Les vitraux de René Guiffrey au Beaucet (par Sylvie).
I l faut toujours du temps pour que les belles choses se réalisent. J'avais signalé en 2013, dans le cadre d'une exposition de René Guiffrey à Pernes les Fontaines (84), un projet de vitrail transparent qui nous avait enthousiasmés (voir Décrypt-art juillet 2013). Quatre ont été commandés par la mairie et le département du Vaucluse et installés tout récemment dans l'église romane Saint Etienne du Beaucet, un superbe village du Vaucluse perché sur ses rochers abrupts (1) autour duquel s'étagent sous les restes de l'ancien château, maisons troglodytiques ou en pierre sèche. L'édifice roman, d'une grande sobriété, temporairement un peu perturbée par des peintures murales d'étudiants en art, est un concentré de l'Histoire : clocher-arcade médiéval, clocher-tour octogonal surmonté d'un campanile-tour de guet, grande porte du XIXème siècle. A compter du XIéme siècle, Saint Gens, ermite mort en 1127, et Saint-Etienne, prédicateur juif du 1er siècle, se sont un peu disputé les lieux.. Depuis 1960, exit Saint Gens parti pour un sanctuaire à son nom, va pour Saint-Etienne.
Confronté à l'aura de ce martyr qui fut lapidé pour avoir prononcé le nom de Dieu, Guiffrey se devait de marquer les esprits de façon forte sans toutefois remettre en question son travail sur la transparence, porteuse de quiétude et de rigueur, et le verre, son cheval de bataille depuis de longues années, dont il connait les capacités, les effets, son poids- matière (2) et son poids-spiritualité sous une apparente innocence.
Un premier de ces vitraux, face à l'entrée, ouvre l'espace un peu étroit de l'édifice et laisse sentir l'intense lumière du sud en la tamisant. A la différence ds vitraux traditionnels en couleur qui enferment et du verre translucide qui égalise, le mille-feuille des lames transparentes et leur visible jonction modulent la surface en un léger frémissement semblable à la surface d'une mer frisée par le vent, mouchetée d'éclats lumineux comme des interstices de silence. La confondante simplicité d'une telle surface en non-couleur favorise réflexion et méditation. L'horizontalité des lignes y participe (3).
Plus porteur encore de spiritualité cet autre vitrail (4) mêle les clartés prismatiques de la tranche et les épaisseurs vertes de la matière qui absorbe irrégulièrement les couleurs du réel extérieur. Pour peu que le visiteur se déplace, il en capte le crépitement des alternances. Pour Guiffrey ces brisures et cassures volontaires à l'intérieur de chaque vitrail sont "à lire comme les stigmates de la lapidation et les lignes centrales induisent les figures du debout et du gisant, du vivant et du mortel".
Dans leur dépouillement, leur vibrante transparence, ces oeuvres, me semble t'il, donnent à percevoir un invisible dans ce qu'il a de plus mystérieux, poignant et transcendant.
Eglise du Beaucet, Montée des Cendres (84210).