus laquelle est dessous? - avec de toutes petites, grises, opaques, aux contours nets cette fois.  De cette combinaison nait l' impression visuelle de mouvement immateriel de la lumière, une sorte de blanc d'éblouissement. 

    Deux autres "ocellures" côte à côte du même format, photo 3, combinent le jaune et l'or de leurs trouées accumulées en nébuleuses où se mêlent l'opaque et le transparent, pour offrir au regard la fulgurance d'une lumière filtrée.

    IMG_6992-2 (2).jpgIMG_7008 (2)(1) - Copie.jpgIMG_7024 (2) - Copie.jpg "Colonne lumière", photo 4, (2012, plexi peint 200x30 cm de diam.), "Petit cylindre ocellé", photo 5, (2012, h 46x diam 25 cm) et "Etai", photo 6, (2012, 141 x 21 cm). Avec le plexi, B.C. a trouvé un allié qui occupe l'espace avec légèreté. Elle en a fait une installation,photo 4, qui cristallise sa double préoccupation, la sculpture et la lumière fugitive. Sur ce support tubulaire translucide, lisse et léger, la peinture acrylique - on dirait des encres - conserve sa transparence, les coulées s'y superposent, avant, arrière, on ne sait plus, suspendues comme en apesanteur. Le faisceau lumineux qui les traverse projette sur le mur leur reflet, mais brouillé jusqu'à l'abstraction, comme le font les vitraux d' églises qui répandent leurs couleurs sur la pierre et dans l'espace, cette réalité insaisissable née du mouvement aléatoire de la lumière.

    005.jpg"En suspens",photo 7, (2011, bois et papier-bulle peint, 220x150 cm de diamètre), résume, selon Béatrice, son processus de travail. Le materiau, du papier-bulle, lui est tour à tour outil - il lui sert à appliquer la peinture par couches superposées ( elle a horreur du pinceau) et "pièce en soi", objet fini, concrètement et métaphoriquement suspendu( il est arrêté dans sa fonction). Léger et mobile, c'est une sorte de gigantesque lanterne magique ou de rideau de théatre, dont les lais, peints à la main, frissonnent et laissent passer à travers leur volumétrie irrégulière le halo lumineux.

     Avec les "ocellures" les couleurs cuivrées et vineuses des années passées, le sombre et l'or des temples d'Asie et leur impact sur la rétine semblent abandonnées. L' irradiance nouvelle, plus claire, plus apaisée peut-être ou plus aveuglante pour avoir trop fixé le soleil, implique que le regard s'y attarde durablement. C'est le propre du travail de Béatrice Casadesus, tout en subtilité.

    Béatrice Casadesus "Ocellures", galerie Gimpel et Müller, 12 rue Guénégaud, 75006 Paris.  01 43 25 33 80. Jusqu'au 5 juin.

  • Georges NOËL (par Régine)

    La galerie Catherine Putman expose actuellement des oeuvres sur papier de Georges Noël. Cet artiste, disparu en 2010, appartient à la génération, un peu oubliée depuis, des artistes abstraits lyriques et expressionnistes surgie après la guerre. Il est surtout connu pour ses tableaux qualifiés de "Palimpsestes" où, d'un médium épais (comme chez Fautrier ou Dubuffet) émergent des traces, des signes, les traits les plus lisibles en recouvrant d'autres. Comme sur un vieux mur on peut y lire l'effacement ou comment le passé apparaît dans le présent, démarche proche de celle de Twombly.

    Les deux ensembles d'oeuvres, l'une des années 1967/68, l'autre de 1983/84 m'ont fait découvrir avec bonheur un aspect de son oeuvre que j'ignorais.

    Dans la première salle, les séries des cibles et des lettres témoignent de sa formation d'ingénieur et de son métier de dessinateur projeteur qu'il pratiqua dans une entreprise d'aéronautique avant de devenir peintre.

    Dans celle des cibles (photo 1 et 2)GEDC0012.JPGGeorges Noël Sans titre 1967 dessin, technique mixte sur papier,75 x 75 cm.jpg, une série de cercles concentriques tracés au compas est traversée en son milieu par une bande colorée (jaune, verte, pourpre...). Des petits ronds, tels des impacts de balles noirs ou blancs criblent et dansent sur et autour de ces cercles les animant d'une rotation qui fait penser à celle des planètes. Les initiales GN, tracées à la règle en bas au centre ou à gauche sont prises dans ce mouvement. La puissance de la sensation naît de la tension exercée entre le mouvement et la stabilité, la précision et l'aléatoire, la maîtrise supposé du geste du tireur et l'incertitude de l'impact de sa balle. Cette démarche diffère de l'illusionnisme de l'art cinétique dont le but était d'explorer l'infinité des phénomènes visuels.

    L'intérêt de l'artiste pour les lettres et les chiffres, la rigeur de leur tracé, leur beauté formelle est manifeste dans une autre série qu'il leur consacre.

    Délicatement appliquées au pochoir sur un fond maculé de multiples traits à l'encre de Chine, des lettres et quelques chiffres occupent entièrement l'espace d'une petite oeuvre de 1968 (photo 3)parisart-14-CP-Noel-G-53022.jpg. Mises dans un sens ou dans un autre, le rythme naît de leur agencement ; la délicatesse des tons un peu passés, la fragilité de leur contour, le fond hachuré d'obliques, donne à l'ensemble une animation, une tonalité musicale, un charme proche de certaines oeuvres de P. Klee.

