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décrypt'art - Page 6

  • Pierre Buraglio "Memento 91" par Régine

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    Les jours passent et le confinement continue... Que faire pendant ces longues heures où le soleil vous invite à la balade... un besoin impérieux de secouer mes méninges et de ne pas laisser mon esprit vagabonder à vide me pousse à trouver un objet d'étude, pourquoi pas (comme l'a fait Sylvie avec une oeuvre de Tinguely) l'examen minutieux d'une des oeuvres accrochées sur les murs de mon living. Après quelques hésitations je jette mon dévolu sur une oeuvre de Pierre Buraglio achetée sur un coup de foudre il y a plus de 20 ans. Il s'agit d'une sérigraphie tirée sur Rhodoïd intitulée "Memento 91" (cf : www.pierreburaglio.com). Savoir pourquoi cette oeuvre me plait au point de ne pas arriver à la décrocher du mur pour la remplacer par une autre et pourquoi elle continue de provoquer en moi de l'émotion, voilà l'exercice de réflexion auquel je me suis attelée et que je vous livre tel quel.

    Pierre Buraglio est un artiste qui utilise rarement pinceaux et couleurs, mais le plus souvent glane des éléments issus de la vie de tous les jours, auxquels il trouve des qualités plastiques, et qu'il assemble avec soin. Pour cette oeuvre intitulée "Memento 91" il a détachée 9 pages de son agenda 1989 sur lesquelles il avait à l'époque biffé au stabilo noir les obligations et les rendez-vous au fur et à mesure de leur accomplissement. Il les a agencées horizontalement et verticalement par trois de façon à ce que leurs jointures forment des colonnes qui rythment l'ensemble. Le regard vagabonde mais s'arrête sur la petite phrase inscrite au centre en lettres bleues "NOW"'S THE TIME" référence à un air fameux de Charly Parker. Mots qui résonnent particulièrement en cette période de confinement où on aspire à s'entendre dire "Now's is time to leave the house...". Mais cette phrase peut aussi signifier : maintenant est le temps des choses sérieuses.

    Cependant en "caviardant" ces pages au point d'en rendre les inscriptions illisibles, l'artiste en a effacé tout caractère anecdotique. On est au delà du personnel. Il s'agit d'évoquer le déroulement du temps non le passé ou le souvenir mais le passage de la vie. Le temps a laissé ses marques mais n'est pas mesuré. Il est passé et on n'en sait pas plus. Il montre ce que tisse notre vie quotidienne.

    Les diverses orientations des traits de caviardage font palpiter l'ensemble de l'oeuvre et lui insuffle une vibration. Malgré le temps enfui, la vie a été là et beaucoup de choses ont pu avoir lieu.

    Cette évocation est rendue encore plus précise par ce tirage fait sur rhodoïd transparent. En effet les biffures apparaissent en noir sur un fond invisible mais dont on soupçonne la présence. Par cette façon de procéder l'artiste nous fait éprouver simultanément, sur une même surface, deux sensations différentes : l'une le fond transparent, celle d'un contenant aérien sans commencement ni fin, l'autre les rendez-vous noircis, celle d'une évolution, d'un devenir temporel.

    Le titre d'un morceau de Charly Parker "Now"s is time", allusion au jazz dont Pierre Buraglio est un fin connaisseur, les orientations variées des traits de caviardage, les colonnes formées par les jointures des pages, insufflent rythme et pulsation à l'ensemble. Malgré le temps enfui, la vie a été là et beaucoup de choses ont pu avoir lieu. Le bas de l'oeuvre laissé vide de toute inscription sur une certaine hauteur indique-t-il que rien n'est inscrit d'avance et que la vie peut continuer ?

    En regardant cette oeuvre, on pourrait penser qu'il s'agit d'un ready made, et ne voir que des feuilles d'un agenda périmé en un certain ordre assemblé, or curieusement il n'en est rien. Sorties de leur contexte, ces quelques pages ont perdu leur usage et tout le travail de l'artiste a consisté à jouer sur cette contradiction. Non, nous ne sommes pas dans l'univers de Duchamp. Affranchies de leur contexte, ces feuilles d'agenda ont été réactivées dans un nouveau registre. Elles restent reconnaissables certes, mais elles sont comme vidées de leur matérialité et la spectatrice que je suis se trouve prise dans un espace bien particulier situé dans un entre deux.

    Cette tension entre la transparence du support et le caviardage en noir des notes inscrites sur l'agenda, entre l'immatérialité du temps et le poids des choses passées, effacées et présentes, fugaces et pesantes, entre l'espace et le temps, me saisissent encore 20 ans après mon achat.

  • Jean Tinguely (par Sylvie).

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    Etre confiné peut avoir du bon.

    En levant la tête du livre en lecture, l'imbroglio du tableau sur le mur en face me saute aux yeux. Je me rends compte de ce que l'habitude anihile toute capacité d'examen. On ne fait plus attention. Puisque confinement il y a, le moment est propice à y remédier, par exemple devant cette oeuvre de Jean Tinguely  (1925-1991), multicolore et dansante. Peu importe qu'elle ne soit qu'une reproduction sur papier.

    20200326_150548 (1).jpg

    Devant le désordre apparent de la composition abstraite je découvre tout à coup les structures et la rationalité de ce qui, au premier regard, n'a pas de logique : des cercles, comme jetés sur la toile, les uns pâles, les autres soutenus, deux grands à gauche, cinq autres de taille variable à droite; de larges traits impératifs de part et d'autre ; de minces traits en escalier vers le haut ou vers le bas, en diagonale ; d'autres en échelle verticale plus ou moins centrés... autant d'esquisses de montées et de descentes. Voilà, à peu près, pour les lignes, ce qui ressort en clignant des yeux. Allez comprendre quelque chose !

    La couleur crépite dans une gamme de primaires : le chaud et le froid se côtoient, se mélangent. De l' épicentre, un aplat de jaune, rouge et bleu - couleurs dominantes de l'oeuvre -  se déploie en arc de cercles,  comme un bouquet, un feu d'artifice ou un spectacle de jongleur, précédés et suivis d'un trait bleu directif. Tiens, voilà encore de gros traits, barbouillés de brun au centre, qui s'entrecroisent comme des baguettes de Mikado, accentuant par leur orientation, le mouvement tournant général.      

    Rien ici n'est statique. Ce n'est pas surprenant de la part de Tinguely dont on se rappellera l'appartenance aux mouvements des années 60, l'art cinétique et les Nouveaux Réalistes.

    Une ligne de contour clôt l'image tout en ménageant des portes ouvertes : tantôt, elle suit le bord de la toile, bloquant le regard en haut puis s'échappe en zigzag à droite. et se prolonge jusqu'en bas en un trait rouge vertical, une vraie barrière ! Signe qu'elle participe également de son mouvement interne, elle s'évanouit alors en une écriture-signature de moins en moins lisible mais explicative : "Meta maxi pénétrable transversable, Alu Fer, bois, totalement...1987 van Roll Jean Tinguely " Ce n'est pas , à proprement parlé, un titre mais sans doute une sorte de mémo pour une sculpture passée ou à venir dont l'artiste a le secret et qui mêle toutes sortes de matériaux du quotidien animés par une machinerie complexe. Tinguely est le premier artiste a avoir introduit le mouvement dans la sculpture, une manière de s'approprier le réel.

