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installation

  • Edward et Nancy Kienholz (par Sylvie)

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      L 'exposition qui se tient à la galerie Templon, à Paris, prête à réactions vives. Si vous préférez le beau classique ou l'abstrait contemporain , passez votre chemin. Les sculptures du couple d'artistes américains autodidactes Edward ( 1927- 1994)  et Nancy (1943-2019) Kienholz, aujourd'hui disparus, sont toujours un coup de poing dans la bienpensance depuis leur création initiée au début des années 60 par lui et perpétrée avec Nancy à partir de 1972.  Coup de poing d'abord par la technique de l'installation et de l'assemblage - rejoignant ainsi sur notre continent le nouveau réalisme d'Arman et de Tinguely - mais plus encore par une critique féroce de l'Amérique qui leur a valu d'être longtemps boudés par les institutions et tenus à l'écart du mouvement pop de l'époque pour manque de concessions. 

         Considérant la vingtaine d'oeuvres exposées, il est clair que sont déjà perturbateurs les matériaux qui les composent : objets et résidus de récupération, vêtements, ferrailles, vieux meubles, déchets de la culture de consommation auxquels s'ajoutent des nus de plâtre moulés plus vrais que nature si ce n'est leur couleur. Ces assemblages composent des scènes expressionnistes d'une violence inouïe, visible ou sournoise. Je voulais vous prévenir !

    Quelques exemples: "The Pool Hall" (1993. 245,1x250,2x138,4cm) est l'oeuvre qui m'a le plus ébranlée20200926_175014.jpg. La scène est grandeur nature dans un isolement insulaire, méthode chère à ces artistes qui font entrer ainsi de plein pied le spectateur dans l'oeuvre : trois moulages de joueurs de billard dans le suspense du coup à faire. Trois hommes vêtus de cuir noir ou de vêtements souillés évoluant dans un cadre de bistrot fatigué. Visages impassibles, l'un au masque blanc d'hockeyeur - on ne voit pas ses yeux -, un autre portant lunettes noires. Deux ont la tête surmontée de bois de cerf, image de virilité. Un silence las, désabusé, semble régner. Le corps d'une femme, sans tête, est assis, jambes écartées, sur le billard. Et quel est le "coup" ? Vous vous en doutez, mettre la boule dans l'entrejambe de cette femme, scène allégorique où l'indifférence côtoie la violence et le sexisme Choc visuel évidemment et  dénonciation d'autant plus forte que le coup est insoutenable..

    "The Rhinestone Beaver Peep show triptych" 20200926_175110.jpga été réalisée en1978, après la révolution sexuelle, l'utopie d'égalité et le lancement d'Apollo mais dans une Amérique remise en question par la guerre du Vietnam et le gouvernement Nixon. A bien la  regarder cette installation est un rébus qu'il faut prendre le temps de décrypter. La femme nue et bottée que nous voyons ici est assise de face en haut d'un escabeau. Elle est éclairée par deux gros projecteurs comme sur une scène de théâtre. Elle se regarde dans un petit miroir tenu dans la main gauche et son bras droit, coupé, attrape un autre bras dont le doigt la désigne.Ce corps féminin à la brillance assez sensuelle se détache devant un panneau peint comme un rideau de scène et semble issu de la fosse noire derrière elle. En haut à droite, partiellement cachés figurent les yeux d'un animal qui a tout l'air d'épier. Posée comme un objet de prix la femme n'en n'est pas moins montrée du doigt et regardée sournoisement. Que d'hypocrisie !20200926_175512.jpg

    "Useful Art N°1 (chest of drawers& tv)", 1992.Cette commode a beau être jolie, il dégouline sur elle un jus blanc fianteux qui pourrait émaner de ce que représente la télévision, une déjection... Explications inutiles.

    20200926_175052.jpg"Jody, Jody, Jody" (1994, technique mixte, 243,8x274,3x121,9cm), campe un automobiliste dans son confortable véhicule. Il regarde droit devant lui,  ignorant ou semblant ignorer une fillette agrippée au grillage le long de la route, petite chose abandonnée sans doute. Nous ne voyons que la solitude, le chacun pour soi, la violence faite aux enfants comme une banalité dans la société américaine. Kienholz ne juge pas, il constate, nous force à voir en nous impliquant physiquement.

    Certains pourraient trouver ces oeuvres "ringardes", oublieux du contexte du  moment, sans réaliser que l'Amérique n'a pas beaucoup changé et qu'aujourd'hui le sexisme, le racisme, le consumérisme, la vulgarité et la violence sont toujours actuels en ces temps de campagne présidentielle. Saluons le galeriste de nous rappeler la clairvoyance des époux Kienholz, artistes engagés et véritables visionnaires.

    Edward et Nancy Kienholz, du 5 septembre au 31 octobre, galerie Templon, 28 rue du Grenier St Lazare 75003, Paris. Tel: 01 85 76 55 55. Du mardi au samedi.

     

     

                 

                                   

  • Chiharu Shiota (par Régine)

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    Quel plaisir, après ce confinement de deux mois et dans l'attente de la réouverture des Musées, de pouvoir à nouveau arpenter les galeries qui viennent d'ouvrir leurs portes,. Sus à la Galerie Templon de la rue du Grenier Saint Lazare pour l'exposition de l'artiste japonaise Chiharu Shiota !

    J'avais découvert cette artiste en 2011 à la Maison rouge avec son installation "After the dream", où de simples longues robes blanches étaient suspendues, enveloppées d'un immense réseau impénétrable de fils noirs, véritable matérialisation d'une image mentale. Puis ce fut à la Biennale de 2015 de Venise où je fus emportée par la magie et la beauté de son installation "The key in the hand". En suspendant des milliers de vieilles clefs à des fils vermillon elle avait transformé le pavillon japonais en une immense grotte arachnéenne où gisaient des barques remplies de clefs rouillées. Enfin, plus récemment, en 2017, elle avait envahi le Bon Marché avec l' installation "Where are we going" pour laquelle elle avait suspendu au dessus de l'escalier central une multitude de coques de bateaux de toutes tailles et de toutes cultures, tissant autour d'eux une immense vague de fils blancs.

    Avec "Inner universe" (univers interne), titre de son exposition actuelle chez Templon, Chiharu Shiota, née en 1972, nous entraîne, une fois encore, dans son univers poétique et émouvant avec des oeuvres diverses qui, comme à l'accoutumée, restent ouvertes à de multiples questionnements.

    Le fil est la base de son travail plastique. Il lui permet de tisser, autour d'objets évocateurs, des réseaux d'une extrême complexité qui, tels des toiles d'araignée, envahissent tout l'espace environnant pour les installations ou des contenants plus réduits tels les boîtes ici présentées. Sa palette est réduite à trois couleurs de base : le noir, le rouge et le blanc, pour elle hautement symboliques.

