Robert Ryman (par Régine)
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Exposer Robert Ryman qui, toute sa vie, n'a peint que des tableaux blancs, à l'Orangerie, à proximité des Nymphéas de Monet qui ne sont que couleur peut sembler paradoxal ou tout au moins provocateur. Mais il ne faut pas s'arrêter à cette première réaction et essayer d'a bord de comprendre les raisons qui sous-tendent cette démarche.
L'exposition produit une impressions très particulière. On ne peut nier la beauté de l'ensemble et la somptuosité de la lumière qui s'en dégage. Mais pour apprécier cette œuvre si radicale et très sophistiquée, il faut essayer d'abandonner notre façon habituelle de regarder un tableau pour tenter de comprendre la complexité qui sous-tend cette répétition à l'infini.
Qui est Robert Ryman ? Né à Nashville dans le Tennessee, Ryman arrive à New York en 1952 et il est saxophoniste. Pour survivre il exerce toute sorte de petits métiers, entre autres celui de gardien du Museum of Modern Art. Dans ce haut lieu de l'art, la peinture l'intrigue et l'attire et il dispose alors de beaucoup de temps pour appréhender avec perspicacité tous ces tableaux qui l'entourent et surtout leur avoir-faire. Peu à peu l'envie lui vient de s'y mettre à son tour.
Mais il ne veut pas représenter le monde. Ni tels Rothko ou Klein, provoquer une émotion ou un quelconque sentiment de transcendance chez le spectateur, il veut montrer les multiples et infinis aspects de a peinture elle-même et faire de celle-ci son sujet. Il n'y aura donc pas d'image, pas de couleur, seulement du blanc et son infini variété de nuances. Ce qu'il veut mettre en évidence c'est à quel point tout compte pour réaliser un tableau : le grain de la toile, son support, la façon de manier le pinceau et d'entrecroiser les couches, leurs épaisseurs, le rapport du tableau au mur, au sol, l'endroit de la signature, le mode de fixation, et ainsi de suite. "Rien de ce qui est visible n'est indifférent" dit-il. Et si en France, quelques années plus tard, avec le mouvement support-surface, des artistes mettront en évidence les composants du tableau (châssis, toile, encadrement...), Ryman, quant à lui, ne se consacrera qu'à la peinture elle-même et à ce qui l'environne pour la mettre en valeur. Il dira aussi "Je n'estime pas que je peins des tableaux blancs. Le blanc est seulement un moyen d'exposer d'autres éléments de la peinture. Le blanc permet à autre chose de devenir visible".
Prenons quelques exemples pour mieux saisir cette démarche si singulière. Deux tableaux Untitled de 1962 (photo 1) et Check de 1993 (photo 2), de factures très proches bien que 30 années les séparent, sont tous deux de même format carré, format qu'affectionne particulièrement l'artiste. Dans le premier les touches, faites avec une peinture assez épaisse, virevoltent sur la toile, recouvrant une couleur sous-jacente. On se sent emporté par la vitalité qui se dégage du grouillement incessant qui envahit l'espace. Elles ne recouvrent pas toute la toile, jouant avec les limites de l'oeuvre en ménageant un cadre, elles s'arrêtent à quelques centimètres du bord laissant la toile de lin nue. Le second tableau, très proche du précédent, est entièrement recouvert de blanc, mais les touches sont plus calmes, plus statiques. là aussi un cadre, peint d'un blanc lisse, a été ménagé.
En comparant ces deux tableaux et bien d'autres encore, tous proches les uns des autres mais différents quand-même, on prend conscience de l'importance des modalités d'application de la peinture, de son épaisseur, du cadre, de la couleur du fond... Ryman variera à l'infini les supports et les mediums : huile et gesso sur toile de lin pour Chapter (1963), toile de coton, peinture à l'émail et laque pour General (1970) ; acrylique et laque sur panneau de fibre de verre pour Concert (1987) (photo 3). Avec cette dernière toile il souligne l'importance de l'accrochage. Les 4 clous qui la maintiennent accrochée sont mis en évidence. Il expérimente en effet différentes façons de présenter ses œuvres afin de les intégrer à leur environnement et mettre en valeur des éléments oubliés de la peinture comme la tranche du tableau qu'il recouvre de bois ou d'aluminium pour la rendre visible : horizontalement et à quelques centimètres du sol (Pair navigation, 1984) (photo 4) perpendiculairement au mur afin de dévoiler l'importance de l'ombre portée (Pace,1984) (photo 5). Il créera même des systèmes d'accrochage sophistiqué pour détacher l'œuvre du mur et mieux capter la lumière.
L'exposition se termine sur les derniers tableau de Ryman qui arrêtera définitivement de peindre en 2010. Les fonds colorés, rouge, violet ou vert, sont recouverts de blanc, mais ps entièrement. Leur perception en est évidemment changée. Jouxtant deux cathédrales de Rouen de Monet dont la lumière change imperceptiblement nous prenons conscience de l'incroyable complexité de l'art de peindre. Cet artiste hors du commun qu'était Ryman en peignant la peinture nous donne l'occasion peut-être de renouveler notre regard sur elle.
Robert Ryman, le regard en acte : Musée de l'Orangerie, jardin des tuileries, Place de la Concorde, jusqu'au 1er juillet.