    Dans un dessin de la même époque le fond est occupé par un quadrillage précis. Sur son tracé, des caractères colorés apparaissent et disparaissent comme s'ils jouaient à cache-cache en se dissimulant à demi sous des bandes de papier (photo 4)GEDC0014.JPG. Au centre d'un autre encore, lettre et chiffres défilent sur une bande sombre dans des couleurs qui se répondent tandis que d'autres, dessinés en négatif, les encadrent et semblent tourner dans le sens inverse (photo 5)Georges Noel Sans titre 1968, dessin, technique mixte sur papier, 61 x 48 cm.jpg. Enfin cibles et caractères sont réunis dans un dessin intitulé SCORE (photo 6)Georges Noël _Score_ 1968, dessin, technique mixte sur papier épais, 60,5 x 50,5 cm#021C.jpg. Ce mot dont les lettre RE sont à l'envers est inscrit au centre d'une bande colorée dessinée sur une cible elle-même traversée de lignes droites et d'impacts de projectiles. La cible tournoie, la bande avec son inscription défile, tout est à la fois stable et en mouvement. Comme dans les oeuvres précédentes la tension naît de ces contradictions.

    La fascination de Georges Noël pour ces signes est communicative et c'est un vrai bonheur de le voir leur donner vie.

    Un ensemble de collages des années 1983/1984 occupe la deuxième salle de la galerie. Georges Noël revient alors des Etats unis ou il a passé plus de dix ans. il a beaucoup voyagé, notamment au Mexique et au Pérou. Il revient à son langage gestuel à la fois spontané et maîtrisé et aux superpositions de matériaux, ici de papiers.

    Dans le beau dessin intitulé "Cuzco" de 1984 (photo 7)Georges Noël _Cuzco_ 1984, dessin, technique mixte et collage sur papier, 68,5 x 75,5 cm#5CEF.jpg, les trois hautes marches d'escalier collées en surimpression sur un fond gris hâtivement gribouillé indique à la fois la sauvagerie du lieu, sa grandeur et le temps qui s'y est déposé. Dans "sans titre" de 1984 (photo 8)GEDC0005.JPG, deux formes rectangulaires nerveusement maculées se heurtent à un de leurs angles. Elles semblent dériver sur un fond où subsistent quelques traces. Le titre "Ephémère" donné à un grand dessin pourrait peut être résumer le sentiment que l'on ressent devant ces collages, celui du passage du temps qui transforme toute chose. L'idée du palimpseste n'est pas loin.

    Georges Noël - Pochoirs et collages - Galerie Catherine Putman, 40 rue Quincampoix, 75004-Paris. 01 45 55 23 06 - du mardi au samedi de 14 h à 19 h. jusqu'au 28 avril 2012.

     

     

  • James CASTLE (par Régine)

    Y aurait-il une lassitude à l'égard de l'art contemporain essentiellement tourné vers l'extérieur ou vers lui-même et un regain d'intérêt pour l'intériorité et l'authenticité d'oeuvres d'artistes indemnes de toutes connaissance artistique, analphabètes, souvent handicapés, mais animés de l'impérieuse nécessité d'exprimer leur Moi le plus profond ? Des expositions récentes pourraient le laisser penser, ainsi Judith Scott et ses cocons au Couvent des Bernardins (cf. article de Sylvie dans ce blog), Marcel Storr et ses églises et villes imaginaires au Pavillon carré de Baudouin à Ménilmontant et maintenant James Castle chez Karsten Greeve.

    Né en 1899, au fin fond de l'Idaho, dans une famille défavorisée, sourd-muet, totalement analphabète, James Castle, malgré ou à cause de tout cela a fait une oeuvre fascinante.

    Ne disposant d'aucun matériel pour travailler il a fait siens les moyens du bord. Dans la boutique de ses parents il a glané des emballages, des bouts de cartons, des vieilles publicités qu'il a utilisés comme support ; à la poste où son père opérait il a récupéré des enveloppes usagées ; avec une baguette de bois ou un bout de carton roulé il s'est fabriqué des pinceaux ; avec un mélange de suie, de salive et de papier crépon, un médium. La pauvreté et le côté usagé de ces matériaux, le petit format, la couleur généralement charbonneuse comme du fusain ou du pastel gras, parfois brune, rose ou bleue, renforcent l'authenticité, le dénuement et la solitude des sujets traités. Ils concernent essentiellement le monde qui l'entoure passé par le filtre de son regard.

    Les maisons ont la présence de visages fermés sur leur mystère. Isolées par un trait noir d'un environnement où la terre est sombre et le ciel bas et gris, leurs portes et leurs fenêtres sont toujours closes. L'une (photo 1)GEDC0022.JPG impose sa présence par un cadrage très serré et les horizontales qui la traversent. Une autre (photo 2)GEDC0017.JPG,
    précédée d'un long chemin - vers un paradis ?- dénote un grand sens de la perspective. Sens inné bien sûr que l'on retrouve dans nombre d'oeuvres, notamment celles d'intérieurs ou de greniers avec charpentes.

    Les personnages sont toujours frontaux (photo 3)GEDC0030.JPG
     même dans des espaces à trois dimensions, leurs corps souvent réduits à un rectangle, ils n'ont ni mains, ni pieds, ne sont jamais tournés les uns vers les autrse et leurs visages simplifiés à l'extrême regardent devant eux sans communication avec l'extérieur.  Solitaires et démunis ils se tiennent isolés ou groupés, dans des intérieurs minutieusement reproduits (photo 4)GEDC0040.JPG. Là, femmes, hommes, enfants, visages impassibles, sont debout côte à côte, spectateurs murés dans leur solitude et leur incapacité à communiquer.

    Deux de ces personnages emmaillotés, enterrés jusqu'aux épaules dans une cavité rose creusée dans une terre brune est un miracle de sensibilité (photo 5)GEDC0032.JPG. Ils se tiennent de face, l'un près de l'autre, le vêtement de l'un, l'homme sans doute, à motif de chevrons, l'autre (la femme ?) de rayures. De leur crâne s'échappe une nuée qui part dans la même direction. Avec le minimum l'essentiel est dit : l'attachement à la terre, la tendresse, l'isolement et l'incapacité à dire et à se parler...