    Voyons par exemple la sculpture de la première salle (photo 1)IMG_7585.JPG. Elle consiste en une grande boîte aux parois transparentes. Dressée verticalement, on y entrevoit une longue robe blanche (de mariée ?) maintenue prisonnière d'un réseau dense de fils noirs savamment tissé. Bien que vide du corps de la femme qui l'a portée, cette robe en garde la présence ; elle flotte dans l'espace telle la réminiscence nostalgique d'un souvenir que la mémoire tente vainement de retenir dans ses filets.

    Dans le fond de la galerie, ce sont des cages où dans un réseau inextricable de fils rouge sang, images possibles de nos réseaux neuronaux, sont emprisonnés divers objets. Dans l'une d'elle c'est un crâne (photo 2)IMG_7593.JPG, dans un autre la photo de la coupe d'un cerveau entourée de deux cranes ouverts. L'artiste interroge-t-elle ici ces lieux mystérieux où se loge notre mémoire sans laquelle nous ne pourrions survivre. Certains contenants sont particulièrement émouvants comme celui où sont emprisonnées de vieilles photos jaunies légèrement cornées qui, tels des insectes prisonniers d'une toile d'araignée, tentent d'échapper à ces entrelacs labyrinthiques (photo 3)IMG_7598.JPG. Qu'ils aient été bons ou mauvais, nous somme prisonniers de nos souvenirs qui, telle la circulation du sang dans notre corps, nous nourrissent et nous maintiennent en vie. Ce réseau graphique dont la couleur rouge, pour elle symbole d'intériorité, peut évoquer aussi les liens souvent complexes qui nous rattachent à nos racines, aux autres, au monde. Ces cages fonctionnent comme des autels dédiés aux traces indélébiles et impalpables de notre mémoire.

    Sur les murs de la première salle sont accrochés trois ou quatre tableaux. Il ne sont pas peints mais se trouvent peu à peu envahis par des réseaux inextricables de fils piqués à même la toile ; noirs, couleur qui évoque pour Chiharu Shiota le ciel et l'univers - ils font penser au firmament avec sa multitude de galaxies - (photo 4) IMG_7589.JPG; rouges, les réseaux sanguins dont nos corps sont irrigués et à leur infinie complexité (photo 5)IMG_7601.JPG. Résultat d'un travail d'aiguilles oh combien minutieux et sophistiqué, ces oeuvres sont fascinantes à plus d'un titre et le dialogue qui semble se nouer entre le cosmos et notre propre corps, entre l'infiniment grand et l'infiniment petit exerce une fascination à laquelle il est difficile de s'arracher.

    Même absent, le corps autant physique que psychique IMG_7605.JPGest au centre de sa pratique sculpturale. En effet, le travail de cette artiste requiert du visiteur une implication à la fois mentale et corporelle. Outre le fil textile, elle utilise d'autres matériaux, tels que le verre soufflé, les fils de métal ou la peau pour souligner fragilité de notre condition. Témoin ces dépouilles en cuir découpé qui pendent au centre de la galerie, résidus dérisoires de notre humanité soulignée par cette paire de chaussures ironiquement placée sous l'une d'elle (photo 6).

    IMG_7603.JPGDe ses propres mains moulées en bronze, jointes en un geste d'offrande, jaillit la lumière d'un buisson de fils dorés (photo 7), oeuvre qui ne manque pas de provoquer chez le spectateur une émotion quasi surnaturelle. IMG_7610.JPGDans une attendrissante robe d'enfant tricotée de fils d'acier se dissimule un objet indécelable, un secret ? (photo 8) Un amas de boules de verre de taille et de forme différentes, réunies dans un filet de métal, formellement un très bel objet, évoque un organe, un amas de cellules, ou un tumeur gorgée de sangIMG_7613.JPG (photo 9), oeuvre d'autant plus touchante quand on sait que l'artiste a été atteinte d'un cancer des ovaires il y a quelques années.

    Tout ce travail, qu'on serait tenté de rapprocher par sa thématique de celle de Boltanski, est questionnement autour du souvenir, de la mémoire - ce tissus fragile facilement rompu ou contaminé -, des liens tissés à l'intérieur de l'être humain le reliant au passé et à ses interrogations.

     

    Chiharu shiota "Inner Universe" - Galerie Daniel Templon - 28, rue du Grenier Saijt Lazare, 75003-PARIS. Jusqu'au 25 Juillet.

     

     

  • Le Minimalisme chez Thaddaeus Ropac (par Régine)

    Si l'un des buts essentiels des oeuvres de l'art minimal est de révéler l'espace qui les environnent, la grande exposition que la Galerie Thaddaeus Ropac a organisée dans son spectaculaire lieu de Pantin autour de ce mouvement des années 1960, est une totale réussite. En effet, la sobriété, la rigueur, la beauté et les multiples déclinaisons des oeuvres de Donald Judd, Dan Flavin, Carl André, Robert Morris ou Robert Mangold sont exposées de façon à englober l'espace qui les entoure et à fonctionner de concert.

    Né aux USA en même temps que le Pop Art, en réaction aux débordements subjectifs de l'expressionnisme abstrait, ce mouvement se caractérise par un souci d'économie de moyens, le désir d'insister sur la globalité des perceptions, par la pratique de la répétition annonçant la notion de série et bien sûr l'élimination de toute expressivité.

    Le titre paradoxal de l'exposition "Monumental minimal"souligne le bouleversement que ces sculptures ont créé face à la notion de sculpture classique, notion déjà mise à mal au début du siècle par les avant-gardes russes, notamment par le constructiviste Tatlin, et en Pologne par le peintre Strezminski et la sculptrice Katarzyna Kapro fondateurs de l'Unisme et fort heureusement exposés récemment à Beaubourg.

    La pièce de Dan Flavin "Hommage à Tatlin" (photo 1)IMG_6965.JPG rappelle cette dette et évoque schématiquement le projet utopique de l'artiste russe "Monument à la troisième internationale". Avec cette construction faite de néons à la lumière blanche évanescente Flavin célèbre l'oeuvre de son prédécesseur. Sa sculpture irradie les colonnes sans socles de Donald Judd qui sont faites de parallélépipèdes en métal usiné, de même dimension (untitled 1989), dont le fond est soit noir (photo 2)IMG_6967.JPG, soit tapissé de plexiglass noir et rouge (Menziken 1988), soit différemment occulté par une plaque du même métal (Mensiken 1988) (photo 3) IMG_6952.JPG; ceux-ci sont accrochés en saillie, également espacés et leur nombre dépend de la hauteur du plafond. Le regard effectue donc un va et vient de bas en haut (ou de gauche à droite suivant le mode d'accrochage - Untitled 1986-87)(photo 4))IMG_6960.JPG et amène le regarder à constater les effets de perspective et de variation de la couleur en fonction de la lumière environnante. Débarrassées de tout affect, ne reposant jamais sur le sol, dénués de toute dimension représentative ou illusionniste, de toute hiérarchie entre les éléments qui les composent ces oeuvres s'opposent totalement aux idéaux de la sculpture occidentale. Accrochée non sans humour non loin de là, l'oeuvre de Robert Morris IMG_6951.JPGvalorise la matière (photo 5), oppose à la rigidité des oeuvres de D. Judd la notion d'informe en laissant le feutre dont elle est constituée s'organiser de lui-même .

