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décrypt'art - Page 9

  • Béatrice Casadesus (par Régine)

    Intitulée "Pluie d'or" l'exposition de Béatrice Casadesus qui se tient actuellement à la Galerie Dutko dans l'Ile Saint Louis est d'une beauté fascinante. Il est rare aujourd'hui, où le concept de beauté dans l'art n'est plus considéré comme un critère de qualité pertinent, de ressentir une telle émotion esthétique.

    A peine la porte franchie, un somptueux triptyque nommé "Flamboyant" situé sur le mur du fond à gauche happe notre regard (photo 1)_DSC6159.JPG. Peint sur une toile laissée libre, il semble tissé de lumière. La multitude de points or qui s'étagent et structurent sa surface crépitent à travers les roux, les fauves cuivrés, les jaunes qui en organisent la surface. Dans notre esprit se bousculent les références aux artistes qui, au cours des siècles, ont utilisé l'or pour traduire les vibrations et l'immatérialité de la lumière : les peintres d'icônes, ceux de la Renaissance italienne Giotto ou Fra Angelico, les réalisateurs de mosaïques byzantines, les bâtisseurs des temples bouddhistes, notamment ceux de Bagan en Birmanie dont les coupoles dorées flamboient au coucher du soleil. Sa légèreté, le mouvement qui semble l'animer l'apparente aussi à un luxueux et soyeux sari indien. Le support à perdu sa consistance.

    A l'autre extrémité de la galerie lui fait face un autre polyptyque monté sur châssis et intitulé "Plein été" (photo 2)_DSC6365.JPG. Ici la lumière est à son zénith et la fixité des panneaux accentue cette sensation d'un moment suspendu. Une ligne de points sombres occupe le haut de la toile. D'autres lignes et points roux et oranges lui succèdent. Leur flamboyance décroît peu à peu vers le bas pour finir par s'éteindre sous le ruissellement des coulures dont la verticalité stabilise l'ensemble.

    Enfin, difficile de s'arracher au plaisir de contempler le diptyque "Nymphéa zinzolin" qui a servi pour le carton d'invitation (photo 3)20170910_164216 (2).jpg. La lumière jaillit à la jointure des deux panneaux horizontaux qui le compose. Elle disparait en haut sous les rouges zinzolin et les violets qui se font de plus en plus sombres et s'éteint en bas sous de légères coulures et une infinité de petites taches d'une variété inouïe de couleurs.

    Il y a aussi les bleus dont la gamme chez Béatrice Casadesus est infinie. Plusieurs exemples sont ici présentés dont le triptyque "Larmes d'or" où la nuit le dispute au jour (photo 4)14976871_363701750638362_2556367258457647278_o.jpg. La bande noire située en haut du tableau est débordée par d'autres dont le bleu de plus en plus clair se transforme en jaune très pâle à l'extrémité inférieure. Une pluie de coulures bleues, noires ou jaunes en contredit l'horizontalité.

    Les trois panneaux qui composent le triptyques "Nox" sont posés à l'horizontal, ce qui en étire la surface (photo 5)20171108_131504.jpg. Ici les points ont presque disparu pour faire place à une pluie d'un noir velouté qui se transforme en bleu violet comme celui de la nuit. Elle se déverse depuis le haut de la toile pour s'amenuiser dans le deuxième panneau et disparaître dans le troisième en laissant place à un poudroiement de petites taches ou de giclures d'une immense diversité de couleurs, laissant apparaître le gris de la toile de lin. La matérialité des coulures s'oppose et accentue l'immatérialité de la lumière qui sourd de ce tableau.

    Résistons au plaisir de continuer à décrire les oeuvres ici présentées - il faut aller les voir - pour nous demander comment procède Béatrice Casadesus pour donner au spectateur une émotion qui soit à la fois si physique et si métaphysique.

    Comme on a pu le constater ces tableaux sont essentiellement constitués de points. Comme Seurat à son époque, l'entité "point" fascine Béatrice. N'est-ce pas lui qui est à l'origine de toute chose ? l'atome, les cellules qui composent le vivant, les pixels des images et bien sûr les particules de la lumière. Or ce sont bien ces dernières que Béatrice tente de piéger pour en retrouver l'immatérialité et la transcendance. Saisir la lumière et ses vibrations, en révéler les sortilèges qui transfigurent le réel ne sont-ils pas le but de son inlassable quête ?

    Pour rendre palpable cette lumière l'artiste a besoin d'un contact matériel avec son outil. C'est ainsi que, depuis les années 1980, elle utilise le Bull pack, ce matériau d'emballage transparent fait d'une multitude de bulles d'air de différentes grosseurs encapsulées dans des feuilles de plastique et qui sert à emballer les objets fragiles. Cette feuille, elle la plonge dans la peinture et l'applique sur la surface du tableau en impliquant tout son corps (on pense aux anthropométries d'Yves Klein). L'accident, l'aléatoire entrent évidemment en jeu suivant qu'elle applique le bull pack avec plus ou moins de force. C'est de la répétition du geste, effectué presque à l'aveugle et suivant un certain rythme, que va naître l'image. De superposition en superposition les traces se font de plus en plus évanescentes et diffusent cet aura qui nous fascine. Pour les coulures elle utilise un pinceau fortement imbibé de peinture et avec une maîtrise sans pareil, du haut du tableau, elle laisse filer la couleur tout en profitant des aléas du support. C'est aussi de ce pinceau qu'elle fait gicler des myriades de petits points colorés.

    Cet engagement du corps de l'artiste dans la réalisation de ses oeuvres retentit inévitablement sur celui du spectateur qui, dans une sorte de vertige, a le sentiment de se fondre dans l'espace de la toile et sent naître en lui le sentiment d'un face à face avec l'infini.

    Cette exposition exceptionnelle semble marquer une évolution dans l'oeuvre de Béatrice Casadesus. Cependant, malgré les différentes formes qu'a pu prendre sa peinture au long de sa carrière d'artiste on reconnaît au premier coup d'oeil un tableau de Béatrice, ce qui montre bien la permanence de sa recherche.

     Béatrice Casadesus "pluies d'or" - Galerie DUTKO Ile Saint Louis, 4, rue de Bretonvilliers, - 75004-Paris (01 56 24 04 20. Jusqu'au 27 janvier 2018.

    A signaler également :  Deux expositions du 16 décembre 2017 au 4 mars 2018 à RAMBOUILLET : Béatrice Casadesus, Particules de lumières :

    Palais du Roi de Rome - Musée d'art et d'histoire - 52-54 rue de Gaulle - 78420-Rambouillet (01 75 03 44 50)

    La Lanterne - Place André Thome et Jacqueline Thome-Patenôtre - 78120-Rambuillet (01 75 03 44 01)

  • L'art numérique de Claire Malrieux (par Sylvie).

    Après son exposition à la Biennale de Venise, le travail de Claire Malrieux est accueilli au Collège des Bernardins à Paris dans le cadre de sa chaire "L'humain au défi du numérique".

