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installation et vidéo

  • Tomà SARACENO au Palais de Tokyo (par Régine)

    Se tient actuellement au Palais de Tokyo une exposition fascinante tant sur le plan plastique que scientifique. Avant de la parcourir il convient d'abandonner la position classique du visiteur d'exposition et se faire partie prenante, bien décidé à jouer le jeu des propositions de l'artiste.

    Carte blanche a été donnée à l'argentin Tomà Saraceno pour investir les 13.000 m2 du bâtiment. L'artiste, qui vit à Berlin, a conçu cette exposition comme un ensemble qui, de salle en salle, par de subtiles installations ou de stupéfiantes vidéos, nous permet de prendre une conscience aigüe de la force et de l'abondance des entités naturelles mais surtout dues à l'activité humaine, qui peuplent l'air ambiant et qui agissent sur nous autant que nous agissons sur elles.

    Cette immense toile invisible que l'artiste compare à celles que tissent les araignées montre que nous sommes tous connectés (monde végétal, animal et humain) et qu'il est plus que temps de modifier notre façon d'appréhender notre environnement afin de trouver le moyen de vitre ensemble en bonne harmonie.

    D'entrée de jeu et dans l'obscurité Saraceno nous plonge dans l'obscurité pour nous révéler le monde des araignées d'une beauté à couper le souffle. Dans une immense salle il a suspendu une multitude de cages dépourvues de parois où plus de 76 espèces d'araignées ont tissé leur toile en l'accrochant sur les montants. Elles seules sont éclairées ce qui permet d'en examiner à loisir la diversité, la beauté, la perfection, et la variété infinie de leurs tissages 14DEU_Kolbe_00060-1-1920x1280-1024x683.jpg20181119_142652.jpg20181119_143637.jpg(photos 1, 2, 3). La toile pour l'araignée n'est pas son habitat, mais la continuité d'elle-même, de son système cognitif et sensoriel. Cette façon d'être en permanence connecté au monde environnant, peut, suggère l'artiste, nous inspirer ; ces toiles d'araignée ne sont pas seulement une image des connexions qui nous relient à ce qui nous entoure et qu'il s'efforce tout au long de l'exposition de nous rendre visible, mais peut aussi nous servir de modèle de fonctionnement.

    Savez-vous que l'air émet un son ? l'installation "Sounding the air" nous en fait prendre conscience. En effet, cette multitude de particules qui chargent l'air réagissent ensemble à tout ce qui les entoure en émettant un musique qui nous est donnée à entendre grâce à cette très poétique installation 12_18FRA_PdT_Installation_32933-1920x1280.jpg (photo 4). Elle se compose de fragiles fils de soie d'araignée tendus qui, tels ceux d'un instrument de musique, vibrent en réponse à l'ensemble des forces en présence : mouvements et respiration des visiteurs, changements de température, etc... A l'aide d'un logiciel ces vibrations sont traduites en fréquences sonores, bruit de fond de l'univers, qui échappe à nos oreilles.

    De la même manière l'installation "Events the perception" nous fait voir et entendre le mouvement des particules flottantes, domestiques, terrestres et cosmiques.

    La transparence de l'air et l'impression de légèreté ressentie tout au long de la visite nous éblouit avec l'installation intitulée "Aerophagies" IMG_6862.JPG(photos (5). Au dessus de feuilles de papier, des stylos sont suspendus à des ballons gonflés à l'hélium et écrivent avec l'encre récupéré à partir de pigment de particules de carbone noir issues de la pollution de Monbaï en Inde. IMG_6859.JPGLe mouvement des stylos suit celui des déplacements des visiteurs et ces "dessins de l'air" ressemblent curieusement au dessin d'une toile d'araignée (photo 6). 9955875105_4b942ef39f_b.jpgSur les murs sont déployés et collées des toile d'araignées comme des relevé géographiques dont l'organisation spatiale rappelle nos agglomérations urbaines (photo 7).

    Parallèlement à ces installations l'artiste réalise des vidéos tournées dans des sites naturels dont les images sont souvent envoûtantes. Elles montrent différentes façons d'occuper la planète, par exemple cette araignée sous-marine qui, bien que sans branchies, vit sous l'eau en s'entourant d'une belle d'air qu'elle va recharger périodiquement à la surface.

    Toma Saraceno est un utopiste, mais sans utopie pas d'invention. Ainsi, avec l'équipe des scientifiques à laquelle il est associé, il a imaginé un ballon qui permettrait de se déplacer dans les airs sans énergie fossile, hélium ou hydrogène, mais uniquement grâce à l'énergie solaire. Et si notre air est trop pollué pourquoi ne pas imaginer d'aller avec ces structures habiter dans d'autres sphères célestes ?

