Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La Biennale de Venise 2024 (par Régine)

œ

En intitulant la Biennale 2024 Foreigners, everywhere (Etrangers partout), le brésilien Adriano Pedreso, directeur artistique, agit comme ses prédécesseurs  il donne un titre très vague permettant d'élargir le propos au maximum. L'étranger (le foreigner) est celui qui vient d'ailleurs : l'émigré ou l'exilé sont les figures qui viennent immédiatement à l'esprit. Mais il est aussi celui qui vit loin de nous et qu'on connait mal ou encore celui qui nous est étranger par son statut social, sexuel ou racial. On peut aussi être étranger à soi-même comme le fou, le malade mental.

Aux Giardini comme à l'Arsenal, toutes ces significations sont représentées, mais de façon plus ou moins représentatite ou plus ou moins riche. Si les biennales précédentes nous avaient offert de très belles découvertes, il faut bien avouer que celle-ci nous a laissé un peu sur notre faim. Y sont présentées de belles et intéressantes œuvres mais peu suscitent un choc inoubliable. La peinture est très présente et les travaux réalisées en textiles y sont nombreux. On y voit quelques installations et quelques vidéos mais la majorité d'entre elles se trouvent dans les pavillons nationaux. Le propos est donc plutôt classique.IMG_3429_edited.jpg

Sur la façade du pavillon central des Giardini la fresque joyeuse, colorée et pleine d'imagination que le collectif brésilien Mahku (photo 1) a réalisé est une heureuse entrée en matière. Passée l'entrée et vu l'installation de la féministe franco-turc Nil Yalter entièrement dédiée aux exilés, on entre dans une rotonde consacrée à l'abstraction. IMG_3436.JPGEn son centre l'installation faite de 35 bambous aux couleurs tendres et pimpantes du brésilien Ione Saldanha provoque une sensation dynamique et gaie (2). La plupart des artistes de cette salle sont âgés ou morts, et comme le souligne le cartel, n'ont jamais été exposés à Venise. IMG_3444_edited.jpgMais peut-être y avait-il des raisons... Parmi le nombre de tableaux exposés quelques belles découvertes néanmoins : Harmonie (1964) du marocain Mohamed Hamidi dont les couleurs chaudes et les motifs évoquent son pays (3). Les compositions rythmées et colorées de l'indienne O. d'Anwar Jalal Shemsa (4) IMG_3440_edited.jpgIMG_3439_edited.jpget de la cubaine Carmen Herrera (5). Le jeu très savant de verticales et d'horizontales effectué avec des tissus et de fils de couleurs naturelles apparente la tapisserie Murot tejido terrunoz(1979)de la colombienne IMG_3434_edited.jpgOlga de Amaral à un sculpture (6). Une grande exposition de son travail a actuellement lieu à Paris, à la fondation Cartier jusqu'au 16 mars 2025.

Consacrer entièrement deux salles aux portraits est en soi un choix discutable. Que dire alors quand la sélection souffre d'un manque évident de rigueur ! IMG_3460_edited.jpgLesseuls artistes qui émergent sont très classiques : un magnifique tableau cubiste de Diego Rivera, (portrait de Ramon Gomes de la Serra,1915),(7) un touchant auto-portait de Frida Khalo, un beau Wilfredo Lam (Mujer IMG_3454_edited.jpgcaballo, 1942-46) (8). Mais on, se demande en quoi ce trois artistes mondialement reconnus peuvent être considérés comme des étrangers ou alors il faut se demander quels artistes ne le sont pas.

Pourquoi l'œuvre d'Aloïse Corbal, cette femme qui passa sa vie dans un  hôpital psychiatrique, occupe-t-elle un salle entière ? IMG_3466_edited.jpgAdmirée des surréalistes, reconnue par Dubuffet, sans doute passablement étrangère à elle-même, elle peignit, avec tout ce qui lui tombait sous la main, essentiellement et de façon très personnelle, de touchants portraits de femme (9).

IMG_3463_edited.jpgFaite de fibres de lin, mohair, nylon, polyester, les immenses tapisseries de Liz Collins, artiste qui se déclare queer, vous entraînent dans le tourbillon des éléments déchainés. Couleurs et formes évoquent avec force les phénomènes naturels (10).

IMG_3583_edited.jpgSe promener dans l'immensité de l'Arsenal est toujours un grand plaisir. Sa vastitude permet avec bonheur d'y tendre de grandes œuvres telle celle de la palestinienne Dana Awartini qui vit entre New York et Jeddah. Son installation s'intitule Come, let me heal your wounds, Let me mend' your broken bones (Laissez-moi guérir vos blessures, laissez-moi raccommoder vos os brisés) (11). Elle est faite d'une superposition de grands pans de voile de soie oranges ou jaunes, de tailles différentes et accrochées soit à l'horizontale, soit à la verticale. L'artiste symbolise chaque destruction dans son pays en faisant dans l'un des voiles une déchirure qu'elle reprise ensuite soigneusement, sorte de rappel de tous les sites détruits dans son pays et alentour.

