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Paul KLEE (par Régine)

Il est toujours passionnant, parfois enthousiasmant de revenir aux sources de notre modernité. Une exposition plutôt discrète, car les média ne s'en sont pas encore emparés, offre cette possibilité. Elle se tient à l'Orangerie et réunit un peu plus d'une cinquantaine d'oeuvres de Paul Klee appartenant au grand collectionneur suisse, Ernst Beyeler, récemment décédé. Surtout, ne vous privez pas du plaisir extrême que procure la contemplation de ces oeuvres et, par ce printemps ensoleillé, s'y ajoute celui de traverser le jardin des Tuileries et de terminer la visite par une plongée dans les salles consacrées aux Nymphéas.

L'exposition présente une sélection des étapes significatives du travail de Klee. La première réunnit quelques oeuvres des années 1914/1919, la deuxième celle de l'époque de son enseignement au Bauhaus et à l'Académie de Dusseldorf (1920-1933), la troisième, la plus importante, réunit des oeuvres plus tardives (1935-1940). Plus dramatiques, elles étaient très appréciées de E. Beyeler parce qu'elles récapitulaient, disait-il, le travail de toute une vie.

Presque toutes de petit format, souvent peintes à l'aquarelle sur un papier contrecollé sur carton, ces oeuvres défient celles des années qui vont suivre où prédomineront l'immensité de la toile, la peinture à l'huile ou à l'acrylique. Sa postérité n'en fut pas moindre, elle est manifeste chez des artistes qui chercheront à traduire les forces fondamentales de la nature, son mystère et sa poésie. Wols ou Laubiès par exemple qui eux aussi ont privilégié le papier, l'aquarelle et le petit format. Michaux et Zao Wou Ki l'ont beaucoup regardé et assimilé. Par delà l'Atlantique on est tenté d'en rapprocher le travail de Tobey toute empreinte de délicatesse et de raffinement.

Ni figurative, ni abstraite, ignorant la distinction entre réel et imaginaire, ces oeuvre entraînent le spectateur dans des territoires inconnus et cependant extrêmement évocateurs. J'en évoquerai quelques unes.

Dans "La Chapelle"klee 001.JPG (Aquarelle et détrempe blanche sur papier contrecollé sur carton, 1917, 29,7 x 20,9) (photo n°1), tout un jeu de formes proche d'une écriture, orienté dans des perspectives variées, se construit à partir d'un fragile édifice qui pourrait figurer une chapelle dans le bas du cadre et s'élève jusqu'à son extrémité supérieure. S'y promènent, comme en apesanteur, lettres et pictogrammes célestes (celui de la lune, des étoiles ou du soleil). Le rapport entre cette construction ascendante et les couleurs d'une extrême délicatesse diffuse sur cette architecture onirique une lumière transparente toute empreinte de spiritualité.

Le bleu lumineux de "Paysage du passé" klee 002.JPGde 1918 (Aquarelle et gouache sur papier contrecollé sur carton, 1918, 22,6 x 26,3) (photo n° 2), enchante les quelques arbres gouachés de blanc et le soleil jaune qui tourne dans le ciel, cercles et triangles se répondent pour entraîner le spectateur dans une rêverie éblouie.

Quand il réalise le "Lever de la lune" klee 004.JPG(crayon et aquarelle, contrecollé sur carton, 1925, 37,4 x 27) (photo 3), Klee enseigne au Bauhaus, où il insiste notamment sur la puissance de la couleur. Cette oeuvre est comme une symphonie musicale orchestrant le lever de la lune au coeur d'une nuit profonde. Le halo n'entoure pas l'astre, il est repoussé sur les bords sous forme d'un damier ocre foncé, bleu nuit avec un accent de blanc qui agence la surface ; cette partition colorée fusionne pour former un noir, oh combien mystérieux, d'où surgit le disque jaune lumineux d'une lune ronde et majestueusement présente.

A partir des années 1930, l'oeuvre de Klee devient plus tragique. "Diane"klee 006.JPG(huile sur toile, 80 x 60) (photo n°4) annonce un monde inconnu et menaçant. Sur un fond modulé de bleu et de vert, animé d'un semi de points noirs, la silhouette verte et ocre de la déesse, dessinée avec vigueur, s'avance menaçante, un pied sur une roue, cachant son visage et son corps derrière une cape et des vêtements qui virevoltent autour d'elle. A la partie supérieure une flèche, symbole de la chasseresse, accentue le dynamisme inexorable de l'ensemble.

En 1938, quand il peint "Sorcières de la forêt" klee 008.JPG(Huile sur papier contrecollé sur jute, 99 x 74) (photo n° 5), Klee, installé à Berne, a fui l'Allemagne nazi et se sait condamné par une maladie incurable. D'épais traits noirs sur un fond très coloré articulent les motifs d'un univers de sorcières. Les corps désarticulés, le masque des visages menace le spectateur. Les arabesques des traits sont comme une écriture dont la liberté est proche de la folie. L'utilisation du jute accentue le côté brutal et primitif de l'ensemble.

Enfin "Un porche"klee 010.JPG de 1939 (détrempe sur papier Ingres, contrecollée sur carton, 31,6 x 14) (photo n° 6) est une oeuvre de deuil ; entièrement grise elle est un adieu aux couleurs de la vie. Elle laisse percevoir cette porte vers l'au-delà où l'artiste va bientôt disparaître. Une forme casquée garde l'entrée d'un temple inconnu ouvrant sur le vide et sur laquelle est posé un disque blafard. Peinture totalement impressionnante qui traduit l'inconnu devant lequel se trouve confronté tout homme face à la mort.

Toutes les oeuvres exposées ont la qualité de celles dont je viens de parler. C'est une exposition exceptionnelle et il serait dommage de rater l'occasion de voir le travail d'un artiste si rarement présenté dans notre pays.

 

Paul KLEE (1879-1940), La collection d'Ernst Beyler - Musée de l'Orangerie, du 14 avril au 19 juillet 2010. Tous les jours (sauf mardi) de 9 h à 18 h.

 

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