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sculpture

  • Antony Gormley ( par Sylvie).

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    Une matière schématique et austère qui raconte l'histoire du vivant: quelle gageure !

    Ce n'est pas un hasard si l'exposition du britannique né en 1950 Antony Gormley se tient à Paris dans le somptueux ancien hôtel Biron du XVIIIeme siècle et son jardin à la française, devenu en 1911 l'atelier et la résidence du sculpteur (1840-1917) Auguste Rodin, aujourd'hui Musée Rodin. Ce judicieux rapprochement qui révèle leur commune préoccupation et leur passion pour le corps humain, permet  de voir ou revoir les pièces maitresses du maitre de céans - le Penseur, les Bourgeois de Calais, les Portes de l'Enfer..., celles de ses hôtes d'alors, Antoine Bourdelle, Aristide Maillol, Camille Claudel... et de saluer la puissante modernité de l'invité.

    20231022_16324320231119_125322~3.jpgDès la cour d'entrée débute l'installation principale, Critical Mass (1995) terme de référence en physique nucléaire du moment ou la matière devient instable. Gormley a dispersé des moulages noirs de corps humains en différentes positions, assis, couchés, debout ou suspendus, sculptures d'individus dans leur matérialité, semble t'il . Leur perception diffère selon leur position, leur contexte et le lieu où ils se trouvent dans le jardin (2) A l'intérieur, on les retrouve amoncelés en une pyramide burlesque ou inquiétante, comme le fit Rodin dans les portes de l'Enfer. Etrange sujet pour une sculpture. (1). 

    20231109_154237 (2).jpg20231109_154411.jpg L'exposition se déploie  ensuite dans toutes les pièces du musée en des matériaux bien de notre temps, à l'exemple de Rodin qui, à son époque, associa techniques et matériaux anciens et modernes. En tournant autour de cette construction  (3) on découvre ce qui pourrait être une autruche ou, sous un autre angle, une 20231118_100813.jpgforme 20231109_160912.jpghumaine, un corps recroquevillé avec ce que cela peut évoquer d' élan ou d'affaissement. Tout est là, les courbes du corps, sa gestuelle et sa dense volumétrie schématisées en petites pièces géométriques d'acier ( 4), formant un espace en soi. Plus loin,  une silhouette rigide fait écho à l'opulente déesse (5) et la silhouette en fils d'aluminium n'a pas de chair. Elle est  presque évanescente. Si nous existons dans l'espace, nous le contenons également.

    A interroger le corps, Gormley questionne aussi les structures spatiales qui l'entourent. Elles en modifient la perception : la place du regardeur, l'ombre ou la lumière caressante, l'espace ouvert ou restreint...contribuent à faire naitre les émotions, à transmettre quelque chose de notre condition humaine, sa vérité. Giacometti, lui aussi, cherchait à traduire cette réalité. Ainsi de la figure filiforme et fragile de "l'homme qui chavire"(1950) dans le grand vide environnant. Quel isolement !

    20231109_155235.jpg20231109_155941.jpg20231109_161005.jpgAvec une grande liberté de représentation Gormley donne à certains corps des profils de bâtiments propres à rendre leur puissance (5). La géométrie du bloc  de plâtre  égale  la masse  du corps sculpté et son âme. Rien de choquant pour notre oeil du XXIème siècle. C'est une métaphore de l'évolution humaine.  "Small skein" (1923) en fonte de fer nous le rappelle aussi, pauvre chassis que nous sommes (6). Et  voir se côtoyer ce qui pourrait bien être un portrait de Balzac bouffi et son double en polystyrène renvoi à notre pouvoir d'imagination...(7) .

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    20231109_165106 (1).jpgCompléments fort instructifs, des carnets d'études et de projets figurent dans des vitrines: ils renseignent sur les recherches très personnelles de l'artiste et la façon dont s'élaborent les œuvres depuis les dessins jusqu'aux maquettes. (photo 8, 9). Passionnant !

    Antony Gormley, Critical Mass, Musée Rodin, 77 rue de Varenne 75007 Paris, jusqu'au 3 / 03/2024.

     

     

  • Sudobh Gupta au Bon Marché (par Sylvie).

            Temple de la consommation de luxe, le magasin du Bon Marché a depuis longtemps manifesté son intérêt pour l'art contemporain en accrochant de ci de là sur ses murs - on dit cimaises lorsqu'il s'agit de galeries - des toiles d'artistes. Les dames du 7ème arrondissement et les nombreux étrangers qui se pressent à tous le étages, ne les remarquent pas toujours, semble t'il, ainsi accrochées le long des couloirs. Mais depuis 2016, tous les ans, sont organisées ponctuellement des expositions monographiques d'artistes étrangers. Rappelez vous nos pages sur celles du chinois AÏ Weï Weï et de la portugaise Joana Vasconcelos.; Avec le temps les lieux traditionnels d'exposition  ont changé.

    Aujourd'hui, pour quelques semaines encore, c'est au tour de Sudobh Gupta, né en Inde en 1964, dont l'oeuvre principale, gigantesque (photo1), est installée sous la fameuse verrière au centre du magasin, les autres figurant à l'étage ou dans les vitrines de la rue de Sèvres, là où d'habitude prennent place vêtements et objets des plus grands faiseurs de mode et de décoration. Mais, cette fois, il s'agit de casseroles et autres pièces utilitaires en métal. Culotté diront certains, justifié diront les autres qui s'appuient sur l'origine de l'établissement, une mercerie propre à bouleverser les codes commerciaux d'alors. Boucicaut, en 1852, voyait loin.

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    Qu'est ce que ce grand "Sangam" (confLuence) suspendu au centre du magasin?  Un gobelet cliquetant fait d'un assemblage de casseroles d'aluminium qui déverse en cascade un flot éblouissant de plaques d'inox, comme un liquide qui accroche la lumière. La magnifiscence de l'oeuvre fait oublier la banalité du médium, simples outils de toutes les cuisines du monde mais qui portent en eux l'identité indienne et sa pauvreté.   L'artiste compose ainsi depuis 1995, transformant l'ordinaire en art. " J'habite en Inde et j'aime le travail" dit-il. A constater dans les vitrines: ici un landau itinérant dont le matériel de nettoyage est ligoté par des ficelles (2), là une étoffe de brisures d'assiettes sous l'aiguille d'une machine à coudre 20230109_151838 (1).jpg(3), ou encore une botte d'outils dans un tonneau de fortune...20230109_151915.jpg

    20230109_150440.jpgRetour à l'intérieur: L'installation "The Proust effect" se poursuit au deuxième étage, avec une cabane suspendue (4), dont les composants un peu ternis par le passage du temps évoquent un labeur ordinaire si spécifiquement indien, la chaleur communicative des cuisines et des repas. Bien loin de notre société de consommation et la "malbouffe" industrielle..