    Pour clore cet ensemble, à l'aide de cordes tendues dans toutes les directions, Saraceno a construit une sorte de gigantesque et magnifique toile d'araignée dans laquelle les visiteurs sont invités à évoluerIMG_6849.JPG (photos 9, 10)IMG_6872.JPG. Sous leurs doigts, lorsqu'ils les passent sur les cordes, résonnent, amplifiées par des hauts parleurs, différentes fréquences, certaines audibles, d'autres ressenties comme des vibrations que l'on éprouve en s'allongeant sur le sol. Il a voulu montrer ici que, pour l'homme comme pour l'araignée, le monde entier est fait de vibrations qui parcourent nos propres toiles respectives. Il a souhaité en effet que cette exposition "devienne le lieu d'une expérience enrichie, où les visiteurs deviennent partie intégrante des paysages vibratoires et des oeuvres, simplement en respirant et en se déplaçant".

    Quelle exposition étonnante ! D'une grande beauté poétique et d'un grand intérêt scientifique. Elle nous fait prendre conscience de ce réseau de vie dans lequel nous sommes englobés. Courrez-y, c'est magnifique et passionnant et n'hésitez pas à faire une visite guidée.

    Carte blanche à Tomà Saraceno "On air", Palais de Tokyo - 13, avenue de Président Wilson, 75116-Paris. Ouvert tous les jours sauf mardi de midi à minuit. Jusqu'au 6 janvier.

     

  • Sheila HICKS (par Sylvie)

    Il fallait braver la foule du dernier jour des vacances scolaires pour aller à Beaubourg voir l'exposition Sheila Hicks, dont je connaissais déjà le travail pour l'avoir vu et apprécié maintes fois, la dernière, cet été, à Chaumont sur Loire.

    "Lignes de vie" est une sorte de rétrospective puisqu'elle va des années 50 à 2018 et montre la variété d'approche du textile conçu comme un matériau de sculpture. Un matériau de sculpture souple auquel Sheila Hicks, née en 1934 aux Etats Unis et installée à Paris depuis 1964, s'est "convertie" après des études de peinture, sculpture, photo, dessin...un choix qui se joue des catégories - entre art, design, décoration - des formats, minuscules comme des échantillons ou démesurés comme des architectures, des procédés - tissages, enroulements, suspensions, superpositions, alignement - des matériaux - lin, laine, soie, fil de nylon - et couleurs,  et quelles couleurs !

    IMG_5932.jpg20180305_122229.jpgL'exposition s'ouvre sur une gigantesque  réalisation multicolore, à dominante bleue, "Cordes sauvages" 2014/2015, suspendue à l'avant du mur.  Les tentacules presque animales de cette méduse de laine en disent déjà beaucoup sur l'art de Sheila Hicks, son savoir-faire, son imagination et son humour. Rien à voir avec ce qui était appelé autrefois, non sans  misogynie, un ouvrage de dames....(photos1 et2)

    Un pas de plus et on change de dimensions: cela ressemble fort à la palette d'un peintre ou aux multiples échantillons d'une styliste.  Il faut s'approcher pour examiner de très près ces petits 20180305_122309Muneca 1957.jpgtravaux de tissage, véritables oeuvres d'art à part entière qui sont autant 20180305_122343- En ménage avec Mongole 2015.jpgd'essais de couleurs ( on pense aux aquarelles de Klee ) ou de techniques de tissages, comme l'artiste a pu les voir lors de ses séjours en Inde, en Amérique latine, en Afrique du nord. Comment ne pas être sous le charme de ces "Minimes" où sont insérés parfois des coquillages, des bouts de bois, des plumes (photos 3 et 4).

    Dans leur dimension architecturale commune, les colonnes souples  dont certaines vont du sol au plafond, évoquent par leurs couleurs, leurs ondulations lisses ou 20180305_123505.jpg20180305_124321.jpg20180305_123050-Aterrissage.jpg20180305_124040.jpg20180303_152343-1.jpgnoueuses, une végétation tropicale sauvage(5), ou les très subtiles contrastes chromatiques des fuseaux ligaturés des tisserands (6), ou encore... les gaz d'échappement d'un avion, fussent ils en laine (7). Quant aux cordes de fibre synthétique aux couleurs chaudes et chatoyantes, assemblées bien serrées verticalement, elles forment une peinture monumentale, un all-over aléatoire, abstrait, où volume, couleurs, matière ne font qu'un, un univers vibrant où plonger le regard (8). Elle me rappelle une oeuvre  en non-tissé aux modulations semblables de Béatrice Casadesus vue  récemment à Rambouillet dans le cadre de son exposition "Particules de lumières" (9).