    Au delà de l'explosion de couleurs et de lignes, c'est toute une histoire de liberté, de dynamique, de jeu et de poésie, qui émane de ce tableau, des thématiques qu'il est toujours bon d'avoir en tête, et aujourd'hui plus qu'hier. 

    Passé le confinement, allez au chevet de Beaubourg, voir la malicieuse agitation de la fontaine, oeuvre du couple Jean Tinguely- Niki de Saint Phalle. D'ici là laissez vous porter, comme moi, chez vous, par  le tohubohu d'une oeuvre, celle là ou une autre..

     
     
     
     
  • Unica Zürn (par Régine)

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    Le MAHHSA (Musée d'Art et d'Histoire de l'Hôpital Sainte Anne) ne paie pas de mine. Situé dans l'enceinte de l'hôpital, non loin de l'entrée, on y accède en descendant un escalier, légère sensation de se rendre dans un lieu de relégation. Cette première impression se dissipe rapidement en entrant dans les salles d'expositions, voûtées, vastes, bien éclairées et dans lesquelles la très belle exposition d'Unica Zürn se déploie.

    D'Unica Zürn je savais peu de choses sauf qu'elle était allemande et avait été la compagne d'Hans Bellmer. Je ne connaissais pas ou très peu sa fascinante oeuvre graphique, ses écrits et la multitude d'anagrammes qu'elle avait composées. Cette exposition fut donc une révélation et un choc.

    J'appris donc qu'elle était née à Berlin en 1916 et s'était donnée la mort à Paris en 1970. Femme à la vie tourmentée et à la fin tragique, elle rencontre Bellmer en 1953, quitte mari et enfants pour le suivre à Paris. Elle y rencontre les artistes surréalistes : Jean Arp, Max Ernst, Man Ray, Marcel Duchamp... et les écrivains : André Breton, Mandiargues et surtout Henri Michaux. Elle découvre le surréalisme, l'écriture et le dessin automatique. Mais si son oeuvre est influencée par cet environnement et par le travail de son compagnon elle est éminemment personnelle. Très fragile elle fréquenta à plusieurs reprises hôpitaux et cliniques psychiatriques, notamment l'hôpital Ste Anne (où elle séjourna du 26/09/61 au 23/03/63). Poignante, pathétique, tragique, son oeuvre graphique traduit une douleur psychique aussi bouleversante, bien que très différente dans son expression, que celle d'Artaud.

    Rêve et réalité se confondent dans l'esprit d'Unica Zürn et cette confusion lui permet, en laissant libre cours à son imaginaire, de dessiner, non le monde extérieur, mais son univers mental. Les dessins ici exposés recouvrent une période qui va de 1955 à 1966, soit environ une dizaine d'années et permettent de repérer les caractéristiques qu'on retrouve dans toutes son oeuvre et qui la rendent si fascinante.

    Regardons par exemple ce dessin de 1955 (photo 1)IMG_20200304_0002.tif.jpg. Comme nombre d'autres il est dessiné à l'encre de Chine noire avec une minutie et un foisonnement de détails qui obligent à le regarder de près. Le visage et le corps de ce personnage mi animal mi humain sont partagés en leur milieu par une suture au petit point serré. Ses yeux sont fixes et inquiétants, son abdomen est celui d'un gros insecte mais des manches bouffantes cachent ses bras, de l'une sort une main couverte d'écailles avec de longs doigts très effilés et chevelus aux extrémités. Tout un réseau de filaments, tel celui d'une toile d'araignée dans laquelle seraient retenus prisonniers de tout petits insectes, enserre ce personnage. Un jus de gouache blanche exalte cet être si insolite. IMG_20200304_0003.tif.jpgDans un autre dessin de la même année, plusieurs insectes flottent dans la page (photo 2). Ils sont aussi dessinés à l'encre de Chine avec la même minutie et délicatesse de trait. Leurs pattes se prolongent en longs filaments et un jus brun, blanc par endroits, colore l'ensemble.

    Cette minutie, cette attention aux textures, ces êtres hétéroclites, ces réseaux de filaments qui emprisonnent, se retrouvent dans bien d'autres oeuvres, notamment dans celle de 1957 ici représentée (photo 3la raie.jpg). C'est un poisson, oh combien inquiétant qui occupe tout l'espace. Cette oeuvre exécutée sur fond noir à la gouache et au pastel est d'une délicatesse infinie de trait et de couleur. L'animal, sans doute une raie, malgré son désir fou d'avancer, en est empêchée par tous les filaments qui l'enserrent et qu'il traîne derrière lui ainsi que par le monstre au doigt crochu qui le guette. IMG_20200304_0004.tif.jpgDernier exemple avec ce dessin de 1960 exécuté à l'encre rehaussée d'aquarelle et de gouache (photo 4). La tête d'un monstre émerge de la feuille et l'occupe toute entière. De son nez ou de sa bouche s'échappent de fins serpents mais ses yeux rougis implorent l'indicible.

    Les yeux sont partout dans l'oeuvre d'Unica Zürn. Il se cachent dans les moindres replis de ses animaux fantastiques. Dans les dessins à tendance orientale de 1967 qui forment le recueil d'eaux fortes de l'ouvrage intitulé "Oracles et spectacles" des grappes de visages aux grands yeux évoluent et se déforment avec souplesse sous notre regard IMG_20200304_0007.tif.jpg(photo 5). Yeux multiples, formes ondoyantes et indéterminées, visages monstrueux, le réel est devenu inconsistant et en perpétuel mutation. Voyez encore ce dessins de 1965 (photo 6)IMG_20200304_0008.tif.jpg, légèrement coloré à l'aquarelle, le personnage a deux visages, sorte de Janus mélancolique. Sa chevelure magnifique et flamboyante rappelle les coiffures sophistiqués des danseuses qui ornent les temples d'Anghor, mais dans celle-ci ondulent plumes et serpents. Le personnage est pourvu de plusieurs yeux, nez et bouches. De son coup surgissent des serpents munis d'une multitudes d'yeux ou de vulves, on ne sait pas trop.

    Ces caractéristiques se retrouvent aussi dans des oeuvres plus apaisées mais fantomatiques, telles ces deux petits huiles de 1956 qui entraînent dans des lieux enchantés d'une grande fragilitéIMG_20200304_0006.tif.jpgIMG_20200304_0005.tif.jpg (photos 7 et 8). Le dessin de l'une est exécuté d'un impalpable trait blanc sur fond noir, sorte d'exquis palais de cristal qu'un rien pourrait faire disparaître. L'autre, tout aussi délicat, dessiné finement à l'encre rouge, se dresse dans un halo de couleur jaune et bleu. De la première s'envole un papillon laissant derrière lui une vibrante traînée lumineuse, et sur le flanc de l'autre pousse une rose noire. Wols et Klee ne sont pas loin.

    De plus Unica Zürn n'a pas seulement dessiné, elle a aussi écrit plusieurs livres dont "L'homme jasmin", "Sombre printemps", "Vacances à Maison blanche" et composé des multitudes d'anagrammes qu'elle incluait parfois dans ses dessins. Quand on sait qu'une anagramme consiste à inverser ou à permuter les lettres d'un mot ou d'un groupe de mots pour en extraire un sens ou un mot nouveau on saisit le lien qui réunit ces deux formes d'expression. Les phrases comme les êtres peuvent changer de formes, prendre d'autres significations.