    L'oeuvre de Sol Lewit "Seven basic colors and all their combinations in a square within a square" 2005, vibrant hommage à Albers, est ébouissante. Partant des trois couleurs primairesIMG_6942.JPG et de leurs complémentaires (photo 6) plus le gris, utilisant le carré comme forme de base, l'oeuvre se déroule tout autour d'une grande salle en une série de toiles de couleur vive dans lesquelles sont placés un autre carré plus petit d'une autre couleur (photo 7 et 8)IMG_6944.JPGIMG_6947.JPG. Comme avec les oeuvres précédentes, s'installe alors un dialogue entre le regardeur, l'espace et l'oeuvre et ici c'est avec jubilation qu'on ne se lasse pas d'étudier l'interaction des couleurs entre elles. L'art, dit  Sol Lewit, doit engager doit engager l'esprit du spectateur plus que ses yeux et ses émotions. Cette déclaration, plus conceptuelle que minimaliste, s'applique à la sculpture faite de modules de bois laqué blanc, tous identiques, installée en réseau dans la salle voisine (123454321 - 1978-80) (photo 9)IMG_6986.JPG. Elle offre, comme les sculptures de Judd, ne nouvelle perception mentale et spatiale de l'oeuvre, celle d'une forme de base dont les éléments sont susceptibles d'être installés différemment en fonction du lieu ou elle s'inscrit.

    Si les "Plan/figure series A B et G" de Robert Mangold (photo 10 et 11)IMG_6979.JPG IMG_6981.JPGne créent pas la même jubilation que les Wall Drawing de Sol Lewit, il n'en sont pas moins significatifs de la rigueur de ce mouvement auquel cet artiste est rarement rattaché. Influencé par le travail de Barnet Newman et par les recherches de Stella sur les limites du tableau il va façonner lui-même ses cadres. Ici sur de grands diptyques parallélépipédiques enduits d'un jus de deux couleurs différentes, il dessine à la main et au crayon des formes géométriques (ovales, ronds...) légèrement déformées introduisant un peut d'humanité dans ces grands monochromes où se perd le regard. Dans l'angle opposé de la pièce "Untitled (to Sabine and Holger 1966" de Dan Flavin, composée d'un ensemble de néons diffusant une couleur rose, transforme l'espace environnant et contamine par sa beauté l'ensemble de la pièceIMG_6984.JPG.

    L'idée de modules préfabriqués se retrouve aussi chez Car André qui a bouleversé une caractéristique essentielle de la sculpture à savoir la verticalité en instaurant l'horizontalité. Le long chemin de grosses poutres en sapin Douglas laissé brut avec leurs accidents et leurs couleurs chaudes se déroule avec bonheur au pied des toiles de Sol Lewit (photo 11 et 12)IMG_6973.JPGIMG_6971.JPG. Cett oeuvre de 1981 institulée "Bar" rappelle l'attachement de Carl André à Brancusi dont il disait "Je ne fais que poser la colonne sans fin de Brancusi à même le sol au lieu de la dresser vers le ciel". Dans sa façon d'inviter le spectateur à toucher ses oeuvres en les parcourant, en ne lui offrant aucun point privilégié, aucune hiérarchie, en choisissant des matériaux naturels (cuivre, calcaire, ardoise) son oeuvre provoque un plaisir presque sensuel. Illuminé par le halo vert diffusé par l'éclair des néons de Dan Flavin, "Copper blue vein" de 1990 constitué de plaques de calcaire qui enserrent des modules de cuivre est d'une grande beauté et vous saisit dès l'entrée de l'exposition.

    Même si la plupart des oeuvres exposées sont plus tardives que celles créées au moment de la naissance de ce mouvement, elles montrent que le minimalisme a continué son chemin jusqu'au début de XXIème siècle. Il a non seulement marqué certains artistes français tels que François Morellet, Martin Barré, Jean Degottex mais aussi ouvert la voie à la pratique des installations qui, elles aussi, se transforment en fonction du lieu ou elles s'inscrivent.

    "Monumental minimal" - Galerie Thaddaeus Ropac - 69 avenue du Général Leclerc, 93522 - PANTIN (01 55 89 01 10). Jusqu'au 23 mars.

  • Tomà SARACENO au Palais de Tokyo (par Régine)

    Se tient actuellement au Palais de Tokyo une exposition fascinante tant sur le plan plastique que scientifique. Avant de la parcourir il convient d'abandonner la position classique du visiteur d'exposition et se faire partie prenante, bien décidé à jouer le jeu des propositions de l'artiste.

    Carte blanche a été donnée à l'argentin Tomà Saraceno pour investir les 13.000 m2 du bâtiment. L'artiste, qui vit à Berlin, a conçu cette exposition comme un ensemble qui, de salle en salle, par de subtiles installations ou de stupéfiantes vidéos, nous permet de prendre une conscience aigüe de la force et de l'abondance des entités naturelles mais surtout dues à l'activité humaine, qui peuplent l'air ambiant et qui agissent sur nous autant que nous agissons sur elles.

    Cette immense toile invisible que l'artiste compare à celles que tissent les araignées montre que nous sommes tous connectés (monde végétal, animal et humain) et qu'il est plus que temps de modifier notre façon d'appréhender notre environnement afin de trouver le moyen de vitre ensemble en bonne harmonie.

    D'entrée de jeu et dans l'obscurité Saraceno nous plonge dans l'obscurité pour nous révéler le monde des araignées d'une beauté à couper le souffle. Dans une immense salle il a suspendu une multitude de cages dépourvues de parois où plus de 76 espèces d'araignées ont tissé leur toile en l'accrochant sur les montants. Elles seules sont éclairées ce qui permet d'en examiner à loisir la diversité, la beauté, la perfection, et la variété infinie de leurs tissages 14DEU_Kolbe_00060-1-1920x1280-1024x683.jpg20181119_142652.jpg20181119_143637.jpg(photos 1, 2, 3). La toile pour l'araignée n'est pas son habitat, mais la continuité d'elle-même, de son système cognitif et sensoriel. Cette façon d'être en permanence connecté au monde environnant, peut, suggère l'artiste, nous inspirer ; ces toiles d'araignée ne sont pas seulement une image des connexions qui nous relient à ce qui nous entoure et qu'il s'efforce tout au long de l'exposition de nous rendre visible, mais peut aussi nous servir de modèle de fonctionnement.

