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décrypt'art - Page 9

  • Bernard Moninot (par Régine)

    L'oeuvre de Bernard Moninot ne ressemble à aucune autre. C'est un dessinateur, mais non pas au sens traditionnel du terme ; son dessin n'est pas la représentation d'un objet, d'un paysage ou d'une idée, mais le résultat de son désir de capter avec des dispositifs, qu'il met lui-même au point, les forces agissantes de la nature, d'en faire le portrait en quelque sorte.

    Deux expositions lui sont actuellement consacrées, elles permettent de découvrir cet artiste hors du commun. L'une intitulée "Cadastre" a lieu à la Galerie Catherine Putman, l'autre "Chambre d'écho" a la Galerie Jean Fournier.

    L'exposition "Cadastre" chez Catherine Putman, présente différentes séries récentes : Cadastre, Ligne d'erre, Clinamen. Chez Bernard Moninot une oeuvre résulte toujours d'une autre qui lui est antérieure. Les deux première (Cadastre et Ligne d'Erre) sont donc issues d'une série plus ancienne "La mémoire du vent" dont quelques exemples sont aussi présents. Le dispositif mis en place pour la réaliser éclaire bien sa démarche ultérieure : après avoir attaché à un arbre une plaque de verre enduite de fumée, il équipe une branche avoisinante d'une tige de verre de façon à ce qu'elle vienne griffer la plaque lorsque le vent souffle et la remue. S'enregistre ainsi le mouvement du vent, son écriture dit-il.

    Ce travail a provoqué chez lui une libération du geste. En effet, laissant sa main guidée par le hasard, il a réalisé plusieurs séries comme la "Ligne d'erre" dont les dessins transcrivent le mouvement de son regard sur le paysage environnant IMG_6131.JPG(photo 1). L'oeil se balade et parallèlement la main, guidée par ce qui est scrutée, trace et déploie un entrelacs de lignes qui parcourent souvent une constellation de taches d'aquarelles légères comme des bulles. Dessins d'un vagabondage mental qui ouvre les portes de l'imaginaire. Pour la série "A la poursuite des nuages" l'artiste procède de la même façon. A l'aide d'un pinceau japonais il regarde le ciel et peint à l'aquarelle et en aveugle la course des nuages IMG_6135.JPG(photo 2). Ainsi nous fait-il sentir physiquement leur transparence, leur volume, leur moutonnement, leur mouvance et nous montre que temps et espace son indéfectiblement liés. La série "Cadastre" est née après un  séjour d'une semaine à l'observatoire de Haute Provence. En reliant par un trait très fin et aléatoire des petites taches blanches ou colorées projetées sur un papier noir il recrée sous nos yeux le scintillement des constellations de la voûte céleste IMG_6128.JPG(photo 3). La lumière fossile, celle dont on perçoit l'éclat des milliards d'année après l'extinction de l'astre qui l'a produite, le fascine. Elle l'a inspiré pour réaliser une oeuvre d'une grande beauté (photo 4)Lumiere_fossile_1_grande.jpg. Il a parsemé et collé sur un disque de plexiglass des pentacrines, fossiles en forme d'étoile datant de 200 millions d'années qu'il collecte dans le Jura, dans le vignoble de Château Chalon, et où il a un atelier. En tendant des fils entre elles il a dessiné la carte d'un ciel imaginaire rempli d'innombrables constellations. Ainsi a-t-il fait se toucher le sol et le ciel (photo 4). D'ailleurs le mot cadastre ne contient-il pas le mot astre ?

    Pour la série "Clinamen", (photo 5) IMG_6139.JPGB. Moninot a traduit visuellement ce concept de la physique épicurienne signifiant la déviation spontanée des atomes qui les fait s'entrechoquer. Il a superposé deux plans faits de soie fine et transparente constellés de taches rondes et légères qui semblent flotter. En bougeant le spectateur voit les tâches se heurter. Pour représenter la fusion optique des couleurs il procède de la même façon en superposant deux plaques de couleurs différentes et c'est le spectateur qui met en marche le processus. Bernard Moninot rend toujours le spectateur actif devant ses oeuvres.

    L'exposition "Chambre d'écho" chez Jean Fournier est le nom d'une installation autour de laquelle s'organise toute l'exposition (photo 6)IMG_6115.JPG. Devant ce dispositif, d'une infinie complexité et d'une grande élégance, on se sent aussi attiré, perplexe et interrogatif que devant le Grand verre de Duchamp ou le Modulateur de lumière de Moholy Nagy. Tout en transparence sa structure parallélépipédique contient une petite maison (la cabane) IMG_6118.JPG(photo 7) au toit de laquelle est suspendu un lustre dit sonore car un mécanisme permet d'en faire teinter les éléments. Lui fait face un rideau transparent dit "de patience" sur lequel est esquissé une montagne (photo 8)IMG_6117.JPG. Au théâtre ce terme désigne la toile tendue au fond de la scène pour cacher les éléments de décor en attente, ici il cache une série d'objets de mémoire que Moninot a accumulé avec le temps ainsi que les lettres d'une phrase de René Char "Les yeux seuls sont encore capable de pousser un cri" (photo 9)IMG_6116.JPG. Ce dispositif spatial, dont la fonction reste mystérieuse et dont la complexité et la délicatesse sont comparables à un mécanisme d'horlogerie, pourrait être la matérialisation de l'écho d'évènements anciens et oubliés qui, toute notre vie durant, se répercutent en nous et nous font tels que nous sommes. Cette longue expérience est pour lui comparable à celle de l'écho qui, en montagne, se répercute de vallée en vallée et finit par s'évanouir.

    Sur le mur qui lui fait face sont accrochés quelques aquarelles légères de montagnes bleues et enneigées sur lesquelles on devine le reflet de la chambre d'écho (photo 10)IMG_6121.JPG. Sous vitrine figurent les carnets dans lesquelles a été consigné, des années durant, le processus d'élaboration de cette machine qui semble inspirée par l'ouvrage passionnant de Frances Yates L'art de la mémoire. Les autres oeuvres de l'exposition complètent bien celles qu'on a pu voir à la Galerie Catherine Putman.

    Ainsi Bernard Moninot s'échappe-t-il de l'art traditionnel pour explorer des territoires inconnus et nous donner à voir des choses invisibles à l'oeil nu ou qui n'existe que le temps de la vision. Il ne représente pas le temps mais ces deux expositions nous montre comment il le met en action pour nous donner à voir le langage poétique et musical de la nature. L'extrême raffinement dans l'exécution de ces oeuvres ne serait-il pas l'écho de la subtilité des phénomènes qu'il perçoit de la nature. Ce travail fascinant, unique en son genre, interroge infiniment le spectateur.