    20180305_124129-Remparts 2016.jpgIMG_5957 copie.jpg20180305_122736.jpgSheila Hicks n'est pas conventionnelle, on l'aura compris. Elle a horreur des formes définitives de la sculpture. Elle préfère les empilements, les amoncellements. Voyez ces strates d'écheveaux de laine aux tons bruns sourds (12), ou l'installation de multiples boules de tissus rouges de différentes tailles, des "Remparts" (10). Et sous vitrine, tels de précieux vestiges, "Palitos con Bolas", 2011 (11), évoque par ses galets ronds et ses "bâtons de paroles", la magie ancestrale.  Nous rappelant que l'artiste fut aussi peintre, elle a posé au sol, debout, des chassis de différentes tailles "colorés" en fils de laine , sciemment empilés- décalés pour faire oeuvre unique.

    Dépassant le modèle traditionnel de la tapisserie, c'est tout un univers poétique entre art, design et décoration, qui transforme notre perception des textiles, en exalte la matière, la couleur, la sensualité. Une vidéo projetée dans une enclave, hélas trop petite, de l'exposition permet de voir l'artiste à son travail.

    Sheila Hick "Lignes de vie", Centre Pompidou, jusqu'au 30 avril 2018.

     

  • Tacita Dean (par Régine)

    Tacita Dean a une manière bien à elle d'exprimer sa fascination pour le temps. Avec les oeuvres actuellement exposées chez Marian Goodman et dont le thème central est la cristallisation du sel, elle en rend les différentes facettes palpables.

    A travers un film sur la Spiral Jetty de Robert Smithson appelé "J.G." projeté en boucle au sous-sol, de cartes postales retouchées, d'immenses photo-gravures et de photos au rez-de-chaussée elle en tresse les différentes aspects : le temps qui induit le changement, celui qui est permanent et durera toujours ("le changement concerne non le temps lui-même mais seulement les phénomènes dans le temps" disait Kant) et celui de l'imaginaire, du fantasme, du souvenir.

    La fascination de l'artiste pour l'oeuvre emblématique du Land Art, la Spiral Jetty, que Robert Smithson réalisa au Lac Salé dans l'Utah en 1970, lui fait découvrir l'oeuvre de J.G. Ballard, écrivain de science fiction, mort en 2009, et dont la nouvelle "Les voix du temps" aurait inspiré Smithson. A ce sujet une correspondance s'établit entre elle et l'auteur, et le titre de l'oeuvre "J.G" lui rend hommage.

    Pour Smithson la spirale épousait le mouvement du mythe qui d'après une légende indienne entraînait les eaux au fond du lac jusqu'à l'océan Pacifique. Disparue la Spiral Jetty est à son tour devenue un mythe qui hanta longtemps Tacita Dean, car pour elle sa forme évoque celle du temps de même que celle des cristaux de sel qui croissent en hélice.

    "J.G." tourné en argentique 25 mm, médium lui aussi voué à disparaître et pour lequel elle éprouve un attachement viscéral, n'est pas un film au sens traditionnel, il se compose d'une longue série de plans fixes. Les vues liées aux paysages de lacs salés s'entremêlent avec l'évocation de la Spiral Jetty et le récit de science fiction de J.G. Ballard en voix off. Ainsi défilent lentement l'image de roches sur lesquelles des cascades d'eau déposent inlassablement le sel dont elles sont chargées les transformant en d'énormes choux fleurs (photo 1)GEDC0068.JPG ; celle d'une route blanche qui traverse une étendue d'eau stagnante et se perd au pied de montagnes lointaines (photo 2) GEDC0498.JPG; celle d'une mousse blanche qui bouillonne telle une soupe primordiale (photo 3)GEDC0034.JPG ou encore celle de l'eau d'un lac dorée par le coucher du soleil qui dépose son sel sur la grève...(photo 4)GEDC0037.JPG.

    Apparait souvent une pellicule photographique à bord crénelé qui met en GEDC0057.JPGparallèle des images à fort écho visuel : ici une pelleteuse, tel un énorme insecte, fouille le sol, à côté un animal d'aspect préhistorique tente de sortir de sa carapace (photo 5) ; là des vaguelettes lourdes de sel côtoient des images de cristallisation (photo 6)GEDC0028.JPG;  ou encore une carapace articulée de tatou, une tête de serpent et un chantier d'extraction du sel.

