Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Peinture - Page 5

  • Agnès Thurnauer (par Régine)

    Un nouvel espace consacré à l'art contemporain vient d'ouvrir au fond d'une impasse du XVIème arrondissement, il est magnifique. Sa décoration, adaptée à l'esprit du quartier, diffère de celle des galeries du Marais. Ici pas de béton ciré au sol mais du parquet, pas de spots en guise d'éclairage, mais de superbes lustres, pas de verrière, vestige d'un ancien atelier d'artisan, mais de grandes fenêtres. C'est chic, sans ostentation. tagnès Thurnauer 011.JPG(photo n° 1).

    C'est à Agnès Thurnauer que revient le privilège d'inaugurer ce lieu par une grande exposition d'oeuvres récentes. je ne connaissais d'elle que les portraits réduits à de gros badges sur lesquels sont inscrits le nom féminisé d'artistes célèbres. Cela m'avait amusé, sans plus. Avec cette exposition j'ai découvert qu'elle était avant tout un "peintre", préoccupée de problèmes de peinture et très attentive aux artistes qui l'ont précédée.

    Chaque salle est consacrée à l'un de ses thèmes favoris. Dans la première celui de la danse ou du contorsionniste est le plus récent.

    "Territoire # 1"agnès Thurnauer 009.JPG en est représentatif (photo n° 2). C'est un grand tableau de 2,30 m x 2,30 m, qui date de 2010. Sur un fond fait d'une pluie de rubans gris tombant verticalement en spirale, un personnage, moulé dans une combinaison tacheté façon panthère, fait le pont occupant transversalement l'espace de la toile.  Il se tient sur la pointe des pieds, les bras coupés par le cadre. Sous l'effet cinétique du fond, son corps ondule mais se maintient coûte que coûte malgré cette position inconfortable. Le camaïeu gris et blanc de l'ensemble renforce l'unité du tableau. Cette représentation n'est-elle pas celle de l'éternel problème du rapport du fond et de la forme, de leur accord,  de leur différence et l'équilibriste ne serait-il pas le peintre ?

    Viennent ensuite les séries consacrées aux ailes d'oiseau, thème cher à Agnès Thurnauer. Elle sont dit-elle symbolique de la peinture : elles se déploient, leurs couleurs chatoyantes sont infinies et varient avec la lumière, elles nous emmènent ailleurs... telle cette paire peinte sur des petites palettes qui s'envolent dans un ciel baroque : "Grande prédelle"agnès Thurnauer 012.JPG (97 x 195) (photo n° 3). Le ciel est un autre sujet de prédilection de l'artiste car il est pour elle l'objet impossible à atteindre ; à peine a-t-on commencé à le peindre dit-elle qu'il a déjà changé, tenter de le saisir c'est représenter un temps impossible.

    Les ailes sont souvent peintes individuellement sur des toiles séparées puis assemblées en triptyque "I am #1-2-3", 2010 (195 x 97) (photo n° 4)agnès Thurnauer 013.JPG ; en marge l'artiste a appliqué les palettes maculées de la couleur qui a servi à leur réalisation ; ainsi dans le temps où il regarde la toile le spectateur est amené à en imaginer la réalisation et la matérialité. Dans "Finalement"agnès Thurnauer 001.JPG de 2010 (130 x 195) (photo n° 4), une grande paire d'ailes grises enlève l'icône de la modernité, à savoir l'urinoir de Duchamp, dans un ciel bleu pommelé de nuages. S'ouvre alors pour le regardeur une quantité de sensations mentales. La peinture doit-elle s'en débarrasser pour exister ? En dépend-elle au point de faire corps avec lui ? etc...etc...

    A L'étage deux curieuses petites oeuvres ont retenu mon attention. Elles représentent des cieux tourmentés cernés par le collage de pelures de crayon en forme de petits éventails bordés de couleurs différentes selon les crayons utilisés. C'est fascinant de minutie et de précision (photo n° 5)agnès Thurnauer 005.JPG.

    L'ensemble de ce travail convoque le regard dans le même instant où il invite l'esprit à cheminer ailleurs, vers d'autres sens, d'autres liens... et c'est ce qui le rend stimulant.

    Villa Emerige - 7 rue Robert Turquan, 75016-Paris. Métro Jasmin, du mercredi au samedi de 11 heures à 19 heures. Jusqu'au 5 juin.

     

  • Paul KLEE (par Régine)

    Il est toujours passionnant, parfois enthousiasmant de revenir aux sources de notre modernité. Une exposition plutôt discrète, car les média ne s'en sont pas encore emparés, offre cette possibilité. Elle se tient à l'Orangerie et réunit un peu plus d'une cinquantaine d'oeuvres de Paul Klee appartenant au grand collectionneur suisse, Ernst Beyeler, récemment décédé. Surtout, ne vous privez pas du plaisir extrême que procure la contemplation de ces oeuvres et, par ce printemps ensoleillé, s'y ajoute celui de traverser le jardin des Tuileries et de terminer la visite par une plongée dans les salles consacrées aux Nymphéas.

    L'exposition présente une sélection des étapes significatives du travail de Klee. La première réunnit quelques oeuvres des années 1914/1919, la deuxième celle de l'époque de son enseignement au Bauhaus et à l'Académie de Dusseldorf (1920-1933), la troisième, la plus importante, réunit des oeuvres plus tardives (1935-1940). Plus dramatiques, elles étaient très appréciées de E. Beyeler parce qu'elles récapitulaient, disait-il, le travail de toute une vie.

