Marie Morel (par Régine)
Le nom même de Marie Morel m'était totalement inconnu lorsqu'un proche m'a persuadée d'aller voir son exposition à la Halle Saint Pierre à Montmartre. J'aime ce lieu, je m'y suis donc rendue avec plaisir et aucun a priori.
L'originalité, la vérité, l'impudeur, la minutie et la beauté de ce travail m'ont sidérée. N'est-ce pas jubilatoire de découvrir une oeuvre totalement cohérente et belle ?
La plupart des tableaux exposés sont grands, ce qui m'a incitée à les regarder d'abord de loin ; l'harmonie de leur couleur presque monochrome m'a enchantée. Leur surface, rythmée et vibrante - gris perle, vert sombre, bleu océan rose mauve, rouille ou noir ténébreux - est brillante comme de l'émail (*). Séduite, je me suis approchée, la couleur s'est diversifiée, puis, comme sous l'effet d'une loupe, j'ai découvert un monde insoupçonné, tout bruissant de mille motifs : oiseaux, arbres, femmes... Je me suis rapprochée encore et j'ai constaté que le thème choisi était répété à l'infini avec une minutie, une profusion de détails impossible à énumérer de façon exhaustive et une variété inépuisable de matériaux. L'encombrement était extrême - Pas de centre pour drainer mon regard, tous les morceaux des tableaux ayant une importance égale, je cheminais à ma guise devant leur surface -.
On se sent une âme d'entomologiste pour explorer ce monde grouillant de mille tableautins, d'oiseaux, d'arbres ou de tout autre thème décliné à satiété, eux-mêmes plongés dans un environnement fait d'une multitude de petites choses. Tous ces motifs s'agrègent en foule : l'oiseau est en horde, l'arbre en forêt, les femmes en habitantes d'une immence cité qui fait penser à la photo qu'Andreas Gursky a prise de la barre Montparnasse, et ainsi de suite... Lorsqu'on s'étonne de cette incroyable minutie, elle répond : "Il n'y a qu'à regarder la vie. Cela parait étonnant aux gens quand ils voient mes tableaux, alors qu'ils sont dans leur vie constamment devant l'infini. L'infini petit et l'infini grand. Et chaque chose que l'on regarde est ainsi" (1).
Dans cet univers foisonnant l'artiste intègre des petites phrases toutes simples, autant de commentaires, questions ou devises. Elles s'échappent des becs des oiseaux, commentent le contenu de petites cases, soulignent l'attitude des femmes... Ce sont par exemple : "Linvisible se cache dans le visible". Ma pensée reste le centre du monde. Pourquoi la vie ? Je crois en la nature. Que de morts hantent ma vie. La mort guette. Le délice de tes baisers Le mur du désir, etc...". Ce n'est pas tant leur contenu qui est important, que le fait qu'elles contribuent à l'animation de l'ensemble.
Chaque oeuvre, dont le titre est toujours explicite, se construit sur un thème donné : la nature, la femme, les oiseaux, l'amour, la jouissance, la mort et la disparition. La vie y circule avec fièvre et c'est elle qui, à travers ces thèmes, passionne Marie Morel. La femme est au coeur de cette création. Elle est toujours représentée de face, nue, seins rebondis et vulve offerte ; l'homme est souvent réduit son appareil génital. Aucune convenance n'entrave son imaginaire. On sent que l'artiste ne peint que ce qu'elle a physiquement resenti et devant chaque tableau on assiste à la recréation d'une émotion "Il faut, dit-elle, re re-sentir cette sensation première... pour arriver à la traduire dans un espace peint avec ses couleurs, ses rythmes, ses mystères" (1)
Cette sensation elle la recrée à l'aide de la couleur bien sûr, mais aussi d'une multitude de petits objets glanés ici ou là : cordelettes, perles, plumes, bâtonnets, dentelles, autant de reliques qui, incrustées dans la peinture sont transfigurées et créent une captivante animation. Avec cette attention aux toutes petites choses, l'artiste nous fait pénétrer dans une réalité qui trop souvent nous échappe.
Une longue toile m'a particulièrement bouleversée. Elle s'intitude "La Shoah". Elle mesure 6 m de long et est entièrement noire. Enfermés dans des cases, des cadavres ou des squelettes blancs, décharnés, yeux clos, bouches ouvertes sont seuls ou entassés, encerclés d'ossements, de détritus divers ; chacun comporte un léger commentaire "Les bébés aussi sont tués" ; "Les morts sont empilés", "En route vers le néant", "Qu'avez-vous fait pour les sauver ?"... Ce tableau terrible, exposé à l'écart, est comme un contrepoint à tous ceux qui, dans les autres salles, éclatent de vitalité.
Cette oeuvre, qui nécessite un travail acharné, me parait d'un sincérité absolue et je ne saurais trop vous recommander d'aller la découvrir.
(1) : Christian lux, entretien avec Marie Morel.
* P.S. : Les photos étant interdites, je vous recommande d'aller en voir la galerie des photos sur le site de Marie Morel www.mariemorel.net ou sur celui de la Halle St Pierre www.hallesaintpierre.org
Halle St Pierre, 2 rue Ronsard, 75018-Paris. Métro Anvers ou Abbesses. Tél : 01 42 58 72 89. Ouvert tous les jours de 10 à 18 h. Jusqu'au 7 mars
Commentaires
Beau travail, certes, mais terriblement morbide et nombriliste.