    Sous les ogives médiévales de l'ancienne sacristie se dresse un gigantesque écran blanc sur lequel s'inscrivent des signes légers et multicolores en mouvement. On tourne la tête à la recherche d'un facétieux projectionniste bien caché. Mais non, personne. On reste là, dans la pénombre, comme hypnotisés par la beauté des tracés plus ou moins fins, linéaires ou en aplats, qui apparaissent et disparaissent, la variété de leurs formes - ondulatoires, sismographiques ou brouillonnes - et leurs couleurs primaires. Quel spectacle éblouissant et mystérieux !  N'oubliez pas de cliquer sur l'image ci-dessous pour l'agrandir !                                               

    Claire Malrieux.jpg

    A suivre de part en part le cheminement des inscriptions, on a l'impression de tenir soi-même la plume. Ces motifs, qu'ils soient à caractère scientifique, des gribouillis ou des taches, toutes formes abstraites, s'enchainent ou se chevauchent en un flux continu et hétéroclite. Ils rappellent le jeu des cadavres exquis cher aux Surréalistes. S'ils étaient eux guidés par leur inconscient, qui, ici, mène la ronde ?

    L'espace de "Climat général" est un environnement numérique en perpétuelle mutation. Il repose sur une représentation graphique en temps réel,  une transmission sur ordinateur, par un technicien probablement, selon le vocabulaire très personnel de l'artiste, de données météorologiques précises comme l'ensoleillement ou les précipitations, ainsi que les activités humaines, toutes données habituellement invisibles.                                       

    S'il est clair aujourd'hui que l'accentuation des phénomènes climatiques, auxquels participe l'activité humaine, est un problème majeur, l'intérêt de la démarche de Claire Malrieux est qu'elle met à notre portée une vision simultanée des différents responsables.

    Il y a du flottement dans cette fragile imagerie devenue un écosystème où les plages tranquilles succèdent ou se mêlent à d'inquiétants hiéroglyphes, reflets des perturbations subies par notre univers.  Causes et effets ainsi montrés devraient induire chez l'homme, habitué à penser que tout va continuer comme avant, une remise en question de notre mode de vie.                                                                                                                        

    La bande-son qui accompagne l'oeuvre, mélodieuse ou grondante, se fait ainsi l'écho de l'impact environnemental de l'humanité. Par delà la beauté saisissante du "voyage", léger dans sa forme et grave dans sa signification, cette nouvelle syntaxe du dessin élaborée par des technologies et des algorithmes va-t'elle nous faire prendre conscience des hypothétiques catastrophes avant qu''il ne soit trop tard ? Aussi justifiée qu'elle soit, la question, en empruntant le chemin d'une modernité même esthétiquement réussie, ne nous en facilite pas l'accès. Allez comprendre ce langage!

    "Climat général " de Claire Malrieux au Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy 75006 Paris. Tel: 0153107444. Jusqu'au 10 décembre.

  • L'Afrique partout (par Sylvie)

    L'année 2017 aura vu l'Afrique aux cimaises comme jamais.                                                                                20170827_143622.jpgpoings d'eau- P M tAYOU-f1f4275ee84dd84ba130a6fd48140667-.jpgPour mémoire je citerai la 16éme édition du" Parcours des mondes" dans les galeries de la rive gauche en septembre 2017 et l'exposition "Le Nouvel Atelier" à la Fondation Vuitton qui s'est tenue d'avril à septembre et qui regroupait "les Initiés"  c'est à dire la collection contemporaine de Jean Pigozzi consacrée à l'Afrique subsaharienne - ci-contre la ville fantôme, 1999,  en matériaux de récupération du congolais Bodys Izek Kingelez  (photo 1) -  et "Etre là",  des artistes d'Afrique du sud . Deux titres dont on peut trouver encore les catalogues.                                                  

    Mais pas seulement aux cimaises puisque la ville de Paris vient d'installer dans le métro, à la station Château rouge,dans le 18éme arrondissement, une fresque de Barthélémy Toguo, artiste camerounais, faisant suite aux 5 "poings d'eau" d'un autre camerounais Pascale Marthine Tayou (phot 2), placés en 2013 bd Davout dans le 20éme.  Il n'y a pas matière a s'en étonner si l'on considère la puissance évocatrice des oeuvres de ce continent dont Picasso avait déjà perçu la beauté des masques et des objets ethniques mais qui n'ont été longtemps appréciées que par une poignée d'amateurs. Depuis lors les collectionneurs se sont multipliés, toutes générations confondues - le musée du quai Branly, à l'initiative du Président Chirac, en est le témoin - et, de leur côté, les artistes africains ont pris conscience de leurs capacités à s'exprimer selon leur identité, leurs traditions, leur histoire,  leurs combats et leurs nouveaux rapports avec l'occident..A noter: le premier musée d'art contemporain  du continent africain, Zeitz Mocaa, vient d'ouvrir ses portes au Cap, en Afrique du sud.

    IMG_4868.JPG 20171025_163757.jpg Barthélémy Toguo, né en 1967, qui a reçu cette année le prix Marcel Duchamp, est exposé à la galerie Lelong. On y retrouve le motif à l'aquarelle de végétation envahissante, à la fois poétique et inquiétante (photo 3) mais surtout d'étranges fruits, c'est d'ailleurs le titre de l'exposition. Il se réfère à la chanson rendue célèbre par Billie Holiday évoquant les pendus lynchés dans les états ségrégationnistes du sud des Etats Unis (photo 4) Images saisissantes que ces têtes  qui se balancent aux branches des arbres sous le regard de chiens de bronze aux dents acérées et de corbeaux prêts à les déchiqueter. Virulente dénonciation de la violence raciste.                                                                            

    Barthélémy Toguo "Strange fruit", galerie Lelong, 13 rue de Téhéran, 75008, Paris.  Jusqu'au 25 novembre.

    La Fondation Cartier offre  une rétrospective du photographe malien Malick Sidibémalick-sibide-nuit-de-noel-happy-club-1963-malick-sibide-mali-twist-a-la-fondation-cartier-pour-lart-contemporain-150x150.jpg qui a su saisir l'euphorie d'une société en pleine mutation après l'indépendance du pays, partagée entre tradition et émergence d'une mode, d'une musique, d'un style de vie du monde occidental moderne. Une effervescence et une joie de vivre qui éclatent dans des portraits en noir et blanc. 260 oeuvres qui font revivre le Bamako des années 60. (photo 5)                                  

    Malick Sidibé, "Mali twist", fondation Cartier,   bd Raspail, 750  , Paris. Jusqu'au 25 février 2018.