    Le graphisme du chevron et de la ligne, probablement emprunté à celui des vêtements que portaient les hommes et les femmes de l'époque, devient parfois le motif principal, en couleurs, sur des enveloppes usagées (photos 6 et 7GEDC0033.JPG)GEDC0034.JPG. Chevrons à gauche, lignes au centre, croix à droite, sont organisés en trois bandes comme un drapeau. Leur signification nous échappe, mais leur beauté formelle est indéniable. Ils recouvrent également une adorable maison bleue (photo 8)  ; malgré le chemin qui mène à la porte et à ses volets clos (photo 8)GEDC0025.JPG, elle est rayonnante et le plaisir que J. Castle a dû avoir à la faire est communicatif. Un même attrait apparait encore dans le tracé des lettres sur du papier quadrillé  (photo 9)GEDC0039.JPG.

    Tout ce travail frise parfois l'abstraction comme la petite gouache où seule une forme émerge d'une terre sombre, largement griffée (photo 10)GEDC0029.JPG ; elle se dresse seule sous un ciel à la fois lumineux et plombé et semble interroger la solitude de l'homme face à l'infini. On pense à Michaux bien sûr et même à Rembrandt, à l'atmosphère qui se dégage de certains de ses petits tableaux.

    La simplicité formelle des oeuvres de J. Castle, la façon naïve dont il traite ses personnages, la matérialité du médium utilisé, obtenu sans doute par l'ajout du papier crépon, rappellent certains travaux de Dubuffet. Lui qui voulait faire table rase de tout savoir-faire et se passionnait pour le travail de non professionnels de l'art oeuvrant hors des normes artistiques, aurait probablement, s'il l'avait connu, retenu celui de J. Castel pour son Musée d'Art brut.

    Malgré la difficulté à vivre, la solitude, l'impossible communcation entre les êtres exprimés ici, cette oeuvre n'est pas triste. Grâce à son talent, James Castle a su nous livrer sa propre lecture du monde, et la force de cette auto affirmation est réjouissante. Elle nous va droit au coeur.

    James Castle exposition du 14 janvier au 17 mars - Galerie Karsten Greeve - 5, rue Debeylleme, 75003-Paris. 01 42 77 19 37. Ouvert du mardi au samedi de 10 à 19 h.

  • Nils Udo au musée de la Poste

    Avant de plonger à nouveau dans la grisaille urbaine, profitons du plaisir offert par le Musée de la Poste: une rétrospective (1973-2010) des oeuvres de Nils Udo, un artiste allemand, souvent assimilé au Land Art. Habité par la nature, il la saisit, l'accompagne, la transforme et nous en rappelle la beauté et la fragilité. "A rendre visible l'invisible", tel est, selon lui, le sens de son travail.

    L'exposition montre clairement cette quête et la variété des médiums d'approche: installations, photos, peintures visent à glorifier la nature, à aiguiser notre regard par des mises en scène végétales ou minérales aux dimensions variables dans lesquelles des juxtapositions contrastées, des couleurs fortes et des changements d'échelle offrent une surprenante instabilité. Il suffit de quelques fleurs, pétales, feuilles, boules de neige, branches, herbes de la pampa ou sable ayant trouvé leur place par les soins de l'artiste, et les micro (ou macro)cosmes ainsi obtenus créent une nouvelle réalité pleine de  poésie. Bien que fabriquée, elle s'impose à notre regard comme une évidence naturelle. Elle garde le caractère propre du lieu où elle se situe, et introduit du merveilleux. En voici quelques exemples: (photos extraites du catalogue).

    1) Le Nid (1978) terre, pierres, bouleaux et herbe, lifochrome sur aluminium, noir et blanc, 124x124cm. 2) Le Palais des cendres, 2002, cendres volcaniques, feuilles de palmiers.Llfochrome sur aluminium, 100x145cm. 3) Radeau de fougères, 1974, plantation flottante de fougères sur radeau de bois, lac marécageux, photo noir et blanc sur papier baryté, 50x50cm. 4) Sculpture de soleil pour l'équinoxe, 1979, frêne, épicea, chène et osier, photo n.b. sur papier baryté.

    Ete 2011 Nils Udo 008 le Nid.jpg

    Ete 2011 Nils Udo 009 le Palais des cendres,2002..jpgEte 2011 Nils Udo 007 radeau de fougères.jpgNils Udo, photo Sculpture de soleil pour l'équinoxe, 1979.19-08-2011 14;10;01.jpg

     

     

     

     

     

     

     N'allez pas chercher ces lieux "manipulés". ce sont des installations ephémères que Nils Udo a détruit ou laissées se désagréger. Il n'en reste que les photographies qu'il a prises à des instants très précis et très calculés.Elles en ont la beauté et la fugacité. C'est la mémoire de l'instant, sa trace. Capter et inscrire un moment de soleil, lui réaliser un cadre qui le révèle avec autant de délicatesse ( photo 4)) m'a paru d'un savoir faire extrème pour un spectacle délectable.  

    L'exposition présente également quelques dessins préparatoires, des encres de Chine et une série de Nils Udo, huile sur toile, 1078-06, (branches)2006.19-08-2011 13;57;09.jpgpeintures à l'huile qui semblent représenter la nature  mais  la schématisent par une linéarité appuyée qui souligne les formes, leur donnant un tour biomorphe comme chez Matta ou wilfredo Lam, et des couleurs peu vraisemblables, survoltées . Il y a là quelque chose de japonisant dans ces peintures, un Japon plus proche de Murakami que du Japon traditionnel.1978/06, 2006; huile sur toile 158x136cm (photo 5)

    A ne pas manquer, le film relatant la construction d'un nid monumental qui figure, terminé, en photo (1). Rude travail, nécessitant toute une équipe, que le maniement au centimètre près de gigantesques troncs en ménageant leur équilibre, comme l'oiseau pose chaque brindille.