    Presque toutes de petit format, souvent peintes à l'aquarelle sur un papier contrecollé sur carton, ces oeuvres défient celles des années qui vont suivre où prédomineront l'immensité de la toile, la peinture à l'huile ou à l'acrylique. Sa postérité n'en fut pas moindre, elle est manifeste chez des artistes qui chercheront à traduire les forces fondamentales de la nature, son mystère et sa poésie. Wols ou Laubiès par exemple qui eux aussi ont privilégié le papier, l'aquarelle et le petit format. Michaux et Zao Wou Ki l'ont beaucoup regardé et assimilé. Par delà l'Atlantique on est tenté d'en rapprocher le travail de Tobey toute empreinte de délicatesse et de raffinement.

    Ni figurative, ni abstraite, ignorant la distinction entre réel et imaginaire, ces oeuvre entraînent le spectateur dans des territoires inconnus et cependant extrêmement évocateurs. J'en évoquerai quelques unes.

    Dans "La Chapelle"klee 001.JPG (Aquarelle et détrempe blanche sur papier contrecollé sur carton, 1917, 29,7 x 20,9) (photo n°1), tout un jeu de formes proche d'une écriture, orienté dans des perspectives variées, se construit à partir d'un fragile édifice qui pourrait figurer une chapelle dans le bas du cadre et s'élève jusqu'à son extrémité supérieure. S'y promènent, comme en apesanteur, lettres et pictogrammes célestes (celui de la lune, des étoiles ou du soleil). Le rapport entre cette construction ascendante et les couleurs d'une extrême délicatesse diffuse sur cette architecture onirique une lumière transparente toute empreinte de spiritualité.

    Le bleu lumineux de "Paysage du passé" klee 002.JPGde 1918 (Aquarelle et gouache sur papier contrecollé sur carton, 1918, 22,6 x 26,3) (photo n° 2), enchante les quelques arbres gouachés de blanc et le soleil jaune qui tourne dans le ciel, cercles et triangles se répondent pour entraîner le spectateur dans une rêverie éblouie.

    Quand il réalise le "Lever de la lune" klee 004.JPG(crayon et aquarelle, contrecollé sur carton, 1925, 37,4 x 27) (photo 3), Klee enseigne au Bauhaus, où il insiste notamment sur la puissance de la couleur. Cette oeuvre est comme une symphonie musicale orchestrant le lever de la lune au coeur d'une nuit profonde. Le halo n'entoure pas l'astre, il est repoussé sur les bords sous forme d'un damier ocre foncé, bleu nuit avec un accent de blanc qui agence la surface ; cette partition colorée fusionne pour former un noir, oh combien mystérieux, d'où surgit le disque jaune lumineux d'une lune ronde et majestueusement présente.

    A partir des années 1930, l'oeuvre de Klee devient plus tragique. "Diane"klee 006.JPG(huile sur toile, 80 x 60) (photo n°4) annonce un monde inconnu et menaçant. Sur un fond modulé de bleu et de vert, animé d'un semi de points noirs, la silhouette verte et ocre de la déesse, dessinée avec vigueur, s'avance menaçante, un pied sur une roue, cachant son visage et son corps derrière une cape et des vêtements qui virevoltent autour d'elle. A la partie supérieure une flèche, symbole de la chasseresse, accentue le dynamisme inexorable de l'ensemble.

    En 1938, quand il peint "Sorcières de la forêt" klee 008.JPG(Huile sur papier contrecollé sur jute, 99 x 74) (photo n° 5), Klee, installé à Berne, a fui l'Allemagne nazi et se sait condamné par une maladie incurable. D'épais traits noirs sur un fond très coloré articulent les motifs d'un univers de sorcières. Les corps désarticulés, le masque des visages menace le spectateur. Les arabesques des traits sont comme une écriture dont la liberté est proche de la folie. L'utilisation du jute accentue le côté brutal et primitif de l'ensemble.

    Enfin "Un porche"klee 010.JPG de 1939 (détrempe sur papier Ingres, contrecollée sur carton, 31,6 x 14) (photo n° 6) est une oeuvre de deuil ; entièrement grise elle est un adieu aux couleurs de la vie. Elle laisse percevoir cette porte vers l'au-delà où l'artiste va bientôt disparaître. Une forme casquée garde l'entrée d'un temple inconnu ouvrant sur le vide et sur laquelle est posé un disque blafard. Peinture totalement impressionnante qui traduit l'inconnu devant lequel se trouve confronté tout homme face à la mort.

    Toutes les oeuvres exposées ont la qualité de celles dont je viens de parler. C'est une exposition exceptionnelle et il serait dommage de rater l'occasion de voir le travail d'un artiste si rarement présenté dans notre pays.

     

    Paul KLEE (1879-1940), La collection d'Ernst Beyler - Musée de l'Orangerie, du 14 avril au 19 juillet 2010. Tous les jours (sauf mardi) de 9 h à 18 h.

     

  • René Guiffrey (par Sylvie)

    René Guiffrey est un artiste exigeant. Il ne cherche pas à séduire. Il oeuvre dans le blanc et la transparence, le géométrique et la superposition. Pas facile! Les oeuvres exposées actuellement à la galerie Gimpel et Müller sont l'occasion de constater encore une fois qu'une émotion peut naitre de ces abstractions où l'ego n'a pas de place et la répétition est de mise. N'ayant jamais perdu, depuis ses débuts dans les années 60, le goût de la blancheur du papier (et sa texture) Guiffrey en perpétue l'usage et poursuit avec cette non-couleur, qu'elle soit de peinture acrylique, de verre industriel ou de miroir, sa quête de l'insaisissable.