    Galerie Catherine Putman - 40, rue Quincampoix, 75004-Paris. (01 45 55 23 06). Bernard Moninot "Cadastre" jusqu'au 4 Mai

    Galerie Jean Fournier - 22, rue du Bac, 75007-Paris (01 42 97 44 00) Bernard Moninot "Chambre d'écho). jusqu'au 4 Mai

     

  • Le Bal : Exposition "En suspens" (par Régine)

    Créé en 2010 par Raymond Dépardon et Diane Dufour, le Bal est un endroit unique en son genre. Niché dans une impasse de l'avenue de Clichy il occupe l'espace d'une ancienne salle de bal qui, dans les années folles, était un haut lieu de fête et de plaisir. Son but est de faire découvrir des artistes qui, par leurs travaux (photos, vidéos, installations) mettent en évidence les dysfonctionnements de notre temps.

    L'exposition actuelle, intitulée "En suspens" est saisissante et nous affecte profondément car, avec quelques oeuvres simples mais fortes, elle met en évidence la déshumanisation à l'oeuvre dans le monde actuel et pointe avec acuité ce que nous ressentons de notre époque sans pouvoir le formuler de façon claire. Pour reprendre les termes de Diane Dufour, la commissaire de cette exposition, être "en suspens" c'est "ne plus savoir où se diriger, ne pas trouver sa place, avec un statut indistinct, flou, précaire, répéter des gestes dénués de sens, de finalité". Ainsi d'oeuvre en oeuvre on observe des individus au statut indéterminé qui sont en attente d'un ailleurs, d'un changement qui se fait attendre indéfiniment.

    L'incarnation la plus criante de ces individus perdus est la figure tragique du migrant. Le long déroulé de photos de la jungle de Calais que le hollandais Henk Wildshut IMG_6013.JPGIMG_6016.JPGIMG_6012.JPGa prises à partir de 2006 (photos 1,2,3) donne à voir la lente et fatale transformation de quelques tentes de réfugiés en une véritable ville de 10.000 habitants avec restaurants, boutiques, églises, coiffeurs, etc... Elle sera entièrement démantelée en 2016 pour renaître ailleurs quelques mois plus tard, et ainsi de suite. Le "suspens" ici est celui de l'attente d'un rêve qui ne prend jamais forme celui d'une société condamnée à l'effacement.

    IMG_6003.JPGDans sa belle et provocatrice vidéo "PuddlesSebastien Stump, cet allemand né en 1980, se montre en pleine ville, allongé dans une flaque d'eau, face contre terre (photo 4) . Est-il mort, évanoui ?... Des passants déambulent sans le voir, des voitures roulent à proximité sans s'arrêter. Ce geste saisissant illustre à la fois un état de solitude et de désespérance infini, de résistance absurde à une société indifférente et trop préoccupée de ses propres problèmes.

    IMG_6024.JPGDebi Cornwall, avec "Beyond Gitmo", nous donne un exemple déchirant de cet état : se retrouver "en suspens". Cette avocate pour la défense des droits civiques nous montre le portrait de quelques détenus libérés de Guantanamo faute de preuve, qui ne peuvent rentrer dans leur propre pays, mais sont tenus de rester dans un pays tiers avec lesquels les Etats Unis ont conclu des accords secrets (Albanie, Salvador, Bermudes...) Privés de papiers, ne parlant pas la langue, morts socialement, ils errent ni libres ni enfermés, mais toujours "en suspens" d'une décision arbitraire.

    Le "suspens" est aussi celui des travailleurs palestiniens qui, pour aller travailler en Israël, sont obligés de passer par un terminal de contrôle mécanique. Pour réaliser "Eyal Checkpoint", Luc Delahaye a donc attaché une caméra au portique d'entrée du checkpoint qui enregistre chaque jour le passage de milliers de palestiniens. Ce que nous montre sa vidéo est ce flux incessant d'être humains, rythmé par le bruit que fait le portique à chaque passage, véritable armée de fantômes happée par la machinerie de contrôle et en suspens entre deux mondes.

    Dernier exemple de cette exposition parmi bien d'autres possibles, l'oeuvre de Jacques Henri Michot et son "ABC de la barbarie".IMG_6020.JPGIMG_6019.JPG Depuis 1998, cet artiste recense, avec un humour ravageur, les lieux communs du langage dominant qui conditionnent notre façon de penser, de dire, de bloquer toute discussion. Il en fait un abécédaire qui occupe tout un mur et ces multiples expressions toutes faites, dont nous berce le pouvoir, nous apparaissent subitement incroyablement creuses. "Une petite machine de guerre contre la fausse solidité bétonnée criarde calamiteuse sinistre de la parlerie à prétention consensuelle" dit l'auteur.

    Cette exposition est non seulement passionnante mais salutaire. D'oeuvre en oeuvre on se sent de plus en plus ébranlés par tous ces drames qui se jouent aux portes de chez nous et que nous avons tendance à ignorer. Des correspondances se tissent et des liens se nouent entre les différentes situations exposées ici mettant en évidence l'absurdité et la cruauté que sécrète l'instabilité politique de notre temps. Puisse Le Bal, lieu de résonance avec l'histoire en marche, continuer longtemps une programmation de cette qualité.

    Exposition "En suspens" : LE BAL - 6, impasse de la Défense, 75018-Paris. (01 44 70 75 50). Jusqu'au 13 mai .

  • Sheila HICKS (par Sylvie)

    Il fallait braver la foule du dernier jour des vacances scolaires pour aller à Beaubourg voir l'exposition Sheila Hicks, dont je connaissais déjà le travail pour l'avoir vu et apprécié maintes fois, la dernière, cet été, à Chaumont sur Loire.

    "Lignes de vie" est une sorte de rétrospective puisqu'elle va des années 50 à 2018 et montre la variété d'approche du textile conçu comme un matériau de sculpture. Un matériau de sculpture souple auquel Sheila Hicks, née en 1934 aux Etats Unis et installée à Paris depuis 1964, s'est "convertie" après des études de peinture, sculpture, photo, dessin...un choix qui se joue des catégories - entre art, design, décoration - des formats, minuscules comme des échantillons ou démesurés comme des architectures, des procédés - tissages, enroulements, suspensions, superpositions, alignement - des matériaux - lin, laine, soie, fil de nylon - et couleurs,  et quelles couleurs !

    IMG_5932.jpg20180305_122229.jpgL'exposition s'ouvre sur une gigantesque  réalisation multicolore, à dominante bleue, "Cordes sauvages" 2014/2015, suspendue à l'avant du mur.  Les tentacules presque animales de cette méduse de laine en disent déjà beaucoup sur l'art de Sheila Hicks, son savoir-faire, son imagination et son humour. Rien à voir avec ce qui était appelé autrefois, non sans  misogynie, un ouvrage de dames....(photos1 et2)

    Un pas de plus et on change de dimensions: cela ressemble fort à la palette d'un peintre ou aux multiples échantillons d'une styliste.  Il faut s'approcher pour examiner de très près ces petits 20180305_122309Muneca 1957.jpgtravaux de tissage, véritables oeuvres d'art à part entière qui sont autant 20180305_122343- En ménage avec Mongole 2015.jpgd'essais de couleurs ( on pense aux aquarelles de Klee ) ou de techniques de tissages, comme l'artiste a pu les voir lors de ses séjours en Inde, en Amérique latine, en Afrique du nord. Comment ne pas être sous le charme de ces "Minimes" où sont insérés parfois des coquillages, des bouts de bois, des plumes (photos 3 et 4).