    "Nature. Rétrospective photographies et peintures", Nils Udo. Musée de la Poste, 34 bd de Vaugirard, 75015. Paris tel: 01 42 79 24 24. Jusqu'au 1er octobre 2011.

  • Frédéric Benrath à Port Royal des Champs (par Sylvie)

     

    BENRATH_PORTROYAL_CHARTES_0049 (rouge Ainsi la nuit).jpgEn préambule à l'exposition de Frédéric Benrath -de son vrai nom Philippe Gérard (1930-2007) à Port Royal des Champs, trois oeuvres (huiles sur toile de 80x80cm) s'inscrivent en solitaires, au premier étage, dans l'univers muséal du XVII ème siècle fait de portraits et de scènes de la vie abbatiale. La surprise est grande mais il y a tant de dépouillement dans ces monochromes ou pseudo-monochromes impalpables que leur présence apparait comme une évidence dans ce haut-lieu de spiritualité janséniste avec lequel Benrath se sentait tant d'affinités.Ainsi la nuit ,2004 (photo 1)) titre d'un quatuor du compositeur Henri Dutilleux dont il était un fervent admirateur,se déploie en rouge frémissant, Petite suite des Hespérides (2001) et Sans titre (1999), en face, nous emportent, loin du tangible, dans une abstraction transparente, aérienne, que le format carré humanise et dont la proximité révèle en douceur les nuances et les multiples directions de la brosse.                                                                                 

     Il n'en n'a pas toujours été ainsi. Classé à se débuts dans les années 50 comme nuagiste, mouvement qui regroupa entre autres René Duvillier, René Laubiès, Marcelle Loubchansky..., Frédéric Benrath s'est peu à peu libéré des gestes nerveux et des effets lumineux  du romantisme allemand dont il était imprégné, et d'une certaine sensualité propre à l'art occidental, pour aller vers un vide actif, un espace poétique.           

    L'exposition de Port-Royal présente 23 oeuvres des dernières années (F.B. est mort accidentellement en2007),période d'épurement apaisé,tout en intériorité.                                                                                                                  P1020161 5 panneaux verticaux Benrath.JPG Au deuxième étage, dans la salle au plafond bas, au volume tassé par les poutres et le carrelage, les 5 grandes huiles sur toile verticales Sans titre,2002- 2003, 200x80cm (photo 2) aimantent le regard comme des meurtrières vers un improbable infini, sans fond, plein d'incertitude mais vibrant de couleurs et de modulations. Elles donnent une idée du constant travail de l'artiste sur la couleur et la lumière et son évolution vers le grand format. Quel jaune somptueux ! Benrath aurait'il trouvé chez le Pérugin ou Philippe de Champaigne des modèles de coloristes ?

    Benrath, diptyque Sans Titre 2002 (2) 08-05-2011 15;23;13.jpg Cet accrochage en série prépare assez bien le néophyte aux diptyques et triptyques qui suivent. La jonction réelle ou simulée par un trait perpétue le principe de répétition qui peut tout aussi bien jouer sur les antagonismes chromatiques que sur leur fusion. Benrath s'est toujours refusé à une conception a priori de ses polyptyques, chaque élément se devant d'être valable en lui-même. Il ne s'agit pas d'histoires racontées en plusieurs éléments, c'est un fait plastique qui force le spectateur à combiner différentes lectures d'un seul coup, verticale, horizontale ou d'ensemble. En quelque sorte, à faire cohabiter des contradictions. Sans titre, 2002, 200x120cm (photo 3) est un carré sur un rectangle aux valeurs proches, qui n'est pas sans rappeler les espaces colorés de Rothko et son inspiration nietzchéenne. La terre disparait au profit de la nuit - un tiers de terre et deux tiers de ciel.  Il n'y a plus seulement les jeux de la lumière sur la surface, les nuances dans la peinture et les traces de la gestuelle pour que la charge émotionnelle opère. Il y a cette rupture qui créé contraste et dissonnance. Reprise de souffle qui, comme chez Dutilleux, orchestre la mélodie par la contiguité des sections.                 Benrath, Mes hautes solitudes 2003. 16-04-2011 11;43;44.jpg                                                                                                            

    On retrouve cet élan, dans Mes hautes solitudes, 2002, huile sur toile, 200x160cm (photo 4), fusion de deux verticales grises à la recherche, semble-t-il, d'une sagesse, d'une élévation, proche de celle de Pascal et des Solitaires en ces lieux mêmes. La ligne de jonction, comme le zip de Barnett Newman, ne divise pas, elle unifie. Et les deux éléments, en ne s'opposant pas, nous procurent "un sentiment d'élargissement de l'espace et du temps". Pourquoi tant de gris chez Benrath, direz-vous? Ce sont des couleurs indéfinissables, nées de mélanges faits par le peintre, couleurs incertaines d'où émerge la lumière. " Ma quête du gris,disait-il , n'exclut nullement la sous-jacence des autres couleurs et leur effacement dans le gris originel...le gris pour nommer tout ce qui devient et tout ce qui meurt...lieu de toutes les germinations, de tous les possibles..."                                                                               

    P1020111 tryptyque horiz gris-noir-gris Benrath.JPGDe l'ensemble d' oeuvres en présence j'en signalerai une autre qui m'a particulièrement  enthousiasmée. Le Noir de l'étoile, 2004, 320x120cm (photo 5) est un large triptyque horizontal  où le noir central éclate et diffuse sa lumière bleutée sur les panneaux adjacents, à peine plus clairs. Il ne nous absorbe pas dans sa profondeur, il rayonne comme une présence dans l'absence.Oeuvre imphotographiable,hélas, il faut aller la voir pour sentir et comprendre le dépassement de l'humain que Frédéric Benrath souhaitait atteindre par sa peinture, tendue vers le sublime. Et de fait, il émane de ses oeuvres un sentiment de méditation et de recueillement qui pousse au silence, à la contemplation de ce qui pourrait bien être la puissance des éléments, les mouvements de l'âme et l'expression esthétique du spirituel.