    Pour Unica Zürn, comme pour Gérard de Nerval ou Antonin Artaud, il n'y a pas de différence entre le réel, le rêve ou le délire. Ils créent pour sonder leur propre univers et aussi étrange que cela puisse paraître ils nous touchent profondément, on sent bien qu'ils nous parlent aussi de nous-même.

    Unica Zürn - MAHHSA - Hôpital Ste Anne, 1 rue Cabanis, 75014-Paris. Ouvert du mercredi au dimanche inclus de 14 h à 19 h. Exposition jusqu'au 31 mai 2020.

     

     

     

  • Blanc sur blanc (par Sylvie).

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    Merci à l'actualité artistique qui nous permet de réviser nos connaissances sur un artiste, un mouvement, une époque. Pour quelques petites semaines encore, la galerie Gagosian propose un panorama d'oeuvres contemporaines sur le thème du blanc qui montre à quel point celle qui fut considérée comme une non-couleur a prouvé sa force d'expression quel que soit le médium utilisé. Si en 1910, Malevitch a révolutionné le monde de l'art avec son "Carré blanc sur fond blanc", peu d'artistes se sont autant consacré au blanc que l'américain Robert Ryman mais nombreux sont ceux qui l'ont exploré, ont questionné la puissance d'expression de ce mystère ouvert à toutes sortes d'interprétations. Entre image parfaite, absolue ou vide, le blanc est à coup sûr un embrayeur d'imaginaire. La preuve par quelques oeuvres ici présentes.

    20200214_151342(1)(1).jpgDès l'entrée, le tableau de Giuseppe Penone saisit par sa brutalité première. "Pelle del monte", (2012, marbre de Carrare). Sous la blancheur froide et lisse du marbre griffé comme une peau, apparait la planche d'agglo brut, telle la chair blessée de l'arbre dont il est issu. En travaillant avec des éléments naturels, Penone, italien né en 1947, associé à l'Arte povera, mène une réflexion sur la relation entre nature et culture, entre corps et oeuvre, entre voir et toucher et nous met sous les yeux une étrange, un peu inquiétante beauté, sensuelle et poétique (photo 1).

    20200214_151459(1).jpgEn pénétrant plus avant, on est ébloui par l'oeuvre de Sheila Hicks. "Le fleuve blanc" (2018, en lin), s'inscrit dans la cage blanche de l'escalier de la galerie. Quelle majesté ! Cette colonne aux impressionnantes dimensions, s'intègre magistralement à l'architecture des lieux. Le tombé en volutes naturelles des fils de lin, à la fois souples et pesants, s'apparente, dans sa blancheur légèrement cassée, aussi bien à une liane qu'à une sculpture minérale. Sheila Hicks, américaine née en 1934, se destinait à la peinture quand elle a découvert les textiles du Pérou précolombien. Si toute son oeuvre est imprégnée du multicolorisme de cette civilisation, elle est aussi profondément ancrée dans la richesse des textures elle-mêmes. La couleur naturelle de ces écheveaux capte la lumière et met l'accent sur le relief et la volumétrie (2).

    Après la quiétude de la demi-teinte, la violence du blanc cisaillé de Lucio Fontana, artiste italo-20200214_151119(1).jpgargentin né en 1899, secoue un peu.: "Concetto spaziale, Attese", (1966, peinture à l'eau sur tissus). En rupture avec la gestualité informelle, Fontana a choisi, dès 1957, le geste net, purifié, central, qui va à l'essentiel et implique une concentration maximale. Monochrome fendu à connotation érotique, ce concept spatiale "Attente" peut également se lire comme image de l'infini. Le blanc n'y est pas pour rien. Il fait d'autant mieux percevoir "la paradoxale présence de l'absence", selon la formule du critique d'art Guido Ballo (3).

    Reconnaissons au travail de Cy Twombly, peintre américain - 1928/2011 - sa poésie, même s'il 20200214_151055(1).jpgest parfois difficilement compréhensible, auréolé d'une sorte d'ésotérisme culturel. A la fois peintre, sculpteur, photographe, il a toujours attaché une grande importance au blanc, que ce soit le papier ou la toile. Et ses sculptures, dont celle-ci, "Untitled (1977, résine synthétique peinte), l'attestent. Pénétré de culture antique - il a longtemps séjourné en Italie et est mort à Rome - ses assemblages d'objets modestes sont peints en blanc en référence au marbre antique: une façon, peut-être, de donner de la noblesse à notre monde moderne (4).

    "Tabula lilas" (1982, acrylique sur toile, 240x270cm), est une oeuvre du peintre 20200214_150857(1).jpgd'origine hongroise Simon Hantaï, l'homme des pliages de la toile froissée, nouée, plongée dans des bains de couleur puis séchée et retendue sur chassis. Seules les zones pliées, restées en surface, sont peintes. Sa formule:" le pliage comme méthode" est restée emblématique. Ces exercices chromatiques participent d'un éloge de la peinture pour elle-même. Le peint et le non-peint cohabitent en une équivalence voulue mais fonctionnent selon l'environnement. Il y a du vampire dans la neutralité du blanc.  "Tabula lilas", sous la lumière, à la lisière de la peinture blanche et du support de lin blanc, laisse apparaitre une couleur de tonalité lilas. La couleur serait elle une illusion ? (5).

    20200214_150824(1).jpgC'est le plus grand des tableaux exposés. Il est là comme un coup de poing déstabilisant et néanmoins jubilatoire, avec ses larges traces blanches de brosse qui, effaçant ce qu'on devine être l'image d'une vitrine de magasin et son aura commerciale, semble vouloir le moquer et s'en débarasser.  "Avenue Montaigne # = 1" (2000, jet d'encre sur toile), est une peinture de Bertrand Lavier, artiste français né en 1949, qui joue avec les catégories, les codes, les genres, sollicitant l'oeil et l'esprit. Le geste provocateur cache, le titre ironise, le blanc se révèle oeuvre :  façon décalée de voir la réalité et de poser la question: qu'est-ce que la peinture ? (6)

    Blanc sur blanc, galerie Gagosian, 4 rue de Ponthieu 75008 Paris, jusqu'au 7 mars.

     

  • Barbara HEPWORTH (par Régine)

    Avez-vous vu l'exposition de Barbara Hepworth au Musée Rodin ? Si tel n'est pas le cas il n'est pas encore trop tard, l'exposition, étonnamment longue puisqu'elle est  en place depuis novembre, dure encore jusqu'au 22 mars et elle vaut vraiment la peine. En effet, le travail de cette grande dame de la sculpture anglaise du XXème siècle, contemporaine et amie d'Henri Moore, très connue dans son pays mais trop peu chez nous, fait depuis novembre, l'objet d'une belle exposition au Musée Rodin. L'endroit choisi n'est pas anodin. Comme le maître des lieux qui bouscula la sculpture de son époque, Barbara Hepworth fit partie de ceux qui, entre les deux guerres, ont transformé les codes de la sculpture et l'ont révolutionnée en inventant de nouvelle formes.

    L'exposition s'ouvre sur le récit de la réception, dans les années 1930, de cette artiste à Paris où elle rencontra Brancusi, Naum Gabo, Arp (dont elle sera toute sa vie très proche), Mondrian, Delaunay, Calder... autant d'artistes qui influenceront sont art. On peut y voir nombre de lettres, de Mondrian notamment, des catalogues, des photographies. IMG_7510.JPGY figure également la maquette en cuivre, cordes et base en béton "Winged figure" (figure ailée) (photo 1) dont les formes en tension et les matériaux utilisés rappellent les sculptures de Pevsner et de Gabo.