    115 Guiffrey, la mouche.jpgIl oeuvre par séries, ce qui met en lumière les variations du procédé. Le titre de la première, "La mouche" ( série de trois), acrylique et verre, 80x80 cm, 2005, pourrait trouver son origine dans la légèreté de son apparence, quelque chose de fragile et de délicat comme l'aile d'un d'insecte. Elle est constituée de carrés concentriques en fines plaques de verre transparent, cernées d'un liseret de miroir. Le carré de surface, le plus petit, est peint en blanc. Cette forme carrée et ses emboitements nous rappellent bien sûr l'Abstraction géométrique et l'Art cinétique. Elle en a la forme rassurante et silencieuse, cette carrure qui l'ancre dans le réel. Elle en a les déclinaisons internes qui fractionnent l'espace clos. Mais si tout se jouait par la couleur posée chez Albers ou Vasarely, Guiffrey laisse agir la neutralité du  materiau  qui, imprévisible, modifie le support par sa seule présence, prend relief et couleur - il devient tout à fait vert - au fil des couches, crée des lignes, accroche et subit la lumière, réfléchit le regardeur et introduit son empreinte éphémère dans l'oeuvre. La bordure de miroir prend sa part de reflets et finalement l'oeuvre, si rigoureuse dans sa construction, si ouverte dans son champ de blanc qui cerne le carré, si plate en surface et si immatérielle dans sa gamme pâle, bouscule sa propre ordonnance par les effets qu'elle suscite.

    174 Guiffrey, Blanc et débords..jpgAvec "Blanc et débords", acrylique et verre, 80x120 cm (série de deux) on comprend mieux la technique chère à Guiffrey des fixés sous verre. La peinture, appliquée au dos du matériau, apparait, par transparence, brillante et subtilement crémeuse dans un grand rectangle où s'en inscrit un autre, séparé par un vide. Dans cette échancrure elle déborde de son périmètre, festonne de façon aléatoire et se profile en ombres changeantes sur le fond selon le cheminement du regardeur, laissant voir en dessous une bande argentée qui fait passer la lumière et un double trait noir, péremptoire comme l' affirmation d'un tangible dans cet " interstice du doute" (in Bernard Privat:" René Guiffrey ou l'effroi du beau").

    175 Guiffrey, retour sur 76..jpgLa plus troublante des oeuvres exposées est pour moi "Retour sur 76". Deux trapèzes blancs, verticaux, peints sous verre,  occupent, dans un équilibre parfait, le centre de l'oeuvre et forment un carré brillant de surface et d'une blancheur lustrée qui contraste avec celle du fond. Des traits noirs, tracés à la plume, semble t'il, soulignent, prolongent, encadrent les côtés et portent en eux des notations chiffrées. Ce pourrait être un croquis d'architecte avec ses lignes fugitives, ses doublements, ses orientations flèchées. Un effet de perspective, né du décallage entre forme et lignes, entre verre et fond, entraine le regard, encouragé ici par les reflets obliques de l'éclairage, vers une fenêtre aveugle, une profondeur invisible, un espace de méditation.  

    René Guiffrey, galerie Gimpel et Müller, 12 rue Guénégaud, 75006 Paris. jusqu'au 10 avril.                           

     

     


  • Fauves et expressionnistes (par Régine et Sylvie)

    L'exposition "Fauves et expressionnistes" a été l'occasion d'un retour au Musée Marmottan, somptueux hôtel particulier du XIXème siècle devenu en quelque sorte "le" musée Monet de Paris.

    Malgré l'attrait que représente pour nous la peinture contemporaine, revoir, en passant, ces "Nymphéas" (1917-1919) a été un choc. Nous avions oublié à quel point Monet avait pris de la distance par rapport au réel et retenu la leçon de Turner. Et combien ce tableau,fait de  multiples traits horizontaux inscrits en all-over dans un vaste format très horizontal (100x300cm)  était abstrait et  avait pu influencer les américains dans leur désir d'espace. Jackson Pollock et Joan Mitchell ne sont pas loin.

    Mais venons en aux oeuvres expressionnistes de l'exposition temporaire. Il est toujours passionnant de revenir aux sources de la modernité. Là, elles sont représentatives du renouveau artistique en Allemagne avant la 1ère guerre mondiale regroupé autour des mouvements Die Brucke à Dresde et Der Blaue Reiter à MUnich. Bousculant les codes de la peinture, elles traduisent, en harmonies dissonantes, un réel sans fard et le Moi intérieur de l'artiste. Elles ont profondément modifié notre vision du monde.

    Une toile nous a parue esquisser cette nouvelle tendance, elle est signée Emile Nolde. "Le pont" (1910) est encore dans la thématique campagnarde chère aux impressionnistes et les roses, les violets, les jaunes et les verts se mêlent en touches enlevées et chatoyantes. Ce pourrait être du Monet, une impression figitive peinte sur le motif, avec déjà quelque chose de fiévreux avant coureur de conflit. Comme les autres membres du mouvement Die Brucke, Node évoluera vers plus de primitivisme et de couleurs fortes.