    GEDC0027.JPG El Anatsui.JPGroad to exile de B. Toguo.jpgCet attachement aux racines, aux difficultés existentielles nées bien souvent de la colonisation, se retrouve chez quelques autres  artistes de par le monde. Quelle émotion devant  "Road to exile" et ses baluchons dérivant sur un canot du camerounais Barthelemy Toguo ou la tapisserie de capsules de coca cola assemblées du ghanéen El Anatsui, ensemble chatoyant qui pourrait bien incarner les rapports Afrique-Occident...Décidément la sculpture contemporaine est entrée dans le champ du vécu et de la communauté. La potentialité des matières la fait sociale, politique..

    SANGAM de Subodh Gupta, au Bon Marché, 24 rue de Sèvres 75007 Paris, jusqu'au 19 fevrier.

     

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  • Tony CRAGG (par Sylvie)

    d8dc1a55dea83a40e2b0e6049055d8e6.jpg-Tony Cragg.jpgSi vous avez quelques jours de liberté, et après vous être informés des règles liées au Covid, faites un saut en Angleterre, dans le Norfolk, au nord est de Londres, pour voir l'exposition du sculpteur britannique Tony Cragg  - né en 1949 - qu'il a lui-même organisée à la Houghton Arts Fondation, un organisme de bienfaisance. Cette information nous a été adressée par la galerie Marian Goodman (Paris et Londres). Dans ce très élégant château et son parc se déploient des oeuvres en acier, en fibre de verre, bronze, bois ou verre, éléments naturels ou industriels. Car Cragg ne cesse d'explorer les possibilités de nouveaux matériaux qui, en retour, l'aident à déterminer la forme de chaque pièce et son registre émotionnel. Ce sont des sculptures monochromes souvent monumentales, abstraites certes mais dont la masse, plissée et fluide,  organique, suffit à évoquer par exemple le bougé et le fugitif des cieux britanniques où elles s'inscrivent., comme sur cette photo. La circularité  leur confère une énergie exubérante. et une sensualité insoupçonnée, en particulier lorsqu'il s'agit de matériaux manufacturés. 

    Tony Cragg, qui vit à Wuppertal en Allemagne, a représenté la Grande Bretagne à la Biennale de Venise en 1988. Il fait partie de la New British Sculpture, groupe d'artistes, sculpteurs et auteurs d'installations qui ont commencé à exposer ensemble au début des années 80. Parmi eux citons Anish Kapoor, Richard Deacon, Barry Flannagan, Anthony Gormley, autant d'artistes dont nous avons souvent parlé ici même sur decrypt-art. 

    Faute de ciel britannique et de demeure du XVIII ème siècle, allez à Pantin à la galerie Thaddeus Ropac où trône en son jardin un marbre de Tony Cragg aussi tourmenté que tournoyant. L'occasion de voir, dans cet ancien  et superbe bâtiment industriel, l'exposition du peintre irlandais Sean Scully qui se tient jusqu'au 19 juin.

    Tony Cragg at Houghton, Houghton Hall, King's Lynn, Norfolk,PE 316UE, UK,  Tel: 44(0) 1485 528569, jusqu'au 26 septembre. 

    Galerie Thaddeus Ropac, 69 av. du Général Leclerc, 93500 Pantin. tel: 33 (1) 55 89 01 10

     

  • Chiharu Shiota (par Régine)

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    Quel plaisir, après ce confinement de deux mois et dans l'attente de la réouverture des Musées, de pouvoir à nouveau arpenter les galeries qui viennent d'ouvrir leurs portes,. Sus à la Galerie Templon de la rue du Grenier Saint Lazare pour l'exposition de l'artiste japonaise Chiharu Shiota !

    J'avais découvert cette artiste en 2011 à la Maison rouge avec son installation "After the dream", où de simples longues robes blanches étaient suspendues, enveloppées d'un immense réseau impénétrable de fils noirs, véritable matérialisation d'une image mentale. Puis ce fut à la Biennale de 2015 de Venise où je fus emportée par la magie et la beauté de son installation "The key in the hand". En suspendant des milliers de vieilles clefs à des fils vermillon elle avait transformé le pavillon japonais en une immense grotte arachnéenne où gisaient des barques remplies de clefs rouillées. Enfin, plus récemment, en 2017, elle avait envahi le Bon Marché avec l' installation "Where are we going" pour laquelle elle avait suspendu au dessus de l'escalier central une multitude de coques de bateaux de toutes tailles et de toutes cultures, tissant autour d'eux une immense vague de fils blancs.

    Avec "Inner universe" (univers interne), titre de son exposition actuelle chez Templon, Chiharu Shiota, née en 1972, nous entraîne, une fois encore, dans son univers poétique et émouvant avec des oeuvres diverses qui, comme à l'accoutumée, restent ouvertes à de multiples questionnements.

    Le fil est la base de son travail plastique. Il lui permet de tisser, autour d'objets évocateurs, des réseaux d'une extrême complexité qui, tels des toiles d'araignée, envahissent tout l'espace environnant pour les installations ou des contenants plus réduits tels les boîtes ici présentées. Sa palette est réduite à trois couleurs de base : le noir, le rouge et le blanc, pour elle hautement symboliques.

    Voyons par exemple la sculpture de la première salle (photo 1)IMG_7585.JPG. Elle consiste en une grande boîte aux parois transparentes. Dressée verticalement, on y entrevoit une longue robe blanche (de mariée ?) maintenue prisonnière d'un réseau dense de fils noirs savamment tissé. Bien que vide du corps de la femme qui l'a portée, cette robe en garde la présence ; elle flotte dans l'espace telle la réminiscence nostalgique d'un souvenir que la mémoire tente vainement de retenir dans ses filets.