    Savez-vous que l'air émet un son ? l'installation "Sounding the air" nous en fait prendre conscience. En effet, cette multitude de particules qui chargent l'air réagissent ensemble à tout ce qui les entoure en émettant un musique qui nous est donnée à entendre grâce à cette très poétique installation 12_18FRA_PdT_Installation_32933-1920x1280.jpg (photo 4). Elle se compose de fragiles fils de soie d'araignée tendus qui, tels ceux d'un instrument de musique, vibrent en réponse à l'ensemble des forces en présence : mouvements et respiration des visiteurs, changements de température, etc... A l'aide d'un logiciel ces vibrations sont traduites en fréquences sonores, bruit de fond de l'univers, qui échappe à nos oreilles.

    De la même manière l'installation "Events the perception" nous fait voir et entendre le mouvement des particules flottantes, domestiques, terrestres et cosmiques.

    La transparence de l'air et l'impression de légèreté ressentie tout au long de la visite nous éblouit avec l'installation intitulée "Aerophagies" IMG_6862.JPG(photos (5). Au dessus de feuilles de papier, des stylos sont suspendus à des ballons gonflés à l'hélium et écrivent avec l'encre récupéré à partir de pigment de particules de carbone noir issues de la pollution de Monbaï en Inde. IMG_6859.JPGLe mouvement des stylos suit celui des déplacements des visiteurs et ces "dessins de l'air" ressemblent curieusement au dessin d'une toile d'araignée (photo 6). 9955875105_4b942ef39f_b.jpgSur les murs sont déployés et collées des toile d'araignées comme des relevé géographiques dont l'organisation spatiale rappelle nos agglomérations urbaines (photo 7).

    Parallèlement à ces installations l'artiste réalise des vidéos tournées dans des sites naturels dont les images sont souvent envoûtantes. Elles montrent différentes façons d'occuper la planète, par exemple cette araignée sous-marine qui, bien que sans branchies, vit sous l'eau en s'entourant d'une belle d'air qu'elle va recharger périodiquement à la surface.

    Toma Saraceno est un utopiste, mais sans utopie pas d'invention. Ainsi, avec l'équipe des scientifiques à laquelle il est associé, il a imaginé un ballon qui permettrait de se déplacer dans les airs sans énergie fossile, hélium ou hydrogène, mais uniquement grâce à l'énergie solaire. Et si notre air est trop pollué pourquoi ne pas imaginer d'aller avec ces structures habiter dans d'autres sphères célestes ?

    Pour clore cet ensemble, à l'aide de cordes tendues dans toutes les directions, Saraceno a construit une sorte de gigantesque et magnifique toile d'araignée dans laquelle les visiteurs sont invités à évoluerIMG_6849.JPG (photos 9, 10)IMG_6872.JPG. Sous leurs doigts, lorsqu'ils les passent sur les cordes, résonnent, amplifiées par des hauts parleurs, différentes fréquences, certaines audibles, d'autres ressenties comme des vibrations que l'on éprouve en s'allongeant sur le sol. Il a voulu montrer ici que, pour l'homme comme pour l'araignée, le monde entier est fait de vibrations qui parcourent nos propres toiles respectives. Il a souhaité en effet que cette exposition "devienne le lieu d'une expérience enrichie, où les visiteurs deviennent partie intégrante des paysages vibratoires et des oeuvres, simplement en respirant et en se déplaçant".

    Quelle exposition étonnante ! D'une grande beauté poétique et d'un grand intérêt scientifique. Elle nous fait prendre conscience de ce réseau de vie dans lequel nous sommes englobés. Courrez-y, c'est magnifique et passionnant et n'hésitez pas à faire une visite guidée.

    Carte blanche à Tomà Saraceno "On air", Palais de Tokyo - 13, avenue de Président Wilson, 75116-Paris. Ouvert tous les jours sauf mardi de midi à minuit. Jusqu'au 6 janvier.

     

  • GAO BO (par Régine)

    Si l'oeuvre douloureuse de l'artiste chinois Gao Bo, actuellement exposée à la Maison Européenne de la Photographie nous émeut tant c'est parce que, puisant dans les épisodes tragiques de son existence, il interroge le mystère de la vie. Dès l'entrée, face au jardin zen, son installation formée d'un amoncellement de galets sur lesquels sont imprimés les visages de milliers de tibétains ou de chinois destinés à s'effacer avec le temps, illustre l'essentiel de ses thèmes : l'apparition, la disparition, la nature immanente de tout être humain et son lien avec les éléments (photo 1)

    IMG_3825.JPG

    Au commencement de son parcours artistique il y a le Tibet. Dès 1985, il a alors 20 ans, il y voyage et réalise une série de portraits. Entre 1989 et 1993 il y, retourne et photographie alors les habitants de Lhassa et les rites millénaires des moines. Des années plus tard il reprend ses tirages. Emu par ce qui s'en dégage, il les organise le plus souvent sous forme de diptyques ou de triptyques et exprime son attachement à ce pays en les entourant d'un filet de son propre sang utilisé comme de l'aquarelle et en leur ajoutant des commentaires à l'aide d'une écriture illisible, calligraphiée sous le coût de l'émotion. Très graphique, totalement inventée, celle-ci dépasse les limites du langages et ouvre la perception de l'oeuvre à d'autres univers tels que la poésie, la musique, l'imaginaire. Ainsi ce diptyque où la même image est reprise dans les deux parties mais dans un format différent (photo 2)IMG_3805.JPG. L'immobilité et la forme de l'unique personnage pris de dos au deuxième plan sont identiques à ceux de la grosse pierre noire dressée au premier plan. Quelques gouttes de sang et un commentaire illisible accentuent la solitude de cette forme humaine. Dans cet autre diptyque (photo 3)IMG_3809.JPG trois moines sont allongés face contre terre, vus dans un sens, puis dans l'autre. Bien qu'ensembles mais isolés les uns des autres, ils prient. Son sang et sa calligraphie relient les deux images. Ce triptyques enfin où une vieille femme et un enfant, réunis sur la même image regardent ailleurs et restent seuls avec eux-mêmes (photo 3) IMG_3804.JPG. De cette série magnifique (qui se poursuit à la Maison de la Chine, Place St Sulpice) se dégage une grande solitude, une quête d'un au-delà dans un univers minéral et totalement démuni.

    L'âme de ce pays se retrouve encore sur chaque partie du triptyque figurant un groupe de pèlerins cheminant vers un temple. Sur chacune des parties est ficelée une pierre calligraphiée qui évoque à la fois l'omniprésence et le fardeau de la religion dans cette région du monde (photo 4)IMG_3857.JPG.

    Si la photo est une composante importante du travail de Gao Bo, elle ne l'intéresse qu'en tant que médium qui lui permet d'exprimer sous différentes formes (dispositifs, installations, performances) son monde intérieur. Toute son oeuvre est liée à l'histoire de son enfance et sa création est un acte cathartique qui lui permet d'exorciser sa difficile histoire personnelle : le souvenir de la révolution culturelle, des exécutions publiques auxquelles il a assisté, et surtout le suicide de sa mère qui s'est jetée sous un train devant ses yeux alors qu'il n'avait que huit ans.