    20171016_145900.jpg20171016_144414.jpg20171016_150728.jpgEn Avignon, la fondation Blachère,  dont le siège est à Apt, déploie sa formidable collection au Palais des Papes, au Musée Calvet, au Musée Lapidaire et au Musée du Petit Palais, de quoi pénétrer les grandes questions de l'Afrique d'aujourd'hui à travers des mediums souvent simples dans un dialogue entre lieux de création européenne des siècles passés - le Palais des Papes, symbole majeur de l'histoire de la chrétienté - et des pièces d'artistes du continent africain. Voici quelques exemples parmi les 76 sculptures présentes :  "Confluences"( 2008) éblouissante tapisserie en métal du ghanéen El Anatsui qui cliquette de ses innombrables capsules de bouteilles - persuasif recyclage - et renvoie aux habitudes de consommation d'alcool, au commerce avec  l'Europe  et son corollaire celui des esclaves. Multicolore, veloutée comme un manteau royal (photo 6).  Les silhouettes longilignes en fer à béton  (2002) du sénégalais Ndary Lo semblent exhorter l'Afrique à se dresser et avancer (photo 7). Les grandes ailes de polystyrène et de néon,"Solipsis" (2016) du sud africain Wim Botha,  s'élèvent en tourbillonnant (photo 8), tels des oiseaux migrateurs . Est-ce encore une injonction? marcheurs_0- Abdoulaye Konaté.jpeg860_ousmanesow-lanceur.jpg"Les marcheurs" (2006) du malien Abdoulaye Konaté, vêtus de découpes de cotons traditionnels multicolores, cheminent en procession sur une très longue tapisserie (photo 9). Vers quoi vont ils ? On ne saurait oublier "le lanceur zoulou" (1990-91) géant en résine et matériaux divers du regretté sénégalais Ousmane Sow, mort en 2016 :un hommage au combat et à la résistance contre le colonialisme et l'Apartheid. D'autres pourraient être cités. Par delà leur beauté, la simplicité de leur matériaux naturels (le bois, l'argile, la toile de jute...) leur étrangeté, sont une réflexion sur l' environnement et les grandes luttes contemporaines comme la désertification. 

    "Les Eclaireurs", sculpteurs d'Afrique, Avignon, jusqu'au 14 janvier 2018. 

    Berlinische-Galerie-Dada-Africa-2.jpgTémoins d'un engouement pour l'Afrique les artistes iconoclastes du mouvement dada - né en 1916 - et qui s'est déployé à  Zurich, Paris, Berlin, New-York, se sont penchés sur les formes culturelles et artistiques  de  l'art extra-occidental, l'Afrique, l'Océanie, l'Amérique, l'Asie. Le musée de l'Orangerie présente les oeuvres de Max Ernst, Picabia, Arp et bien d'autres en une joyeuse confrontation/inspiration ...à proximité des Nymphéas de Monet (photo 10).

    Dada Africa, musée de l'Orangerie, place de la Concorde, 75OO. Jusqu'au 2 février 2018.

     

     

  • Les vitraux de René Guiffrey au Beaucet (par Sylvie).

    20170914_111147.jpgI l faut toujours du temps pour que les belles choses se réalisent. J'avais signalé en 2013, dans le cadre d'une exposition de René Guiffrey à Pernes les Fontaines  (84), un projet de vitrail transparent qui nous avait enthousiasmés (voir Décrypt-art juillet 2013). Quatre ont été commandés par la mairie et le département du Vaucluse et installés  tout récemment  dans l'église romane Saint Etienne du Beaucet, un superbe village du Vaucluse perché sur ses rochers abrupts (1) autour duquel s'étagent sous les restes de l'ancien château, maisons troglodytiques ou en pierre sèche. L'édifice roman, d'une grande sobriété, temporairement un peu perturbée par des peintures murales d'étudiants en art, est un concentré de l'Histoire : clocher-arcade médiéval, clocher-tour octogonal surmonté d'un campanile-tour de guet, grande porte du XIXème siècle. A compter du XIéme siècle, Saint Gens, ermite mort en 1127, et Saint-Etienne, prédicateur juif du 1er siècle, se sont un peu disputé les lieux.. Depuis 1960, exit Saint Gens parti pour un sanctuaire à son nom, va pour CLICHE 10.jpgSaint-Etienne.

    Confronté à l'aura de ce martyr qui fut lapidé pour avoir prononcé le nom de Dieu, Guiffrey se devait de marquer les esprits de façon forte sans toutefois remettre en question son travail sur la transparence, porteuse de quiétude et de rigueur, et le verre, son cheval de bataille depuis de longues années, dont il connait les capacités, les effets, son poids- matière (2) et son poids-spiritualité sous une apparente innocence.

    Vitrail  -horizontale I-  (163x83cm).jpgDSC_0013.JPGUn premier de ces vitraux, face à l'entrée, ouvre l'espace un peu étroit de l'édifice et laisse sentir l'intense lumière du sud en la tamisant. A la différence ds vitraux traditionnels en couleur qui enferment et du verre translucide qui égalise, le mille-feuille des lames transparentes et  leur visible jonction modulent la surface en un léger frémissement semblable à la surface d'une mer frisée par le vent, mouchetée d'éclats lumineux comme des interstices de silence. La confondante simplicité d'une telle surface en non-couleur favorise réflexion et méditation. L'horizontalité des lignes y participe (3).

    Plus porteur encore de spiritualité cet autre vitrail (4) mêle les clartés prismatiques de la tranche et les épaisseurs vertes de la matière qui absorbe irrégulièrement les couleurs du réel extérieur. Pour peu que le visiteur se déplace, il en capte le crépitement des alternances. Pour Guiffrey ces brisures et cassures volontaires à l'intérieur de chaque vitrail sont "à lire comme les stigmates de la lapidation et les lignes centrales induisent les figures du debout et du gisant, du vivant et du mortel".

     Dans leur dépouillement, leur vibrante transparence, ces oeuvres, me semble t'il, donnent à percevoir un invisible dans ce qu'il a de plus mystérieux, poignant et transcendant.

    Eglise du Beaucet, Montée des Cendres (84210).

     

  • Biennale de Venise 2017 (par Régine)

    IMG_4516.JPG

    Pour la quatrième fois en 8 ans, mon mari et moi, arpentons les allées des Giardini et les immenses bâtiments de l'Arsenal, curieux de découvrir cette 57ème biennale de Venise.

    Les précédentes (voir mes articles sur les biennales 2011, 2013, 2015) nous avaient offerts de très belles découvertes dont certaines furent de véritables chocs. Nous avions eu aussi le plaisir de voir des oeuvres magnifiques réalisés par des artistes reconnus internationalement. Celle-ci, organisée par une française, Christine Mandel, dont le titre peu explicite "Viva arte viva" sonne comme une chanson, est plus sage et fait la part belle aux idéaux environnementaux, altermondistes, communautaires ou féministes. Elle célèbre le partage, l'égalité, la fraternité. Pas de grandes vedettes et, dans leur majorité, les artistes, dont beaucoup sont des femmes, nous sont inconnus.

    Pour les visiteurs de l'automne, il est frustrant de constater que de nombreux évènements collatéraux sont déjà terminés, notamment l'exposition "Philipp Guston and the poets" à l'Académie, la rétrospective Mark Tobey au Palais Gugenheim. Aux Giardini et le pavillon allemand, qui a eu le grand prix de la Biennale, est hélas déjà fermé. IMG_4518.JPGIMG_1342.JPGHeureusement que la belle installation de Pistoletto à Sain Giogio qui nous enchante avec ses miroirs, reste en place jusqu'à la fin de la Biennale (photo 1 et 1 bis).

