Jean-Pierre Schneider au château de Ratilly (par Régine)
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A deux heures de voiture de Paris, le château de Ratilly, avec ses grosses tours rondes construites en pierre ocre patinée par le temps, ses douves sèches, ses spectaculaires charpentes, offre un merveilleux but de balade ou de week-end en Bourgogne, dans la région dite de "La Puisaye", si chère à Colette. Cet intérêt se trouve redoublé par la qualité des expositions qui chaque été y sont organisées et ce depuis le début des années 1960. Sur ses cimaises se sont succédés des peintres et des sculpteurs tels que Klee, Nicolas de Staël, Tapies, Tal Coat, Veira da Silva, Geneviève Asse... pour les premiers, Chillida, Calder, Etienne Martin, Germaine Richier... pour les seconds et tant d'autres encore.
Cet été y sont réunis deux artistes : le peintre Jean-Pierre Schneider et le sculpteur Geoffoy de Montpellier.
Rien de plus adapté à la peinture de J.P. Schneider que la matière brute et blanchie à la chaux des murs de ce château. En effet, très murale, la texture de ses oeuvres rappelle celle de la fresque. Jamais encadrées, elles sont accrochées telles quelles sur le mur, leurs bords laissés bruts. La trame de la toile a disparu noyée sous les couches de peinture et les couleurs assourdis semblent venir du fond du tableau.
Comme Tal Coat, l'artiste fabrique lui-même son médium et mélange ses couleurs pour faire advenir la teinte voulue. Il y a ajoute un peu de poudre de marbre pour obtenir une consistance épaisse et cet aspect mat si caractéristique de son travail. Il procède souvent par "suites", terme à connotation musicale, qu'il préfère à celui de série qui, pour lui, évoque plus l'idée de répétition que celle de développement d'un thème. L'artiste trouve généralement ses sujets dans le monde qui l'entoure, mais il se l'approprie d'une façon parfaitement personnelle. C'est le peintre qui fait advenir le motif et qui le transforme en ce qu'il veut. Le sujet n'est en fait qu'un prétexte pour laisser place à la recréation du monde par la peinture.
Citons quelques exemples : trois somptueux tableaux de la même suite, dont le titre gravé, comme souvent, à même la peinture indique le sujet : "Tirants d'eau" sont ici exposés. Dans l'un d'eux un rectangle noir, taché de rouille signifie le cargo (photo 1). Sous l'étrave son reflet miroite dans l'eau. Huit petits traits blancs sur le bord gauche de la toile marquent les jauges et dans sa partie supérieure apparaissent quelques chiffres rongés par la rouille. Le reste de l'oeuvre est occupé par un aplat d'un vert mat, extraordinairement puissant et fascinant, un océan bien inquiétant à traverser. Deux quasi-monochromes se partagent ainsi l'espace à parts égales.
Dans une autres très belle oeuvre de cette même suite, l'étrave horizontale noire et rouille du cargo se heurte à une eau grise et trouble (Photo 2). Les reflets occupent toute la partie inférieure de la toile.
Verticales ou horizontales, ces peintures éminemment silencieuses évoquent une traversée à venir. Vers quel but, quelle destination ? Quelle quête ? Nulle perspective, nul horizon en vue, le temps et l'espace sont suspendus dans l'attente de quelque chose qui va peut-être advenir dont le péril n'est pas exclu.
Le sentiment d'une traversée dont le but est inconnu est sous-jacent à nombre d'oeuvres de J.P. Schneider. Voyons ce grand tableau intitulé "Le pont Mirabeau" (photo 3) qui occupe le mur d'une grande salle de l'exposition. L'espace est opaque et gris comme envahi par le brouillard. Le temps est suspendu. A gauche l'eau est sombre et ne coule pas contrairement à ce que dit le célèbre poème d'Apollinaire. A droite, où brillent quelques reflets blancs raclés dans la peinture, elle s'éclaircit. Les arches, réduites à deux lignes courbes, l'une petite et grise, l'autre ample et blanche, après avoir rebondi sur un pilier, franchissent le fleuve à la recherche de la lumière. Difficile de ne pas soupçonner qu'il s'agit d'une quête spirituelle.
L'eau est omniprésente dans nombre de suites peintes par l'artiste ("Paestum", "Le nageur", "Chutes de mai"...) et le thème de la barque récurrent. On peut en voir ici des exemples avec deux touchants petits tableaux de la suite "Echouage". Dans l'un la barque noire occupe le centre de la toile (photo 4) et semble prisonnière d'une eau verte, matière mate, épaisse et sombre. Le temps s'est arrêté à la date gravée en haut à gauche : 6.5.10. Dans l'autre (photo 5) l'eau miroitante a la couleur du jade ; une barque (un poisson ?) aux contours mal définis, à la couleur oscillant entre le noir et le bleu foncé, tente d'esquisser un mouvement de bas en haut. Tout est indécis dans cette oeuvre délicate et émouvante.
La toile de la série des "Hautes terres" montrée dans la première salle de l'exposition affirme la souveraineté de la peinture (photo 6). Combien de couches de couleurs a-t-il fallu appliquer pour arriver à ce tressage de vert, de brun, de noir, de gris et à donner ce sentiment d'enfouissement entre ciel et terre. Une phrase d'André du Bouchet, difficilement lisible, est inscrite dans la chair de la peinture. En effet, si dans le choix de ses sujets l'artiste fait souvent référence à l'histoire de l'art : notamment à Paestum (avec la suite "Le nageur", Manet avec la suite "La servante"), Rodin (avec la série "Pierre de Wissant", etc...) il aime aussi citer les poètes et les auteurs qui lui sont chers (René Char, André du Bouchet, Marguerite Duras,...) Pour lui comme pour Twombly les mots, les lettres, les chiffres sont des dessins qui font entièrement partie du tableau.
Bien d'autres oeuvres que celles ici citées sont à découvrir au cours de la visite tel ce tableau abstrait tout en nuances de gris qui n'est qu'espace, ou la série des "Bols" aux somptueuses couleurs. Vides, isolés, peints en contre-plongée, ils occupent le centre de la toile, comme en attente d'une offrande. Dans le travail de J.P. Schneider jamais le sujet ne prend le dessus de la peinture, celle-ci règne en maître, mais elle possède un pouvoir d'évocation propre qui fait résonner en nous nombre d'échos.
La forte présence des sculptures de Geoffroy de Montpellier n'enlève rien à celle des oeuvres de J.P. Schneider. Le matériau utilisé par ce sculpteur est la roche dont il tient à conserver la forme brute donnée par la nature. Par un lent travail de polissage et de sablage des parties non préservées il installe un climat de perfection et de beauté voulue qui contraste avec la splendeur révélée des parties originelles laissées brutes. L'immense et pesante sculpture posée dans la première salle d'exposition en fournit un magnifique et stupéfiant exemple (photo 7).
Jean-Pierre SCHNEIDER, peintures, Geoffroy de MONTPELLIER, sculptures - Château de Ratilly - 89520-Treigny (Yonne). 03 86 74 79 54 - www.chateauderatilly.fr. Jusqu'au 3 novembre
La galerie parisienne qui représente J.P. Schneider est la Galerie Michèle et Odile Aitouares -14 rue de Seine, 75006-Paris (o1 43 26 53 09)