    Dans le fond de la galerie, ce sont des cages où dans un réseau inextricable de fils rouge sang, images possibles de nos réseaux neuronaux, sont emprisonnés divers objets. Dans l'une d'elle c'est un crâne (photo 2)IMG_7593.JPG, dans un autre la photo de la coupe d'un cerveau entourée de deux cranes ouverts. L'artiste interroge-t-elle ici ces lieux mystérieux où se loge notre mémoire sans laquelle nous ne pourrions survivre. Certains contenants sont particulièrement émouvants comme celui où sont emprisonnées de vieilles photos jaunies légèrement cornées qui, tels des insectes prisonniers d'une toile d'araignée, tentent d'échapper à ces entrelacs labyrinthiques (photo 3)IMG_7598.JPG. Qu'ils aient été bons ou mauvais, nous somme prisonniers de nos souvenirs qui, telle la circulation du sang dans notre corps, nous nourrissent et nous maintiennent en vie. Ce réseau graphique dont la couleur rouge, pour elle symbole d'intériorité, peut évoquer aussi les liens souvent complexes qui nous rattachent à nos racines, aux autres, au monde. Ces cages fonctionnent comme des autels dédiés aux traces indélébiles et impalpables de notre mémoire.

    Sur les murs de la première salle sont accrochés trois ou quatre tableaux. Il ne sont pas peints mais se trouvent peu à peu envahis par des réseaux inextricables de fils piqués à même la toile ; noirs, couleur qui évoque pour Chiharu Shiota le ciel et l'univers - ils font penser au firmament avec sa multitude de galaxies - (photo 4) IMG_7589.JPG; rouges, les réseaux sanguins dont nos corps sont irrigués et à leur infinie complexité (photo 5)IMG_7601.JPG. Résultat d'un travail d'aiguilles oh combien minutieux et sophistiqué, ces oeuvres sont fascinantes à plus d'un titre et le dialogue qui semble se nouer entre le cosmos et notre propre corps, entre l'infiniment grand et l'infiniment petit exerce une fascination à laquelle il est difficile de s'arracher.

    Même absent, le corps autant physique que psychique IMG_7605.JPGest au centre de sa pratique sculpturale. En effet, le travail de cette artiste requiert du visiteur une implication à la fois mentale et corporelle. Outre le fil textile, elle utilise d'autres matériaux, tels que le verre soufflé, les fils de métal ou la peau pour souligner fragilité de notre condition. Témoin ces dépouilles en cuir découpé qui pendent au centre de la galerie, résidus dérisoires de notre humanité soulignée par cette paire de chaussures ironiquement placée sous l'une d'elle (photo 6).

    IMG_7603.JPGDe ses propres mains moulées en bronze, jointes en un geste d'offrande, jaillit la lumière d'un buisson de fils dorés (photo 7), oeuvre qui ne manque pas de provoquer chez le spectateur une émotion quasi surnaturelle. IMG_7610.JPGDans une attendrissante robe d'enfant tricotée de fils d'acier se dissimule un objet indécelable, un secret ? (photo 8) Un amas de boules de verre de taille et de forme différentes, réunies dans un filet de métal, formellement un très bel objet, évoque un organe, un amas de cellules, ou un tumeur gorgée de sangIMG_7613.JPG (photo 9), oeuvre d'autant plus touchante quand on sait que l'artiste a été atteinte d'un cancer des ovaires il y a quelques années.

    Tout ce travail, qu'on serait tenté de rapprocher par sa thématique de celle de Boltanski, est questionnement autour du souvenir, de la mémoire - ce tissus fragile facilement rompu ou contaminé -, des liens tissés à l'intérieur de l'être humain le reliant au passé et à ses interrogations.

     

    Chiharu shiota "Inner Universe" - Galerie Daniel Templon - 28, rue du Grenier Saijt Lazare, 75003-PARIS. Jusqu'au 25 Juillet.

     

     

  • Barbara HEPWORTH (par Régine)

    Avez-vous vu l'exposition de Barbara Hepworth au Musée Rodin ? Si tel n'est pas le cas il n'est pas encore trop tard, l'exposition, étonnamment longue puisqu'elle est  en place depuis novembre, dure encore jusqu'au 22 mars et elle vaut vraiment la peine. En effet, le travail de cette grande dame de la sculpture anglaise du XXème siècle, contemporaine et amie d'Henri Moore, très connue dans son pays mais trop peu chez nous, fait depuis novembre, l'objet d'une belle exposition au Musée Rodin. L'endroit choisi n'est pas anodin. Comme le maître des lieux qui bouscula la sculpture de son époque, Barbara Hepworth fit partie de ceux qui, entre les deux guerres, ont transformé les codes de la sculpture et l'ont révolutionnée en inventant de nouvelle formes.

    L'exposition s'ouvre sur le récit de la réception, dans les années 1930, de cette artiste à Paris où elle rencontra Brancusi, Naum Gabo, Arp (dont elle sera toute sa vie très proche), Mondrian, Delaunay, Calder... autant d'artistes qui influenceront sont art. On peut y voir nombre de lettres, de Mondrian notamment, des catalogues, des photographies. IMG_7510.JPGY figure également la maquette en cuivre, cordes et base en béton "Winged figure" (figure ailée) (photo 1) dont les formes en tension et les matériaux utilisés rappellent les sculptures de Pevsner et de Gabo.

    On entre ensuite dans son atelier, reconstitution fidèle de son lieu de travail à Saint Ives en Cornouailles où elle s'installa en 1939 avec son mari, le peintre Ben Nicholson. Ses instruments de travail : maillets, ciseaux et burins, sont mis en évidence ; l'artiste n'aimait pas le modelage adopté par Rodin, mais elle pratiquera toute sa vie la taille directe éprouvant la nécessité absolue d'un corps à corps avec la matière. Le bronze apparaîtra plus tardivement dans son oeuvre lui permettant par ses qualités propres de concevoir d'autres types de formes, incurvées ou dynamiques, parfois colossales, impossible à réaliser en pierre. Dans ce même espace une belle vidéo montre nombre d'oeuvres in situ dans la nature.IMG_7517.JPG "Toute ma sculpture, dit-elle, sort du paysage : la sensation de la terre quand on marche dessus, la résistance, l'usure, les affleurements, les structures de croissance... aucune sculpture ne vit vraiment tant qu'elle ne retourne pas au paysage". Quelques beaux dessins et peintures ornent les murs. La fascinante huile sur bois de 1966 intitulée "Genesis III" (photo 2) illustre l'aspect cosmique de son oeuvre. Deux astres, l'un rouge, l'autre gris, peut-être le soleil et la lune, tournoient dans le cosmos, entraînant la galaxie qui les entoure dans un incessant mouvement.