    Les yeux noirs, Jawlensky 03-02-2010 14;09;05.jpg

    Nous avons choisi trois portraits pour illustrer l'expressionnisme en ce qu'ils ont de frontal et mettent l'accent sur les yeux. La "jeune fille au chapeau rouge" (1905) d'Edvard Munch les expressionnistes 001.jpg(photo n° 2), d'un noir et rouge sur fond jaune saturés, nous fixe de son regard inquiet où passe toute l'angoisse de la destinée humaine. La rapidité de la touche semble vouloir saisir au plus prêt la détresse de l'enfant ; le quadrillage noir de sa robe l'emprisonne dans son mal-être. Avec "Les yeux noirs" (1912) Jawlensky (photo n° 1) cerne les formes d'un trait sombre. Fini le modelé, tout se joue sur le contraste des couleurs chaudes et froides. Dépourvu de tout souci naturaliste, le visage est jaune, vert, rouge, les cheveux sont bleux et la force du regard des immenses yeux noirs ne vous lâche pas. otto-dix-leonie-litho_1262732668.jpg"Léonie" (1923) d'Otto Dix (photo 3)est caricaturale. Sous son grand chapeau peu flatteur, ridiculement ornementé, et ses joues trop peintes, elle a le visage cabossé par la vie. Voilà bien la férocité de la Nouvelle Objectivité. Plusieurs autoportaits figurent dans l'exposition, tel celui de Kokoschka les expressionnistes 007.jpg(photo 4) de 1917 dont la nervosité de touches en larges virgules traduit souffrance et instabilité et sont à rapprocher de ceux, sans complaisance, de Lucian Freud. Eric Heckel, quant à lui, nous fait entrevoir Bernard Buffet.

     

    Et la nature dans tout cela? Les expressionnistes la jouent primitiviste, comme le montre le paysage tout en sauvagerie et mystère d'Adolf Erbslöh.les expressionnistes 011.jpg(photo 5) Les arbres, traités en larges éventails, dans une gamme de vert et de bleu sombres envahissent une maison mauve dont les fenêtres sont comme deux yeux apeurés.

    kees-van-dongen_1262732846.jpgAu milieu de ces oeuvres tourmentées qui renvoient à l'intériorité et à ce que Kandinsky appelle la "nécessité intérieure", le "Nu de jeune fille " (1906) de Van Dongen (photo 6) a la grâce d'une sensualité assumée. L'audace des couleurs ne fait qu'en confirmer la liberté insolente et souligner la distance qui sépare les Fauves de la douceur de l'impressionnisme d'une part et de la critique sociale et morale de l'expressionnisme de l'autre.

     

    "Fauves et expressionnistes, de Van Dongen à Otto Dix" - Musée Marmottant Monet, 2 rue Louis Boilly, 756016-Paris.  01 44 96 50 33. Tous les jours sauf lundi de 11 à 18 h. Jusqu'au 20 février.

     

     

     

     

  • Marie Morel (par Régine)

    Le nom même de Marie Morel m'était totalement inconnu lorsqu'un proche m'a persuadée d'aller voir son exposition à la Halle Saint Pierre à Montmartre. J'aime ce lieu, je m'y suis donc rendue avec plaisir et aucun a priori.

    L'originalité, la vérité, l'impudeur, la minutie et la beauté de ce travail m'ont sidérée. N'est-ce pas jubilatoire de découvrir une oeuvre totalement cohérente et belle ?

    La plupart des tableaux exposés sont grands, ce qui m'a incitée à les regarder d'abord de loin ; l'harmonie de leur couleur presque monochrome m'a enchantée. Leur surface, rythmée et vibrante - gris perle, vert sombre, bleu océan rose mauve, rouille ou noir ténébreux - est brillante comme de l'émail (*). Séduite, je me suis approchée, la couleur s'est diversifiée, puis, comme sous l'effet d'une loupe, j'ai découvert un monde insoupçonné, tout bruissant de mille motifs : oiseaux, arbres, femmes... Je me suis rapprochée encore et j'ai constaté que le thème choisi était répété à l'infini avec une minutie, une profusion de détails impossible à énumérer de façon exhaustive et une variété inépuisable de matériaux. L'encombrement était extrême - Pas de centre pour drainer mon regard, tous les morceaux des tableaux ayant une importance égale, je cheminais à ma guise devant leur surface -.

    On se sent une âme d'entomologiste pour explorer ce monde grouillant de mille tableautins, d'oiseaux, d'arbres ou de tout autre thème décliné à satiété, eux-mêmes plongés dans un environnement fait d'une multitude de petites choses. Tous ces motifs s'agrègent en foule : l'oiseau est en horde, l'arbre en forêt, les femmes en habitantes d'une immence cité qui fait penser à la photo qu'Andreas Gursky a prise de la barre Montparnasse, et ainsi de suite... Lorsqu'on s'étonne de cette incroyable minutie, elle répond : "Il n'y a qu'à regarder la vie. Cela parait étonnant aux gens quand ils voient mes tableaux, alors qu'ils sont dans leur vie constamment devant l'infini. L'infini petit et l'infini grand. Et chaque chose que l'on regarde est ainsi" (1).

    Dans cet univers foisonnant l'artiste intègre des petites phrases toutes simples, autant de commentaires, questions ou devises. Elles s'échappent des becs des oiseaux, commentent le contenu de petites cases, soulignent l'attitude des femmes... Ce sont par exemple : "Linvisible se cache dans le visible". Ma pensée reste le centre du monde. Pourquoi la vie ? Je crois en la nature. Que de morts hantent ma vie. La mort guette. Le délice de tes baisers Le mur du désir, etc...". Ce n'est pas tant leur contenu qui est important, que le fait qu'elles contribuent à l'animation de l'ensemble.

    Chaque oeuvre, dont le titre est toujours explicite, se construit sur un thème donné : la nature, la femme, les oiseaux, l'amour, la jouissance, la mort et la disparition. La vie y circule avec fièvre et c'est elle qui, à travers ces thèmes, passionne Marie Morel. La femme est au coeur de cette création. Elle est toujours représentée de face, nue, seins rebondis et vulve offerte ; l'homme est souvent réduit  son appareil génital. Aucune convenance n'entrave son imaginaire. On sent que l'artiste ne peint que ce qu'elle a physiquement resenti et devant chaque tableau on assiste à la recréation d'une émotion "Il faut, dit-elle, re re-sentir cette sensation première... pour arriver à la traduire dans un espace peint avec ses couleurs, ses rythmes, ses mystères" (1)

    Cette sensation elle la recrée à l'aide de la couleur bien sûr, mais aussi d'une multitude de petits objets glanés ici ou là : cordelettes, perles, plumes, bâtonnets, dentelles, autant de reliques qui, incrustées dans la peinture sont transfigurées et créent une captivante animation. Avec cette attention aux toutes petites choses, l'artiste nous fait pénétrer dans une réalité qui trop souvent nous échappe.