    Dans leur dimension architecturale commune, les colonnes souples  dont certaines vont du sol au plafond, évoquent par leurs couleurs, leurs ondulations lisses ou 20180305_123505.jpg20180305_124321.jpg20180305_123050-Aterrissage.jpg20180305_124040.jpg20180303_152343-1.jpgnoueuses, une végétation tropicale sauvage(5), ou les très subtiles contrastes chromatiques des fuseaux ligaturés des tisserands (6), ou encore... les gaz d'échappement d'un avion, fussent ils en laine (7). Quant aux cordes de fibre synthétique aux couleurs chaudes et chatoyantes, assemblées bien serrées verticalement, elles forment une peinture monumentale, un all-over aléatoire, abstrait, où volume, couleurs, matière ne font qu'un, un univers vibrant où plonger le regard (8). Elle me rappelle une oeuvre  en non-tissé aux modulations semblables de Béatrice Casadesus vue  récemment à Rambouillet dans le cadre de son exposition "Particules de lumières" (9).

    20180305_124129-Remparts 2016.jpgIMG_5957 copie.jpg20180305_122736.jpgSheila Hicks n'est pas conventionnelle, on l'aura compris. Elle a horreur des formes définitives de la sculpture. Elle préfère les empilements, les amoncellements. Voyez ces strates d'écheveaux de laine aux tons bruns sourds (12), ou l'installation de multiples boules de tissus rouges de différentes tailles, des "Remparts" (10). Et sous vitrine, tels de précieux vestiges, "Palitos con Bolas", 2011 (11), évoque par ses galets ronds et ses "bâtons de paroles", la magie ancestrale.  Nous rappelant que l'artiste fut aussi peintre, elle a posé au sol, debout, des chassis de différentes tailles "colorés" en fils de laine , sciemment empilés- décalés pour faire oeuvre unique.

    Dépassant le modèle traditionnel de la tapisserie, c'est tout un univers poétique entre art, design et décoration, qui transforme notre perception des textiles, en exalte la matière, la couleur, la sensualité. Une vidéo projetée dans une enclave, hélas trop petite, de l'exposition permet de voir l'artiste à son travail.

    Sheila Hick "Lignes de vie", Centre Pompidou, jusqu'au 30 avril 2018.

     

  • Béatrice Casadesus (par Régine)

    Intitulée "Pluie d'or" l'exposition de Béatrice Casadesus qui se tient actuellement à la Galerie Dutko dans l'Ile Saint Louis est d'une beauté fascinante. Il est rare aujourd'hui, où le concept de beauté dans l'art n'est plus considéré comme un critère de qualité pertinent, de ressentir une telle émotion esthétique.

    A peine la porte franchie, un somptueux triptyque nommé "Flamboyant" situé sur le mur du fond à gauche happe notre regard (photo 1)_DSC6159.JPG. Peint sur une toile laissée libre, il semble tissé de lumière. La multitude de points or qui s'étagent et structurent sa surface crépitent à travers les roux, les fauves cuivrés, les jaunes qui en organisent la surface. Dans notre esprit se bousculent les références aux artistes qui, au cours des siècles, ont utilisé l'or pour traduire les vibrations et l'immatérialité de la lumière : les peintres d'icônes, ceux de la Renaissance italienne Giotto ou Fra Angelico, les réalisateurs de mosaïques byzantines, les bâtisseurs des temples bouddhistes, notamment ceux de Bagan en Birmanie dont les coupoles dorées flamboient au coucher du soleil. Sa légèreté, le mouvement qui semble l'animer l'apparente aussi à un luxueux et soyeux sari indien. Le support à perdu sa consistance.

    A l'autre extrémité de la galerie lui fait face un autre polyptyque monté sur châssis et intitulé "Plein été" (photo 2)_DSC6365.JPG. Ici la lumière est à son zénith et la fixité des panneaux accentue cette sensation d'un moment suspendu. Une ligne de points sombres occupe le haut de la toile. D'autres lignes et points roux et oranges lui succèdent. Leur flamboyance décroît peu à peu vers le bas pour finir par s'éteindre sous le ruissellement des coulures dont la verticalité stabilise l'ensemble.

    Enfin, difficile de s'arracher au plaisir de contempler le diptyque "Nymphéa zinzolin" qui a servi pour le carton d'invitation (photo 3)20170910_164216 (2).jpg. La lumière jaillit à la jointure des deux panneaux horizontaux qui le compose. Elle disparait en haut sous les rouges zinzolin et les violets qui se font de plus en plus sombres et s'éteint en bas sous de légères coulures et une infinité de petites taches d'une variété inouïe de couleurs.

    Il y a aussi les bleus dont la gamme chez Béatrice Casadesus est infinie. Plusieurs exemples sont ici présentés dont le triptyque "Larmes d'or" où la nuit le dispute au jour (photo 4)14976871_363701750638362_2556367258457647278_o.jpg. La bande noire située en haut du tableau est débordée par d'autres dont le bleu de plus en plus clair se transforme en jaune très pâle à l'extrémité inférieure. Une pluie de coulures bleues, noires ou jaunes en contredit l'horizontalité.

    Les trois panneaux qui composent le triptyques "Nox" sont posés à l'horizontal, ce qui en étire la surface (photo 5)20171108_131504.jpg. Ici les points ont presque disparu pour faire place à une pluie d'un noir velouté qui se transforme en bleu violet comme celui de la nuit. Elle se déverse depuis le haut de la toile pour s'amenuiser dans le deuxième panneau et disparaître dans le troisième en laissant place à un poudroiement de petites taches ou de giclures d'une immense diversité de couleurs, laissant apparaître le gris de la toile de lin. La matérialité des coulures s'oppose et accentue l'immatérialité de la lumière qui sourd de ce tableau.

    Résistons au plaisir de continuer à décrire les oeuvres ici présentées - il faut aller les voir - pour nous demander comment procède Béatrice Casadesus pour donner au spectateur une émotion qui soit à la fois si physique et si métaphysique.

    Comme on a pu le constater ces tableaux sont essentiellement constitués de points. Comme Seurat à son époque, l'entité "point" fascine Béatrice. N'est-ce pas lui qui est à l'origine de toute chose ? l'atome, les cellules qui composent le vivant, les pixels des images et bien sûr les particules de la lumière. Or ce sont bien ces dernières que Béatrice tente de piéger pour en retrouver l'immatérialité et la transcendance. Saisir la lumière et ses vibrations, en révéler les sortilèges qui transfigurent le réel ne sont-ils pas le but de son inlassable quête ?