    Ce pathétique épisode est évoqué dans une série intitulée "Requiem". Sur d'immenses photos recouvertes de peinture brune ou noire, qui rappellent l'univers d'Anselm Kiefer, il a attaché des branches d'arbres morts dans le creux desquels il a glissé des ossements. Elles sont solidement ligotées entre elles par des bandelettes tachées de sang (photos 5 et 6)IMG_3813.JPGIMG_3816.JPG. Tentative de réunifier le corps sanglant et démantelé de sa mère, et aussi hommage rendu à tous ces suppliciés victimes innocentes d'un régime totalitaire. Ces arbres traités comme des êtres humains, comme le fait aussi le sculptrice belge Berlinde de Bruyckere, suscitent une intense émotion qui touche au corps.

    Plus loin ce sont des portraits monumentaux, organisés en diptyque et barrés de néon rouge. Certains ont été recouverts de peinture noire ou blanche destinée à s'effacer peu à peu pour laisser réapparaître la figure ; d'autres font se côtoyer le portrait d'un homme et un crâne. Questionnement sur la trace laissée par la disparition et le temps qui passe (photo 7)IMG_3848.JPG.

    Pour lui la destruction et ses vestiges peuvent être transformées en un processus créatif. Cette installation par exemple, proche de celles de Boltanski, qui réunit une douzaine de tragiques portraits, probablement de condamnés à mort, dont le bas du visage a été bâillonné et la tête recouverte d'un linge banc. Des écriture illisibles en néon, placés au dessus de leurs têtes, IMG_3822.JPGévoquent le sort incompréhensible qui leur fut réservé (photo 8).  Il n'a pas hésité à brûler une série de portraits de condamnés à mort et d'en conserver les cendres dans des boîtes en fer qui donne lieu ici à une installation (photo 9). Ces êtres sont morts, probablement pour rien, mais leur lumière nous habiteIMG_3851.JPG.

    Ces quelques exemples puisés parmi les oeuvres exposées montre l'univers torturé de cet artiste dont l'oeuvre est bien différente de celle des peintres chinois à la mode qui envahissent actuellement nos cimaises. Elle nous bouleverse et nous touche profondément par la portée universelle des thèmes abordés. A la fois matérielle et spirituelle, physique et mentale, elle nous conduit de l'élémentaire au métaphysique.

    Gao Bo "Les offrandes", jusqu'au 9 avril. Maison Européenne de la photographie - 5/7, rue de Fourcy - 75004-Paris. 01 44 78 75 00. Fermé le lundi.

    Voir aussi : "Offrande au Tibet" à La Maison de la Chine 75, rue Bonaparte, 75006. Entrée libre du lundi au samedi de 10 à 19 h.

     

  • Stéphane THIDET (par Sylvie).

    Si le Collège des Bernardins, fondé par Michel de Certaux  pour les moines cisterciens, a contribué pendant des siècles, par son pouvoir spirituel et temporel, au rayonnement intellectuel de Paris et de son université, il renait depuis 2001 grâce à son rachat par le Diocèse de Paris et le travail de Rubis Mécénat en faveur de la création contemporaine qui a trouvé là un lieu atypique pour sa mise en valeur.

    Passée l'ancienne nef et sa splendide perspective d'édifice du XIII ème siècle dans le quartier Saint Germain de Paris, on pénètre dans l'ancienne sacristie en léger contrebas comme on descendrait sur une rive. C'est là que se tient l'installation "Solitaire" de Stéphane Thidet ( né en 1974). On croit entrer dans une grotte, l'oeil doit prendre le temps de s'habituer au noir pour comprendre la matière du spectacle, son décor "naturel" de très hautes croisées d'ogives médiévales et mettre un nom sur les formes blanches, presque éblouissantes, qui évoluent dans l'espace, lentement, silencieusement avec une saisissante poésie.

    20160430_145059.jpg20160430_145046.jpgDe la rambarde formant balcon on découvre, sans pouvoir les toucher, que ce sont deux troncs d'arbres centenaires suspendus. D'un blanc laiteux, ils tournent sur eux-mêmes au dessus d'un plan d'eau noire. Celui de gauche, à l'horizontale, semble s'étirer comme le corps tendu d'un danseur en une arabesque parfaite et suggère à son autre extrémité, bosselée,complexe, quelque tête animale fantastique. L'alternance de ces deux visions, dues au mouvement, donne au bois mort un aspect étonnamment vivant qui stimule l'imaginaire (photos 1 et 2).

    20160430_145246.jpgA droite, l'autre tronc, pendu verticalement et maintenu par une poutre métallique volontairement laissée apparente, plonge sa pointe dans l'eau comme une plume dans un encrier. Les deux arbres, en effleurant la surface liquide, surface "dessinable" par excellence, la troublent en de multiples cercles concentriques et éphémères qui disparaissent pour réapparaitre à nouveau au prochain passage. Stéphane Thidet est attaché à l'idée que les situations ne se terminent jamais ou, comme en musique, elles se répètent, fussent elles déformées ou transformées. Les troncs et l'architecture projettent leur ombre sur l'eau et sur les murs. " L'eau est un élément particulièrement intéressant pour ce que je tente de mettre en jeu: il contient tous les paradoxes qui m'intéressent, notamment cette articulation de douceur et de violence, mais aussi ce caractère insaisissable" (photo 3).

    La majesté de l'oeuvre n'empêche pas une légèreté qui invite au rêve et à la contemplation. Le bois, l'eau, la pierre, le mouvant et l'inerte, dialoguent, se traversent, se confrontent en des rapports fugaces, sorte de voyage immobile, magique, vers un ailleurs fantasmé.

    "Solitaire" de Stéphane Thidet, Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy, 75005 Paris, tel:01 53 10 74 44. Du lundi au samedi de 10h à 18h, le dimanche et les jours fériés de 14h à 18h.

     

  • Dessin, sculpture, peinture.... (par Régine et Sylvie)

    Après de longues vacances nous éprouvions le besoin de reprendre contact avec Paris. Nous avons donc fait le tour de quelques galeries du Marais et vu le travail d'artistes que nous connaissions peu, mal ou pas du tout. Voici nos impressions.

    Les oeuvres de Hanns Schimansky, présentés à la Galerie Jaeger Bucher pourraient évoquer une sonate au phrasé léger et sautillant. Elles sont simples par leur technique, l'encre, extrêmement élaborées par la graphieGEDC0222.JPG. Cet autodidacte allemand, ingénieur agronome de formation né en 1949, trace sur le papier une multitude de lignes fines et rythmées, à l'allure spontanée, très distinctes malgré leur nombre, et qui s'entrecroisent, se superposent, formant un treillis, une écriture sismographique oublieuse des bords de l'oeuvre et de sa structure, un papier plié dont la trame se laisse deviner.