    On pénètre enfin dans la salle où sous une belle lumière zénithale, sont exposées ses sculptures et c'est magnifique. Si ce dispositif peut déranger par la promiscuité des pièces présentées, il permet d'embrasser d'un seul coup d'oeil l'ensemble de l'oeuvre et d'en saisir la cohérence. La perfection des formes ovoïdes évoque le polissage des galets par la mer et la majesté des pierres dressées, les menhirs du passé lointain de son pays.

    Le jeu entre le vide et le plein et la diversité des matériaux utilisés démontrent eux aussi le lien que l'ensemble de l'oeuvre entretient avec les phénomènes naturels et la recherche incessante de l'artiste pour trouver le moyen le plus harmonieux possible d'habiter le monde. Plusieurs sculptures par exemple regroupent sur un même support deux, trois ou même plusieurs éléments indépendants les uns des autres. Ainsi ces deux ensembles, datés de 1935 et intitulés "3 formes" l'un est en albâtre gris IMG_7522.JPG(photo 3), l'autre en marbra blanc (photo 4)IMG_7520.JPG. Leurs formes si rondes et si polies, qu'il est difficile de résister à la tentation de les toucher, l'harmonie des couleurs des matériaux - le blanc immaculé du marbre, le gris brun de l'albâtre - la disposition des pierres sur leur base, tout concourt à créer la sérénité qui se dégage de ces oeuvres et un rapport de complicité entre les différentes formes qui les composent. J'espère, disait-elle, découvrir dans les formes sculpturales une essence absolue qui traduise la qualité des relations humaines. Plus tard, en 1952, elle prolongera cette idée en créant en marbre blanc un groupe composé de 12 formes distinctes occupant chacune une place précise les unes par rapport aux autres IMG_7534.JPG(Groupe I, Rassemblement) (Photo 5) C'est une foule qu'on serait tenté de rapprocher des "Forêts" de Giacometti réalisées, elle aussi, dans les années 1950. Très différentes par la forme et l'esprit, ces ensembles inaugurent un nouveau rapport à la sculpture. Le spectateur n'est plus le seul à dialoguer avec un unique objet mais, des échanges s'effectuant aussi entre le divers éléments qui composent la sculpture, son rapport à l'oeuvre s'en trouve modifié.

    IMG_7524.JPGLa forme ovoïde de "oval sculpture" datée de 1943, n'est pas sans rappeler celle de la muse endormie de Brancusi (photo 6). En jouant sur le vide et le plein cette sculpture offre une variété infinie de courbes dont le but est de faire jouer la lumière. Oeuvre biomorphique, proche de celles de Arp dont l'artiste s'est toujours sentie très proche. S'agirait-il ici d'un coquillage usé par le ressac de la mer ? 

    IMG_7528.JPGLes percées qu'elle taille souvent dans la pierre ou creuse dans le bronze invitent à regarder autrement le monde et ses formes dressées si intemporelles qui s'élancent vers le ciel (photo 7), qu'elles soient en pierre, en bois, en bronze, subliment le lien que Barbara Hepworth entretient avec sa région et les sculptures archaïques qui, comme à Stonehenge, pars-ment l'Angleterre.

    IMG_7513.JPGMais son grand sujet est la nature et la mer si proche d'elle à Saint Yves "Pelagos" (photo 8), qui signifie mer en grec ancien, a été exécuté en 1946 après un voyage en Grèce. Ici la lumière fait la forme. Le jeu entre le contour convexe en bois très chaud et l'intérieur concave peint en blanc, le plein et le creux évoquent le roulement de la mer. Les fils tendus donnent une dimension sonore à l'oeuvre. Elles deviennent disait-elles "la tension que je ressentais entre moi et la mer, le vent ou les collines.  IMG_7530.JPGLes volutes sinueuses de "Sea forme" de 1958 (photo 9) évoquent également une vague qui se déroule sur elle-même dans un mouvement presque sensuel tandis que la surface inégale de sa surface et la patine des couleurs le frémissement de l'eau. IMG_7541.JPGLes deux ailes incurvées de "Trevalgan" (photo 10), oeuvre monumentale de 1956 se déploient comme celles d'une raie manta.

    On n'en finirait pas de passer en revue la plupart des sculptures ici présentées, mais il faut déambuler lentement entre elles et laisser venir les associations qu'elles évoquent. Ces sculptures tout en tension et en élan, dégagent une grande sérénité et témoignent du lien puissant entre esthétique et matière.

    Barbara Hepworth - Musée Rodin, 77, rue de Varenne, 75007-Paris. Jusqu'au 22 mars 2020.

  • Les vitraux de René Guiffrey au Beaucet (par Sylvie).

    20170914_111147.jpgI l faut toujours du temps pour que les belles choses se réalisent. J'avais signalé en 2013, dans le cadre d'une exposition de René Guiffrey à Pernes les Fontaines  (84), un projet de vitrail transparent qui nous avait enthousiasmés (voir Décrypt-art juillet 2013). Quatre ont été commandés par la mairie et le département du Vaucluse et installés  tout récemment  dans l'église romane Saint Etienne du Beaucet, un superbe village du Vaucluse perché sur ses rochers abrupts (1) autour duquel s'étagent sous les restes de l'ancien château, maisons troglodytiques ou en pierre sèche. L'édifice roman, d'une grande sobriété, temporairement un peu perturbée par des peintures murales d'étudiants en art, est un concentré de l'Histoire : clocher-arcade médiéval, clocher-tour octogonal surmonté d'un campanile-tour de guet, grande porte du XIXème siècle. A compter du XIéme siècle, Saint Gens, ermite mort en 1127, et Saint-Etienne, prédicateur juif du 1er siècle, se sont un peu disputé les lieux.. Depuis 1960, exit Saint Gens parti pour un sanctuaire à son nom, va pour CLICHE 10.jpgSaint-Etienne.