    Pour rendre palpable cette lumière l'artiste a besoin d'un contact matériel avec son outil. C'est ainsi que, depuis les années 1980, elle utilise le Bull pack, ce matériau d'emballage transparent fait d'une multitude de bulles d'air de différentes grosseurs encapsulées dans des feuilles de plastique et qui sert à emballer les objets fragiles. Cette feuille, elle la plonge dans la peinture et l'applique sur la surface du tableau en impliquant tout son corps (on pense aux anthropométries d'Yves Klein). L'accident, l'aléatoire entrent évidemment en jeu suivant qu'elle applique le bull pack avec plus ou moins de force. C'est de la répétition du geste, effectué presque à l'aveugle et suivant un certain rythme, que va naître l'image. De superposition en superposition les traces se font de plus en plus évanescentes et diffusent cet aura qui nous fascine. Pour les coulures elle utilise un pinceau fortement imbibé de peinture et avec une maîtrise sans pareil, du haut du tableau, elle laisse filer la couleur tout en profitant des aléas du support. C'est aussi de ce pinceau qu'elle fait gicler des myriades de petits points colorés.

    Cet engagement du corps de l'artiste dans la réalisation de ses oeuvres retentit inévitablement sur celui du spectateur qui, dans une sorte de vertige, a le sentiment de se fondre dans l'espace de la toile et sent naître en lui le sentiment d'un face à face avec l'infini.

    Cette exposition exceptionnelle semble marquer une évolution dans l'oeuvre de Béatrice Casadesus. Cependant, malgré les différentes formes qu'a pu prendre sa peinture au long de sa carrière d'artiste on reconnaît au premier coup d'oeil un tableau de Béatrice, ce qui montre bien la permanence de sa recherche.

     Béatrice Casadesus "pluies d'or" - Galerie DUTKO Ile Saint Louis, 4, rue de Bretonvilliers, - 75004-Paris (01 56 24 04 20. Jusqu'au 27 janvier 2018.

    A signaler également :  Deux expositions du 16 décembre 2017 au 4 mars 2018 à RAMBOUILLET : Béatrice Casadesus, Particules de lumières :

    Palais du Roi de Rome - Musée d'art et d'histoire - 52-54 rue de Gaulle - 78420-Rambouillet (01 75 03 44 50)

    La Lanterne - Place André Thome et Jacqueline Thome-Patenôtre - 78120-Rambuillet (01 75 03 44 01)

  • L'art numérique de Claire Malrieux (par Sylvie).

    Après son exposition à la Biennale de Venise, le travail de Claire Malrieux est accueilli au Collège des Bernardins à Paris dans le cadre de sa chaire "L'humain au défi du numérique".

    Sous les ogives médiévales de l'ancienne sacristie se dresse un gigantesque écran blanc sur lequel s'inscrivent des signes légers et multicolores en mouvement. On tourne la tête à la recherche d'un facétieux projectionniste bien caché. Mais non, personne. On reste là, dans la pénombre, comme hypnotisés par la beauté des tracés plus ou moins fins, linéaires ou en aplats, qui apparaissent et disparaissent, la variété de leurs formes - ondulatoires, sismographiques ou brouillonnes - et leurs couleurs primaires. Quel spectacle éblouissant et mystérieux !  N'oubliez pas de cliquer sur l'image ci-dessous pour l'agrandir !                                               

    Claire Malrieux.jpg

    A suivre de part en part le cheminement des inscriptions, on a l'impression de tenir soi-même la plume. Ces motifs, qu'ils soient à caractère scientifique, des gribouillis ou des taches, toutes formes abstraites, s'enchainent ou se chevauchent en un flux continu et hétéroclite. Ils rappellent le jeu des cadavres exquis cher aux Surréalistes. S'ils étaient eux guidés par leur inconscient, qui, ici, mène la ronde ?

    L'espace de "Climat général" est un environnement numérique en perpétuelle mutation. Il repose sur une représentation graphique en temps réel,  une transmission sur ordinateur, par un technicien probablement, selon le vocabulaire très personnel de l'artiste, de données météorologiques précises comme l'ensoleillement ou les précipitations, ainsi que les activités humaines, toutes données habituellement invisibles.                                       

    S'il est clair aujourd'hui que l'accentuation des phénomènes climatiques, auxquels participe l'activité humaine, est un problème majeur, l'intérêt de la démarche de Claire Malrieux est qu'elle met à notre portée une vision simultanée des différents responsables.

    Il y a du flottement dans cette fragile imagerie devenue un écosystème où les plages tranquilles succèdent ou se mêlent à d'inquiétants hiéroglyphes, reflets des perturbations subies par notre univers.  Causes et effets ainsi montrés devraient induire chez l'homme, habitué à penser que tout va continuer comme avant, une remise en question de notre mode de vie.                                                                                                                        

    La bande-son qui accompagne l'oeuvre, mélodieuse ou grondante, se fait ainsi l'écho de l'impact environnemental de l'humanité. Par delà la beauté saisissante du "voyage", léger dans sa forme et grave dans sa signification, cette nouvelle syntaxe du dessin élaborée par des technologies et des algorithmes va-t'elle nous faire prendre conscience des hypothétiques catastrophes avant qu''il ne soit trop tard ? Aussi justifiée qu'elle soit, la question, en empruntant le chemin d'une modernité même esthétiquement réussie, ne nous en facilite pas l'accès. Allez comprendre ce langage!

    "Climat général " de Claire Malrieux au Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy 75006 Paris. Tel: 0153107444. Jusqu'au 10 décembre.

  • L'Afrique partout (par Sylvie)

    L'année 2017 aura vu l'Afrique aux cimaises comme jamais.                                                                                20170827_143622.jpgpoings d'eau- P M tAYOU-f1f4275ee84dd84ba130a6fd48140667-.jpgPour mémoire je citerai la 16éme édition du" Parcours des mondes" dans les galeries de la rive gauche en septembre 2017 et l'exposition "Le Nouvel Atelier" à la Fondation Vuitton qui s'est tenue d'avril à septembre et qui regroupait "les Initiés"  c'est à dire la collection contemporaine de Jean Pigozzi consacrée à l'Afrique subsaharienne - ci-contre la ville fantôme, 1999,  en matériaux de récupération du congolais Bodys Izek Kingelez  (photo 1) -  et "Etre là",  des artistes d'Afrique du sud . Deux titres dont on peut trouver encore les catalogues.                                                  

    Mais pas seulement aux cimaises puisque la ville de Paris vient d'installer dans le métro, à la station Château rouge,dans le 18éme arrondissement, une fresque de Barthélémy Toguo, artiste camerounais, faisant suite aux 5 "poings d'eau" d'un autre camerounais Pascale Marthine Tayou (phot 2), placés en 2013 bd Davout dans le 20éme.  Il n'y a pas matière a s'en étonner si l'on considère la puissance évocatrice des oeuvres de ce continent dont Picasso avait déjà perçu la beauté des masques et des objets ethniques mais qui n'ont été longtemps appréciées que par une poignée d'amateurs. Depuis lors les collectionneurs se sont multipliés, toutes générations confondues - le musée du quai Branly, à l'initiative du Président Chirac, en est le témoin - et, de leur côté, les artistes africains ont pris conscience de leurs capacités à s'exprimer selon leur identité, leurs traditions, leur histoire,  leurs combats et leurs nouveaux rapports avec l'occident..A noter: le premier musée d'art contemporain  du continent africain, Zeitz Mocaa, vient d'ouvrir ses portes au Cap, en Afrique du sud.