    Frédéric Benrath et Port Royal, ses dernières oeuvres, Musée national de Port Royal des Champs - 78114 - Magny les Hameaux. 01 39 30 72 72.Tous les jours sauf le mardi, de 10h30 à 12h30 et de 14h à 18h en semaine et de 10h30 à 18h le week-end. Jusqu'au 21 août 2011.

  • Alexandre HOLLAN (par Régine)

    En parcourant l'exposition d'Alexandre Hollan actuellement à la Galerie Vieille du Temple, et en observant ses oeuvres si "silencieuses" j'ai été surprise d'entendre le bruissement de la vie.

    Le travail de cet artiste hongrois, installé en France depuis plus de 40 ans, comporte deux facettes bien différentes mais somme toute complémentaires : des natures mortes et des dessins ou peintures d'arbre. Elles le sont par la façon don il aborde les deux sujets : une attention patiente à la vie des objets et de la nature pour capter ce qui échappe au commun des mortels et pour faire sentir ce qui est à peine tangible, attention qu'accompagne une incessante méditation sur la nature, sur la lumière, sur la peinture.

    Il ne parle pas de "Natures mortes" mais de "Vies silencieuses". Qu'essaye-t-il d'y saisir : les échanges imperceptibles qui passent entre quelques objets très simples rassemblés pour l'occasion - pot, cafetière, bouteille - et fruits posés auprès d'eux.

    Les tons assourdis, veloutés, la façon dont ils se fondent les uns dans les autres, dont les contours des objets se dissipent laissent à penser qu'il s'agit de pastel. Or il n'en est rien car c'est bien avec l'aquarelle qu'Hollan parvient à donner une telle sensation tactile à la couleur. On pense alors que le papier lui-même à dû faire l'objet d'une lente préparation pour lui permettre d'absorber des couches et des couches de couleur et faire sourdre une lumière qui émane du coeur même des choses.

    Oui, les objets qui composent ces "Vies silencieuses" communiquent entre eux par la couleur. Ils se fondent autant les uns avec les autres qu'avec le fond. Ils existent individuellement mais aussi comme faisant partie d'un tout. Si chaque objet garde sa couleur dominante (brun, pourpre, violet) un ton sous-jacent unifie l'ensemble, réveillé parfois par la clarté jaune d'un fruit (photo 1)GEDC0019.JPG. Les contours se défont pour laisser passer une seule sonorité. Ici ce sera le brun (photo 2)GEDC0020.JPG, là le bleu (photo 3GEDC0021.JPG) ou encore l'ocre (photo 4).

    GEDC0022.JPG


    Les dimensions de cette dernière (82 x 106) donnent aux choses une extraordinaire présence ; elle est comme un "zoom" des formats plus petits accrochés en face d'elle.

    Dans cette répétition incessante du même motif on pense bien sûr à Morandi - ils ont d'ailleurs été exposés ensemble en 2001 à Vevey en Suisse - mais si on ressent chez ce dernier le sentiment d'anxiété de ne jamais pouvoir saisir véritablement ce qu'il cherche, la mélancolie dans l'oeuvre d'Hollan est d'un autre ordre. Les objets qu'il peint sont usagés ou rouillés, les fruits sont mûrs Il entre en résonance avec eux pour capter la lumière qui surgit de la beauté de leur usure, de leur mûrissement. En nommant "Vies silencieuses" ses natures mortes il nous invite à regarder le temps qui imperceptiblement passe et change toute chose.

    Son attitude n'est pas différente devant les arbres, dont les dessins et les peintures forment la 2ème partie de cette exposition. Les dessins sont rarement isolés (photo 5)GEDC0028.JPG
    , mais réunis par 2, 4 6 ou 8 GEDC0023.JPG
    (photo 6 et 7)GEDC0030.JPG
    . Il nous montre ainsi simultanément les multiples perceptions et sensations qui le traversent devant le même sujet. Cela donne lieu à un tracé qui ressemble à un fin réseau sanguin irriguant les ramures, à un brouillard qui se dissout et frémit dans l'air, ou à un simple signe. Suivre ainsi les étapes qui sont l'image d'une succession d'états intérieurs est extrêmement émouvant.

    Sur le diptyque au mur se déploie avec majesté un grand arbre très noir peint à l'acrylique (photo 8)GEDC0024.JPG
    . Ici, comme à l'accoutumée, Hollan ne peint qu'à partir du haut du tronc, là d'où part la ramure ; c'est le rapport de celle-ci avec l'air environnant qui l'intéresse. Celui-ci circule entre le blanc de la toile et le noir profond des branches imposant à leur déploiement une absolue présence. Pour Hollan "les arbres sont des êtres et il les appréhende comme tel" dit Yves Bonnefoy.

    Une belle vidéo montrant l'artiste au travail permet de visualiser sa démarche et de mieux se rendre compte de ce que j'ai tenté d'expliquer ici.

    Mais laissons lui le dernier mot qu'on trouve dans le joli catalogue réalisé par la Galerie Vieille du Temple et Pagina d'Arte : "Il y a une force franche, immédiate qui s'affirme dans chaque mouvement de feuillage et qui affirme une résistance dans le cosmos où tout le reste bouge. Cette affirmation forte, tendue, je la reconnais, je l'aime (en dessinant au pinceau noir par exemple, ou avec les traits fulgurants au fusain".

    Alexandre Hollan - Arbres - Vies silencieuses - du 2 décembre 2010  au 29 janvier 2011

    Galerie Vieille du Temple 23 rue Vieille du Temple, 75004-Paris (01 40 29 97 52). Du mardi au samedi du 14 h à 19 h.