    On entre ensuite dans son atelier, reconstitution fidèle de son lieu de travail à Saint Ives en Cornouailles où elle s'installa en 1939 avec son mari, le peintre Ben Nicholson. Ses instruments de travail : maillets, ciseaux et burins, sont mis en évidence ; l'artiste n'aimait pas le modelage adopté par Rodin, mais elle pratiquera toute sa vie la taille directe éprouvant la nécessité absolue d'un corps à corps avec la matière. Le bronze apparaîtra plus tardivement dans son oeuvre lui permettant par ses qualités propres de concevoir d'autres types de formes, incurvées ou dynamiques, parfois colossales, impossible à réaliser en pierre. Dans ce même espace une belle vidéo montre nombre d'oeuvres in situ dans la nature.IMG_7517.JPG "Toute ma sculpture, dit-elle, sort du paysage : la sensation de la terre quand on marche dessus, la résistance, l'usure, les affleurements, les structures de croissance... aucune sculpture ne vit vraiment tant qu'elle ne retourne pas au paysage". Quelques beaux dessins et peintures ornent les murs. La fascinante huile sur bois de 1966 intitulée "Genesis III" (photo 2) illustre l'aspect cosmique de son oeuvre. Deux astres, l'un rouge, l'autre gris, peut-être le soleil et la lune, tournoient dans le cosmos, entraînant la galaxie qui les entoure dans un incessant mouvement.

    On pénètre enfin dans la salle où sous une belle lumière zénithale, sont exposées ses sculptures et c'est magnifique. Si ce dispositif peut déranger par la promiscuité des pièces présentées, il permet d'embrasser d'un seul coup d'oeil l'ensemble de l'oeuvre et d'en saisir la cohérence. La perfection des formes ovoïdes évoque le polissage des galets par la mer et la majesté des pierres dressées, les menhirs du passé lointain de son pays.

    Le jeu entre le vide et le plein et la diversité des matériaux utilisés démontrent eux aussi le lien que l'ensemble de l'oeuvre entretient avec les phénomènes naturels et la recherche incessante de l'artiste pour trouver le moyen le plus harmonieux possible d'habiter le monde. Plusieurs sculptures par exemple regroupent sur un même support deux, trois ou même plusieurs éléments indépendants les uns des autres. Ainsi ces deux ensembles, datés de 1935 et intitulés "3 formes" l'un est en albâtre gris IMG_7522.JPG(photo 3), l'autre en marbra blanc (photo 4)IMG_7520.JPG. Leurs formes si rondes et si polies, qu'il est difficile de résister à la tentation de les toucher, l'harmonie des couleurs des matériaux - le blanc immaculé du marbre, le gris brun de l'albâtre - la disposition des pierres sur leur base, tout concourt à créer la sérénité qui se dégage de ces oeuvres et un rapport de complicité entre les différentes formes qui les composent. J'espère, disait-elle, découvrir dans les formes sculpturales une essence absolue qui traduise la qualité des relations humaines. Plus tard, en 1952, elle prolongera cette idée en créant en marbre blanc un groupe composé de 12 formes distinctes occupant chacune une place précise les unes par rapport aux autres IMG_7534.JPG(Groupe I, Rassemblement) (Photo 5) C'est une foule qu'on serait tenté de rapprocher des "Forêts" de Giacometti réalisées, elle aussi, dans les années 1950. Très différentes par la forme et l'esprit, ces ensembles inaugurent un nouveau rapport à la sculpture. Le spectateur n'est plus le seul à dialoguer avec un unique objet mais, des échanges s'effectuant aussi entre le divers éléments qui composent la sculpture, son rapport à l'oeuvre s'en trouve modifié.

    IMG_7524.JPGLa forme ovoïde de "oval sculpture" datée de 1943, n'est pas sans rappeler celle de la muse endormie de Brancusi (photo 6). En jouant sur le vide et le plein cette sculpture offre une variété infinie de courbes dont le but est de faire jouer la lumière. Oeuvre biomorphique, proche de celles de Arp dont l'artiste s'est toujours sentie très proche. S'agirait-il ici d'un coquillage usé par le ressac de la mer ? 

    IMG_7528.JPGLes percées qu'elle taille souvent dans la pierre ou creuse dans le bronze invitent à regarder autrement le monde et ses formes dressées si intemporelles qui s'élancent vers le ciel (photo 7), qu'elles soient en pierre, en bois, en bronze, subliment le lien que Barbara Hepworth entretient avec sa région et les sculptures archaïques qui, comme à Stonehenge, pars-ment l'Angleterre.

    IMG_7513.JPGMais son grand sujet est la nature et la mer si proche d'elle à Saint Yves "Pelagos" (photo 8), qui signifie mer en grec ancien, a été exécuté en 1946 après un voyage en Grèce. Ici la lumière fait la forme. Le jeu entre le contour convexe en bois très chaud et l'intérieur concave peint en blanc, le plein et le creux évoquent le roulement de la mer. Les fils tendus donnent une dimension sonore à l'oeuvre. Elles deviennent disait-elles "la tension que je ressentais entre moi et la mer, le vent ou les collines.  IMG_7530.JPGLes volutes sinueuses de "Sea forme" de 1958 (photo 9) évoquent également une vague qui se déroule sur elle-même dans un mouvement presque sensuel tandis que la surface inégale de sa surface et la patine des couleurs le frémissement de l'eau. IMG_7541.JPGLes deux ailes incurvées de "Trevalgan" (photo 10), oeuvre monumentale de 1956 se déploient comme celles d'une raie manta.

    On n'en finirait pas de passer en revue la plupart des sculptures ici présentées, mais il faut déambuler lentement entre elles et laisser venir les associations qu'elles évoquent. Ces sculptures tout en tension et en élan, dégagent une grande sérénité et témoignent du lien puissant entre esthétique et matière.

    Barbara Hepworth - Musée Rodin, 77, rue de Varenne, 75007-Paris. Jusqu'au 22 mars 2020.

  • Philippe Cognée (par Sylvie)

    Si la végétalisation des villes est un sujet eminemment contemporain, la représentation de fleurs ne figure pas parmi les préoccupations les plus répandues parmi les artistes du moment, fussent ils abstraits ou figuratifs. On peut s'étonner lorsque l'un d'eux, après avoir représenté  des bâtiments, des routes, des meubles de cuisine, des carcasses animales, des foules anonymes ou des portraits de concitoyens, autant de sujets témoignant de notre art de vivre dans la modernité, s'en vienne à peindre des fleurs. C'est pourtant le cas de Philippe Cognée, un artiste nantais né en 1957.                 Selon une technique très éléborée, il a prouvé ses capacités à rendre mystérieusement présent l'impalpable de la vie, un flou vibrant de puissance suggestive. Partant de photos, il peint à la cire, la revêt d'un film plastique, la repasse au fer pour l'écraser, l'aplatir et en arracher quelques morceaux avec le film plastique: ce floutage du medium est devenu sa marque de fabrique.