    Afin de mélanger paysage, temps et imaginaire l'artiste utilise une technique consistant à masquer partiellement l'obturateur avec des découpages, puis à filmer d'autres images souvent mouvantes à travers ces vides. Ceux-ci prennent la forme de la Spiral Jetty qui vient en surimpression sur le paysage (photo 7)GEDC0031.JPG ou de cercles à travers lesquels Tacita Dean inscrit des images différentes (couchers de soleil, cristallisation, horloges...) (photos 8 et 9)GEDC0029.JPGGEDC0026.JPGGEDC0042.JPG. Sorte de vision kaléidoscopique qui rappellent les photos que prenait Nancy Holt, la femme se Smithson, depuis son installation "Sun Tunnel" également dans l'Utah, et qui isolent dans un cercle les mouvements du soleil.

    Dans ces paysages immuables seuls les oiseaux migrent, les nuages passent, une grenouille respire, l'eau ruisselle, l'aile du papillon vibre. Hormis la voix off et le ronronnement de la pellicule, les bruits sont ceux du sel qui craque, des excavatrices au travail, de l'eau qui coule, d'un train qui passe au loin. Eternité, présent, fantasmes se trouvent ainsi dilués dans un espace et une temporalité unique. 

    GEDC0007.JPGLes cartes postales repeintes présentées sous plexi que l'on peut voir au rez-de-chaussée sont d'une grande beauté. Dans l'une, de gros nuages gris bleuté, très bas, très lourds se reflétant dans un paysage chargé d'eau où s'alignent des monticules de sel d'un blanc immaculé ; rien ne bouge, le temps s'est arrêté sur le travail des hommes et les nuages tels d'énormes rochers menacent un monde paisible et fragile (photo 10). Dans une autre la Spiral Jetty est dessinée sur un lac d'un bleu intense encore. Comme dans les installations de Nils Udo, des petits cônes d'une délicate blancheur flottent sur une rivière (photo 11)GEDC0003.JPG. La boule de sel cristallisé déposée près de trois d'entre elles fait écho à la fragilité des paysages représentés.

    Avec la photo de deux objets abandonnés dans le lac salé et fossilisés par le sel, Tacita Dean saisit le déroulement du temps. La qualité de l'argentique (dont l'un des composants est le sel d'argent !) qui rend la matière et la lumière de façon incomparable y est pour beaucoup. L'image du livre prisonnier de son carcan de sel condensant à la fois le caractère éphémère et inexorable du temps est splendide (photo 12)GEDC0011.JPG.

    Enfin 10 photogravures (impossible à photographier à cause des reflets) réunies en un polyptyque de 5 panneaux animent le grand mur droit de la galerie. Ensemble elles forment un unique et immense paysage noir et blanc où réalité et imaginaire se confondent. Quelques mots, souvent à moitié effacés, sont tracés à la craie : volcan, cascade, apocalypse, hell's breath, Henry Moore..... 

     L'émotion que ces images dégage se situe au delà du langage car elles montrent la fugacité de notre existence, de notre imaginaire, de nos souvenirs et l'immuabilité du monde. Oui Tacita Dean a l'art de tisser une relation forte avec celui qui contemple son oeuvre.

    Tacita Dean "J.G". Marian Goodman Gallery - 79 rue du Temple, 75003-Paris, 01 48 04 70 52 jusqu'au 1er mars. Ouvert du mardi au samedi de 11 h à 19 h. Métro Rambuteau. 

     

  • Mircea CANTOR (par Sylvie).

    Mircea Cantor, né en 1977 en Roumanie, travaille à Paris et en Transylvanie. Il est le onzième lauréat du prix Marcel Duchamp et, comme tel, est exposé au centre Pompidou. La maison traditionnelle en bois, sculpture décorée du motif typique de corde, vue au jardin des Tuileries dans la cadre de la FIAC hors les murs, donnait à saisir une ambiguité dans ce cocon sans toit. L'espace 315 de Beaubourg est l'occasion de mieux comprendre l'état d'esprit de l'artiste à travers des oeuvres de 2012, minimalistes et troublantes par leur évidence poétique et une certaine résonnance philosophique.

    Le sas d'entrée met sur le champ devant les préoccupations de Cantor: le temps, le jeu, le merveilleux, la mort, des sujets essentiels qu'il approche avec subtilité.

    mircea cantor (suite) 014.jpgSur le mur blanc se lit:" Don't judge, filter, shoot" (Ne juge pas, filtre, tire), une injonction qui est à la fois le titre de l'exposition et le nom d'une des oeuvres, trace semi-brulée qui évoque pour moi un fil de fer barbelé. Le processus et le sens ne me deviendront intelligibles que plus avant. A ce stade, sa beauté grinçante joue sur les nerfs comme des meubles baroques dont les aspérités font mal avant même de les avoir touchés. Expérience stimulante sans être physiologiquement désagréable.