     

  • Gasiorowski (par Sylvie)

    La route des vacances réserve de bonnes surprises. Descendant vers le sud, j'ai fait un arrêt au Carré d'Art, à Nimes. Gérard Gasiorowski occupe la place. L'exposition est passionnante, ne la ratez pas.     Elle met en lumière la variété et la richesse du travail de cet artiste né en 1930 et mort en 1986, son rapport haine-amour avec les maitres du passé, l'histoire de l'Art, et la peinture elle même qu'il n'arrête pas de détruire et de magnifier. Un artiste iconoclaste et tout en contradiction, qui ne s'est pas contenté d'une évolution linéaire. Et quel coloriste!" Recommencer. Commencer de nouveau la peinture" disait-il. Et la formule sert de sous-titre à l'exposition.

    Oeuvre complexe, en renouvellement permanent, faite de revirements, travestissements, dédoublements, recouvrements; oeuvre troublante par son hétérogénéité qui fait se côtoyer ici des peintures d'une figuration hyperréaliste, des barbouilles qu'il appelle "croûtes" ou "régressions"; des séries de motifs comme autant d'exercices techniques, des toiles abstraites et des installations. Son questionnement sur la guerre, la ruralité, l'art Gasiorowski regressions-les-fleurs-1973_1274259011.jpgrupestre ou Cézanne, Rembrandt, le paysage ou la photo est à prendre comme un questionnement sur la peinture et la quête d'une nouvelle expression Gasiorowski Teaureau 021.jpgdivers 025.jpg23082010_004.jpgpicturale. Et chaque oeuvre a une double signification. Epuiser la peinture, la détruirepour la magnifier.           

    Comme une planche d'herbier, des fleurs à la fois très stylisées et très barbouillées. Elles sont à la fois des gammes et des souvenirs. Les fleurs, série "Les régressions", 1973,37x37cm chaque. (photo 1)            Cette drole de forme abstraite est pourtant une partie de taureau en référence à l'art rupestre. Seule la patte arrière est figurée, le taureau est amputé. Il s'agit en quelque sorte d'un reste de préhistoire...avec quand même un sexe. "La vie bat encore" commente l'artiste. Lascaux- Grand Taureau dans le diverticule axial, 1984,  195x195cm,série "Cérémonie.(2)                                                                               Pour se moquer d'un attribut bourgeois comme le chapeau et de toutes les formes d'académisme  Gasiorowski a inventé l'Académie Worosis-Kiga où tous les élèves ont dû faire des chapeaux. Le professeur est un despote et symbolise les carcans de notre époque. Préparation des Classes à Worosis-Kiga, 1975-1976 (3).                                                                                                              Imbrication de lignes rouges, abstraction pure  inspirée de l'art tantrique certes mais surtout tentative de forme sur un grand format et manifeste de simplicité picturale. Aro Gu Rerec, série "Les symptômes", 1983, 250x200cm.(4)

    Gérard Gasiorowski, Carré d'Art-Nîmes, place de la Maison Carrée, 30000 Nîmes. 0466763570. De 10h à 18h, du mardi au dimanche inclus. Prolongée jusqu'au 10 octobre.

     

  • Gilles Barbier (par Sylvie)

    Gilles Barbier : « There is no moon without a Rocket »

    Il y a dans le travail de Gilles Barbier présenté chez  Georges-Philippe et Nathalie Vallois quelque chose de réjouissant comme peuvent l’être des bricolages fantaisistes et faussement maladroits touchant à la science-fiction. Et puis une autre veine plus proprement picturale donnant à  voir un monde en mouvement, proliférant, viscéral … la marmite de la création, une part délirante qui peut mettre un peu mal à l’aise. Le lien ne m'est pa apparu du premier coup sauf, peut-être, par un  attachement certain à ce qui fait notre monde, la matière, en perpétuel renouvellement, et un regard distancié qui introduit la démesure, le lilliputien ou le surdimensionné. Ne cherchez pas le réel comme vous avez l’habitude de le voir !

    Chaque œuvre est une histoire en soi, une cosmogonie totalement inventée mais cohérente et logique, issue d’une «  possibilité du monde » qui mélange les genres, les sujets, les medium, l’échelle et que l’artiste semble avoir plaisir à traiter minutieusement avec des outils particuliers, emporté dans un élan créateur, une imagination débordante et une bonne dose d’humour : la vision d’un monde primordial malléable à l’image de la plasticité du cerveau.

    J’ai choisi quatre oeuvres (Toutes photos courtesy galerie GP et N. Vallois)

    « Le monde comme une maison sur un arbre », 2010 (Bois, peinture à l’huile, rhodoïd, corde, flocage, _MG_3596.jpgbonzaï, env. 250x165x130cm). C’est une grappe de cabanes en bois construites sur un bonzaï, un ensemble de maisonnettes miniatures, comme un rêve d’enfant, une utopie communautaire et écologiste ou une maquette d’architecte à la réalisation précise et incongrue. Il y a de l’essaim dans cet agglomérat de cellules et de délicieuses bizarreries d’agencements et de combinaisons.

    « Le monde en forme de tong », 2010 (technique mixte, 137x85x185cm) ou l’histoire, dans une grosse boite en forme de tong, d’un créateur, le grand requin, qui vit dans les profondeurs de la mer et d’un marcheur qui marche le long du temps. Des combats qu’ils mènent naitront des archipels, le soleil, la lune, un volcan, la tempête et les tremblements de terre. Et les cauchemars des hommes se retrouveront au fond des abysses…Une représentation allégorique de l’univers, le_monde_en_forme_de_tong3.jpgjamais définitivement abouti, et de celle des hommes, en conflit permanent.

    « In the soup… » », (le titre est très long) 2010, (technique mixte, 180x100x95cm)  pointe l’imbrication _MG_3555.jpgdes choses, les émanations, les tissages qui forment toute matière. Une vraie chimie. On ne sait plus si tous ces filaments sont des vers de terre, des intestins, des rubans, de la broderie ou du fromage fondu mais cela suggère la capacité du monde à changer d’état, ses innombrables possibilités, des pires aux meilleures.