    IMG_4868.JPG 20171025_163757.jpg Barthélémy Toguo, né en 1967, qui a reçu cette année le prix Marcel Duchamp, est exposé à la galerie Lelong. On y retrouve le motif à l'aquarelle de végétation envahissante, à la fois poétique et inquiétante (photo 3) mais surtout d'étranges fruits, c'est d'ailleurs le titre de l'exposition. Il se réfère à la chanson rendue célèbre par Billie Holiday évoquant les pendus lynchés dans les états ségrégationnistes du sud des Etats Unis (photo 4) Images saisissantes que ces têtes  qui se balancent aux branches des arbres sous le regard de chiens de bronze aux dents acérées et de corbeaux prêts à les déchiqueter. Virulente dénonciation de la violence raciste.                                                                            

    Barthélémy Toguo "Strange fruit", galerie Lelong, 13 rue de Téhéran, 75008, Paris.  Jusqu'au 25 novembre.

    La Fondation Cartier offre  une rétrospective du photographe malien Malick Sidibémalick-sibide-nuit-de-noel-happy-club-1963-malick-sibide-mali-twist-a-la-fondation-cartier-pour-lart-contemporain-150x150.jpg qui a su saisir l'euphorie d'une société en pleine mutation après l'indépendance du pays, partagée entre tradition et émergence d'une mode, d'une musique, d'un style de vie du monde occidental moderne. Une effervescence et une joie de vivre qui éclatent dans des portraits en noir et blanc. 260 oeuvres qui font revivre le Bamako des années 60. (photo 5)                                  

    Malick Sidibé, "Mali twist", fondation Cartier,   bd Raspail, 750  , Paris. Jusqu'au 25 février 2018.

    20171016_145900.jpg20171016_144414.jpg20171016_150728.jpgEn Avignon, la fondation Blachère,  dont le siège est à Apt, déploie sa formidable collection au Palais des Papes, au Musée Calvet, au Musée Lapidaire et au Musée du Petit Palais, de quoi pénétrer les grandes questions de l'Afrique d'aujourd'hui à travers des mediums souvent simples dans un dialogue entre lieux de création européenne des siècles passés - le Palais des Papes, symbole majeur de l'histoire de la chrétienté - et des pièces d'artistes du continent africain. Voici quelques exemples parmi les 76 sculptures présentes :  "Confluences"( 2008) éblouissante tapisserie en métal du ghanéen El Anatsui qui cliquette de ses innombrables capsules de bouteilles - persuasif recyclage - et renvoie aux habitudes de consommation d'alcool, au commerce avec  l'Europe  et son corollaire celui des esclaves. Multicolore, veloutée comme un manteau royal (photo 6).  Les silhouettes longilignes en fer à béton  (2002) du sénégalais Ndary Lo semblent exhorter l'Afrique à se dresser et avancer (photo 7). Les grandes ailes de polystyrène et de néon,"Solipsis" (2016) du sud africain Wim Botha,  s'élèvent en tourbillonnant (photo 8), tels des oiseaux migrateurs . Est-ce encore une injonction? marcheurs_0- Abdoulaye Konaté.jpeg860_ousmanesow-lanceur.jpg"Les marcheurs" (2006) du malien Abdoulaye Konaté, vêtus de découpes de cotons traditionnels multicolores, cheminent en procession sur une très longue tapisserie (photo 9). Vers quoi vont ils ? On ne saurait oublier "le lanceur zoulou" (1990-91) géant en résine et matériaux divers du regretté sénégalais Ousmane Sow, mort en 2016 :un hommage au combat et à la résistance contre le colonialisme et l'Apartheid. D'autres pourraient être cités. Par delà leur beauté, la simplicité de leur matériaux naturels (le bois, l'argile, la toile de jute...) leur étrangeté, sont une réflexion sur l' environnement et les grandes luttes contemporaines comme la désertification. 

    "Les Eclaireurs", sculpteurs d'Afrique, Avignon, jusqu'au 14 janvier 2018. 

    Berlinische-Galerie-Dada-Africa-2.jpgTémoins d'un engouement pour l'Afrique les artistes iconoclastes du mouvement dada - né en 1916 - et qui s'est déployé à  Zurich, Paris, Berlin, New-York, se sont penchés sur les formes culturelles et artistiques  de  l'art extra-occidental, l'Afrique, l'Océanie, l'Amérique, l'Asie. Le musée de l'Orangerie présente les oeuvres de Max Ernst, Picabia, Arp et bien d'autres en une joyeuse confrontation/inspiration ...à proximité des Nymphéas de Monet (photo 10).

    Dada Africa, musée de l'Orangerie, place de la Concorde, 75OO. Jusqu'au 2 février 2018.

     

     

  • Les vitraux de René Guiffrey au Beaucet (par Sylvie).

    20170914_111147.jpgI l faut toujours du temps pour que les belles choses se réalisent. J'avais signalé en 2013, dans le cadre d'une exposition de René Guiffrey à Pernes les Fontaines  (84), un projet de vitrail transparent qui nous avait enthousiasmés (voir Décrypt-art juillet 2013). Quatre ont été commandés par la mairie et le département du Vaucluse et installés  tout récemment  dans l'église romane Saint Etienne du Beaucet, un superbe village du Vaucluse perché sur ses rochers abrupts (1) autour duquel s'étagent sous les restes de l'ancien château, maisons troglodytiques ou en pierre sèche. L'édifice roman, d'une grande sobriété, temporairement un peu perturbée par des peintures murales d'étudiants en art, est un concentré de l'Histoire : clocher-arcade médiéval, clocher-tour octogonal surmonté d'un campanile-tour de guet, grande porte du XIXème siècle. A compter du XIéme siècle, Saint Gens, ermite mort en 1127, et Saint-Etienne, prédicateur juif du 1er siècle, se sont un peu disputé les lieux.. Depuis 1960, exit Saint Gens parti pour un sanctuaire à son nom, va pour CLICHE 10.jpgSaint-Etienne.

    Confronté à l'aura de ce martyr qui fut lapidé pour avoir prononcé le nom de Dieu, Guiffrey se devait de marquer les esprits de façon forte sans toutefois remettre en question son travail sur la transparence, porteuse de quiétude et de rigueur, et le verre, son cheval de bataille depuis de longues années, dont il connait les capacités, les effets, son poids- matière (2) et son poids-spiritualité sous une apparente innocence.