    On se prend à suivre du regard avec attention les lignes comme si nous étions pris au piège de ce maillage infini GEDC0223.JPG: images abstraites, certes, mais fortes qui disent par leur sobriété fourmillante aussi bien notre univers de trépidations urbaines que des énergies chorégraphiques avec des ponctuations, des lignes appuyées ou effleurées comme des pulsations de coeur ou des rétentions de souffle.

    GEDC0229.JPGDes aplats de couleurs primaires - jaune, rouge, bleu ou noir - géométrisent les surfaces d'autres oeuvres sans toutefois les rendre ascétiques car ils s'inscrivent à certains endroits en coulées ou en taches concentrées dans les interstices des pliures. Loin de déranger, ces imperfections humanisent.

    Galerie Jaeger Bucher - 5-7, rue de Saintonge, 75003-Paris (o1 42 72 60 42), jusqu'au 15 novembre.

     

    Avec des expositions inédites ou spectaculaire la Galerie Karsten Greve a l'art de surprendre. Celle du sculpteur et peintre allemand Norbert Pragenberg en est l'illustration. Sur le sol de la galerie gisent ou se dressent d'énormes jarres GEDC0241.JPGdont la présence physique et la beauté son saisissantes. Montées avec des colombins d'argile superposés qui portent encore l'empreinte des doigts de l'artiste, leur aspect rudimentaire est contredit par leur taille, la gaité de leurs couleurs et les nombreuses excroissances dont elles sont ornées.GEDC0248.JPG Des fleurs par exemple s'y épanouissent ; le trou qui leur tient lieu de coeur transperce la paroi de la jarre la rendant inutilisable. Ainsi transformées en tonneaux des Danaïdes ces jarres perdent leur fonction utilitaire pour s'imposer comme sculpture qui occupent avec force l'espace environnant.

    C'est le rapport physique de l'artiste avec la matière terre qui s'exprime ici. Sa façon de la soumettre, de la façonner, de la magnifier et de l'imposer dans l'espace. Son agilité à modeler l'argile se manifeste différemment dans une troublante petite oeuvre isolée accrochée sur un murGEDC0242.JPG. S'agit-il d'un plat ? Mais non il s'agit bien d'une sculpture car elle est remplie de volutes bleues. Sous ses doigts la céramique devient légère, vaporeuse comme de l'organdi, contrepoint à la lourdeur des oeuvres précédentes.

    Mort en 2012, Norbert Pragenberg était aussi peintre. Deux très belles toiles de lui accompagnent ces sculptures. Quelques bulles de couleur percent un fond d'un noir épais comme les ténèbresGEDC0247.JPG. Telles des planètes elles semblent migrer. Sensation à la fois légère, dense et puissante qui n'est pas étrangère à celle éprouvée devant ses sculptures.

    Galerie Karsten Greve, 5 rue Debelleyme, 75003-Paris (01 42 77 19 37), jusqu'au 11 octobre.

     

     Laurent Grasso

    Voilà un jeune artiste, né en 72, qui ne craint pas les retours en arrière. Il faut voir, à la galerie Perrotin, les petits tableaux sur bois inspirés de Giotto ou d'Uccello ( XIV et XVème siècles) qu'il a fait peindre. Reconnaissons qu'ils sont très beaux, pleins de charme avec leurs couleurs un peu passées, les petits personnages spectateurs ébahis/impuissants devant une nature en révolteGEDC0258.JPG: éboulements, irruptions volcaniques, tremblements de terre sont là pour rappeler Ephèse,Pompeï et bien d'autres cataclysmes.                                           

    Le primitivisme de la facture en accentue le distance dans le temps mais l'introduction de deux disques solairesGEDC0259.JPG, par ailleurs réalisés en laiton et exposés tout près, donne réalité à une très ancienne et inquiétante prophétie de  catastrophe inéluctable lié au pouvoir créateur et destructeur de cet astre. Il engendre un sentiment d'étrangeté et donne à s'interroger sur le visible et l'invérifiable.

    Dans des cadres de bois sombre, certains de ces petits paysages sont accompagnés d'une figurine, par exemple une tête romaine de Bacchus en marbre blanc du IIème siècle, et d'un chiffre en relief de néon, ici 79, date de l'éruption du Vésuve suivie de la destruction de PompeïGEDC0263.JPG. Le tableau montre évidemment les fumées sortant du volcan et envahissant la plaine. Vrai travail d'ethnologue que la réunion de ces trois pièces.

    D'anciennes photos en noir et blanc de foules scrutant le ciel rappellent le "miracle" de Fatima en 1917,GEDC0262.JPG miracle probablement faux basé sur une projection lumineuse réalisée par l'armée.                              

    Grasso questionne la vérité des phénomènes et tend à nous montrer que la perception que nous en avons est un mélange d''histoire, de  science et de croyances, toutes choses étant elles-mêmes sujettes à nouveau regard selon les époques. Alors, pourquoi ne pas s'amuser à faire un peu de science- fiction, détourner les sources, introduire des outils de notre temps (le néon), télescoper les temporalités ? A l'heure des bouleversements météorologiques et des tensions mondiales, l'imagination n'est pas de trop. Laissons nous entrainer par l'artiste dans son désir de figurer l'instant catastrophique sans envisager la répétition des phénomènes.

    Laurent Grasso "Soleil double", galerie Perrotin, 76 rue de Turenne, 75003. Jusqu'au 31 octobre 2014.

     

     Wim Delvoye est un démiurge.  Pour lui rien n'est impossible et sa volonté de soumettre le monde à son désir se manifeste à nouveau dans les oeuvres qu'il expose actuellement dans l'annexe de la Galerie Perrotin, Passage St Claude. Avec sa détermination habituelle de mêler le savoir faire à la plus grande banalité, de détourner des objets usuels en oeuvres d'art spectaculaires, il sculpte sur des valises en métal de fins motifs persansGEDC0268.JPG, découpe des pneus de voiture en dentelle ouvragéesGEDC0270.JPG et tord des roues de bicyclette pour en faire des sortes d'anneaux de MoebiusGEDC0275.JPG. Rien n'est impossible à cet homme qui reconstitua la digestion  humaine avec sa fameuse machine Cloaca et n'hésita pas à tatouer des cochons. Le monde lui appartient et il le modèle au grès de son imagination.

    GEDC0267.JPGOn ne peut cependant réfreiner son admiration devant la sculpture en marbre d'un blanc immaculé qui aimante le regard dès l'entrée dans la galerie. Sa base est celle d'un arbre dont le tronc s'élève en vrillant sur lui-même se transformant en une tour de style gothique flamboyant dont les détails sont, comme à l'accoutumée, poussés à l'extrême. Nature, culture et sacré sont ici intimement liés.