    Ceux qui sont allés au Brésil reconnaitront peut-être dans le « Trou du cul du monde », 2010 lemondetrouducul3.jpg(technique mixte, 137x85x185cm ». l’image des favelas de Rio.  Sur les hauteurs de cette installation à l’échelle du jouet, des cabanons multicolores entassés, sur l’autre versant un amoncellement de sacs poubelle, au centre… une ouverture circulaire. Allez savoir si elle vient d'expulser ces excréments ou si elle s’apprête à les engloutir. Vous voulez  mon avis ?: Ce monde là est bien loin de nos préoccupations d’occidentaux (modèle réduit), c’est le dernier refuge d’une population rejetée (sur les bords de la société) et le cratère va effacer, enfouir, transformer ce réel éphémère et fragile.

    Décidément dans l’œuvre de Barbier il est toujours question d’instabilité. Exit le rassurant mythe créateur et vive le ludique et le poétique.

    Gilles Barbier, « there is no moon without a Rocket », galerie GP. et N. Vallois, 36 rue de seine 75006 Paris. tel: 0146346107, jusqu’au 31 juillet 2010.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Agnès Thurnauer (par Régine)

    Un nouvel espace consacré à l'art contemporain vient d'ouvrir au fond d'une impasse du XVIème arrondissement, il est magnifique. Sa décoration, adaptée à l'esprit du quartier, diffère de celle des galeries du Marais. Ici pas de béton ciré au sol mais du parquet, pas de spots en guise d'éclairage, mais de superbes lustres, pas de verrière, vestige d'un ancien atelier d'artisan, mais de grandes fenêtres. C'est chic, sans ostentation. tagnès Thurnauer 011.JPG(photo n° 1).

    C'est à Agnès Thurnauer que revient le privilège d'inaugurer ce lieu par une grande exposition d'oeuvres récentes. je ne connaissais d'elle que les portraits réduits à de gros badges sur lesquels sont inscrits le nom féminisé d'artistes célèbres. Cela m'avait amusé, sans plus. Avec cette exposition j'ai découvert qu'elle était avant tout un "peintre", préoccupée de problèmes de peinture et très attentive aux artistes qui l'ont précédée.

    Chaque salle est consacrée à l'un de ses thèmes favoris. Dans la première celui de la danse ou du contorsionniste est le plus récent.

    "Territoire # 1"agnès Thurnauer 009.JPG en est représentatif (photo n° 2). C'est un grand tableau de 2,30 m x 2,30 m, qui date de 2010. Sur un fond fait d'une pluie de rubans gris tombant verticalement en spirale, un personnage, moulé dans une combinaison tacheté façon panthère, fait le pont occupant transversalement l'espace de la toile.  Il se tient sur la pointe des pieds, les bras coupés par le cadre. Sous l'effet cinétique du fond, son corps ondule mais se maintient coûte que coûte malgré cette position inconfortable. Le camaïeu gris et blanc de l'ensemble renforce l'unité du tableau. Cette représentation n'est-elle pas celle de l'éternel problème du rapport du fond et de la forme, de leur accord,  de leur différence et l'équilibriste ne serait-il pas le peintre ?

    Viennent ensuite les séries consacrées aux ailes d'oiseau, thème cher à Agnès Thurnauer. Elle sont dit-elle symbolique de la peinture : elles se déploient, leurs couleurs chatoyantes sont infinies et varient avec la lumière, elles nous emmènent ailleurs... telle cette paire peinte sur des petites palettes qui s'envolent dans un ciel baroque : "Grande prédelle"agnès Thurnauer 012.JPG (97 x 195) (photo n° 3). Le ciel est un autre sujet de prédilection de l'artiste car il est pour elle l'objet impossible à atteindre ; à peine a-t-on commencé à le peindre dit-elle qu'il a déjà changé, tenter de le saisir c'est représenter un temps impossible.

    Les ailes sont souvent peintes individuellement sur des toiles séparées puis assemblées en triptyque "I am #1-2-3", 2010 (195 x 97) (photo n° 4)agnès Thurnauer 013.JPG ; en marge l'artiste a appliqué les palettes maculées de la couleur qui a servi à leur réalisation ; ainsi dans le temps où il regarde la toile le spectateur est amené à en imaginer la réalisation et la matérialité. Dans "Finalement"agnès Thurnauer 001.JPG de 2010 (130 x 195) (photo n° 4), une grande paire d'ailes grises enlève l'icône de la modernité, à savoir l'urinoir de Duchamp, dans un ciel bleu pommelé de nuages. S'ouvre alors pour le regardeur une quantité de sensations mentales. La peinture doit-elle s'en débarrasser pour exister ? En dépend-elle au point de faire corps avec lui ? etc...etc...

    A L'étage deux curieuses petites oeuvres ont retenu mon attention. Elles représentent des cieux tourmentés cernés par le collage de pelures de crayon en forme de petits éventails bordés de couleurs différentes selon les crayons utilisés. C'est fascinant de minutie et de précision (photo n° 5)agnès Thurnauer 005.JPG.

    L'ensemble de ce travail convoque le regard dans le même instant où il invite l'esprit à cheminer ailleurs, vers d'autres sens, d'autres liens... et c'est ce qui le rend stimulant.

    Villa Emerige - 7 rue Robert Turquan, 75016-Paris. Métro Jasmin, du mercredi au samedi de 11 heures à 19 heures. Jusqu'au 5 juin.