    Aux Giardini comme à l'Arsenal les titres donnés aux différentes sections sont bien arbitraires et n'aident pas à se repérer dans le foisonnement des oeuvres présentées. Il faut donc se promener et s'arrêter devant les travaux qui retiennent l'attention. Voici donc ma récolte, aux Giardini d'abord.

    Les tableaux en relief de John Latham (1921-2006) (photo 2) IMG_4554.JPGincluant des livres brûlés, maculés, découpés, torturés ont une puissance qui évoque la destruction des civilisations et les bûchers de livre organisés par les régimes totalitaires, notamment nazi.

    On reste fasciné devant la minutie et le souci du détail des dessins de Ciprian Muresan (né en 1977 en Roumanie) (photo 3). IMG_1356.JPGEn superposant à l'infini, jusqu'à la limite de la visibilité, les oeuvres d'artistes majeurs (tels que Tiepolo, Corregio ou Morandi) il nous met dans la position d'un chercheur tentant de retrouver dans ce fouillis inextricable des bribes de tableaux connus et en voie de disparition. Peut-être veut-il aussi nous confronter à la surconsommation d'images caractéristique de notre époque.

    Parmi le foisonnement des vidéos, bien rare sont celles qui nous retiennent. Par son humour et son extravagance, celle de Taus Makkacheva (née en 1983 à Moscou) IMG_4579.JPGnous captive et nous tient en haleine jusqu'à sa fin (photo 4). Sur un fil tendu entre deux pitons rocheux, un équilibriste transporte d'un bord à l'autre une soixantaine d'oeuvres du musée du Dagestan. Fil tendu entre l'est et l'ouest, nature et culture, passé et présent. L'art est fragile et il est nécessaire de prendre des risques pour le préserver même dans les pires conditions.

    IMG_1378.JPGSous la rigueur géométrique et l'abstraction minimaliste des tableaux de Mc Arthur Binion (né en 1946) se dissimule sa biographie (photo 5). En effet, la peinture quadrille par des traits une multitude de petites photocopies de son certificat de naissance, de notes sur sa maison natale et de traces de son enfance dans le Mississipi. L'émotion naît d'abord de la beauté formelle de ses tableaux (photo 4), mais surtout de la géographie intime de son auteur qui n'apparait que lorsque observe les oeuvres de près.

    Quant au peintre syrien Marwan (1934-2016), (photo 6)IMG_4591.JPGqui fut l'un des protagonistes du "tournant figuratif" de la peinture allemande dans les années 1960, c'est son visage déformé, fragmenté, douloureux et bouleversant qu'il peint et repeint inlassablement (photo 5) exprimant ainsi sa difficulté d'être un exilé.

    IMG_4594.JPGPassionné par ce qui relie entre eux les différents organes humains Lubos Plny (né en 1961 au Canada) nous fascine avec ses dessins organiques faits à l'encre de chine et retravaillés à l'acrylique qui sont à la fois terriblement précis et totalement fantaisistes (photo 6).

    La fragilité du papier népalais qu'utilise Kiki Smith (née en 1954) IMG_4605.JPGpour ses dessins renforce la délicatesse des femmes hiératiques, absentes à elles-mêmes, qu'elle dessine. Ce travail raffiné, qui ne laisse pas indifférent, appartient à un univers difficile à saisir (photo 7).

    Je pourrai encore citer quelques oeuvres non dénuées d'intérêt mais elles restent noyées dans un ensemble qui n'échappe pas aux redites, à l'éloquence ou à une invention plastique limitée.

    Cependant avant de quitter les lieux il ne faut pas omettre d'arpenter le pavillon de Roumanie où une rétrospective de Geta Brâtescu (née en 1926) confirme l'importance de cette grande artiste dont la liberté et l'imagination mettent en joie, ni celui des Etats-Unis envahi par les sculptures et les peintures très impressionnantes de Mark Bradford (né en 1961).

     

    A l'Arsenal le désir de dénoncer la destruction de la planète, la colonisation, de mettre l'accent sur le féminisme et surtout de créer des liens sont très présents. IMG_4678.JPGLes textiles, matériaux éminemment féminins, tels que le fil, la ficelle, la laine, tissés, noués, piqués à la machine, sont utilisés dans de nombreux travaux. A commencer par l'installation de Lee Mingwei (né en 1964 à Taiwan). Installé derrière une longue table, relié à une multitude de bobines de fil de toutes les couleurs accrochées au mur, il propose de réparer vos vêtements élimés en les brodant. Une fois le travail fait, le vêtement rejoint la pile de ceux déjà réparés et auquel le fil est resté accroché (photo 8).

    C'est avec du fil et une machine à coudre que Maria Lai (1919-2013), IMG_4680.JPGcette sicilienne qui n'a jamais quitté son île, a créé son propre langage, totalement illisible mais plein de poésie. Avec du fil souvent noir ou rouge elle a piqué sur des morceaux de tissus des arabesques plus ou moins serrées mais obéissant à un rythme intérieur. Elles les a assemblés en grande tenture, en dessus d'autel ou en livres indéchiffrables mais plastiquement magnifiques (photo 9).IMG_4773.JPG

    Il émane des cocons réalisés par Judith Scott (1943-2005) en enroulant de la laine de couleur autour d'un objet une puissance presque animale. (photo 10) Tels des fétiches ils semblent détenir un lourd secret. Sourde, muette et trisomique Judith Scott est considérée aujourd'hui comme une grande figure de l'art brut (photo 10). (Voir l'article que Sylvie lui a consacré sur ce blog le 13.12.2011)

    IMG_1442.JPGIMG_1424.JPGTandis que l'immense et magnifique tente faite de lianes qu'Ernesto Neto (né en 1964 à Rio de Janeiro) (photo 11) a dressée à mi parcours de la corderie de l'Arsenal invite au recueillement et partage, la stupéfiante montagne de boules de laine au couleurs intenses et à l'aspect moelleux de Sheila Hicks (née en 1934 aux USA) incite à s'y blottir (photo 12). Son titre "Bâoli", ce qui en indien signifie lieu de rencontres sociales, est signifiant.

    IMG_1447.JPGL'ironie n'est-elle pas le moyen le plus efficace pour traiter les problèmes de la destruction de la planète ? Ainsi Michel Blazy nous enchante avec son étalage de chaussures éculées remplies de terre dans lesquelles il fait pousser des plantes (photo 13) ou avec son magazine sur Venise qu'il laisse se détériorer lentement sous l'effet d'un goutte à goutte provenant du plafond de l'Arsenal.IMG_1414.JPG Shimabuku (né en 1969 au Japon) nous amuse en transformant un ordinateur en hache de guerre (photo 14) après en avoir affûter l'un des bords et en juxtaposant des IMG_4696.JPGsilex taillés et des téléphones portables. Enfin Nicolas Garcia Uriburu (1937-2016) avec ses belles photos nous rappelle que dès 1968 il attirait notre attention sur la fragilité de la sérénissime en colorant le grand canal en vert fluo (photo 15).

