François ROUAN (par Régine)
De retour du Mac Val de Vitry, dont le parcours récemment bouleversé par Alain Bublex met l'accent sur notre monde d'aujourd'hui m'ayant quelque peu déprimée, je décidais de faire un détour par la rue du Bac et de m'arrêter à la Galerie Jean Fournier où une exposition François Rouan venait d'ouvrir.
Le contraste entre les oeuvres que je venais de voir et celles que j'avais sous les yeux renforça le plaisir éprouvé devant ces dernières. Les premières, utilisant les nouvelles technologies, s'inspiraient du no man's land de nos villes, des medias, de la violence raciale... ; celles de F. Rouan étaient le résultat d'un long travail entrepris en 2004 d'après l'oeuvre de Primatice. Cet artiste, né en 1502 à Bologne, oeuvra presque toute sa vie pour François Ier et on lui doit, ainsi qu'à son ami Rosso, la décoration du Château de Fontainebleau, hélas aujourd'hui en grande partie disparue.
La genèse des oeuvres exposées remonte à 2003. Dominique Cordellier, conservateur au Musée du Louvre, travaillait alors au projet d'une rétrospective de l'oeuvre de Primatice. Connaissant les affinités de François Rouan avec l'Italie (il fit à Rome un long séjour à la Villa Médicis) il lui demanda d'accompagner ce projet d'un dialogue artistique avec le peintre italien.
Les oeuvres présentées actuellement chez Fournier résultent de ce travail et s'intitulent, pour les peintures, "Di sotto in su", expression qui désigne les figures divines vues de dessous au plafond des églises et des palais, pour les travaux photographiques "Sempervirens" qui signifie "toujours verdoyant" (photo 1) comme certaines plantes qui ignorent les saisons et comme l'oeuvre de Primatice qui ignore le temps.
Une vingtaine d'oeuvres donc, de dimensions presque indentiques courent autour de la galerie, ne laissant à l'oeil nul repos, stimulant l'imaginaire, suscitant des rapprochements, provoquant le désir de distinguer les étapes du precessus de réalisation. Peut-être requièrent-elles un regard attentif proche de celui que Rouan a lui-même porté sur l'oeuvre d'un autre par delà les siècles.
Au vocabulaire maniériste du peintre fondateur de l'école de Fontainebleau qu'il connaît bien, François Rouan répond en connivence, mais à sa manière.
La variété du matériel utilisé complexifie à l'extrême le résultat. Photos tirées sur papier ou sur transparents, dessins, peintures à la cire, empreintes sont soigneusement découpés en bandes, souvent mélangées, puis tressées pour former des oeuvres qui dépassent rarement 50 sur 60 cm. (photo 2) Souvent retouchées à la main elles peuvent être tamponnées d'empreintes corporelles de couleur légère et poudrée.
Les allusions, les citations à la manière des peintres du XVIème, ne manquent pas. On pense à Dufy (photo 3) pour la légèreté et la délicatesse du trait et l'art d'assembler des couleurs tendres. Les formes proliférantes sujettes à perpétuelle métamorphose et l'érotisme diffus ou affiché qui parcours tout ce travail évoquent André Masson (photo 3) et ses dessins automatiques.
Les attributs du corps féminin photographiés ou tamponnés sont présents partout. Dans une petite peinture (photo 4) seins, ventre, sexe imprimés en rose bonbon, gouaché de blanc, bordé de bleu, recouvent à deux reprises un fond doré orné de volutes délicates ; les anthropométries de Klein revisitées à la facon maniériste ? Une empreinte violacée qui pourrait être un sexe de femme (photo 4) obstrue un autre dessin (photo 5) où s'accumulent corps et membres féminins, statue d'homme, colonnes à l'antique ; hommage à Courbet et à son "Origine du monde" ou aux amours des dieux si souvent représentés aux plafonds de Fontainebleau ?
Ce morcellement de l'image serait-il une allusion à la déformation des corps et à l'espace désuni, caractéristiques bien maniéristes ?
La présente charnelle des empreintes qui déposent une lumière poudreuse sur les fonds est renforcée par la beautée des couleurs utilisées : le rose fardé, le mauve tendre le disputent au vert frais, au bleu violet, au jaune lumineux.
En faisant resurgir à sa manière la sophistication extrême de l'art du Primatice et du maniérisme François Rouan pratique, semble-t-il, l'art de l'art.
Le résultat procure au spectateur une jubilation et un plaisir dont on aurait tort de se priver.
François ROUAN, "Sempervirens", Galerie Jean FOURNIER, 22 rue du Bac, 75007-Paris. Tél : 01 42 97 44 00. Jusqu'au 16 mai 2009.
Commentaires
Idée très intéressante, j'apprécie votre style. C'est mon tout premier commentaire ici et je reviendrai avec plaisir sur votre blog !
A propos d'un entretien de Laure Adler avec François Rouan, note du 17. 05. 2011, suivi de : Rêve ouvert à Jacques Lacan, par delà... - "Une valeur sûre", François Rouan, La cause Freudienne n° 59,note du 20. 09. 2012.
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