    Galerie Perrotin, 10 Impasse Saint Claude, 75003-Paris, jusqu'au 31 octobre

     

     

  • Julio Le Parc (par Sylvie).

    Si vous avez la chance d'avoir des enfants autour de vous, emmenez les voir l'exposition de l'artiste argentin, né en 1928, Julio Le Parc, au Palais de Tokyo à Paris. Vous serez un peu désorientés dans cette demi obscurité où les lumières vrillent, éblouissent, les structures dansent et font chavirer, les miroirs transforment et perturbent la vision. Touchés par l'ingénuosité, la poésie, la fantaisie et la perfection du travail de cet artiste, votre curiosité cherchera le comment sont faites ces illusions d'optique qui tiennent de la magie. Les enfants, eux, vont instinctivement dialoguer avec les oeuvres, y mettre la main, actionner, pénétrer et s'en amuser follement. Le comble est atteint à la fin du parcours lorsqu'ils se faufilent dans la forêt dense et mobile de punching-balls suspendus au plafond. iIs s'y poursuivent, se bousculent, cognent ou prennent à bras le corps ces gigantesques  troncs blancs, mous et rassurants, qui figurent des personnages de la vie publique.                                                                                                      Quoi de surprenant ? Ils mettent en oeuvre le manifeste du GRAV (Groupe de recherche d'art visuel, fondé en 1960 par Le Parc et ses amis, Morellet et Soto entre autres, et qu'a largement fait connaître et soutenu feu la galeriste Denise René) : "Défense de ne pas participer, défense de ne pas toucher, défense de ne pas casser".

    Tout ici bouge et fait bouger.  Peintures, sculptures, installations, d'une grande économie de moyens, sont une expérience sensorielle et ludique qui nous fait participer. De l'élément impalpable qu'est la lumière Le Parc tire toutes sortes d'effets volatils qui émerveillent, et, malgré soi, on se prend au jeu du pouvoir d'animation de notre va et vient: notre mouvement participe de l'oeuvre.  

    Parmi bien d'autres voici quelques pièces réjouissantes qui en disent long sur les outils, les techniques et les effets avec lesquels l'artiste a joué pour nous offrir des oeuvres ouvertes qu'un rien métamorphose et qu'il ne tient qu'à nous de faire vivre.

    julio-le-parc-cellule à pénétrer.jpgGEDC0016.JPGLe blanc et le noir sont très présents, blanc de la lumière, noir de l'ombre née du contrate. Deux exemples: La cellule à pénétrer adaptée, 2005 (à partir du Labyrinthe GRAV de 1963), est faite de lamelles de miroir suspendues. Les reflets créent une multitude de taches mobiles que fractionne l'entrelacs mouvant et imprévisible des bandes.(photo1)                                                 A travers les orifices de Continuel-lumière-mobile, la lumière passante dessine une sorte de voie lactée féérique où les constellations en mouvement tournoient en confettis, comme un envol de duvet (2).

    GEDC0023.JPGGEDC0038.JPGSur le Continuel-lumière cylindre (1962-2005) l 'alternance des rayons lumineux qui se croisent donnent à la lune noire l'illusion d'un mouvement rotatif et cyclique. Le mécanisme déploie sur la surface un drapé savant et changeant, presque tactile.(3)                                         Lames réfléchissantes(2005). Pour peu que l'on se déplace devant ces entailles verticales dans le rouge, nait une autre forme en losange qui suit le regard du promeneur.(4).   

    julio_le_parc___s__rie_15_1863_north_576x-Modulation 1125.jpgGEDC0028.JPGC'est une pure illusion d'optique, mais la cible, faite de cercles concentriques de couleurs pures, série 15n°18 -1971/2012, vibre et palpite.(5)                                 A travers les pièces de rhodoïd transparent qui composent  la sphère rouge (2001/2012), les faisceaux lumineux  modulent la couleur en différentes intensités et y tracernt une grille de lignes variables selon la place du spectateur(6).

    GEDC0034(1).JPGLe souffle de quelque zéphir mécanique anime avec humour, de sa présence immaterielle, des objets quotidiens: là une balle de ping-pong en devient sautillante, ici une botte de rouleaux de papier de toilette souple s'érige en gerbe ondulante. La traine d'une robe de mariée? (7).

    Je rappellerai que l'exposition s'ouvre sur un dispositif simple que les enfants adorent, les lames de rhodoïd souples: elles réfléchissent et déforment les silhouettes... qui se contorsionnent d'autant plus : il y a du rire dans l'air !

    Julio Le Parc, Palais de Tokyo, av du Président Wilson,75016, Paris. Jusqu'au 13 mai 2013

  • Claire MORGAN "QUIETUS" (par Régine)

    Les récentes sculptures installations de l'Irlandaise Claire Morgan exposées actuellement à la Galerie Karsten Greeve m'ont laissée bouche bée. Elles sont sidérantes à plus d'un titre : par leur fragile beauté, par leur rigueur, par leur étrangeté mais aussi par le malaise qu'elles suscitent. Sylvie a déjà parlé de cette artiste sur ce blog il y a deux ans (voir p 13) mais je ne résiste pas à la tentation de le faire à nouveau tant cette oeuvre m'a remuée.

    Chacune d'elle est composée d'une structure faite de réglettes en plexiglass suspendues à l'horizontal au plafond sur lesquelles sont attachés, et pendent à intervalles réguliers, des fils de nylon invisibles, maintenus tendus par un petit plomb attaché à leur extrémité. Sur ces fils sont répartis, de façon plus ou moins espacée, afin de réaliser une forme géométrique parfaite (cube, sphère, cylindre), des lambeaux de plastique colorés ou transparents, des insectes (mouches, moucherons, abeilles...), des étamines de chardons ou de pissenlit. Dans ces cages immatérielles, la présence d'un oiseau immobile nous stupéfie.

    La minutie et le perfectionnisme de Claire Morgan laisse pantois. Son art révèle une connaissance parfaite de la géométrie et de la taxidermie ; elle calcule et réalise tout elle-même, aussi bien le nombre de fils nécessaire pour le volume désiré que la naturalisation des animaux utilisés.

    La splendeur de "The colossus",GEDC0047.JPG (photo 1),  sphère faite d'une multitude de morceaux colorés de polyéthylène déchirés nous saisit dès l'entrée. La couleur bleu des petits plombs qui assurent la tenue des fils de nylon en accuse non sans contradiction la légèreté ; mais l'enchantement fait place à la surprise en apercevant un immense cygne, aile grandes ouvertes, pris dans ses rets.        Ce ballon, qui semble prêt à se détacher du sol au moindre souffle a piégé un oiseau lui-même en apesanteur. La beauté est aveuglante mais quel piège    recèle-t-elle ?

    Durant toute la visite, oscillant entre admiration et répulsion des sentiments contradictoires ne cesseront de vous assaillir.