     

  • Paul KLEE (par Régine)

    Il est toujours passionnant, parfois enthousiasmant de revenir aux sources de notre modernité. Une exposition plutôt discrète, car les média ne s'en sont pas encore emparés, offre cette possibilité. Elle se tient à l'Orangerie et réunit un peu plus d'une cinquantaine d'oeuvres de Paul Klee appartenant au grand collectionneur suisse, Ernst Beyeler, récemment décédé. Surtout, ne vous privez pas du plaisir extrême que procure la contemplation de ces oeuvres et, par ce printemps ensoleillé, s'y ajoute celui de traverser le jardin des Tuileries et de terminer la visite par une plongée dans les salles consacrées aux Nymphéas.

    L'exposition présente une sélection des étapes significatives du travail de Klee. La première réunnit quelques oeuvres des années 1914/1919, la deuxième celle de l'époque de son enseignement au Bauhaus et à l'Académie de Dusseldorf (1920-1933), la troisième, la plus importante, réunit des oeuvres plus tardives (1935-1940). Plus dramatiques, elles étaient très appréciées de E. Beyeler parce qu'elles récapitulaient, disait-il, le travail de toute une vie.

    Presque toutes de petit format, souvent peintes à l'aquarelle sur un papier contrecollé sur carton, ces oeuvres défient celles des années qui vont suivre où prédomineront l'immensité de la toile, la peinture à l'huile ou à l'acrylique. Sa postérité n'en fut pas moindre, elle est manifeste chez des artistes qui chercheront à traduire les forces fondamentales de la nature, son mystère et sa poésie. Wols ou Laubiès par exemple qui eux aussi ont privilégié le papier, l'aquarelle et le petit format. Michaux et Zao Wou Ki l'ont beaucoup regardé et assimilé. Par delà l'Atlantique on est tenté d'en rapprocher le travail de Tobey toute empreinte de délicatesse et de raffinement.

    Ni figurative, ni abstraite, ignorant la distinction entre réel et imaginaire, ces oeuvre entraînent le spectateur dans des territoires inconnus et cependant extrêmement évocateurs. J'en évoquerai quelques unes.

    Dans "La Chapelle"klee 001.JPG (Aquarelle et détrempe blanche sur papier contrecollé sur carton, 1917, 29,7 x 20,9) (photo n°1), tout un jeu de formes proche d'une écriture, orienté dans des perspectives variées, se construit à partir d'un fragile édifice qui pourrait figurer une chapelle dans le bas du cadre et s'élève jusqu'à son extrémité supérieure. S'y promènent, comme en apesanteur, lettres et pictogrammes célestes (celui de la lune, des étoiles ou du soleil). Le rapport entre cette construction ascendante et les couleurs d'une extrême délicatesse diffuse sur cette architecture onirique une lumière transparente toute empreinte de spiritualité.

    Le bleu lumineux de "Paysage du passé" klee 002.JPGde 1918 (Aquarelle et gouache sur papier contrecollé sur carton, 1918, 22,6 x 26,3) (photo n° 2), enchante les quelques arbres gouachés de blanc et le soleil jaune qui tourne dans le ciel, cercles et triangles se répondent pour entraîner le spectateur dans une rêverie éblouie.

    Quand il réalise le "Lever de la lune" klee 004.JPG(crayon et aquarelle, contrecollé sur carton, 1925, 37,4 x 27) (photo 3), Klee enseigne au Bauhaus, où il insiste notamment sur la puissance de la couleur. Cette oeuvre est comme une symphonie musicale orchestrant le lever de la lune au coeur d'une nuit profonde. Le halo n'entoure pas l'astre, il est repoussé sur les bords sous forme d'un damier ocre foncé, bleu nuit avec un accent de blanc qui agence la surface ; cette partition colorée fusionne pour former un noir, oh combien mystérieux, d'où surgit le disque jaune lumineux d'une lune ronde et majestueusement présente.

    A partir des années 1930, l'oeuvre de Klee devient plus tragique. "Diane"klee 006.JPG(huile sur toile, 80 x 60) (photo n°4) annonce un monde inconnu et menaçant. Sur un fond modulé de bleu et de vert, animé d'un semi de points noirs, la silhouette verte et ocre de la déesse, dessinée avec vigueur, s'avance menaçante, un pied sur une roue, cachant son visage et son corps derrière une cape et des vêtements qui virevoltent autour d'elle. A la partie supérieure une flèche, symbole de la chasseresse, accentue le dynamisme inexorable de l'ensemble.

    En 1938, quand il peint "Sorcières de la forêt" klee 008.JPG(Huile sur papier contrecollé sur jute, 99 x 74) (photo n° 5), Klee, installé à Berne, a fui l'Allemagne nazi et se sait condamné par une maladie incurable. D'épais traits noirs sur un fond très coloré articulent les motifs d'un univers de sorcières. Les corps désarticulés, le masque des visages menace le spectateur. Les arabesques des traits sont comme une écriture dont la liberté est proche de la folie. L'utilisation du jute accentue le côté brutal et primitif de l'ensemble.

    Enfin "Un porche"klee 010.JPG de 1939 (détrempe sur papier Ingres, contrecollée sur carton, 31,6 x 14) (photo n° 6) est une oeuvre de deuil ; entièrement grise elle est un adieu aux couleurs de la vie. Elle laisse percevoir cette porte vers l'au-delà où l'artiste va bientôt disparaître. Une forme casquée garde l'entrée d'un temple inconnu ouvrant sur le vide et sur laquelle est posé un disque blafard. Peinture totalement impressionnante qui traduit l'inconnu devant lequel se trouve confronté tout homme face à la mort.

    Toutes les oeuvres exposées ont la qualité de celles dont je viens de parler. C'est une exposition exceptionnelle et il serait dommage de rater l'occasion de voir le travail d'un artiste si rarement présenté dans notre pays.

     

    Paul KLEE (1879-1940), La collection d'Ernst Beyler - Musée de l'Orangerie, du 14 avril au 19 juillet 2010. Tous les jours (sauf mardi) de 9 h à 18 h.