IMG_3616_edited.jpgLa longueur de cette immense corderie permet d'accrocher plusieurs œuvres d'un même artiste donnant ainsi une meilleure idée de l'ensemble de son travail. Il en est de même pour plusieurs travaux exécutés avec des tissus ou des fibre naturelles. En voici quelques exemples. Claudia Alacon, aidé d'un groupe du peuple Wichi vivant au nord de Salta en Argentine, le Silät, présente plusieurs tapisseries exécutées avec les fibres d'un cactus de la région, le Chaguar (12). Teints avec des couleurs naturelles elles sont tressées en dessinant des formes simples et harmonieuses évoquant les cycles de la nature et les relations des humains avec le monde qui les entoure.

IMG_3621_edited.jpgLe nigérien Sangodar Gabdegesin Ajala, mort en 2021, maîtrisait à la perfection la technique du batik sur tissus. Il connaissait si bien les plantes de son pays qu'il était capable d'en extraire un nombre infini de couleur et en utilisait plus de trente cinq pour chacune de ses œuvres (13). Ses compositions foisonnantes figurent de façon extrêmement vivante et coloré la vie quotidienne ou la complexité de la culture du peuple Yoruba.

 IMG_3625_edited.jpgLes grandes et belles tentures de couleur indigo datant des années 1960 de la nigérienne Suzanne Wenger, ayant vécu en Autriche, sont impressionnantes (14). Elle les a réalisées sur des pagnes, souvent cousus ensemble, selon une technique yoruba. Signalons IMG_3574_edited.jpgaussi les très belles poteries d'inspiration Guarani de la paraguayenne vivant en Italie Julia Isidez et dont on peut voir plusieurs pièces (14).

S'il ne fallait ne citer qu'un seul peintre ici présent ce serait l'artiste navajo Whitehorse. Résidant à Santa Fe, IMG_3563_edited.jpgdans son œuvre elle s'inspire du concept navajo Hosho qui signifie l'harmonie entre tous les êtes du cosmos. De ses tableaux de 2023, qui sont de grands paysages abstrait couleur terre de sienne, ocre et jaune dans lesquels flottent des formes délicates, légères et intemporelles, se dégage une grande harmonie, une impalpable spiritualité et beaucoup de poésie (15).

IMG_3591_edited.jpgEnfin, sur chacun des écrans de la grande installation vidéo de la marocaine Bouchra Khalili est projeté une carte géographique sur laquelle la main d'un émigré trace au style feutre la trajectoire de son long et périlleux voyage vers l'Europe. Des itinéraires insensés qui serrent le cœur (16).

IMG_3510.JPGDes pavillons nationaux l'américain est le plus spectaculaire. Confié à l'artiste d'origine cherokee Jeffrey Gibson qui a entièrement repeint en rouge la façade du vieux bâtiment néo-classique, il enchante (16). Sur fond de peintures murales aux dessins géométriques inspirés de son héritage il a disposé deux magnifiques oiseaux et plusieurs personnages faits de perles de verre de mille couleurs chatoyantes. C'est tonique, vivant et réjouissant.

C'est à une véritable expérience existentielle que nous invite l'artiste vidéaste ghanéen-britannique John Akomfrah auquel a été confié le pavillon anglais. Organisée en plusieurs "cantos" et réparties sur 2 ou 3 étages son installation appelée "Ecouter la pluie toute la nuit" est constituée d'une multitude de vidéos dont les thèmes sont extrêmement variés. Y défilent sous des torrents d'eau et devant nos yeux hypnotisés de magnifiques images, puisées dans l'histoire des migrations, du colonialisme, du désastre climatique, de l'histoire de l'art. Formidable image du temps qui passe, de la résurgence du passé, de la disparition et de bien d'autres choses.

Quelques exemples encore : Julien Creuzet nous offre une rêverie tropicale au pavillon français, Wael Shawky nous fascine avec sa vidéo orchestrée et chorégraphiée qui relate un épisode historique de la révolution nationaliste écrasée par les britanniques en 1882 au pavillon égyptien, IMG_3637_edited.jpgAlioun diagne, au pavillon sénégalais  nous touche avec son immense mosaïque de peintures aux couleurs passées évoquant une multitude de scènes poignantes et au pied de laquelle git un bateau de pêche traditionnel brisé en deux (17). Il faut bien avouer qu'au bord de l'épuisement et pris par le temps nous n'avons pas vu tous les pavillons nationaux.

Au terme de ce marathon, on ne peut s'empêcher de penser que la contrepartie d'un thème assez flou, énoncé dans un titre pseudo poético philosophique, aurait dû consister en une sélection avisée, révélatrice de talents inconnus ou sous-estimés. On regrette que cela n'ait pas été que très marginalement le cas.

Biennale de Venise 2025 - jusqu'au 30 novembre 2025.

 

 

 

Écrire un commentaire

Optionnel