    En 2019 il s'est penché sur les fleurs, pas les bouquets, mais des fleurs solitaires, en gros plan et grands formats qui subliment leur opulence magnétique et leur dégradation. Quelques exemples:

    "L'Amarillys rouge" 20200117_145356-1.jpgétale sa magnificence comme une vieille tragédienne sur le retour. Elle ouvre son coeur avec volupté. De ce trou noir comme une gorge émergent les larges pétales rouge sombre striées de blanc. On croit voir une langue tirée, une bouche qui vomit. Voilà de la chair humaine dirait on! La cire, lisse et brillante sous le fer à repasser, offre aux yeux la densité et le velouté d'une peau et là où elle a été arrachée, les imperfections inhérentes au vivant.

    "L'Amarrilys blanc"20200117_150030.jpg est presque animal. Un animal qui s'écroule, foudroyé. Il a perdu sa fierté, son unité. Les corolles s'éparpillent, se ratatinent ; la blancheur éblouissante vire au jaunâtre et au gris en plissés multiples comme un visage qui prend de l'âge. Les pistils tentaculaires pendent mollement. Seul reste dressé, un stigmate central rouge, comme un attribut sexuel. Attesterait'il d'un renouvellement futur ? On est loin de la tradition décorative des peintres flamands ou d'une planche de Redouté.On serait plus près des fleurs vénéneuses de l'anglais Beardesley au XIX ème siècle. Un effondrement visuel comme témoignage de la brièveté de la vie. Tout est vanité !

    "Le Tournesol"IMG_7556.JPG ne tourne pas son visage lunaire vers l'est. Il courbe sa longue tige duveteuse sous le poids de graines assemblées en son coeur et de ses pétales asséchées. Il est encore royal par les couleurs et l'exubérance de ses jupes, mais celles ci ont le tremblé de qui chancelle. Il n'y a pas d'immobilisme définitif chez Cognée, seulement de la mélancolie.

    "La Pivoine"IMG_7550.JPG. Les pétales d'une jeune pivoine forment une boule étoffée, homogène, presque douillette dans sa légèreté. Celle peinte par Cognée est une pauvre hère qui s'étiole. Ses pétales s'affaissent, se frippent - on voit ses rides - et ses couleurs changent. Telle un breuvage qui "tourne" elle se métamorphose. Certaines fleurs fanées restent en gloire, comme celle-ci., malgré tout. La touche onctueuse de la surface n'y est pas pour rien. C'est une autre forme de somptuosité. Mais qu'est-ce que la beauté ?

    Cognée a beau changer de sujet, il veut dire toujours la même chose, que le regard et la peinture évoluent avec la modernité; que le temps passe, que tout vieillit et se dégrade, nous aussi, mais que la beauté est partout, même dans sa décadence. Une oeuvre éminemment matièriste ET philosophique.

    Philippe Cognée "Carne dei fiori", galerie Templon, 28 rue du Grenier Saint Lazare? 75003, Paris. Jusqu'au 7 mars.

  • Le rêveur de la forêt au Musée Zadkine (par Régine)

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    Niché au fond d'une impasse donnant sur la rue d'Assas, le Musée Zadkine et son charmant jardin offrent un espace de liberté où la nature a repris ses droits au coeur de la ville. C'est là que l'artiste russe, dont l'oeuvre s'inscrit dans le courant du primitivisme du début du XXème siècle, poursuivit sa recherche sur la fusion de l'humain et du végétal. Ne disait-il pas "Je pense que les sculpteurs de ma générations tels que.... Archipenko, Brancusi, Lipschitz et moi-même pouvons être considérés comme les continuateurs de l'antique tradition de ces tailleurs de pierre et de bois, qui partis de la forêt, chantaient librement leurs rêves d'oiseaux fantastiques et de grands futs d'arbres". Son atelier était donc bien le lieu idéal pour organiser cette très attachante exposition intitulée "Le rêveur de la forêt".

    La forêt, monde complexe et matrice du vivant, occupe dans notre imaginaire une place à part faite de peur et d'enchantement. C'est un territoire dangereux où tout est sombre et sauvage, un univers mystérieux où se nichent les mythes. Y poussent en nombre les arbres qui relient le monde d'en haut et le monde d'en bas, où s'effectue peut-être le mélange des règnes.

    Face à la montée des préoccupations écologiques, cette exposition montre que ce thème, depuis le début du XXème siècle et jusqu'à aujourd'hui est une source inépuisable d'inspiration pour les artistes, à commencer par Zadkine lui-même. Organisée en trois chapitre "Lisière, "Genèse", Bois sacré, bois dormant", elle offre au visiteur une déambulation extrêmement stimulante.

    La lisière incarne une frontière symbolique et physique entre le monde sauvage et civilisé. Avec la série "Vendanges" (photo 1)IMG_7427.JPG,IMG_7429.JPG totems ici rassemblés au centre de la pièce, le maître des lieux a fait surgir de puissants corps de femmes de troncs d'arbres, exploitant leurs formes et leurs aspérités. "La femme à la madoline" (photo 2), dont le corps taillé dans un arbre au bois très noir, extrêmement poli et gravé d'une mandoline, acquiert une grâce pleine de féminité. IMG_7424.JPGLe lumineux tableau de Natalia Gontcharova "Forêt d'automne" (photo 3), avec ses couleurs flamboyantes et ses diagonales entrecroisées et jaillissantes, force le regard. IMG_7435.JPGEntre autres oeuvres on retrouve avec plaisir les personnages en marche d"'une "Forêt" de Giacometti (photo 4), une matériologie de Dubuffet intitulée "Chaussée boiseuse" ou un "Nu aux bras levés" de Picasso.

    IMG_7437.JPGPuis avec le chapitre "Genèse" on entre dans la forêt où tout est possible. En amalgamant les règnes les artistes ont laissé ici libre cours à leurIMG_7446.JPG imaginaire. En voici quelques exemples : exploitant les formes d'une racine d'arbre et en les peignant de couleurs vives Karel Appel fait surgir un génie à la fois humains, végétal et animal qu'il intitule "La Chouette"(photo 5), figure à la fois inquiétante et pleine d'humour. Empruntant IMG_7421.JPGà l'univers organique, les belles sculpture en plâtre lisse, d'un blanc immaculé, de Jean Arp (photo 6) évoquent une vie à la fois végétale et humaine tandis que les chimères technologiques qui combinent des formes issues des différents règnes du vivant d'Hicham Berrada envahissent les murs de la salle (photo 7). Victor Brauner, quant à lui, n'a pas hésité à réinventer la "Jungle" du Douanier Rousseau en y introduisant un monstre aux multiples IMG_7439.JPGbras faisant face à la charmeuse de serpent. La branche d'arbre remaniée par Laure Prouvost nommée "Parle Ment Branches" (photo 8) est bien impudique mais elle exhibe sa féminité IMG_7462.JPGavec grâce et élégance. Avec sa sculpture en bronze patinée intitulée "Brotes" (photo 9), Javier Perez fait surgir d'un coeur doré ce qui IMG_7456.JPGIMG_7454.JPGpourrait être aussi bien la ramure d'un cerf que celle d'un olivier. Tout ici fusionne sous le regard miroir de Penone et la garde de deux magnifiques sculptures : l'impressionnante "Chauve souris" de Germaine Richier (photo 10) et l'énigmatique "Oiseau d'or" de Brancusi (photo 11).