    Une longue toile m'a particulièrement bouleversée. Elle s'intitude "La Shoah". Elle mesure 6 m de long et est entièrement noire. Enfermés dans des cases, des cadavres ou des squelettes blancs, décharnés, yeux clos, bouches ouvertes sont seuls ou entassés, encerclés d'ossements, de détritus divers ; chacun comporte un léger commentaire "Les bébés aussi sont tués" ; "Les morts sont empilés", "En route vers le néant", "Qu'avez-vous fait pour les sauver ?"... Ce tableau terrible, exposé à l'écart, est comme un contrepoint à tous ceux qui, dans les autres salles, éclatent de vitalité.

    Cette oeuvre, qui nécessite un travail acharné, me parait d'un sincérité absolue et je ne saurais trop vous recommander d'aller la découvrir.

     

    (1) : Christian lux, entretien avec Marie Morel.

     

    * P.S. : Les photos étant interdites, je vous recommande d'aller en voir la galerie des photos sur le site de Marie Morel  www.mariemorel.net ou sur celui de la Halle St Pierre www.hallesaintpierre.org

     

    Halle St Pierre, 2 rue Ronsard, 75018-Paris. Métro Anvers ou Abbesses. Tél : 01 42 58 72 89. Ouvert tous les jours de 10 à 18 h. Jusqu'au 7 mars

     

  • Claude GEORGES (par Régine)

    Quelle émotion en découvrant, après une si longue absence des cimaises parisiennes, une exposition entièrement consacrée à Claude Georges. Ce peintre, qui est mort prématurément des suites d'un accident de voiture, a laissé une oeuvre rare. Rare parce qu'elle a été brutalement interrompue, parce qu'elle est d'une extrême complexité technique et n'a pas pris une ride, enfin parce qu'elle n'a pas été exposée à Paris depuis 20 ans. En effet, hormis une grande rétrospective au Musée de Montauban au printemps 2000, cette oeuvre, connue des initiés, ne l'est pas du grand public.

    La puissance de déflagration des six toiles accrochées dans la petite galerie "L'or du temps", rue de l'Echaudée, m'a laissée interdite. Que donnent-elles à voir ? A la fois un ailleurs et un nulle part ; elles nous entraînent dans des contrées totalement inconnues où la menace d'un cataclysme n'est jamais loin. On peut bien sûr y voir des paysages intersidéraux, le relief de planètes inconnues, ou des fragments d'univers en dérive, mais aussi et surtout de purs espaces mentaux où s'affrontent tout un jeu de contradiction.

    Je me suis attardée sur deux d'entre elles. Le sentiment général qui se dégage de la première claudegeorges_1963.jpg(Huile sur toile, sans titre, 1963, 97 x 130) (Photo n° 1) est celui d'un choc, d'un écrasement brutal entre deux mondes : minéral ? animal ? Des masses ovoïdes, blanchâtres, soulignées d'un léger trait noir, maculées de jaune, situées dans les deux tiers inférieurs de la toile filent et s'étirent horizontalement jusqu'à dépasser le cadre ; elles heurtent et brisent violemment une "chose" qui explose en taches rouge sang et giclures noires dans le bas du tableau. Un graphisme fin et ferme s'échappe de ce magma. Serait-ce un immense insecte ou un brasier que ces blocs blancs comme la glace auraient allumé ? Cette collision provoque à gauche de larges traînées noires éclairées de jaune, à droite des espaces blancs maculés de beige, mais ne repose sur rien. Au dessus et au dessous c'est le vide, un vide gris et transparent traversé de lueurs vaporeuses et blanches.

    Une tension intense se dégage de cette toile, partagée entre la maitrise du graphisme et du maniement de la couleur et un climat lyrique et poétique. En 1962 Claude Georges abandonne l'acrylique pour revenir à l'huile ce qui lui permet d'obtenir une grande transparence de la couleur. Voyez le gris allumé de lueurs blanches qui forme le fond de la toile, les beiges dilués, et l'utilisation du jaune éclairant les blancs et les noirs de lueurs sulfureuses : tout un jeu de forces contraires entre le chaud et le froid, la lourdeur et la légèreté notamment.

    Sur un fond gris très sombre, telle une météorite ou un grand vaisseau spatial, une grande forme ovoïde occupe horizontalement tout le champ du deuxième tableau claudegeorges_1964.jpg(huile sur toile, sans titre, 1964, 114 x 162). (Photo n° 2). Couleur de pierre sur les bords elle s'ouvre sur un vide dont la blancheur est rehaussée de quelques traces noires (mais est-ce un vide ?). Cette masse qui semble si lourde frôle à peine un sol noir d'encre et le fracasse, provoquant une série de fissures blanches qui s'illuminent de jaune, rouge, bleu profond.

    Comme dans la toile précédente, le conflit est extrême entre les forces contradictoires mises en présence et qui s'affrontent. Mais quelles sont-elles et quel est ce spectacle menaçant auquel nous assistons ? N'est-ce pas magnifique et terriblement angoissant ?

    Dans ces deux tableaux, comme dans ceux de Matta, les espaces, bousculent la perspective classique et s'imposent selon des rapports de poids, de forces, de vitesses simultanées. Celui de l'espace et du temps est exploré de façon totalement neuve. Claude Georges nous met face à des contrées jamais vues, ni même imaginées.

