Jean Paul MARCHESCHI à Bastia (par Sylvie)
Dans son dernier billet Régine vous a parlé du travail tout en finesse de Patrick NEU qu'elle a vu au Palais de Tokyo à Paris. Parmi les expositions de l'été figure celle d'un autre artiste, Jean Paul MARCHESCHI, inspiré lui aussi par le noir de fumée. Son registre est différent et se mêle à d'autres techniques plus classiques, mais il poursuit la même fascination pour ce médium à transparence brumeuse né de sa découverte du volcan Stromboli en 1984. Si Neu retire du noir au profit d'une image claire, Marcheschi crée une image avec ce noir.
Jean Paul Marcheschi est corse, de Bastia où il est né en 1951 et sa ville lui rend hommage au Palais des Gouverneurs, un lieu chargé d'histoire qui offre une déambulation mystérieuse à travers salles hautes, cachots et fortifications. Peintures et sculptures, réalisées spécialement pour cet endroit, se déploient en un parcours poétique et sombre, tout empreint du monde de la Divine comédie de Dante.
Pour aller ainsi des ténèbres vers la lumière, le visiteur est accueilli par une oeuvre photographique en noir et blanc de grand format, un mur de visages qui en appelle à la fois à la diversité des êtres humains , à leur uniformité dans la masse, et, comme dans les assemblages de Christian Boltanski, à la mémoire et à l'oubli. C'est une bonne introduction à l'univers hors du temps des oeuvres suivantes de l' artiste qui a, depuis le début des années 80, troqué le pinceau pour le flambeau et la couleur pour la suie, la cire et le noir de fumée. Voici quelques exemples où matière et lumière nous confrontent aux âmes errantes, aux gouffres et aux astres nés de son imaginaires.
L'homme clair, suie sur plexiglass, installe une figure debout impalpable, aux contours flous, née de la superposition des plaques transparentes irrégulièrement peintes à la suie. Un homme fantôme en quelque sorte. (photo 1)
Le lac du sommeil et de l'oubli. Encre, pastels, cire, suie, sur papier marouflé sur toile. Marcheschi ne se suffit pas du noir de fumée. Il y introduit divers médiums qui en changent l'effet comme si une cuisine différente était nécessaire à chaque sujet. Serait-ce la solitude humaine, fixée dans le déterminisme graphique que forment les multiples feuillets de cette composition onirique de lac où vont se perdre les âmes ? (photo 2)
Sanglier II (Hommage à Fautrier). Encres, mèches, huile, gouache, fusain, cire, suie, sur papier marouflé sur toile. Rare exception, une introduction de la couleur propre à symboliser, peut-être, la chair, animale ou humaine, leurs souffrances jusqu'au martyr, et les tempêtes intérieures.(photo 3). D'une grande culture, l'artiste est autant bon connaisseur de la peinture que bon écrivain. Il a en particulier publié des ouvrages sur Piero della Francesca et sur Goya.
Sur un conte de la lune vague (hommage à Mizoguchi). Nombreuses sont donc les références culturelles de Marcheschi, littérature, peinture ou, comme ici, le cinéma. Cette Installation avec sculpture, vélum rétroacté, encre, cire, suie sur papier, drap noir est une évocation nocturne astrale, comme un espoir vers la lumière. (photo 4)
Oracle du bélier. Encre, pastels, cire, suie sur papier marouflé sur toile. Autre assemblage de feuilles calligraphiées - le journal de l'artiste -où écritures et dessins transparaissent sous les traits de pinceau de feu. (photo 5)
Ceux qui n'auront pu se rendre à Bastia devront, à l'automne 2016, courir au musée Rodin à Paris : une exposition d'envergure de cet artiste y est programmée.
"Abîmes, Abysses" de Jean Paul Marcheschi, Palais des Gouverneurs à Bastia, Haute Corse, jusqu'au 4 octobre 2015.