    IMG_7483.JPGLe troisième chapitre "Bois sacré, bois dormant" se tient dans l'atelier de travail de l'artiste. Autour de la massive statue colonne de "Daphné" de Zadkine (photo 12) se déploie tout un monde de créatures imaginaires. IMG_7470.JPGAinsi celles de Christophe Berdaguer et Marie Péjus dans la série "Arbres" (photo13) ; étranges silhouettes fantomatiques surgies de l'inconscient car réalisées en résine à partir de dessins effectués par des adultes au cours d'un test psychologique.IMG_7478.JPG Le bestiaire ambigüe de Laurie Karp est à la fois fascinant et repoussant avec "Graines de serpentes" et "Salamandres" (photo 14), elle crée, en faïence émaillée ou en porcelaine, tout un monde de créatures aquatiques et terrestres qui grouille en brouillant les frontières entre le végétal, l'animal et l'humain. IMG_7475.JPGLa "Forêt noire" en bronze patiné d'Eva Jospin (photo 15) ne fait pas naître les mêmes sensations que celles que nous éprouvons devant ses grandes oeuvres en carton mais son impénétrabilité se trouve renforcé par la rigidité du matériau.

    De Rodin à Marx Ernst, bien d'autres oeuvres concourent à évoquer ce "Bois sacré, bois dormant" "aussi touffu que celui des rêves et des peurs ancestrales" comme dit le petit catalogue qui accompagne judicieusement la visite.

    "Le rêveur de la forêt" Musée Zadkine - 100bis, rue d'Assas, 75006. (01 55 47 77 20). Ouvert tous les jours sauf lundi et certains jours fériés, jusqu'au 23 février 2020.

    IMG_7486.JPGPour rester dans le même esprit n'hésitez pas à aller, non loin de là, impasse Récamier à Sèvres-Babylone, admirer l'installation "Black Bambou" de Nils Udo. Plongé dans l'obscurité vous découvrirez au milieu d'un espace, lui seul éclairé, une couvée de gros oeufs noirs cerclée d'une forêt d'immenses bambous. Le nid, la couvée sont les thèmes de prédilection de cet artiste qui nous avait habitué à des oeuvres plus intimes. Celle-ci très spectaculaire, mérite le déplacement.

    "Black Bamboo" de Nils Udo - Fondation EDF - 6, rue Juliette Récamier, 75007-Paris. (01 40 42 35 35). Jusqu'au 2 février.

  • Charles Pollock (par Sylvie)

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    Au  seul nom de Pollock, la gestuelle explosive et multicolore, le dripping,  de Jackson (1912- 1956)  vient à l'esprit. Elle a profondément marqué la peinture américaine et l'abstraction toute entière. L'oeuvre, moins sauvage, de son frère ainé, Charles Pollock,  (1902-1988) , est demeurée longtemps ignorée. On la découvre peu à peu. La galerie Etc a le mérite d' exposer quelques unes de ses oeuvres  des années 60 qui témoignent, après des années de figuration et d'un réalisme socialiste à l'américaine, d'une abstraction tout aussi radicale que celle de son frère. Seulement voilà, Jackson était tourné vers l'extériorité, l'exubérance, le débordement, très représentatif de l'expressionnisme abstrait. Charles est tout intériorité. La preuve est bien là, sous nos yeux.

    20191027_092946-1.jpg- 2.jpgAu fond de la galerie, la toile "Untitled (Black), purple" (151,5 x 180,5), de 1961 m'a aimantée. Non pas qu'elle soit d'un format plus grand que les autres, plusieurs le sont. Mais quelque chose dans la qualité du violet,extrêmement travaillé et son rapport au noir d'une intensité profonde - et l'ample encerclement par les formes plastiques denses et effilochées, tout cela a suscité en moi une impression d'espace en creux, comme un support de méditation. Espace ouvert, simplement canalisé, dont les valeurs colorées, rabattues, statiques, semblent refléter la profondeur de l'âme humaine.(photo1)

    IMG_7405.JPGIMG_7406.JPGSur "Rome One", 1962, huile sur toile, (155 x 130) les aplats noirs s'organisent comme les signes d'une  calligraphie. Cette discipline, Charles Pollock s'en est fait une passion et l'a longtemps enseignée à l'université du Michigan. La pression de la main sur la brosse trace un plein puissant dont les franges seraient les déliés fragiles, les traces d'une incertitude . Cette écriture rappelle un peu celle de Jean Degottex à la même époque, en plus tragique. (photo 2)

    Dans "Rome Thirteen",1963, huile sur toile, (170 x 140), les taches informelles et multidirectionnelles flottent, d'autant plus que la couleur du fond est parfaitement uniforme et d'une valeur presque similaire. Tout est sur le même plan et le motif se répand, sans limites autres que celles du tableau. Deux caractéristiques du mouvement colorfield dont Clifford Still en est le peintre le plus représentatif. (photo 3)

    20191027_135143.jpg-2.jpgTrès surprenantes sont  les petites oeuvres des années 80 qui complètent l'exposition. Sont elles vraiment du même artiste ? On peut se poser la question. "Arches Painting II -11, 1981, gouache sur Arches, (76,5 x 49,5), a une volubilité joyeuse, un mouvement quasi  musical bien loin de l'immobilité des oeuvres précédentes. Couleurs pâles, signes virevoltants, fond piqueté comme un ciel étoilé.. Est-ce à dire que Paris où Charles Pollock a vécu ses dix dernières années, lui a permis d'exprimer,, loin de la peinture silencieuse des années 60, une certaine légèreté, une joie de vivre ..?

    Un catalogue, sous la signature de Maurice Benhamou, a été publié à l'occasion de l'exposition.

    Charles Pollock, galerie Etc, 28 rue Saint Claude, 75003 Paris. Jusqu'au 1er décembre.

  • Biennale de Venise 2019 (par Régine)

    IMG_3561.JPG

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    Pour la cinquième fois en dix ans, mon mari et moi arpentons les allées des Giardini et les immenses bâtiments de l'Arsenal, curieux de découvrir cette 59ème Biennale. Or elle nous laisse dubitatifs et nous semble moins enthousiasmante que celles qui l'ont précédée. Pas de chocs, ni de coups de coeur inoubliables ; des oeuvres de qualité certes, mais un sentiment de "déjà vu". L'introspection n'est définitivement plus à l'ordre du jour et les oeuvres présentées sont essentiellement tournées vers l'extérieur : les problèmes de société et une certaine exploitation de la peur de l'avenir. Le témoignage brut devient une forme d'art. Un exemple frappant en est donné à l'Arsenal où l'artiste suisse Christoph Buchel a déposé au bord du canal l'épave d'un bateau où une cinquantaine de migrants ont récemment trouvé la mort. L'art devient pièce à conviction et rend le spectateur voyeur.

    Le titre de cette Biennale "May you live in interesting times" (Puissiez vous vivre dans des temps intéressants) choisi par le curateur américain Ralph Rugoff est suffisamment vague pour permettre d'exposer un choix d'oeuvres plastiquement très diverses et provenant du monde entier.

    Un certain équilibre entre les différents médiums a été respecté : la peinture, la sculpture, la photo voisinent avec les installations, les vidéos et l'utilisation des nouvelles technologies. Ralp Rugoff s'est attaché par ailleurs à ne choisir que des artistes vivants, majoritairement féminins et venant du monde entier. Il a eu la bonne idée de présenter deux fois le même artiste : l'une aux Giardini, l'autre à l'Arsenal avec parfois des oeuvres très différentes.