    Vitrail  -horizontale I-  (163x83cm).jpgDSC_0013.JPGUn premier de ces vitraux, face à l'entrée, ouvre l'espace un peu étroit de l'édifice et laisse sentir l'intense lumière du sud en la tamisant. A la différence ds vitraux traditionnels en couleur qui enferment et du verre translucide qui égalise, le mille-feuille des lames transparentes et  leur visible jonction modulent la surface en un léger frémissement semblable à la surface d'une mer frisée par le vent, mouchetée d'éclats lumineux comme des interstices de silence. La confondante simplicité d'une telle surface en non-couleur favorise réflexion et méditation. L'horizontalité des lignes y participe (3).

    Plus porteur encore de spiritualité cet autre vitrail (4) mêle les clartés prismatiques de la tranche et les épaisseurs vertes de la matière qui absorbe irrégulièrement les couleurs du réel extérieur. Pour peu que le visiteur se déplace, il en capte le crépitement des alternances. Pour Guiffrey ces brisures et cassures volontaires à l'intérieur de chaque vitrail sont "à lire comme les stigmates de la lapidation et les lignes centrales induisent les figures du debout et du gisant, du vivant et du mortel".

     Dans leur dépouillement, leur vibrante transparence, ces oeuvres, me semble t'il, donnent à percevoir un invisible dans ce qu'il a de plus mystérieux, poignant et transcendant.

    Eglise du Beaucet, Montée des Cendres (84210).

     

  • Biennale de Venise 2017 (par Régine)

    IMG_4516.JPG

    Pour la quatrième fois en 8 ans, mon mari et moi, arpentons les allées des Giardini et les immenses bâtiments de l'Arsenal, curieux de découvrir cette 57ème biennale de Venise.

    Les précédentes (voir mes articles sur les biennales 2011, 2013, 2015) nous avaient offerts de très belles découvertes dont certaines furent de véritables chocs. Nous avions eu aussi le plaisir de voir des oeuvres magnifiques réalisés par des artistes reconnus internationalement. Celle-ci, organisée par une française, Christine Mandel, dont le titre peu explicite "Viva arte viva" sonne comme une chanson, est plus sage et fait la part belle aux idéaux environnementaux, altermondistes, communautaires ou féministes. Elle célèbre le partage, l'égalité, la fraternité. Pas de grandes vedettes et, dans leur majorité, les artistes, dont beaucoup sont des femmes, nous sont inconnus.

    Pour les visiteurs de l'automne, il est frustrant de constater que de nombreux évènements collatéraux sont déjà terminés, notamment l'exposition "Philipp Guston and the poets" à l'Académie, la rétrospective Mark Tobey au Palais Gugenheim. Aux Giardini et le pavillon allemand, qui a eu le grand prix de la Biennale, est hélas déjà fermé. IMG_4518.JPGIMG_1342.JPGHeureusement que la belle installation de Pistoletto à Sain Giogio qui nous enchante avec ses miroirs, reste en place jusqu'à la fin de la Biennale (photo 1 et 1 bis).

    Aux Giardini comme à l'Arsenal les titres donnés aux différentes sections sont bien arbitraires et n'aident pas à se repérer dans le foisonnement des oeuvres présentées. Il faut donc se promener et s'arrêter devant les travaux qui retiennent l'attention. Voici donc ma récolte, aux Giardini d'abord.

    Les tableaux en relief de John Latham (1921-2006) (photo 2) IMG_4554.JPGincluant des livres brûlés, maculés, découpés, torturés ont une puissance qui évoque la destruction des civilisations et les bûchers de livre organisés par les régimes totalitaires, notamment nazi.

    On reste fasciné devant la minutie et le souci du détail des dessins de Ciprian Muresan (né en 1977 en Roumanie) (photo 3). IMG_1356.JPGEn superposant à l'infini, jusqu'à la limite de la visibilité, les oeuvres d'artistes majeurs (tels que Tiepolo, Corregio ou Morandi) il nous met dans la position d'un chercheur tentant de retrouver dans ce fouillis inextricable des bribes de tableaux connus et en voie de disparition. Peut-être veut-il aussi nous confronter à la surconsommation d'images caractéristique de notre époque.

    Parmi le foisonnement des vidéos, bien rare sont celles qui nous retiennent. Par son humour et son extravagance, celle de Taus Makkacheva (née en 1983 à Moscou) IMG_4579.JPGnous captive et nous tient en haleine jusqu'à sa fin (photo 4). Sur un fil tendu entre deux pitons rocheux, un équilibriste transporte d'un bord à l'autre une soixantaine d'oeuvres du musée du Dagestan. Fil tendu entre l'est et l'ouest, nature et culture, passé et présent. L'art est fragile et il est nécessaire de prendre des risques pour le préserver même dans les pires conditions.

    IMG_1378.JPGSous la rigueur géométrique et l'abstraction minimaliste des tableaux de Mc Arthur Binion (né en 1946) se dissimule sa biographie (photo 5). En effet, la peinture quadrille par des traits une multitude de petites photocopies de son certificat de naissance, de notes sur sa maison natale et de traces de son enfance dans le Mississipi. L'émotion naît d'abord de la beauté formelle de ses tableaux (photo 4), mais surtout de la géographie intime de son auteur qui n'apparait que lorsque observe les oeuvres de près.

    Quant au peintre syrien Marwan (1934-2016), (photo 6)IMG_4591.JPGqui fut l'un des protagonistes du "tournant figuratif" de la peinture allemande dans les années 1960, c'est son visage déformé, fragmenté, douloureux et bouleversant qu'il peint et repeint inlassablement (photo 5) exprimant ainsi sa difficulté d'être un exilé.

    IMG_4594.JPGPassionné par ce qui relie entre eux les différents organes humains Lubos Plny (né en 1961 au Canada) nous fascine avec ses dessins organiques faits à l'encre de chine et retravaillés à l'acrylique qui sont à la fois terriblement précis et totalement fantaisistes (photo 6).

    La fragilité du papier népalais qu'utilise Kiki Smith (née en 1954) IMG_4605.JPGpour ses dessins renforce la délicatesse des femmes hiératiques, absentes à elles-mêmes, qu'elle dessine. Ce travail raffiné, qui ne laisse pas indifférent, appartient à un univers difficile à saisir (photo 7).

    Je pourrai encore citer quelques oeuvres non dénuées d'intérêt mais elles restent noyées dans un ensemble qui n'échappe pas aux redites, à l'éloquence ou à une invention plastique limitée.

    Cependant avant de quitter les lieux il ne faut pas omettre d'arpenter le pavillon de Roumanie où une rétrospective de Geta Brâtescu (née en 1926) confirme l'importance de cette grande artiste dont la liberté et l'imagination mettent en joie, ni celui des Etats-Unis envahi par les sculptures et les peintures très impressionnantes de Mark Bradford (né en 1961).