    Confronté à l'aura de ce martyr qui fut lapidé pour avoir prononcé le nom de Dieu, Guiffrey se devait de marquer les esprits de façon forte sans toutefois remettre en question son travail sur la transparence, porteuse de quiétude et de rigueur, et le verre, son cheval de bataille depuis de longues années, dont il connait les capacités, les effets, son poids- matière (2) et son poids-spiritualité sous une apparente innocence.

    Vitrail  -horizontale I-  (163x83cm).jpgDSC_0013.JPGUn premier de ces vitraux, face à l'entrée, ouvre l'espace un peu étroit de l'édifice et laisse sentir l'intense lumière du sud en la tamisant. A la différence ds vitraux traditionnels en couleur qui enferment et du verre translucide qui égalise, le mille-feuille des lames transparentes et  leur visible jonction modulent la surface en un léger frémissement semblable à la surface d'une mer frisée par le vent, mouchetée d'éclats lumineux comme des interstices de silence. La confondante simplicité d'une telle surface en non-couleur favorise réflexion et méditation. L'horizontalité des lignes y participe (3).

    Plus porteur encore de spiritualité cet autre vitrail (4) mêle les clartés prismatiques de la tranche et les épaisseurs vertes de la matière qui absorbe irrégulièrement les couleurs du réel extérieur. Pour peu que le visiteur se déplace, il en capte le crépitement des alternances. Pour Guiffrey ces brisures et cassures volontaires à l'intérieur de chaque vitrail sont "à lire comme les stigmates de la lapidation et les lignes centrales induisent les figures du debout et du gisant, du vivant et du mortel".

     Dans leur dépouillement, leur vibrante transparence, ces oeuvres, me semble t'il, donnent à percevoir un invisible dans ce qu'il a de plus mystérieux, poignant et transcendant.

    Eglise du Beaucet, Montée des Cendres (84210).

     

  • Debré et d'autres en Touraine (par Sylvie)

    Envie de vous échapper à l'approche de l'été ? Optez pour la Touraine, pas seulement pour ses multiples châteaux, ses bons vins et la somptueuse Loire.                                                                                                                     20170503_142010.jpg         A Tours même s'est ouvert en mars 2017 un nouveau musée d'art contemporain signé par deux architectes portugais Francisco et Manuel Aires Mateus qui ont eu le mérite de réaliser un bâtiment noble et rigoureux, adouci par la pierre blonde locale, dans un environnement hélas un peu ingrat malgré son nom de "Jardin François Ier" (photo 1). Ce Centre de Création Contemporaine abrite le fonds du  peintre, lithographe, décorateur, céramiste, Olivier Debré (1920-1999), architecte de formation dont on sait les racines locales et l'attachement profond au Val de Loire. Sa liberté de langage plastique en a fait un des représentants de l'Ecole de Paris. Il qualifiait son propre travail d' "abstraction fervente".                   

    20170503_143349-Gris bleu de Loire.jpgL'exposition actuelle qui se tient dans la galerie blanche est consacrée à des oeuvres peintes en Norvège où il a maintes fois séjourné à partir du milieu des années 60.  Le bleu domine. Rien de surprenant, "abstraite, immatérielle, spirituelle" tels sont les adjectifs employés par Debré à son sujet. Si on la sent, plus ou moins vibrante ou sombre selon qu'elle côtoie le blanc de la neige poudreuse ou glacée ou les noirs du crépuscule, il est clair que l'artiste a retrouvé dans le grand nord cette teinte du ciel tourangeau qu'il a toujours aimé. Pour en bien marqué le caractère symbolique, un 20170503_143726.jpg20170503_143239.jpg20170519_084647.jpggrand "Gris bleu de Loire" ouvre l'exposition (huile sur toile, 370x915cm, 1990. Photo 2).    Elle précède des oeuvres de petit format, tout aussi abstraites, créées souvent sur le motif.  Se profilent ainsi des signes récurrents comme les blancheurs hivernales d'Oppdal (photo 3) les bleus nocturnes ou orageux de Lysne(photo 4), les stavkirke, églises traditionnelles en bois (photo 5, capture d'écran), les tons sourds et terreux de l'automne en montagne ou  les tonalités outremer des marines de Svanoy. D'une matière épaisse, onctueuse, elles sont l'expression instinctive, spontanée d'une émotion que le spectateur peut lui-même ressentir... ou pas.

    20170503_15044Sous le titre "Innland" le musée présente également des oeuvres de jeunes créateurs norvégiens. Parmi eux Per Barclay qui a réalisé une "chambre d'huile", bassin monochrome noir et inerte qui reflète les hautes baies vitrées du bâtiment : magique.(photo 6).

    Olivier Debré, CCC OD, jardin François Ier, 37000 Tours.  Un voyage en Norvège, jusqu'au 17 septembre et Innland, jusqu'au 11juin. Du mercredi au samedi.

    20170503_151058.jpg

     

    Avant de quitter Tours pour remonter vers le nord, on peut s'enchanter de la présence, fut-elle temporaire, à quelques mètres du CCC OD, devant la façade Renaissance de l'hôtel Gouïn, d'un stabile coloré (phot 7) du sculpteur américain Alexandre Calder dont l'atelier de Saché où il travailla à partir de 1953, est aujourd'hui un lieu de résidence et de création artistique.

    A une quarantaine de kilomètres de là, au Domaine de Chaumont sur Loire, se tient le Festival international annuel des jardins. Il faut beaucoup de temps pour tout voir entre château, écuries, cour de ferme, parc...tous plus beaux les uns que les autres. Mais une simple promenade parmi les installations du parc est fort réjouissante. Nous avons ainsi retrouvé les travaux d'aiguille de l'anglaise 20170503_170958- Sheila Hicks.jpg20170503_170549-Henrique Oliveira(momento fecundo).jpg20170503_180024- Patrick Dougherty-1.jpg20170503_175107- El Anatsui (Ugwu) 1..jpgSheila Hicks (Glossolalia, photo 8), les entrelacs biomorphiques en bois du brésilien Henrique Oliveira (photo9), les cages végétales de l'américain Patrick Dougherty (photo 10) et les amoncellements alanguis de matériaux de récupération du ghanéen El Anatsui (photo 11). Il en est beaucoup d'autres à découvrir aux détours des chemins et des bâtiments.                               