    De formation scientifique, l'artiste était très sensible aux découvertes de son époque ; la conquête de l'espace, les premiers pas de l'homme sur la lune, l'avaient fortement marqués. Grand amateur de science fiction et de bandes dessinées, son imagination puisait aux sources modernes du fantastique. Mais qu'on ne s'y trompe pas, si la tentation d'établir des analogies est inévitable, Claude Georges n'illustre rien, il nous montre des espaces émotionnellement neufs où de multiples forces antagonistes s'affrontent, où les formes, les lignes, les couleurs sont à la fois autonomes et liées à l'ensemble de la toile pour former un tout extrêmement cohérent.

    En conclusion je reprendrai ce que dit Geneviève Bonnefoi (1) citant Roger Caillois "Mais peut-on vraiment longtemps échapper à l'homme, échapper à la nature ? Ces feux, ces glaces, ces forces antagonistes, sont-ils rien d'autre que ceux que nous portons en nous et que l'artiste souvent exprime à son insu".

    (1) Geneviève Bonnefoi, "Claude Georges". Artistes d'aujourd'hui. Collection de Beaulieu.

    Galerie d'Or du temps, 25 rue de l'Echaudé, 75006-Paris. 01 43 25 66 66. du mardi au samedi de 14 h 30 à 19 h. Jusqu'au 27 juin 2009.

  • Gérard Titus Carmel (par Sylvie)

    GTC aux Bernardins 003.jpg

    Titus Carmel aux Bernardins 002.jpgTitus Carmel aux Bernardins 005.jpg

    A bâtiment religieux peinture métaphysique ? Le Collège des Bernardins, à Paris, bâtiment du XIII ème siècle nouvellement restauré, accueille les 159 dessins et une grande peinture de l'artiste Gérard Titus Carmel. Une suite autour de la crucifixion du retable d'Issenheim peint au 16 ème siècle par Grunewald et conservé au musée de Colmar.

    Reprenant chacun des principaux motifs de cette scène, GTC développe, selon son habitude, des séries. On regrettera l'absence d'une photo en couleur du retable qui permettrait à ceux qui ne le connaissent pas de saisir la source d'inspiration et ses "figurants", le Christ entouré de la vierge Marie, de Marie-Madeleine et de saint Jean Baptiste, tous d'un réalisme stupéfiant qui traduit l'horreur et la beauté, la violence et la joie mystique dans une palette éblouissante. 

    Regardons, par exemple, cette Marie-Madeleine qui nous est montrée pour débuter. Dans un des premiers dessins, sa silhouette  apparait au fusain, juste crayonnée de pastel rose et vert. Très nettement dessinées, au contraire, et cadrées serré sur un papier de soie rectangulaire verdâtre, figurent, en haut à droite ses mains; et son corps  se détache sur un autre rectangle, noir celui-là bordé à gauche de diagonales autoritaires rouges, une sorte de non-peint  que l'artiste appelle "bloc de hachures" et pratique souvent. Quelle façon libre d'équilibrer une composition par des traits, des superpositions et des effets de contraste!  Seconde image : Marie-Madeleine et une vierge Marie sans tête, sont en noir et blanc - fusain, encre ou mine de plomb ? - comme le fond, figures schématisées et, si l'on peut dire, malmenées. Des taches rouges soulignent la courbure du corps de Marie proche de l'évanouissement, un trait blanc retranscrit la blancheur du voile, virginal et mortuaire. Les mains, toujours d'une grande précison graphique sont mises en exergue en un point où se cristallise l'intensité de l'émotion, amour charnel et mystique, déchirement et espérance. Quant à la troisième image, elle a complètement perdu sa référence initiale. Il ne reste que des couleurs, des triangles formés par les robes des deux femmes et qui composent ainsi une oeuvre totalement abstraite. Cette trilogie montre à quel point GTC, à travers des variations, décompose et épuise son motif, et se joue des éléments formels. Est-ce que son travail n'est pas une entreprise de déconstruction des formes ? Oui, mais pour en reconstruire les lignes de force. un chemin qui va de la figuration à l'abstraction.

    Titus Carmel aux Bernardins 003.jpgLa qualité graphique des séries de pieds du Christ où cohabitent vérité anatomique et torture, et celle des mains de Marie-Madeleine, concentrent une expressivité brutale à la limite du soutenable. L'entrecroisement des doigts, véritable buisson d'épines, fleur vénéneuse ou offrande, s'inscrit ostensiblement dans une géométrie colorée, sur ou sous des  Titus Carmel aux Bernardins 010.jpgaplats  de couleurs peintes ou en papier de soie transparent, rehaussés ou se chevauchant, éléments constructifs qui  sortent les motifs de leur pur naturalisme. Un  rapprochement s'impose avec les sérigraphies qu'Ernest Pignon Ernest a inscrites sur les murs délabrés de Naples, faisant de lieux choisis des espaces plastiques. Titus-Carmel travaille, lui, l'espace plastique pour renforcer la symbolique. Le motif cruciforme noir sous les pieds cloués du Christ, comme une seconde blessure, appelle une autre référence, l'espagnol Antoni Tapiès. Mais GTC ne veut-il pas simplement nous dire que la peinture est un art du sacré.

    Reste à contempler l'ensemble des dessins dans la magnifiscence de leurs couleurs chaudes. Et la nouvelle crucifixion, ce grand tableau vers lequel tend l'oeil du spectateur. Tous les éléments y GTC aux Bernardins 001.jpgfigurent. S'en dégage une dimension spirituelle dominée par la souveraineté tragique du Christ, structurée par le noir, l'unité tonale et le dépouillement.  