    Voici le fil de notre visite dans les deux lieux, un choix parmi les oeuvres qui m'ont plu, ému ou amusé.

    Il est à noter que la majorité des africains, dont les oeuvres sont présentées ici, travaillent rarement dans leur pays d'origine, la plupart ont émigré ailleurs ou sont des afro-américains. Ainsi le peintre kenyan Michael Armitage, né à Nairobi, est installé à Londres. Il propose aux Giardini une série de petites encres croquées sur le vif IMG_3510.JPG(photo 1) au cours d'une manifestation de désobéissance civique dans son pays. Ces dessins sont d'une virtuosité et d'une vivacité confondantes. A IMG_3612.JPGl'Arsenal ce sont de grandes toiles immenses, peintes sur du lubugo, tissu d'écorce traditionnel ougandais (photo 2). S'y déploient des scènes figuratives et lyriques dont le point de départ est la luxuriance et la réalité sociale de son propre pays. Dans des couleurs extrêmement travaillées il mêle un large éventail d'images puisées dans l'histoire, les médias, les légendes et les références à l'histoire de l'art.

    La façon dont le corps de la femme noire est véhiculé par les médias occidentaux est le thème central du beau travail de la norvago-nigérienne Frida Ourapado. IMG_3482.JPGAux Giardini elle présente de magnifiques marionnettes en papier faites à partir d'images en noir et blanc découpées dans des magazines (photo 3). Leur posture est faite pour séduire et accuser à la fois le regardeur. Façon de dénoncer le pouvoir des images qui s'infiltrent dans notre inconscient. A l'Arsenal ce sont 9 écrans sur lesquels défilent de vieilles photos, des fragments de textes, des documents d'archive qui évoquent et dénoncent les représentations du peuple noir à travers les siècles.

    IMG_3535.JPGBien différents sont les beaux portraits tout en transparence de l'Arsenal des grandes toiles que le nigérian, vivant à Los Angeles, Njideka Akunyili Crosby présente aux Giardini et qui combinent aplats de couleurs, perspectives variées et collages de photos(photo 4).

    On pourrait multiplier les exemples à l'infini tels les travaux du toulousain Antoine Catala qui utilise des technologies de pointe pour des oeuvres plastiquement très différentes. Celle qui accueille le visiteur à l'entrée du pavillon central des Giardini est composée de neuf panneaux aux couleurs tendres et légèrement bombées(photo 5)IMG_3444.JPG. En les regardant attentivement on s'aperçoit qu'elles recèlent des messages faussement rassurants et que l'ondulation des surfaces liée à la dépression de l'air en change constamment le sens. La forme que prend la fascinante installation aux Giardini est totalement différente. Il s'agit de l'hologramme, impossible à photographier, d'un coeur dont le graphisme et la couleur évoluent sans cesse sons nos yeux, or nous voyons toujours qu'il s'agit d'un coeur. Façon peut-être de montrer la plasticité de l'esprit humain qui s'adapte très vite aux signes qui l'entourent.

    IMG_3488.JPGTout aussi captivante sur le plan technique est, aux Giardini, l'oeuvre du français Cyprien Gaillard. Il s'agit de la reprise sous forme d'hologramme, du tableau de 1937 de Max Ernst intitulé "L'ange du foyer" (photo 6). Sous nos yeux elle ne cesse, en boucle, de se détruire, déconstruire et reconstruire. Peut-être qu'en manipulant de cette façon  l'oeuvre si impressionnante de Max Ernst, l'artiste tente de montrer la capacité de destruction qui est au coeur de l'être humain et l'aveuglement de l'Europe devant la montée des populismes.

    Mais, au delà de la fascination technologique que ces dernières oeuvres exercent sur le spectateur, ont-elles suffisamment de force pour faire passer un message ? Rien n'est moins sûr.

    Que ce soit aux Giardini ou à l'Arsenal, les installations de la mexicaine Teresa Margolles sont des témoignages brutaux de la violence qui envahit son pays. A l'arsenal sur des grands panneaux de verre couverts de graffitis elle a affiché les portraits des femmes disparues tels qu'ils le sont dans sa ville. On les regarde au son du bruit que fait le train entre Mexico et les USA. IMG_3485.JPGAux Giardini ce sont des morceaux du mur coiffé de fils de fer barbelés qui sépare Juarez, la ville frontière entre le Mexique et les Etats-unis (photo 7).

    Mais troubler le spectateur en lui présentant des fragments de réalité sordide est-ce de l'art ? Celui-ci n'exige-t-il pas un dépassement ou un déplacement qui nous ouvre à une vision plus riche et profonde de cette réalité.

    Ce n'est pas sans plaisir mais sans surprise qu'on voit, dans les deux lieux, quelques belles toiles de Julie Mehretu (photo 8).IMG_3472.JPG Les cartes de géographie qui autrefois servaient de fond à ses tableaux ont laissé place à des images au couleurs tendres et évanescentes puisées dans les médias qu'elle recouvre de ses griffonnages ou écritures illisibles si libres et vivantes.

    Une belle découverte, celle de l'oeuvre de l'autrichienne Ulrike Müller IMG_3452.JPGqui travaille différents médiums. La subtilité et la variété des formes et des couleurs de la série de ses monotypes exposés aux Giardini nécessite une attention toute particulière (photo 9). Exécutés en superposant des pochoirs aux découpes différentes elles font naître dans l'esprit du spectateur une multitude d'images et de rapprochements. La tapisserie et les peintures sur émail aux couleurs pimpantes montrées à l'Arsenal sont réjouissantes.

    Les oeuvres de plusieurs artistes indiens retiennent l'attention, notamment la sobre et sombre installation de Shilpa Gupta à l'Arsenal  :IMG_3463.JPG un réseau de cent microphones suspendus au dessus de pupitre, diffuse, en plusieurs langues, les textes de tous les poètes emprisonnés au cours de l'histoire de l'humanité. Les visages des marginaux et noctambules photographies par Soham Gupta vous poursuivront pendant longtemps (photo 9).

    Des installation des artistes chinois Sun Yuan et Peng Yu on retiendra celle des Giardini intitulée "an't help myself". A la fois drôle et cruelle elle crée un choc (photo 10).IMG_3481.JPG Enfermée dans une cage de verre une pelleteuse commandée par un robot dont les mouvements ont été programmés se débat avec fureur et désespérance pour tenter de contenir et de ramasser un liquide couleur sang qui se répand sans cesse dans la cage. Image de la folie que peut déclencher un enfermement arbitraire et incompréhensible, ou un travail inutile et dégradant ?

    En disposant et en rapprochant de belles sculptures de matières, de formes et d'époques différentes le français Jean Luc MoulèneIMG_3594.JPG (photo 10) se pose la question de savoir ce qui se passe entre les objets quand on les rapproche. Question que l'on retrouve à plusieurs reprises tout au long de la biennale comme par exemple dans les collages de photos de l'allemande Rose Marie Trockel.