    IMG_4809.JPGLa beauté peut aussi être une arme efficace, telle l'installation de Julian Charrière (née en 1987 en Suisse) qui évoque une belle ruine archéologique. Elle se compose de tours de différentes hauteurs, faites de blocs de sel, (photo 16) matière dont on extrait le lithium qui sert à fabriquer nos batteries de téléphone portable. Efficace aussi la violence et l'horreur des images du film que Marie Voignier (née en 1974) consacre aux carnages parfaitement légaux perpétrés par les riches chasseurs blancs en Afrique centrale et sa série de photos en noir et blanc d'animaux abattus donne la nausée.

    A ne pas manquer non plus le fascinant dispositif mis en place par Kader Attia (né en 1970). Sur plusieurs écrans apparaissent les visages de célèbres chanteuses orientales dont la voix fait vibrer des hauts parleurs sur lesquels il a placé de la semoule qui vibre et dessine des figures au grès du rythme des mélodies.

    Que signaler encore parmi une telle profusion d'oeuvres trop souvent réduites à des accumulations d'images ou accompagnées de commentaires décourageants ?IMG_1439.JPG Sans doute la superbe tenture d'Abdoulaye Konate (photo 17), IMG_1436.JPGles subtiles toiles de Riccardo Guarneri qui, au milieu de tant de vidéos et d'installations, rappellent que la peinture existe encore (photo 18), ouIMG_4732.JPG l'étonnante tour de Yee Sook Yung faite de fragments de vases coréens récupérés dans les fabriques de poteries des alentours de Séoul, façon de leur donner une nouvelle vie (photo 19).

    La lassitude finit par gagner devant une telle accumulation mais s'il vous reste un peu d'énergie allez voir le pavillon de la IMG_4786.JPGNouvelle Zélande où Lisa Reihana déroule son film panoramique faussement édénique sur les sauvages de l'Océan Pacifique et l'arrivée de James Cook  (photo 20) et celui du Chili où IMG_4782.JPGBernardo Oyarzim, à l'aide d'une forêt de masques, dénonce la destruction de la civilisation Mapuche (photo 21).

     

     

  • Toni Grand et Pierre Tal Coat (par Régine)

    Le rapprochement de ces deux artistes, l'un sculpteur, l'autre peintre, qui ne se sont peut-être pas connus, est très judicieux. Tous deux, en effet, ont entretenu un dialogue avec la nature et ont cherché à faire apparaître les formes qui lui sont sous-jacentes plutôt que de les mettre à jour. Tout l'art du galeriste est d'avoir su, par son accrochage, mettre en évidence cette parenté entre les deux artistes.

    On ne souligne jamais assez le rôle joué par un accrochage. La façon dont les oeuvres sont réparties sur les murs, leur nombre, leurs rapprochements, le rythme de l'ensemble, peuvent décider de la réussite ou non d'une exposition.

    Ici peu d'oeuvres, mais choisies et accrochées avec justesse, sont mises avec intelligence en résonance les unes avec les autres.

    Ainsi le très beau tableau terre de Sienne de Tal Coat intitulé "Déchiré profond", (photo 1)IMG_4146.JPG dont les deux incisions cerclées de matière plus épaisse et sombre diffusent à l'ensemble une grande sensualité, voisine avec une délicate sculpture de Toni Grand. Elle est faite de fines baguettes de bois auxquelles sont restés collés des morceaux d'écorce moussue et dont le mouvement rappelle celui du serpent ou d'un cours d'eau (photo 2)IMG_4151.JPG. En haut du mur à gauche, le dessin de Tal Coat (photo 3)IMG_4150.JPG fait de quelques traits qui pourraient figurer des chemins, un cours d'eau ou encore un animal, et plus bas à droite une délicate aquarelle où domine le vert d'eau, ponctuent harmonieusement l'ensemble.

    Autre exemple : deux gouaches de Tal Coat dont le trait noir transforme la surface de la feuille blanche en espace - aucune préméditation ne semble avoir précédé leur tracé qui serait comme le centre de gravité d'une vision, d'un mouvement - encadrent et accompagnent une gracieuse sculpture de Toni Grand ; faite de fines lamelles de bois assemblées en éventail, elle semble esquisser un pas de danse tout en soulignant la verticalité des trois oeuvres (photo 4)IMG_4153.JPG.

    Tal Coat adorait dessiner tout en roulant en voiture ou en train car pour lui le monde advient entre surgir et disparaître, tout est en devenir. La sculpture de Toni Grand, faite de planchettes assemblées telles les solives d'un chemin de fer ou les dalles d'une route, accompagne avec à propos deux petits dessins du peintre qui font affleurer l'instable dans la permanence et qu'on imagine griffonnés par l'artiste lors d'un de ses déplacement (photo 5)IMG_4155.JPG.

    Tal Coat fabriquait lui-même ses médium car il voulait que sa peinture soit un "humus" comme ce sol auquel il accordait tant d'attention. Il l'appliquait sur des support variés : la toile bien sûr mais aussi des couvercles de boîte de cigares, des morceaux de carton, des planchette de bois. Quelques unes de ces petites oeuvres sont harmonieusement disposées ici autour d'une discrète oeuvre de Toni Grand (photo 6)IMG_4154.JPG. Je ne retiendrai que deux d'entre elles qui, à mon sens résume sa démarche. L'une qui ne mesure pas plus que 13 cm sur 22 environ (photo 7) IMG_4142.JPGet l'autre 7 sur 23 (photo 8)IMG_4143.JPG. La première est vert d'eau, la seconde ocre clair. Pas de figure, mais deux espaces mouvants ou la couleur circule autour de profondes griffures et de taches blanches qui affleurent, synthèse de la terre et de l'eau.

    On ne peut que saluer l'idée d'avoir rapproché ces deux artistes et d'avoir si bien su les faire dialoguer. Cette exposition est aussi très émouvante quand on sait que la majeure partie de leurs oeuvres à tous les deux a été ravagée par le feu.

    Pierre Tal Coat - Toni Grand - "Frontspace" - Galerie Christophe Gaillard, 5 rue Chapon, 75003-Paris.          Tél : 01 42 78 49 16. Jusqu'au 29 juillet.

     

  • Debré et d'autres en Touraine (par Sylvie)

    Envie de vous échapper à l'approche de l'été ? Optez pour la Touraine, pas seulement pour ses multiples châteaux, ses bons vins et la somptueuse Loire.                                                                                                                     20170503_142010.jpg         A Tours même s'est ouvert en mars 2017 un nouveau musée d'art contemporain signé par deux architectes portugais Francisco et Manuel Aires Mateus qui ont eu le mérite de réaliser un bâtiment noble et rigoureux, adouci par la pierre blonde locale, dans un environnement hélas un peu ingrat malgré son nom de "Jardin François Ier" (photo 1). Ce Centre de Création Contemporaine abrite le fonds du  peintre, lithographe, décorateur, céramiste, Olivier Debré (1920-1999), architecte de formation dont on sait les racines locales et l'attachement profond au Val de Loire. Sa liberté de langage plastique en a fait un des représentants de l'Ecole de Paris. Il qualifiait son propre travail d' "abstraction fervente".                   