    Les fleurs, dans leur variété, leur luxuriance, tiennent salon. thème 2017:  "Le pouvoir des fleurs".

    Festival international des jardins, Domaine de Chaumont sur Loire. Jusqu'au 5 novembre.

     

  • Karel Appel (par Régine)

    L'exposition Karel Appel, honorant une donation de 21 peintures et sculptures de la Karel Appel Foundation et de la veuve de l'artiste, réveille le Musée d'Art Moderne de la ville de Paris de sa torpeur. En effet de nombreuses salles sont vides ou en travaux, la programmation éclectique des derniers mois et le flou de celle à venir permet de s'interroger sur son avenir.

    L'exposition de Karel Appel qui n'occupe qu'une partie du rez-de-chaussée, n'est hélas pas à proprement parler une rétrospective. Elle met particulièrement l'accent sur les oeuvres des années 1945-1965 et mis à part l'ensemble de dix sept sculptures sur la thématique du cirque de 1978, le nombre des peintures des années 1970-2006, année de sa mort, est si restreint qu'il ne permet pas d'avoir une idée précise de l'ensemble de son travail.

    Ces réserves étant faites, elle vaut le déplacement car les oeuvres puissantes de la première période sont passionnantes à plus d'un titre.

    Né en 1921 à Amsterdam, Karel Appel y suit les cours de l'école des Beaux Arts puis vient à Paris en 1947. Il y découvre l'oeuvre de Dubuffet et un an plus tard y fonde le groupe COBRA, acronyme de l'origine de la plupart de ses membres (Copenhague, Bruxelles, Amsterdam). Dissoud en 1951, ce groupe qui réunissait des artistes tels que Jorn, Constant, Corneille, Dotremont, ne durera que trois ans mais suffisamment longtemps pour avoir permis à ses membres de rompre avec les formes artistiques de l'époque, contaminées par les normes et les conventions. Il aura donné à ses adeptes la liberté de puiser aux sources de l'instinct, de découvrir la richesse des arts dits primitifs, la valeur de la spontanéité créatrice du dessin d'enfant ou des handicapés mentaux.

    "La Promenade", un tableau de 1950, (photo 1)IMG_3914.JPG illustre parfaitement cet état d'esprit. Dans un festival de couleurs ou se disputent les rouges, les jaunes, les turquoises, les bleus et les bruns, deux créatures, peut-être des poissons, emmènent en promenade un drôle de petit individu juché sur le dos d'un animal extravagant. Le tout campé comme un dessin d'enfant où formes et couleurs se répondent, nous communique, à la manière de Miro, un sentiment de plénitude joyeuse.

    Mais pour l'artiste, l'art est-il réellement une fête comme l'indique le titre de l'exposition ? En effet, avec d'autres oeuvres, un peu plus tardives, le visiteur se trouve bousculé par un climat beaucoup plus inquiétant, mélange de candeur, de tristesse et de violence.

    Dans "Carnaval tragique" de 1954, (photo 2) IMG_3918.JPGau dessus du visage d'un homme aux yeux écarquillés, s'agglutinent plusieurs personnages terrifiés. Tous semblent figés d'effroi devant un spectacle tragique. L'ensemble, sommairement dessiné d'un trait nerveux, griffé, jaillit de la matière picturale aux couleurs vives, franches et peu travaillées.

    Une grande solitude et un profond désarroi se dégage de "Danseurs du désert", (photo 3) IMG_3916.JPGpeint la même année. Sur un fond de couleur sable, deux êtres (homme ou animal ?) nerveusement griffonnés se tiennent debout de face. Leurs visages et leurs corps réduits au minimum sont balafrés de couleurs éteintes et de quelques taches de rouge.  Entourés d'un tourbillon de traits, pour quel public dansent-ils ces deux êtres si pathétiques ?IMG_3920.JPG et à quel évènement assiste le personnage de "Tête tragique" de 1956  (photo 4). Peint en noir et blanc avec quelques touches de bleu il semble jaillir de la matière en hurlant sa terreur.

    Dans les années 1962, l'artiste peint une série de nus dont sa compagne "Mashteld" qui mourra en 1970 (photo 5)IMG_3924.JPG. Portant pour tout vêtement un grand chapeau noir, elle se tient de face et occupe toute la surface de la toile. La matière, le personnage sommairement esquissé évoquent irrésistiblement les femmes de de Kooning mais dont l'agressivité et la fougue auraient été évacuées pour laisser place à une tendresse emprunte de mélancolie.

    Appel est également sculpteur.  Il construit d'étranges sculptures réalisées avec des objets trouvés, tel "L'homme hibou" (1962) (photo 6) IMG_3929.JPGfaites à partir d'une souche d'olivier. Dressé sur ses ergots l'individu observe le monde de ses yeux troués. Peint à la manière de Gaston Chaissac, le jaune, l'orange, le noir et le blanc se partagent sa surface rugueuse. Deux autres sculptures-installations monumentales, toutes deux exécutées en 2000, ouvrent et ferment l'exposition. L'une est faite de têtes d'ânes hilares coiffés de parasols, "Anes chanteurs", l'autre de chevaux de foire entremêlés de totems indonésiens "La chute du cheval dans l'espace silencieux". Ces assemblages baroques, à l'atmosphère assez grinçante, empruntant au monde de la foire sont beaucoup moins convaincants que la série des dix sept sculptures joyeuses qu'il réalise en 1978 (photo 6) IMG_3943.JPGsur le thème du cirque et qui sont toutes là. Faites de bouts de bois, vivement colorées, ce sont autant d'animaux IMG_3938.JPGen action (photo 7), de clowns acrobates (photo 8) IMG_3936.JPGou musiciens, saisis dans l'instantanéité de leur numéro. Affranchie de toute convention, Appel laisse ici libre cours à sa spontanéité, sa drôlerie, son imagination.