    A droite, la vidéo "Wind orchestra" (orchestre de vent) montre en boucle un enfant posant délicatement à la verticale une série de couteaux acérés et, d'un souffle, les faisant s'écrouler. L'enfant a tout le sérieux de son âge au jeu de l'habileté et de la précision et recommence sans cesse. J'ai cru voir, revisitée ainsi, l'expérience du fort-da chère à Freud, l'alternance présence-absence de la mère, cette compulsion de répétition propre à la nature humaine. Le résultat est fragile, limpide, grave - on y sent le plaisir de construire, le danger des grandes lames et la vanité de toute oeuvre humaine - mais néanmoins ludique comme un jeu de quille et l'on se prend à le regarder... en boucle, avec délectation.

    Mircea Cantor-006.jpgPassons à l'intérieur. "Don't judge, filter, shoot" forme une rosace - vitrail ou mécanisme prêt à   tourner ? - constituée de six tamis ordinaires en bois et fine trame métallique miroitante trouée, dans lesquels gisent des balles de fusil en béton et or. Hypothèse de déchiffrement : le tamis, outil de filtrage, serait notre jugement ; l'assemblage aurait la forme d'un cristal de graphite, témoin de modernité (selon l'auteur) ; les balles, l'image même de la violence et de la fulgurance ; et mon tout compose un ensemble faussement simple, en réalité complexe, à multiples sens. Le rôle de l'artiste, semble vouloir dire Cantor, n'est pas de juger mais de choisir dans le réel (le filtrer) puis de le dépasser (tirer). La beauté est question de regard - merci à Duchamp - et il y a dans cette composition une harmonie plastique et des contrastes convaincants : les tamis ne peuvent plus tamiser, il ont été troués par les balles ; celles-ci, lourdes de masse et de prix, seront ralenties par leur poids... Serait-ce l'évocation d'un état du monde et de ses contradictions ?

    mircea cantor 003.jpgChic, une banquette pour s'asseoir et regarder la seconde vidéo. C'est opportun. "Sic transit gloria mundi" (Ainsi passe la gloire du monde) s'inscrit en effet dans un temps lent et renvoie aussi bien à la mythologie, qu'à l'histoire de la chrétienté ou à la mondialisation. Une jeune femme asiatique, à la longue robe drapée comme un personnage de l'Antiquité, parcourt pieds nus, lentement, le cercle formé par de pauvres hères allongés, un bras tendu, main ouverte et bandée. Elle tient une longue mèche allumée qui se consume peu à peu en passant sur les mains. Les brûlures sont mentalement à craindre malgré les bandages, et la progression du feu, en multiples étincelles épineuses, ravive le souvenir des pointes de barbelé comme un appel à l'instinct de survie. Voilà qui nous éclaire sur l'image du texte d'entrée, écrit à la mèche de dynanite. Sa signification est peut-être à chercher du côté des nations opprimées comme le fut la Roumanie. Ce spectacle est superbe de sobriété, de dépouillement, de raffinement sensuel et sa tension est entretenue par le son d'une simandre qui sert à l'appel à la prière dans le rite orthodoxe. Quel est ce rite initiatique avec paroxysme et apaisement ? L'énigme reste entière, sauf peut-être à y voir le temps compté, la fragilité humaine, notre mort inéluctable et les cycles qui nous maintiennent dans l'espérance d'un avenir meilleur. Le propos est silencieux, attentiste, universel.

    Mircea Cantor-005.jpg"Epic fountain" ravit. Quel plaisir pour l'oeil ! Les trois colonnes de trois mètres de haut qui le composent sont faites d'épingles de sûreté en or, accessoires du commun transcendés par leur riche matériau. Assemblées en double hélice selon la structure de l'ADN, un thème récurent chez Cantor, elles se déploient, légères et scintillantes comme une cascade ou de poètiques fumeroles aux horizontales régulières d'une échelle. L'échelle de Jacob ? Les oeuvres de Mircea Cantor sont toujours difficiles à déchiffrer. La "fontaine épique", épure linéaire et somptueuse incarnera peut-être pour certains l'humanité riche et féconde, en mutation continue. Quoiqu'il en soit, elle cliquette dans la lumière comme un bijou de prix.

    Mircea Cantor au centre Pompidou, espace 315, niveau 1. Tous les jours sauf le mardi de 11h à 21h. Jusqu'au 7 janvier.