    20170503_143349-Gris bleu de Loire.jpgL'exposition actuelle qui se tient dans la galerie blanche est consacrée à des oeuvres peintes en Norvège où il a maintes fois séjourné à partir du milieu des années 60.  Le bleu domine. Rien de surprenant, "abstraite, immatérielle, spirituelle" tels sont les adjectifs employés par Debré à son sujet. Si on la sent, plus ou moins vibrante ou sombre selon qu'elle côtoie le blanc de la neige poudreuse ou glacée ou les noirs du crépuscule, il est clair que l'artiste a retrouvé dans le grand nord cette teinte du ciel tourangeau qu'il a toujours aimé. Pour en bien marqué le caractère symbolique, un 20170503_143726.jpg20170503_143239.jpg20170519_084647.jpggrand "Gris bleu de Loire" ouvre l'exposition (huile sur toile, 370x915cm, 1990. Photo 2).    Elle précède des oeuvres de petit format, tout aussi abstraites, créées souvent sur le motif.  Se profilent ainsi des signes récurrents comme les blancheurs hivernales d'Oppdal (photo 3) les bleus nocturnes ou orageux de Lysne(photo 4), les stavkirke, églises traditionnelles en bois (photo 5, capture d'écran), les tons sourds et terreux de l'automne en montagne ou  les tonalités outremer des marines de Svanoy. D'une matière épaisse, onctueuse, elles sont l'expression instinctive, spontanée d'une émotion que le spectateur peut lui-même ressentir... ou pas.

    20170503_15044Sous le titre "Innland" le musée présente également des oeuvres de jeunes créateurs norvégiens. Parmi eux Per Barclay qui a réalisé une "chambre d'huile", bassin monochrome noir et inerte qui reflète les hautes baies vitrées du bâtiment : magique.(photo 6).

    Olivier Debré, CCC OD, jardin François Ier, 37000 Tours.  Un voyage en Norvège, jusqu'au 17 septembre et Innland, jusqu'au 11juin. Du mercredi au samedi.

    20170503_151058.jpg

     

    Avant de quitter Tours pour remonter vers le nord, on peut s'enchanter de la présence, fut-elle temporaire, à quelques mètres du CCC OD, devant la façade Renaissance de l'hôtel Gouïn, d'un stabile coloré (phot 7) du sculpteur américain Alexandre Calder dont l'atelier de Saché où il travailla à partir de 1953, est aujourd'hui un lieu de résidence et de création artistique.

    A une quarantaine de kilomètres de là, au Domaine de Chaumont sur Loire, se tient le Festival international annuel des jardins. Il faut beaucoup de temps pour tout voir entre château, écuries, cour de ferme, parc...tous plus beaux les uns que les autres. Mais une simple promenade parmi les installations du parc est fort réjouissante. Nous avons ainsi retrouvé les travaux d'aiguille de l'anglaise 20170503_170958- Sheila Hicks.jpg20170503_170549-Henrique Oliveira(momento fecundo).jpg20170503_180024- Patrick Dougherty-1.jpg20170503_175107- El Anatsui (Ugwu) 1..jpgSheila Hicks (Glossolalia, photo 8), les entrelacs biomorphiques en bois du brésilien Henrique Oliveira (photo9), les cages végétales de l'américain Patrick Dougherty (photo 10) et les amoncellements alanguis de matériaux de récupération du ghanéen El Anatsui (photo 11). Il en est beaucoup d'autres à découvrir aux détours des chemins et des bâtiments.                               

    Les fleurs, dans leur variété, leur luxuriance, tiennent salon. thème 2017:  "Le pouvoir des fleurs".

    Festival international des jardins, Domaine de Chaumont sur Loire. Jusqu'au 5 novembre.

     

  • Karel Appel (par Régine)

    L'exposition Karel Appel, honorant une donation de 21 peintures et sculptures de la Karel Appel Foundation et de la veuve de l'artiste, réveille le Musée d'Art Moderne de la ville de Paris de sa torpeur. En effet de nombreuses salles sont vides ou en travaux, la programmation éclectique des derniers mois et le flou de celle à venir permet de s'interroger sur son avenir.

    L'exposition de Karel Appel qui n'occupe qu'une partie du rez-de-chaussée, n'est hélas pas à proprement parler une rétrospective. Elle met particulièrement l'accent sur les oeuvres des années 1945-1965 et mis à part l'ensemble de dix sept sculptures sur la thématique du cirque de 1978, le nombre des peintures des années 1970-2006, année de sa mort, est si restreint qu'il ne permet pas d'avoir une idée précise de l'ensemble de son travail.

    Ces réserves étant faites, elle vaut le déplacement car les oeuvres puissantes de la première période sont passionnantes à plus d'un titre.

    Né en 1921 à Amsterdam, Karel Appel y suit les cours de l'école des Beaux Arts puis vient à Paris en 1947. Il y découvre l'oeuvre de Dubuffet et un an plus tard y fonde le groupe COBRA, acronyme de l'origine de la plupart de ses membres (Copenhague, Bruxelles, Amsterdam). Dissoud en 1951, ce groupe qui réunissait des artistes tels que Jorn, Constant, Corneille, Dotremont, ne durera que trois ans mais suffisamment longtemps pour avoir permis à ses membres de rompre avec les formes artistiques de l'époque, contaminées par les normes et les conventions. Il aura donné à ses adeptes la liberté de puiser aux sources de l'instinct, de découvrir la richesse des arts dits primitifs, la valeur de la spontanéité créatrice du dessin d'enfant ou des handicapés mentaux.

    "La Promenade", un tableau de 1950, (photo 1)IMG_3914.JPG illustre parfaitement cet état d'esprit. Dans un festival de couleurs ou se disputent les rouges, les jaunes, les turquoises, les bleus et les bruns, deux créatures, peut-être des poissons, emmènent en promenade un drôle de petit individu juché sur le dos d'un animal extravagant. Le tout campé comme un dessin d'enfant où formes et couleurs se répondent, nous communique, à la manière de Miro, un sentiment de plénitude joyeuse.

    Mais pour l'artiste, l'art est-il réellement une fête comme l'indique le titre de l'exposition ? En effet, avec d'autres oeuvres, un peu plus tardives, le visiteur se trouve bousculé par un climat beaucoup plus inquiétant, mélange de candeur, de tristesse et de violence.

    Dans "Carnaval tragique" de 1954, (photo 2) IMG_3918.JPGau dessus du visage d'un homme aux yeux écarquillés, s'agglutinent plusieurs personnages terrifiés. Tous semblent figés d'effroi devant un spectacle tragique. L'ensemble, sommairement dessiné d'un trait nerveux, griffé, jaillit de la matière picturale aux couleurs vives, franches et peu travaillées.

    Une grande solitude et un profond désarroi se dégage de "Danseurs du désert", (photo 3) IMG_3916.JPGpeint la même année. Sur un fond de couleur sable, deux êtres (homme ou animal ?) nerveusement griffonnés se tiennent debout de face. Leurs visages et leurs corps réduits au minimum sont balafrés de couleurs éteintes et de quelques taches de rouge.  Entourés d'un tourbillon de traits, pour quel public dansent-ils ces deux êtres si pathétiques ?IMG_3920.JPG et à quel évènement assiste le personnage de "Tête tragique" de 1956  (photo 4). Peint en noir et blanc avec quelques touches de bleu il semble jaillir de la matière en hurlant sa terreur.