    A partir des années 1980, Karel Appel partage sa vie entre Paris et New York. Cette période est très peu représentée dans l'exposition. Deux oeuvres, pour lesquelles l'artiste renonce à la couleur, ont retenu mon attention. Bien que figuratif le grand polyptyque en 4 panneaux intitulé "Les décapités" (1982) (photo 8) Les décapités.jpgest tragiquement énigmatique. Le sol flambe sous les pieds du personnage et sous les pattes des oiseaux peints en noir sur un fond blanc mouvementé. Tous les protagonistes se livrent à une lutte cruelle dont personne ne sort vainqueur. Nude figure"de 1989 (photo 9IMG_3945.JPG) est un tableau poignant. Sur un fond uniformément noir qui occupe les trois quart de la toile un personnage peint en blanc évite de tomber en s'appuyant sur un mur. Bien que puissamment bâti, son corps se défait, les maculations de peinture blanche qui s'en échappent et les crispations des traits de son visage sommairement dessiné traduisent son effort pour se maintenir debout.

    En regardant les oeuvres d'Appel ici exposées, ce n'est pas vraiment la représentation qui compte mais son énergie communicative. Par la façon dont il travaille la matière, dont il utilise les couleurs, c'est le mouvement même de l'émotion qu'il nous communique. "Son anthropomorphisme sous-tendu par le grotesque et l'ironie est comme un rêve éclaté et halluciné par l'explosion créatrice à la fois tourmentée et heureuse", disait si bien le critique d'art G.C. Argan.

    "Karel Appel, l'art est une fête" Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris - 11, avenue du Président Wilson, 75116-Paris, (01 53 67 40 00) ouvert du mardi au dimanche de 10 à 18 h. Jusqu'au 20 Août 2017.

     

     

  • Richard DEACON (par Sylvie)

                                                                

     

    IMG_3895.JPGUn champ de tulipes ! Selon leur densité on peut les considérer comme une étendue colorée ou comme une multitude de points différents.                                                 Richard Deacon, sculpteur anglais né en 1949, membre, comme Tony Cragg, Barry Flanagan, Antony Gormley ou Anish Kapoor, de la New British Sculpture depuis les années 80, qui est exposé à la galerie Thaddeus Ropac, laisse au visiteur le même choix de perception. Ses 20 nouvelles sculptures  et quelques dessins occupent toute la surface de la galerie, imposant un coup d'oeil général puis une déambulation parmi elles. Un peu comme dans un atelier où les oeuvres dialoguent entre elles là où elles ont été conçues et qu'un dernier geste du créateur peut encore modifier. L'atelier de Brancusi, reproduit selon sa volonté au flanc du centre Pompidou, en est un bon exemple: chaque pièce se différencie des autres, un esprit se dégage de l'ensemble. Ici,en revanche, on n'entre pas dans un sanctuaire mais dans un show-room de façonnier.  (photo 1)

    Les  oeuvres sont de format modeste, ce qui n'est pas la marque de fabrique particulière de Deacon - on lui en connait de monumentales -. Elles reposent sur de vraies tables carrées de hauteurs différentes dont le dessus est peint dans un ton orangé, très chaud. Basses, elles impliquent un regard plongeant, distancié. Leur bois est clair, comme celui des sculptures tant et si bien qu'on se pose la question: ces présentoirs feraient-ils partie des oeuvres ? Plutôt  abstraites, celles-ci ont néanmoins un caractère organique évident. Les courbures, la fluidité, les trouées et la douceur du poli leur donne une sensualité certaine malgré un traitement industriel que Deacon associe, comme nous allons le voir, à tout son travail...

    IMG_3897.JPGPremière oeuvre qui combine le frêne, un bois assez dur, bien connu pour son élasticité et sa résistance à la pression et aux chocs, et une pierre dure et sombre, marbrée, posée là sur des pieds, comme un dolmen ou un navire.  Savamment assemblé, creusé en suivant ses lignes, le  bois ainsi torsadé, évoque une mer agitée. Fermement contenues  par des inclusions de bois plus clair, les extrémités semblent juguler le flot. Un travail délicat et subtil d'ébénisterie alliant tenons et mortaises. (photo 2)

    20170317_161515.jpgD'un socle de pierre ou de béton s'élance une sorte de défense de licorne ou  botte de tiges, à la fois décidé dans son envol et souple comme la double hélice de l'ADN. Par soustraction virtuose, des entailles longues suivant les rainures du bois l'ont ajourée et rappellent le mouvement extensif d'un muscle en travail. Des petites chevilles incrustées çà et là sans nécessité apparente, donnent un caractère fragile à l'oeuvre, comme un besoin d'être soutenue. Deacon se veut fabricant plutôt que sculpteur. Mais sans brutalité. La violence du faire disparait dans la douceur de l'effet. (photo 3)

     

    20170317_161644.jpg 20170317_161559.jpgD'une extrême sobriété  cette sculpture là (photo 4) résume, selon moi, à la fois la beauté du matériau choisi, clair mais nuancé, le talent de l'artiste à travailler le bois en l'écoutanIMG_38966 -R; Deacon- métal.JPGt, à réaliser des entrelacements rythmiques créateurs d' un déséquilibre visuel. Quant aux éléments d'ingeniérie, ces rivets blancs réparties tout autour de façon informelle, ils embarquent le regard dans une étourdissante spirale.

     Outre ces variations autour du bois Richard Deacon a un goût pour tous les matériaux de construction. Cette pièce au bord découpé est en concrétion de débris de béton et de pierre provenant de rebuts de démolition. Il en explore les potentialités. Moulé, découpé, peint, vernissé ou recouvert de céramique, sous sa main cela devient un réceptacle de forme biomorphique, cellulaire, vivante, proche des oeuvres de Henri Moore  (photo 5).

    Rien de surprenant que le métal ait inspiré l'artiste puisqu'il revendique le processus de création industriel. En la découpant, la pliant, il anoblit cette tôle à relief souvent utilisée au sol comme antidérapante : tout le contraire des artistes conceptuels pour qui le matériau avait peu d'importance. On remarquera que le support, peint en gris comme l'oeuvre, participe de son tout (photo 6).

    Richard Deacon "Thirty pieces", galerie Thaddeus Ropac,  rue Debelleyme, 75003 Paris. Jusqu'au 15 avril.