    S'attaquer à un tel tableau était une gageure. On ne peut pas reprocher à l'artiste de jouer les simples copistes. J'y vois une double méditation:  sur l'épreuve de la douleur et de la foi et sur les enjeux de la peinture et de la composition.   

    Gérard Titus Carmel "suite Grünewald", Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy, 75005, Paris.   53 10 74 44. Tous les jours de 10h à 18h, le dimanche de 14h à 18h, nosturne le mardi jusqu'à 22h. Jusqu'au 7 juin 2009.

     

  • Herta Muller (par Sylvie)

    Italien - 30 Tage3.06.06, Herta Müller, technique mixte sur papier, 31 x 35 cm, 2006, Galerie Vieille du Temple, G024.JPG Les oeuvres de l'artiste allemande, Herta Müller, née en 1955 (à ne pas confondre avec son homonyme, femme de lettres allemande d'origine roumaine)  sont peu connues en France et peu montrées, mais elles ont, à chaque fois, accroché mon regard. Par la délicatesse du travail, la subtilité des couleurs et une sorte de quiétude qui en émane. Le travail sur papier reproduit ici (Italien-30 Tage 3 06 06, 2006), 35x31cm, figure dans une exposition consacrée au dessin à la galerie Vieille du Temple, à Paris et qui rassemble six autres artistes : Pierre Buraglio, Philippe Hélénon, Alexandre Hollan, Jeff Kowatch, Denis Martin et Beth Reisman. L'occasion était trop belle de parler de l'enchantement qu'elle procure.

    Des lignes essentiellement verticales, noires, sinueuses, de différentes qualité d'épaisseur et de médium - pastel, huile - s'entremèlent  au centre de la page, sur un fond blanc ombré çà et là de couleurs terreuses. Elles émergent d'un point de départ plus ou moins groupé au premier plan et que lient en botte trois taches crémeuses de couleur jaune et verte et se dispersent sur la surface du papier comme une fumée qui s'élève. Elles font le dos rond à gauche, se brisent en haut au bord d'une surface bleutée ou retombent mollement vers la droite, comme contrariées dans leur élan. Tout cela laisse supposer la nature, une nature du commencement des origines, forte de son devenir - elles s'orientent de gauche à droite -,  fragile de sa jeunesse. Il y a de la conquête dans cette affirmation verticale, une douceur conciliante dans ces arabesques. Nous croyons comprendre des branches, du feuillage, de l'eau ou du ciel...l'ossature d'un paysage bien qu'il ne soit pas figuratif. Le pastel écrasé, duveteux, donne aux  traits une sensualité tactile et dans leur fin cheminement erratique - où se reconnait une main de graveur - s'infiltre un soufle léger. Rien n'arrête l'espace dans son déploiement et chaque brindille, dans sa singularité et son isolement, laisse passer la lumière. On respire, on médite dans ce grand vide en action qui touche au minimalisme extrême-oriental et à la conception spirituelle de l'univers. Une peinture du silence qui a quelque chose à voir avec celle  de Nils Udo                                                                                                                                                                                                                            Herta Müller travaille en grande partie en Toscane. Elle y a, semble-t'il, trouvé une paix intérieure. Sa peinture nous élève.

    "Le dessin à l'oeuvre", galerie Vieille du temple, 23 rue Vieille du Temple 75004, Paris. 01 40 29 97 52. Jusqu'au 23 mai 2009. Du mardi au vendredi de 14h à 19h; samedi de 14h30 à 19h30.

  • François ROUAN (par Régine)

    De retour du Mac Val de Vitry, dont le parcours récemment bouleversé par Alain Bublex met l'accent sur notre monde d'aujourd'hui m'ayant quelque peu déprimée, je décidais de faire un détour par la rue du Bac et de m'arrêter à la Galerie Jean Fournier où une exposition François Rouan venait d'ouvrir.

    Le contraste entre les oeuvres que je venais de voir et celles que j'avais sous les yeux renforça le plaisir éprouvé devant ces dernières. Les premières, utilisant les nouvelles technologies, s'inspiraient du no man's land de nos villes, des medias, de la violence raciale... ; celles de F. Rouan étaient le résultat d'un long travail entrepris en 2004 d'après l'oeuvre de Primatice. Cet artiste, né en 1502 à Bologne, oeuvra presque toute sa vie pour François Ier et on lui doit, ainsi qu'à son ami Rosso, la décoration du Château de Fontainebleau, hélas aujourd'hui en grande partie disparue.

    La genèse des oeuvres exposées remonte à 2003. Dominique Cordellier, conservateur au Musée du Louvre, travaillait alors au projet d'une rétrospective de l'oeuvre de Primatice. Connaissant les affinités de François Rouan avec l'Italie (il fit à Rome un long séjour à la Villa Médicis) il lui demanda d'accompagner ce projet d'un dialogue artistique avec le peintre italien.

    Les oeuvres présentées actuellement chez Fournier résultent de ce travail et s'intitulent, pour les peintures, "Di sotto in su", expression qui désigne les figures divines vues de dessous au plafond des églises et des palais, pour les travaux photographiques "Sempervirens" qui signifie Rouan 7.jpg"toujours verdoyant" (photo 1) comme certaines plantes qui ignorent les saisons et comme l'oeuvre de Primatice qui ignore le temps.

    Rouan 4.jpgUne vingtaine d'oeuvres donc, de dimensions presque indentiques courent autour de la galerie, ne laissant à l'oeil nul repos, stimulant l'imaginaire, suscitant des rapprochements, provoquant le désir de distinguer les étapes du precessus de réalisation. Peut-être requièrent-elles un regard attentif proche de celui que Rouan a lui-même porté sur l'oeuvre d'un autre par delà les siècles.