    Dans les années 1962, l'artiste peint une série de nus dont sa compagne "Mashteld" qui mourra en 1970 (photo 5)IMG_3924.JPG. Portant pour tout vêtement un grand chapeau noir, elle se tient de face et occupe toute la surface de la toile. La matière, le personnage sommairement esquissé évoquent irrésistiblement les femmes de de Kooning mais dont l'agressivité et la fougue auraient été évacuées pour laisser place à une tendresse emprunte de mélancolie.

    Appel est également sculpteur.  Il construit d'étranges sculptures réalisées avec des objets trouvés, tel "L'homme hibou" (1962) (photo 6) IMG_3929.JPGfaites à partir d'une souche d'olivier. Dressé sur ses ergots l'individu observe le monde de ses yeux troués. Peint à la manière de Gaston Chaissac, le jaune, l'orange, le noir et le blanc se partagent sa surface rugueuse. Deux autres sculptures-installations monumentales, toutes deux exécutées en 2000, ouvrent et ferment l'exposition. L'une est faite de têtes d'ânes hilares coiffés de parasols, "Anes chanteurs", l'autre de chevaux de foire entremêlés de totems indonésiens "La chute du cheval dans l'espace silencieux". Ces assemblages baroques, à l'atmosphère assez grinçante, empruntant au monde de la foire sont beaucoup moins convaincants que la série des dix sept sculptures joyeuses qu'il réalise en 1978 (photo 6) IMG_3943.JPGsur le thème du cirque et qui sont toutes là. Faites de bouts de bois, vivement colorées, ce sont autant d'animaux IMG_3938.JPGen action (photo 7), de clowns acrobates (photo 8) IMG_3936.JPGou musiciens, saisis dans l'instantanéité de leur numéro. Affranchie de toute convention, Appel laisse ici libre cours à sa spontanéité, sa drôlerie, son imagination.

    A partir des années 1980, Karel Appel partage sa vie entre Paris et New York. Cette période est très peu représentée dans l'exposition. Deux oeuvres, pour lesquelles l'artiste renonce à la couleur, ont retenu mon attention. Bien que figuratif le grand polyptyque en 4 panneaux intitulé "Les décapités" (1982) (photo 8) Les décapités.jpgest tragiquement énigmatique. Le sol flambe sous les pieds du personnage et sous les pattes des oiseaux peints en noir sur un fond blanc mouvementé. Tous les protagonistes se livrent à une lutte cruelle dont personne ne sort vainqueur. Nude figure"de 1989 (photo 9IMG_3945.JPG) est un tableau poignant. Sur un fond uniformément noir qui occupe les trois quart de la toile un personnage peint en blanc évite de tomber en s'appuyant sur un mur. Bien que puissamment bâti, son corps se défait, les maculations de peinture blanche qui s'en échappent et les crispations des traits de son visage sommairement dessiné traduisent son effort pour se maintenir debout.

    En regardant les oeuvres d'Appel ici exposées, ce n'est pas vraiment la représentation qui compte mais son énergie communicative. Par la façon dont il travaille la matière, dont il utilise les couleurs, c'est le mouvement même de l'émotion qu'il nous communique. "Son anthropomorphisme sous-tendu par le grotesque et l'ironie est comme un rêve éclaté et halluciné par l'explosion créatrice à la fois tourmentée et heureuse", disait si bien le critique d'art G.C. Argan.

    "Karel Appel, l'art est une fête" Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris - 11, avenue du Président Wilson, 75116-Paris, (01 53 67 40 00) ouvert du mardi au dimanche de 10 à 18 h. Jusqu'au 20 Août 2017.

     

     

  • Richard DEACON (par Sylvie)

                                                                

     

    IMG_3895.JPGUn champ de tulipes ! Selon leur densité on peut les considérer comme une étendue colorée ou comme une multitude de points différents.                                                 Richard Deacon, sculpteur anglais né en 1949, membre, comme Tony Cragg, Barry Flanagan, Antony Gormley ou Anish Kapoor, de la New British Sculpture depuis les années 80, qui est exposé à la galerie Thaddeus Ropac, laisse au visiteur le même choix de perception. Ses 20 nouvelles sculptures  et quelques dessins occupent toute la surface de la galerie, imposant un coup d'oeil général puis une déambulation parmi elles. Un peu comme dans un atelier où les oeuvres dialoguent entre elles là où elles ont été conçues et qu'un dernier geste du créateur peut encore modifier. L'atelier de Brancusi, reproduit selon sa volonté au flanc du centre Pompidou, en est un bon exemple: chaque pièce se différencie des autres, un esprit se dégage de l'ensemble. Ici,en revanche, on n'entre pas dans un sanctuaire mais dans un show-room de façonnier.  (photo 1)

    Les  oeuvres sont de format modeste, ce qui n'est pas la marque de fabrique particulière de Deacon - on lui en connait de monumentales -. Elles reposent sur de vraies tables carrées de hauteurs différentes dont le dessus est peint dans un ton orangé, très chaud. Basses, elles impliquent un regard plongeant, distancié. Leur bois est clair, comme celui des sculptures tant et si bien qu'on se pose la question: ces présentoirs feraient-ils partie des oeuvres ? Plutôt  abstraites, celles-ci ont néanmoins un caractère organique évident. Les courbures, la fluidité, les trouées et la douceur du poli leur donne une sensualité certaine malgré un traitement industriel que Deacon associe, comme nous allons le voir, à tout son travail...

    IMG_3897.JPGPremière oeuvre qui combine le frêne, un bois assez dur, bien connu pour son élasticité et sa résistance à la pression et aux chocs, et une pierre dure et sombre, marbrée, posée là sur des pieds, comme un dolmen ou un navire.  Savamment assemblé, creusé en suivant ses lignes, le  bois ainsi torsadé, évoque une mer agitée. Fermement contenues  par des inclusions de bois plus clair, les extrémités semblent juguler le flot. Un travail délicat et subtil d'ébénisterie alliant tenons et mortaises. (photo 2)

    20170317_161515.jpgD'un socle de pierre ou de béton s'élance une sorte de défense de licorne ou  botte de tiges, à la fois décidé dans son envol et souple comme la double hélice de l'ADN. Par soustraction virtuose, des entailles longues suivant les rainures du bois l'ont ajourée et rappellent le mouvement extensif d'un muscle en travail. Des petites chevilles incrustées çà et là sans nécessité apparente, donnent un caractère fragile à l'oeuvre, comme un besoin d'être soutenue. Deacon se veut fabricant plutôt que sculpteur. Mais sans brutalité. La violence du faire disparait dans la douceur de l'effet. (photo 3)

     

    20170317_161644.jpg 20170317_161559.jpgD'une extrême sobriété  cette sculpture là (photo 4) résume, selon moi, à la fois la beauté du matériau choisi, clair mais nuancé, le talent de l'artiste à travailler le bois en l'écoutanIMG_38966 -R; Deacon- métal.JPGt, à réaliser des entrelacements rythmiques créateurs d' un déséquilibre visuel. Quant aux éléments d'ingeniérie, ces rivets blancs réparties tout autour de façon informelle, ils embarquent le regard dans une étourdissante spirale.