    Aux Giardini comme à l'Arsenal des oeuvres de plusieurs artistes parsèment de façon récurrente le parcours, souvent avec humour. Ainsi aux Giardini ce sont les séries "Bloom" de l'anglais Ed Astkin dont le visage a pris la place du corps velu d'une tarentule IMG_3466.JPGoccupant le creux d'une main tendue ou courant sur un pied (photo 11) et "Divorce Dump" de la roumaine IMG_3551.JPGAnda Ursata avec ses cages thoraciques humaines remplies de sacs en plastique (photo 12).IMG_3504.JPG A l'Arsenal ce sont les sculptures instables et pleine d'humour (chaises ou étagères aux pieds tordus, trop hautes ou bancales) de l'anglaise Jess Darling (photo 13), elle-même handicapée et IMG_3598.JPGcelles, proches du travail de Chamberlain, en métal froissé, tordu, bosselé et peinte de couleurs vives de la suisse Carol Bove (photo 14) ou encore IMG_3571.JPGles très belles photos d'africaines aux coiffures sophistiquées de la sud africaine Zanele Muholé (photo 15).

    IMG_3633.JPGQue signer encore parmi cette profusion d'oeuvres dont la quantité nous laisse proche de l'indigestion. Citons "Exkalation", installation apocalyptique et spectaculaire de l'allemande Alexandra Bircken où une quarantaine de mannequins en latex noir tentent sans succès d'échapper à l'apocalypse qui nous guette (photo 15) , la désespérante vidéo de Dominique Gonzales Forster ou les fragiles et très ambigües sculptures en verre d'Andréa Ursata (photo 16).IMG_3648.JPG

    Le nombre démesuré (plus de quatre vingt dix) des pavillons nationaux éparpillés autour des pavillons centraux des Giardini et de l'Arsenal et dans Venise et dont la plupart diffuse des vidéos tourne à l'absurde. dix jours ne suffiraient pas pour les voir sérieusement. J'en ferai peut-être le commentaire dans un prochain article si l'actualité parisienne ne prend pas le pas.

    Biennale de Venise 2019 aux Giardini et à l'Arsenal. Campo Castello. Ouverte du mardi au dimanche de 10 à 18 h. Fermé le 18 novembre. Jusqu'au 24 novembre.

     

     

     

  • Max WECHSLER (par Régine)

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    L'exposition de Max Wechsler à la belle et récente galerie ETC dans le Marais, rue Saint Claude, est l'une des plus intéressante de la rentrée et il serait dommage de passer à côté.

    A la fois ascétiques, ténébreuses et puissantes, d'une grande beauté plastique, les oeuvres de cet artiste sont fascinantes. Elles nécessitent de s'y arrêter longuement et de les examiner avec attention. Noires et grises, à distance elles sont presque monochromes, de près elles révèlent un travail extrêmement subtil dont le médium est difficile à déterminer. Pas d'huile, pas d'acrylique, pas de gouache, exécutées sur des supports variés, on s'aperçoit que ces oeuvres ne sont pas peintes mais faites de mots indéchiffrables ou de fragments de papiers incroyablement travaillés.

    On apprend alors que le matériel de base de ce travail énigmatique est fait de pages imprimées et déchirées, d'une photocopieuse noire et blanc, de ciseaux, de colle et de vernis. La photocopie répétée du montage de fragments de texte est la base de ce travail. Elle permet en effet toutes sortes de manipulations : de les agrandir, les réduire, d'en faire varier les contrastes, flouter les contours, inverser le positif en négatif et réciproquement. Les fragments de papier ainsi obtenus sont ensuite collés sur un support en superpositions subtiles, recouverts de jus plus ou moins sombres puis d'une couche de vernis. Libérés du sens des mots, les lettres, devenues signes plastiques, sont ainsi passées du matériau de l'écriture à une matière picturale.

    Le format des oeuvres est variable. Certaines sont très grandes telles celles accrochées sur le mur de droite dès l'entrée. Le regard s'y noie et ces tableaux à la fois vous attirent et vous tiennent à distance. Gris très clair, dans l'un les lettres s'organisent en lignes, dans l'autre elles fourmillent et se meuvent dans le vide du support (photo 1)115.jpg. "Dans les tableaux de Max Wechsler, dit Maurice Benhamou, le vide ne constitue jamais un fond sur lequel s'inscrit la lettre, tous deux sont sur le même plan et peuvent s'absorber".

    Ailleurs, telle deux stèles, se dressent deux grand formats verticaux très sombres dont la surface a des reflets de métal (photo 2)2004-Gd Dyptique noir-245x117+245x117-papiers marouflés sur contreplaqué.jpg. Impossible d'en isoler un détail. Plongée dans la colle, enduite d'un jus sombre et figée sous le vernis les milliers de débris de mots semblent fourmiller et vibrer. Comme un tissu vivant d'apparence lisse mais où les particules circulent en un incessant mouvement.

    Ici comme ailleurs nul récit linéaire. Tous ces fragments de mots se ramifient en une multitude d'ouvertures possibles et diffusent à l'ensemble une énergie qui se communique au regardeur.

    Dans un récent papier marouflé de 2019 (photo 3)xxIMG_5706.jpg, les fragments de mots et de lettres s'organisent comme dans les dessins mescaliniens d'Henri Michaux, autour d'une arrête centrale. De cette colonne vertébrale émane une lumière qui diffuse son énergie à l'ensemble sombre, mais animée de reflets mordorés.

    A l'inverse d'Opalka qui exprime l'anéantissement par un lent processus d'effacement, Max Wechsler enfouit lettres et mots et en rend la signification et l'organisation sémantique et temporelle inaccessibles. Nous sommes face à un monde englouti où tout souvenir est dissout. Comme chez Kafka, cette oeuvre interroge des vérités cachés et inaccessibles qu'on ne connaîtra jamais. Cette peinture de murmure et de retenue peut sembler aussi signifier que l'excès d'écrit tue le sens.

    Serait-elle une interrogation devant l'invisible ? Plusieurs oeuvres y font penser, notamment trois tableaux organisés comme des pages de texte légèrement voilées de blanc (photo 4) qui peuvent être vues comme celles d'un manuscrit du Moyen Age xxIMG_5698.jpgoù un glossateur aurait apposé ses commentaires de commentaires. Le magnifique polyptyque, au fond de la deuxième salle est organisé comme ceux de la Renaissance (photo 5)1994-POL5-81,5x147 papier marouflé sur contreplaqué.jpg. Dans la partie haute de chacun des 5 diptyques qui le composent sont disséminées des lettres écrasées, méconnaissables et plongées dans le noir, tandis que dans la prédelle, plus claire, les mots se sont transformées en très légères traces de lignes. Cet ensemble aux reflets argentés n'offre aucun récit. Non exempte de mysticisme c'est une oeuvre uniquement de présence.

    Max Weschler veut-il communiquer quelque chose de son rapport au langage par l'effacement du sens ? Seul l'univers plastique peut en avoir un quand l'écrit n'en porte plus. Enfant d'une famille juive, né à Berlin en 1925, il est arrivé à Paris à l'âge de 13 ans dans un pays où parler allemand était un risque mortel. Seule solution se taire. Cette expérience traumatique façonne probablement son oeuvre. La gamme des noirs et des gris cendrés évoque la disparition dans les flammes et on ne peut s'empêcher de penser qu'il s'agit d'une référence aux évènements funestes qui ont marqué son enfance.

    On serait tenté de rapprocher cet univers de rigueur, cette façon d'utiliser et de redonner une âme à des débris de celui du peintre Degottex aussi exposé dans cette galerie dont la qualité remarquable des expositions depuis son ouverture est à souligner. 

    Max Wechsler - Galerie ETC - 28, rue Saint Claude, 75003-Paris  (09 50 77 40 07). Jusqu'au 5 octobre.