  • Jannis KOUNELLIS (par Sylvie).

    Il faut y courir. L'exposition Yannis Kounellis - artiste italien né en 1936 - à la Monnaie de Paris va bientôt fermer ses portes. Ce serait dommage de passer à côté du travail de cet artiste à l'origine de l'Arte Povera à la fin des années 60 qui a bouleversé le monde de la sculpture en introduisant des matériaux dits "pauvres". Il y ajoute des accessoires de la vie quotidienne se rérérant aux activités du réel: meubles, vêtements, éléments végétaux et animaux propres à faire naitre de multiples questions.

    Dés l'entrée, dans la vaste salle à très haut plafond, aux colonnes de marbre et aux dorures propres au XVIII ème siècle de cet hôtel particulier du quai Conti, Kounellis bouscule la présentation habituelle de la sculpture et de la peinture en créant un ensemble surprenant qui résume assez bien les grands symboles qui lui sont chers et les contrastes qu'il entretient.                                                                                                                 20160418_161426.jpg20160418_161907.jpgS'y côtoient une dizaine de gigantesques chevalets noirs bloquant l'espace (photo1), porteurs d'austères tableaux dans leur noirceur d'acier brut, une noirceur naturellement nuancéé de rouille et de  bleuté qui ne sont pas sans rappeler les "Outrenoirs" de Soulages ou par leur bande verticale, le minimalisme de Barnett Newman.  A leur pieds,sur le sol à damier noir et blanc, Kounellis fait dialoguer les matières, les confrontent les unes aux autres: (photo2) un bac de charbon (  un bac à sable ?) mat avec des brillances, rappelle le travail d'extraction et le pouvoir de chaleur de ce matériau. A côté, sur un amoncellement de longs clous renvoyant sans aucun doute au travail de manutention, mais dont l'épaisseur de la couche contredit le danger, un premier lit de camp dégage par ses orifices des flammes.Oui, semble t'il dire, le charbon n' est pas seulement bienfaisant, il est aussi destructeur. Le second supporte une cage où, sur la paille, dorment ou gambadent des souris. Sont elles à notre image, inconscientes mais néanmoins partie prenante du monde ?  Autour de le pièce, dans un renfoncement, Kounellis a superposé bien à plat une série de couvertures grises, en référence à la mémoire, au passage du temps, aux plis obscurs de l'âme et à la peinture de la Renaissance. Comme en un trompe l'oeil de Masaccio. L'ensemble de cette présentation spectaculaire, véritable espace dramatique, nous parle de l'histoire du lieu, de la révolution industrielle, d'une certaine beauté dramatique et de notre petitesse humaine. Elle renvoie également au savoir faire de l'institution"Monnaie de PARIS", toujours en activité et pose la question du processus de fabrication d 'une oeuvre.

    20160418_171336.jpgDans la pièce suivante de longs cylindres métalliques gisent, sous de mêmes couvertures de l'armée (photo 3). Comme des cercueils ils semblent en attente de départ. L'un d'entre eux s'appuie contre une double plaque métallique dont l'angle est ouvert. A ce sujet Kounellis raconte un souvenir d'enfance resté gravé dans son esprit: l'angle mur/porte de sa chambre lui est apparu comme une impossibilité de fuite...Sculptures, tableaux, l'échelle humaine reste la préoccupation principale dans l'élaboration d'une oeuvre. Les plaques d'acier en sont le symbole:elles mesurent 200x180cm, à peu près un lit double et les "cercueils" sont à la dimension d'individus.

    20160418_165406.jpg20160418_163805.jpgPlus loin, sur un assemblages de toiles à sacs en jute noir, pauvre, manuellement fabriqué, faisant tapis (photo 4), une petite pyramide de graines de tournesol dont on connait la valeur nutritive....Le contraste entre ces éléments - le riche le pauvre - renvoie aux échanges commerciaux et humanitaires et à l'éternel renouvellement, aux capacités de l'être humain à faire, défaire, refaire et à créer des liens.

    Dans une vitrine circulaire (photo 5), des couteaux sont très régulièrement suspendus comme des objets précieux. Et, de fait, ils peuvent être considérés comme tels: ils sont le résultat du savoir faire de la dernière manufacture de Paris et de l'industrie qui en anoblissent la simplicité de matière. Bois, métal, autant d'éléments dont la beauté et le danger méritent d'être glorifiés et tenus à distance.

    20160418_162815.jpg20160418_164403.jpgUn grand tableau, aux mêmes dimensions matriarcales que les panneaux précédents, tranche par sa couleur jaune (photo 6), éclatante, hommage à l'artiste américain  Barnett Newman, le pape de l'Expressionisme abstrait  américain. Le partage vertical, qui divise en deux le champ uniforme est remplacé ici par une poutre métallique noire. Ce fameux zip reprend l'idée de présence même de la création, ce moment de perception aigüe où l'espace se divise et réunit.

    Ces morceaux de charbon fixés sur trois grands panneaux debouts (photo 7) comme les papillons épinglés des collectionneurs, ne formeraient ils pas les lignes d'une écriture indéchiffrable? Comme les trois petits points d'une fin de phrase, ils laissent la place à un avenir incertain.

    20160418_171223.jpgLa pièce qui suit est occupée à angle droit: de face est placé un tableau partiellement rose où une phrase de Pulcinella de Stravinsky  est inscrite. A droite, sur des panneaux noirs, accrochés à des crocs de boucher, des vêtements noirs, vieux semble t'il, suggérant absence ou disparition, une tragédie sans que l'on sache laquelle (photo 8). Pour que cette oeuvre de 1972, intitulée "Da inventare sul posto" fonctionne, il manque sur cette photo le violoniste et la danseuse qui invente sur place l'oeuvre et symbolise la force, le rythme et l'orchestration, tout un ensemble condensé dans le geste créateur. Encore une preuve du désir de l'artiste de faire passer l'énergie vivante dans l'oeuvre et de "chercher de façon dramatique l'unité"... dans le dépouillement.

    Brut(e)Yannis Kounellis, à la Monnaie de Paris, 11 quai de Conti, 75006 Paris. Ouvert tous les jours de 11h à 19h, le jeudi jusqu'à22h. Jusqu'au 30 avril 2016.