     Outre ces variations autour du bois Richard Deacon a un goût pour tous les matériaux de construction. Cette pièce au bord découpé est en concrétion de débris de béton et de pierre provenant de rebuts de démolition. Il en explore les potentialités. Moulé, découpé, peint, vernissé ou recouvert de céramique, sous sa main cela devient un réceptacle de forme biomorphique, cellulaire, vivante, proche des oeuvres de Henri Moore  (photo 5).

    Rien de surprenant que le métal ait inspiré l'artiste puisqu'il revendique le processus de création industriel. En la découpant, la pliant, il anoblit cette tôle à relief souvent utilisée au sol comme antidérapante : tout le contraire des artistes conceptuels pour qui le matériau avait peu d'importance. On remarquera que le support, peint en gris comme l'oeuvre, participe de son tout (photo 6).

    Richard Deacon "Thirty pieces", galerie Thaddeus Ropac,  rue Debelleyme, 75003 Paris. Jusqu'au 15 avril.

  • GAO BO (par Régine)

    Si l'oeuvre douloureuse de l'artiste chinois Gao Bo, actuellement exposée à la Maison Européenne de la Photographie nous émeut tant c'est parce que, puisant dans les épisodes tragiques de son existence, il interroge le mystère de la vie. Dès l'entrée, face au jardin zen, son installation formée d'un amoncellement de galets sur lesquels sont imprimés les visages de milliers de tibétains ou de chinois destinés à s'effacer avec le temps, illustre l'essentiel de ses thèmes : l'apparition, la disparition, la nature immanente de tout être humain et son lien avec les éléments (photo 1)

    IMG_3825.JPG

    Au commencement de son parcours artistique il y a le Tibet. Dès 1985, il a alors 20 ans, il y voyage et réalise une série de portraits. Entre 1989 et 1993 il y, retourne et photographie alors les habitants de Lhassa et les rites millénaires des moines. Des années plus tard il reprend ses tirages. Emu par ce qui s'en dégage, il les organise le plus souvent sous forme de diptyques ou de triptyques et exprime son attachement à ce pays en les entourant d'un filet de son propre sang utilisé comme de l'aquarelle et en leur ajoutant des commentaires à l'aide d'une écriture illisible, calligraphiée sous le coût de l'émotion. Très graphique, totalement inventée, celle-ci dépasse les limites du langages et ouvre la perception de l'oeuvre à d'autres univers tels que la poésie, la musique, l'imaginaire. Ainsi ce diptyque où la même image est reprise dans les deux parties mais dans un format différent (photo 2)IMG_3805.JPG. L'immobilité et la forme de l'unique personnage pris de dos au deuxième plan sont identiques à ceux de la grosse pierre noire dressée au premier plan. Quelques gouttes de sang et un commentaire illisible accentuent la solitude de cette forme humaine. Dans cet autre diptyque (photo 3)IMG_3809.JPG trois moines sont allongés face contre terre, vus dans un sens, puis dans l'autre. Bien qu'ensembles mais isolés les uns des autres, ils prient. Son sang et sa calligraphie relient les deux images. Ce triptyques enfin où une vieille femme et un enfant, réunis sur la même image regardent ailleurs et restent seuls avec eux-mêmes (photo 3) IMG_3804.JPG. De cette série magnifique (qui se poursuit à la Maison de la Chine, Place St Sulpice) se dégage une grande solitude, une quête d'un au-delà dans un univers minéral et totalement démuni.

    L'âme de ce pays se retrouve encore sur chaque partie du triptyque figurant un groupe de pèlerins cheminant vers un temple. Sur chacune des parties est ficelée une pierre calligraphiée qui évoque à la fois l'omniprésence et le fardeau de la religion dans cette région du monde (photo 4)IMG_3857.JPG.

    Si la photo est une composante importante du travail de Gao Bo, elle ne l'intéresse qu'en tant que médium qui lui permet d'exprimer sous différentes formes (dispositifs, installations, performances) son monde intérieur. Toute son oeuvre est liée à l'histoire de son enfance et sa création est un acte cathartique qui lui permet d'exorciser sa difficile histoire personnelle : le souvenir de la révolution culturelle, des exécutions publiques auxquelles il a assisté, et surtout le suicide de sa mère qui s'est jetée sous un train devant ses yeux alors qu'il n'avait que huit ans.

    Ce pathétique épisode est évoqué dans une série intitulée "Requiem". Sur d'immenses photos recouvertes de peinture brune ou noire, qui rappellent l'univers d'Anselm Kiefer, il a attaché des branches d'arbres morts dans le creux desquels il a glissé des ossements. Elles sont solidement ligotées entre elles par des bandelettes tachées de sang (photos 5 et 6)IMG_3813.JPGIMG_3816.JPG. Tentative de réunifier le corps sanglant et démantelé de sa mère, et aussi hommage rendu à tous ces suppliciés victimes innocentes d'un régime totalitaire. Ces arbres traités comme des êtres humains, comme le fait aussi le sculptrice belge Berlinde de Bruyckere, suscitent une intense émotion qui touche au corps.

    Plus loin ce sont des portraits monumentaux, organisés en diptyque et barrés de néon rouge. Certains ont été recouverts de peinture noire ou blanche destinée à s'effacer peu à peu pour laisser réapparaître la figure ; d'autres font se côtoyer le portrait d'un homme et un crâne. Questionnement sur la trace laissée par la disparition et le temps qui passe (photo 7)IMG_3848.JPG.

    Pour lui la destruction et ses vestiges peuvent être transformées en un processus créatif. Cette installation par exemple, proche de celles de Boltanski, qui réunit une douzaine de tragiques portraits, probablement de condamnés à mort, dont le bas du visage a été bâillonné et la tête recouverte d'un linge banc. Des écriture illisibles en néon, placés au dessus de leurs têtes, IMG_3822.JPGévoquent le sort incompréhensible qui leur fut réservé (photo 8).  Il n'a pas hésité à brûler une série de portraits de condamnés à mort et d'en conserver les cendres dans des boîtes en fer qui donne lieu ici à une installation (photo 9). Ces êtres sont morts, probablement pour rien, mais leur lumière nous habiteIMG_3851.JPG.

    Ces quelques exemples puisés parmi les oeuvres exposées montre l'univers torturé de cet artiste dont l'oeuvre est bien différente de celle des peintres chinois à la mode qui envahissent actuellement nos cimaises. Elle nous bouleverse et nous touche profondément par la portée universelle des thèmes abordés. A la fois matérielle et spirituelle, physique et mentale, elle nous conduit de l'élémentaire au métaphysique.

    Gao Bo "Les offrandes", jusqu'au 9 avril. Maison Européenne de la photographie - 5/7, rue de Fourcy - 75004-Paris. 01 44 78 75 00. Fermé le lundi.

    Voir aussi : "Offrande au Tibet" à La Maison de la Chine 75, rue Bonaparte, 75006. Entrée libre du lundi au samedi de 10 à 19 h.