    Au vocabulaire maniériste du peintre fondateur de l'école de Fontainebleau qu'il connaît bien, François Rouan répond en connivence, mais à sa manière.

    La variété du matériel utilisé complexifie à l'extrême le résultat. Photos tirées sur papier ou sur transparents, dessins, peintures à la cire, empreintes sont soigneusement découpés en bandes, souvent mélangées, puis tressées pour former des oeuvres qui dépassent rarement 50 sur 60 cm. (photo 2) Souvent retouchées à la main elles peuvent être tamponnées d'empreintes corporelles de couleur légère et poudrée.

    Les allusions, les citations à la manière des peintres du XVIème, ne manquent pas. On pense à Dufy (photo 3) Rouan 5.jpgpour la légèreté et la délicatesse du trait et l'art d'assembler des couleurs tendres. Les formes proliférantes sujettes à perpétuelle métamorphose et l'érotisme diffus ou affiché qui parcours tout ce travail évoquent André Masson Rouan 3.jpg (photo 3) et ses dessins automatiques.

    Rouan 6.jpgLes attributs du corps féminin photographiés ou tamponnés sont présents partout. Dans une petite peinture (photo 4) seins, ventre, sexe imprimés en rose bonbon, gouaché de blanc, bordé de bleu, recouvent à deux reprises un fond doré orné de volutes délicates ; les anthropométries de Klein revisitées à la facon maniériste ? Une empreinte violacée qui pourrait être un sexe de femme (photo 4) Rouan 1.jpgobstrue un autre dessin (photo 5) où s'accumulent corps et membres féminins, statue d'homme, colonnes à l'antique ; hommage à Courbet et à son "Origine du monde" ou aux amours des dieux si souvent représentés aux plafonds de Fontainebleau ?

    Ce morcellement de l'image serait-il une allusion à la déformation des corps et à l'espace désuni, caractéristiques bien maniéristes ?

    La présente charnelle des empreintes qui déposent une lumière poudreuse sur les fonds est renforcée par la beautée des couleurs utilisées : le rose fardé, le mauve tendre le disputent au vert frais, au bleu violet, au jaune lumineux.

    En faisant resurgir à sa manière la sophistication extrême de l'art du Primatice et du maniérisme François Rouan pratique, semble-t-il, l'art de l'art.

    Le résultat procure au spectateur une jubilation et un plaisir dont on aurait tort de se priver.

    François ROUAN, "Sempervirens", Galerie Jean FOURNIER, 22 rue du Bac, 75007-Paris. Tél : 01 42 97 44 00. Jusqu'au 16 mai 2009.

     

     

     

  • Jean DEGOTTEX (par Régine)

     

     

    Degottex 1.jpgA quoi tient la fascination exercée par une grande toile peinte à l'huile en 1959 par Jean Degottex et intitulée "Levez le doigt et tout l'univers est là" ? Est-ce parce qu'elle donne le sentiment d'assister à l'origine de la création, de plonger jusqu'aux racines même de la peinture ou parce qu'elle est encore toute imprégnée de la concentration extrême et de l'élan intérieur avec lesquels le peintre l'a réalisée ?

     

    Décidemment, la qualité d'une exposition n'a à voir ni avec la taille du lieu où elle se déroule, ni avec le nombre d'oeuvres exposées. J'en veux pour preuve cette toute petite galerie "L'or du temps" rue de l'Echaudée où sont exposées actuellement quatre peintures de Degottex, quatre toiles pas plus, mais quelles toiles ! En cette époque saturée d'images, où l'art reste souvent à la surface des choses, il est rafraîchissant de voir des oeuvres d'une telle intériorité. Ne les ratez pas !

     

    Cette parenthèse étant faite, revenons au tableau dont le titre fut emprunté au père fondateur de la philosophie Zen, un moine chinois du 8ème siècle, philosophie dont le peintre se sentait très proche. Son fond est gris, un gris uniforme, résulat d'un travail très lent, très appliqué. Pendant des jours et des jours il a passé des couches de couleurs successives et fait disparaître toute trace de pinceau pour aboutir à une non couleur, à l'équivalent du vide dont tout procède. Puis sur ce grand espace ouvert et vacant, d'une matité crayeuse, légèrement maculé de jaune (le tableau mesure 2,320 m x 1,90 m), après cette longue méditation, en un geste de décharge fulgurant, imprévisible, l'artiste a tracé presque au centre quelques signes noirs et brillants. Les giclures qui ont jailli du pinceau sont là pour témoigner de la vigueur du geste, elles en sont la figuration. Tel le tracé d'étoiles filantes, ces signes abolissent la neutralité du vide de la toile et le rendent actif ; ils me paraissent être l'expression de l'influx vital et sortir directement du coeur de l'artiste.

     

    Degotttex 2.jpgDans le tableau en face (Les alliances de juillet 1960), le signe qui se déploie vigoureusement et le fond légèrement modulé sont d'une absolue matité. Le noir (on dirait de l'encre) se dissout en de multiples nuances dans la neutralité du gris. Degottex a-t-il précipité son geste dans un gris encore humide qui aurait permis aux bords du signe de s'y diffuser ? Ici fond et forme ne sont plus qu'un comme si l'une était sécrétée par l'autre.

     

    Plus de cinquante ans après leur exécution, ces quelques toiles nous font toujours communiquer avec l'infini et les signes inscrits demeurent des élans de communion avec l'univers.

     

    Galerie "L'or du temps", 25 rue de l'Echaudée, 75006-Paris. 01 43 25 66 66. Du mardi au samedi de 15 à 19 h. jusqu'au 11 avril