Richard DEACON (par Sylvie)
Un champ de tulipes ! Selon leur densité on peut les considérer comme une étendue colorée ou comme une multitude de points différents. Richard Deacon, sculpteur anglais né en 1949, membre, comme Tony Cragg, Barry Flanagan, Antony Gormley ou Anish Kapoor, de la New British Sculpture depuis les années 80, qui est exposé à la galerie Thaddeus Ropac, laisse au visiteur le même choix de perception. Ses 20 nouvelles sculptures et quelques dessins occupent toute la surface de la galerie, imposant un coup d'oeil général puis une déambulation parmi elles. Un peu comme dans un atelier où les oeuvres dialoguent entre elles là où elles ont été conçues et qu'un dernier geste du créateur peut encore modifier. L'atelier de Brancusi, reproduit selon sa volonté au flanc du centre Pompidou, en est un bon exemple: chaque pièce se différencie des autres, un esprit se dégage de l'ensemble. Ici,en revanche, on n'entre pas dans un sanctuaire mais dans un show-room de façonnier. (photo 1)
Les oeuvres sont de format modeste, ce qui n'est pas la marque de fabrique particulière de Deacon - on lui en connait de monumentales -. Elles reposent sur de vraies tables carrées de hauteurs différentes dont le dessus est peint dans un ton orangé, très chaud. Basses, elles impliquent un regard plongeant, distancié. Leur bois est clair, comme celui des sculptures tant et si bien qu'on se pose la question: ces présentoirs feraient-ils partie des oeuvres ? Plutôt abstraites, celles-ci ont néanmoins un caractère organique évident. Les courbures, la fluidité, les trouées et la douceur du poli leur donne une sensualité certaine malgré un traitement industriel que Deacon associe, comme nous allons le voir, à tout son travail...
Première oeuvre qui combine le frêne, un bois assez dur, bien connu pour son élasticité et sa résistance à la pression et aux chocs, et une pierre dure et sombre, marbrée, posée là sur des pieds, comme un dolmen ou un navire. Savamment assemblé, creusé en suivant ses lignes, le bois ainsi torsadé, évoque une mer agitée. Fermement contenues par des inclusions de bois plus clair, les extrémités semblent juguler le flot. Un travail délicat et subtil d'ébénisterie alliant tenons et mortaises. (photo 2)
D'un socle de pierre ou de béton s'élance une sorte de défense de licorne ou botte de tiges, à la fois décidé dans son envol et souple comme la double hélice de l'ADN. Par soustraction virtuose, des entailles longues suivant les rainures du bois l'ont ajourée et rappellent le mouvement extensif d'un muscle en travail. Des petites chevilles incrustées çà et là sans nécessité apparente, donnent un caractère fragile à l'oeuvre, comme un besoin d'être soutenue. Deacon se veut fabricant plutôt que sculpteur. Mais sans brutalité. La violence du faire disparait dans la douceur de l'effet. (photo 3)
D'une extrême sobriété cette sculpture là (photo 4) résume, selon moi, à la fois la beauté du matériau choisi, clair mais nuancé, le talent de l'artiste à travailler le bois en l'écoutant, à réaliser des entrelacements rythmiques créateurs d' un déséquilibre visuel. Quant aux éléments d'ingeniérie, ces rivets blancs réparties tout autour de façon informelle, ils embarquent le regard dans une étourdissante spirale.
Outre ces variations autour du bois Richard Deacon a un goût pour tous les matériaux de construction. Cette pièce au bord découpé est en concrétion de débris de béton et de pierre provenant de rebuts de démolition. Il en explore les potentialités. Moulé, découpé, peint, vernissé ou recouvert de céramique, sous sa main cela devient un réceptacle de forme biomorphique, cellulaire, vivante, proche des oeuvres de Henri Moore (photo 5).
Rien de surprenant que le métal ait inspiré l'artiste puisqu'il revendique le processus de création industriel. En la découpant, la pliant, il anoblit cette tôle à relief souvent utilisée au sol comme antidérapante : tout le contraire des artistes conceptuels pour qui le matériau avait peu d'importance. On remarquera que le support, peint en gris comme l'oeuvre, participe de son tout (photo 6).
Richard Deacon "Thirty pieces", galerie Thaddeus Ropac, rue Debelleyme, 75003 Paris. Jusqu'au 15 avril.