    Transfigurés, les copeaux de cellophane de "Under arrest"GEDC0007.JPG (photo 2) scintillent dans la lumière. Leur aspect vaporeux s'oppose à la rigueur du cube parfait qu'ils dessinent et des rangées de petits plombs noirs proche du sol. On s'y engouffrerait volontiers comme dans un pénétrable de Soto, mais cet élan est vite brisé par la vue d'un oiseau qui git en bas à droite. Il ne faut pas se fier aux apparences : la nature est cruelle et ses dérèglements, occasionnés ou non par l'activité humaine peuvent se révéler mortels.

    Il faut deviner la présence d'"Apocalypse now" tant sont minuscules les milliers de drosophiles qui le composent. Cet environnement quasi invisible nous fait frémir, mais on  découvre aussi que malgré leurs efforts les mouches n'échapperont pas au magnifique guet appens bleuté tendu par "Try again, fail again, fail better" (photo 3) GEDC0005.JPGdans lequel toutes finiront par s'écraser en paquets serrés.

    L'organisation inflexible et la beauté féérique de l'oeuvre "The birds and the bees" GEDC0017.JPG(photo 4) pour laquelle l'artiste a attrapé, desséché et trempé dans un bain de peinture dorée des millieurs de guêpes, la rendent à la fois fascinante et terrifiante. En effet, deux merles, deux troublions, rebelles à cet ordre impitoyable, y ont été précipités tête la première, victime de leur désir de liberté.

    On cèderait volontiers à l'attrait qu'exerce la douceur ouatée de "Nippel" GEDC0015.JPG(photo 5) - fait d'étamines il invite à la caresse - mais méfiez-vous de l'apparent moelleux de ce "sein" qui lui aussi recèle bien des surprises...

    "Terminal", GEDC0021.JPG(photo 6)  un immense cylindre d'une blancheur immaculée, d'une beauté à couper le souffle est le point d'orgue de cette exposition. Les milliers de morceaux de polyéthylène blancs qui le composent, légers comme des flocons ou des pétales se répandent sur le sol en un tapis neigeux. Un goéland argenté, à peinte visible, en est prisonnier.

    L'exposition est complétée par une série de très beaux dessins préparatoires dont la feuille de papier a servi à la taxidermie des animaux.

    Belles, aériennes, vulnérables, d'une précision inouïe, les oeuvres de Claire Morgan nous fascinent. Quoique faisant appel à des animaux ou à des produits industriels, le propos de l'artiste ne me semble pas être d'abord celui de l'écologie. Elle met en évidence le caractère éphémère et souvent contradictoire de l'existence, l'arrêt brutal du temps lorsque la mort survient. Elle souligne la perfection et la beauté de la nature mais aussi la cruauté de ses lois implacables. Elle insiste sur la dangerosité mortifère d'une organisation parfaite et totalitaire.

    L'artiste a intitulé son exposition "Quietus" qui veut dire "tranquille". Le moins que l'on puisse dire est qu'elle a le sens du paradoxe.

     Claire MORGAN "Quiétus" - du 8 septembre au 3 novembre 2012 : Galerie Karsten Greeve, 5 rue Debelleyme, 75003-Paris. Tél : 01 42 77 19 37. Du mardi au samedi de 10 h à 19 h

     

     

     

     

  • Orozco, Broyer, Henrot, à propos de nature.( par Sylvie).

    La nature a toujours inspiré les poètes et les plasticiens. Pour la copier, l'utiliser, la transformer ou s'en inspirer.

    Après la visite à l'exposition de Claire Morgan à la galerie Karsten Greve, un délice de spectacle, de finesse de travail et de perversité imaginative dont vous parlera très bientôt Régine, un tour dans quelques autres galeries du Marais à Paris n'a fait que nous conforter dans l'idée que décidément aujourd'hui encore cette nature reste un sujet de choix et qu'elle est à l'affiche.

    Sainte Victoire d'Anne-Lise Broyer.jpgNous avions vu à la Galerie Particulière, 16 rue du Perche, 75003, les "Leçons de Sainte Victoire" d'Anne-Lise Broyer, un travail photographique sur la montagne du même nom: tantôt un blanc éblouissant à la mine graphite vient enneiger les crêtes et les déclinaisons du relief, tantôt c'est un noir qui se dépose en sombres premiers plans. De quoi magnifier encore ce site sublime qui a fasciné Cézanne et Picasso. L'exposition s'est terminée le 26 septembre mais le travail est à suivre.

    GEDC0033.JPGChantal Crousel présente des oeuvres de l'artiste mexicain, né en 1962, Gabriel Orozco: ce sont des mobiles faits de tiges de bambou et de plumes d'oiseaux. La souplesse des branches incurvées se hérisse de plumes rigides et longues invisiblement fixées.Mais ces nombreux "Roiseaux" suspendus envahissent l'espace de la galerie, ce qui nuit plutôt qu'il ne met en valeur la beauté de chacun d'eux. Pourtant, une force vivante semble animer ce qui apparait comme un déploiement ou un envol. Ils n'ont cependant ni le charme solitaire des mobiles de Calder ni le désordre naturel de volatiles ébouriffés. Bien sûr, on l'aura compris, il s'agit d'une réflexion sur la circularité, la nature et l'artifice, le mouvement et le temps.                                                                                                                                            Galerie Chantal Crousel, 1O rue Charlot, 75003. Tel: 01 42 77 38 87. Jusqu'au 20 octobre.

    GEDC0029.JPGDu même artiste Marian Goodman montre des terres cuites de petite taille, charnues, de forme plus ou moins triangulaire, façonnées  manuellement dans un mouvement rotatif. Elles en portent, de façon tangible, les rondeurs et l'échelle. Orozco s'est intéressé aux transformations de la masse de terre au creux de sa main. Série"Orthocenters".                                                               Galerie Marian Goodman, 79 rue du Temple, 75003. Tel: 01 48 04 70 52. jusqu'au 20 octobre.

    Changeant de rive, nous avons trouvé chez Kamel Mennour les compositions florales de Camille Henrot, inspirées d'oeuvres littéraires et présentées Camille Henrot- 02-10-2012 15;31;48.jpgcomme des ikebana, ces bouquets qui au Japon reflètent le rapport culturel et poétique de l'homme avec la nature. Je ne suis pas sûre d'avoir perçu une quelconque sérénité ou une symbolique savante mais plutôt un appel désespéré à la tendresse par les couleurs des fleurs fraiches ou fanées, et une forme d'humour noir ou de critique de la société par la présence conjointe de végétaux et de matériaux en plastique de notre quotidien le plus ordinaire.                                                                                                  "Est-il possible d'être révolutionnaire et d'aimer les fleurs?", galerie Kamel Mennour, 47 rue Saint André des Arts, 75006. Tel: 01 56 24 03 63. Jusqu'au 6 octobre.