     

    A l'Arsenal le désir de dénoncer la destruction de la planète, la colonisation, de mettre l'accent sur le féminisme et surtout de créer des liens sont très présents. IMG_4678.JPGLes textiles, matériaux éminemment féminins, tels que le fil, la ficelle, la laine, tissés, noués, piqués à la machine, sont utilisés dans de nombreux travaux. A commencer par l'installation de Lee Mingwei (né en 1964 à Taiwan). Installé derrière une longue table, relié à une multitude de bobines de fil de toutes les couleurs accrochées au mur, il propose de réparer vos vêtements élimés en les brodant. Une fois le travail fait, le vêtement rejoint la pile de ceux déjà réparés et auquel le fil est resté accroché (photo 8).

    C'est avec du fil et une machine à coudre que Maria Lai (1919-2013), IMG_4680.JPGcette sicilienne qui n'a jamais quitté son île, a créé son propre langage, totalement illisible mais plein de poésie. Avec du fil souvent noir ou rouge elle a piqué sur des morceaux de tissus des arabesques plus ou moins serrées mais obéissant à un rythme intérieur. Elles les a assemblés en grande tenture, en dessus d'autel ou en livres indéchiffrables mais plastiquement magnifiques (photo 9).IMG_4773.JPG

    Il émane des cocons réalisés par Judith Scott (1943-2005) en enroulant de la laine de couleur autour d'un objet une puissance presque animale. (photo 10) Tels des fétiches ils semblent détenir un lourd secret. Sourde, muette et trisomique Judith Scott est considérée aujourd'hui comme une grande figure de l'art brut (photo 10). (Voir l'article que Sylvie lui a consacré sur ce blog le 13.12.2011)

    IMG_1442.JPGIMG_1424.JPGTandis que l'immense et magnifique tente faite de lianes qu'Ernesto Neto (né en 1964 à Rio de Janeiro) (photo 11) a dressée à mi parcours de la corderie de l'Arsenal invite au recueillement et partage, la stupéfiante montagne de boules de laine au couleurs intenses et à l'aspect moelleux de Sheila Hicks (née en 1934 aux USA) incite à s'y blottir (photo 12). Son titre "Bâoli", ce qui en indien signifie lieu de rencontres sociales, est signifiant.

    IMG_1447.JPGL'ironie n'est-elle pas le moyen le plus efficace pour traiter les problèmes de la destruction de la planète ? Ainsi Michel Blazy nous enchante avec son étalage de chaussures éculées remplies de terre dans lesquelles il fait pousser des plantes (photo 13) ou avec son magazine sur Venise qu'il laisse se détériorer lentement sous l'effet d'un goutte à goutte provenant du plafond de l'Arsenal.IMG_1414.JPG Shimabuku (né en 1969 au Japon) nous amuse en transformant un ordinateur en hache de guerre (photo 14) après en avoir affûter l'un des bords et en juxtaposant des IMG_4696.JPGsilex taillés et des téléphones portables. Enfin Nicolas Garcia Uriburu (1937-2016) avec ses belles photos nous rappelle que dès 1968 il attirait notre attention sur la fragilité de la sérénissime en colorant le grand canal en vert fluo (photo 15).

    IMG_4809.JPGLa beauté peut aussi être une arme efficace, telle l'installation de Julian Charrière (née en 1987 en Suisse) qui évoque une belle ruine archéologique. Elle se compose de tours de différentes hauteurs, faites de blocs de sel, (photo 16) matière dont on extrait le lithium qui sert à fabriquer nos batteries de téléphone portable. Efficace aussi la violence et l'horreur des images du film que Marie Voignier (née en 1974) consacre aux carnages parfaitement légaux perpétrés par les riches chasseurs blancs en Afrique centrale et sa série de photos en noir et blanc d'animaux abattus donne la nausée.

    A ne pas manquer non plus le fascinant dispositif mis en place par Kader Attia (né en 1970). Sur plusieurs écrans apparaissent les visages de célèbres chanteuses orientales dont la voix fait vibrer des hauts parleurs sur lesquels il a placé de la semoule qui vibre et dessine des figures au grès du rythme des mélodies.

    Que signaler encore parmi une telle profusion d'oeuvres trop souvent réduites à des accumulations d'images ou accompagnées de commentaires décourageants ?IMG_1439.JPG Sans doute la superbe tenture d'Abdoulaye Konate (photo 17), IMG_1436.JPGles subtiles toiles de Riccardo Guarneri qui, au milieu de tant de vidéos et d'installations, rappellent que la peinture existe encore (photo 18), ouIMG_4732.JPG l'étonnante tour de Yee Sook Yung faite de fragments de vases coréens récupérés dans les fabriques de poteries des alentours de Séoul, façon de leur donner une nouvelle vie (photo 19).

    La lassitude finit par gagner devant une telle accumulation mais s'il vous reste un peu d'énergie allez voir le pavillon de la IMG_4786.JPGNouvelle Zélande où Lisa Reihana déroule son film panoramique faussement édénique sur les sauvages de l'Océan Pacifique et l'arrivée de James Cook  (photo 20) et celui du Chili où IMG_4782.JPGBernardo Oyarzim, à l'aide d'une forêt de masques, dénonce la destruction de la civilisation Mapuche (photo 21).

     

     

  • Toni Grand et Pierre Tal Coat (par Régine)

    Le rapprochement de ces deux artistes, l'un sculpteur, l'autre peintre, qui ne se sont peut-être pas connus, est très judicieux. Tous deux, en effet, ont entretenu un dialogue avec la nature et ont cherché à faire apparaître les formes qui lui sont sous-jacentes plutôt que de les mettre à jour. Tout l'art du galeriste est d'avoir su, par son accrochage, mettre en évidence cette parenté entre les deux artistes.

    On ne souligne jamais assez le rôle joué par un accrochage. La façon dont les oeuvres sont réparties sur les murs, leur nombre, leurs rapprochements, le rythme de l'ensemble, peuvent décider de la réussite ou non d'une exposition.

    Ici peu d'oeuvres, mais choisies et accrochées avec justesse, sont mises avec intelligence en résonance les unes avec les autres.

    Ainsi le très beau tableau terre de Sienne de Tal Coat intitulé "Déchiré profond", (photo 1)IMG_4146.JPG dont les deux incisions cerclées de matière plus épaisse et sombre diffusent à l'ensemble une grande sensualité, voisine avec une délicate sculpture de Toni Grand. Elle est faite de fines baguettes de bois auxquelles sont restés collés des morceaux d'écorce moussue et dont le mouvement rappelle celui du serpent ou d'un cours d'eau (photo 2)IMG_4151.JPG. En haut du mur à gauche, le dessin de Tal Coat (photo 3)IMG_4150.JPG fait de quelques traits qui pourraient figurer des chemins, un cours d'eau ou encore un animal, et plus bas à droite une délicate aquarelle où domine le vert d'eau, ponctuent harmonieusement l'ensemble.

    Autre exemple : deux gouaches de Tal Coat dont le trait noir transforme la surface de la feuille blanche en espace - aucune préméditation ne semble avoir précédé leur tracé qui serait comme le centre de gravité d'une vision, d'un mouvement - encadrent et accompagnent une gracieuse sculpture de Toni Grand ; faite de fines lamelles de bois assemblées en éventail, elle semble esquisser un pas de danse tout en soulignant la verticalité des trois oeuvres (photo 4)IMG_4153.JPG.

    Tal Coat adorait dessiner tout en roulant en voiture ou en train car pour lui le monde advient entre surgir et disparaître, tout est en devenir. La sculpture de Toni Grand, faite de planchettes assemblées telles les solives d'un chemin de fer ou les dalles d'une route, accompagne avec à propos deux petits dessins du peintre qui font affleurer l'instable dans la permanence et qu'on imagine griffonnés par l'artiste lors d'un de ses déplacement (photo 5)IMG_4155.JPG.

    Tal Coat fabriquait lui-même ses médium car il voulait que sa peinture soit un "humus" comme ce sol auquel il accordait tant d'attention. Il l'appliquait sur des support variés : la toile bien sûr mais aussi des couvercles de boîte de cigares, des morceaux de carton, des planchette de bois. Quelques unes de ces petites oeuvres sont harmonieusement disposées ici autour d'une discrète oeuvre de Toni Grand (photo 6)IMG_4154.JPG. Je ne retiendrai que deux d'entre elles qui, à mon sens résume sa démarche. L'une qui ne mesure pas plus que 13 cm sur 22 environ (photo 7) IMG_4142.JPGet l'autre 7 sur 23 (photo 8)IMG_4143.JPG. La première est vert d'eau, la seconde ocre clair. Pas de figure, mais deux espaces mouvants ou la couleur circule autour de profondes griffures et de taches blanches qui affleurent, synthèse de la terre et de l'eau.

    On ne peut que saluer l'idée d'avoir rapproché ces deux artistes et d'avoir si bien su les faire dialoguer. Cette exposition est aussi très émouvante quand on sait que la majeure partie de leurs oeuvres à tous les deux a été ravagée par le feu.

    Pierre Tal Coat - Toni Grand - "Frontspace" - Galerie Christophe Gaillard, 5 rue Chapon, 75003-Paris.          Tél : 01 42 78 49 16. Jusqu'au 29 juillet.

     

  • Debré et d'autres en Touraine (par Sylvie)

    Envie de vous échapper à l'approche de l'été ? Optez pour la Touraine, pas seulement pour ses multiples châteaux, ses bons vins et la somptueuse Loire.                                                                                                                     20170503_142010.jpg         A Tours même s'est ouvert en mars 2017 un nouveau musée d'art contemporain signé par deux architectes portugais Francisco et Manuel Aires Mateus qui ont eu le mérite de réaliser un bâtiment noble et rigoureux, adouci par la pierre blonde locale, dans un environnement hélas un peu ingrat malgré son nom de "Jardin François Ier" (photo 1). Ce Centre de Création Contemporaine abrite le fonds du  peintre, lithographe, décorateur, céramiste, Olivier Debré (1920-1999), architecte de formation dont on sait les racines locales et l'attachement profond au Val de Loire. Sa liberté de langage plastique en a fait un des représentants de l'Ecole de Paris. Il qualifiait son propre travail d' "abstraction fervente".                   

    20170503_143349-Gris bleu de Loire.jpgL'exposition actuelle qui se tient dans la galerie blanche est consacrée à des oeuvres peintes en Norvège où il a maintes fois séjourné à partir du milieu des années 60.  Le bleu domine. Rien de surprenant, "abstraite, immatérielle, spirituelle" tels sont les adjectifs employés par Debré à son sujet. Si on la sent, plus ou moins vibrante ou sombre selon qu'elle côtoie le blanc de la neige poudreuse ou glacée ou les noirs du crépuscule, il est clair que l'artiste a retrouvé dans le grand nord cette teinte du ciel tourangeau qu'il a toujours aimé. Pour en bien marqué le caractère symbolique, un 20170503_143726.jpg20170503_143239.jpg20170519_084647.jpggrand "Gris bleu de Loire" ouvre l'exposition (huile sur toile, 370x915cm, 1990. Photo 2).    Elle précède des oeuvres de petit format, tout aussi abstraites, créées souvent sur le motif.  Se profilent ainsi des signes récurrents comme les blancheurs hivernales d'Oppdal (photo 3) les bleus nocturnes ou orageux de Lysne(photo 4), les stavkirke, églises traditionnelles en bois (photo 5, capture d'écran), les tons sourds et terreux de l'automne en montagne ou  les tonalités outremer des marines de Svanoy. D'une matière épaisse, onctueuse, elles sont l'expression instinctive, spontanée d'une émotion que le spectateur peut lui-même ressentir... ou pas.

    20170503_15044Sous le titre "Innland" le musée présente également des oeuvres de jeunes créateurs norvégiens. Parmi eux Per Barclay qui a réalisé une "chambre d'huile", bassin monochrome noir et inerte qui reflète les hautes baies vitrées du bâtiment : magique.(photo 6).

    Olivier Debré, CCC OD, jardin François Ier, 37000 Tours.  Un voyage en Norvège, jusqu'au 17 septembre et Innland, jusqu'au 11juin. Du mercredi au samedi.

    20170503_151058.jpg

     

    Avant de quitter Tours pour remonter vers le nord, on peut s'enchanter de la présence, fut-elle temporaire, à quelques mètres du CCC OD, devant la façade Renaissance de l'hôtel Gouïn, d'un stabile coloré (phot 7) du sculpteur américain Alexandre Calder dont l'atelier de Saché où il travailla à partir de 1953, est aujourd'hui un lieu de résidence et de création artistique.

    A une quarantaine de kilomètres de là, au Domaine de Chaumont sur Loire, se tient le Festival international annuel des jardins. Il faut beaucoup de temps pour tout voir entre château, écuries, cour de ferme, parc...tous plus beaux les uns que les autres. Mais une simple promenade parmi les installations du parc est fort réjouissante. Nous avons ainsi retrouvé les travaux d'aiguille de l'anglaise 20170503_170958- Sheila Hicks.jpg20170503_170549-Henrique Oliveira(momento fecundo).jpg20170503_180024- Patrick Dougherty-1.jpg20170503_175107- El Anatsui (Ugwu) 1..jpgSheila Hicks (Glossolalia, photo 8), les entrelacs biomorphiques en bois du brésilien Henrique Oliveira (photo9), les cages végétales de l'américain Patrick Dougherty (photo 10) et les amoncellements alanguis de matériaux de récupération du ghanéen El Anatsui (photo 11). Il en est beaucoup d'autres à découvrir aux détours des chemins et des bâtiments.                               

    Les fleurs, dans leur variété, leur luxuriance, tiennent salon. thème 2017:  "Le pouvoir des fleurs".

    Festival international des jardins, Domaine de Chaumont sur Loire. Jusqu'au 5 novembre.