Bernard Moninot (par Régine)
L'oeuvre de Bernard Moninot ne ressemble à aucune autre. C'est un dessinateur, mais non pas au sens traditionnel du terme ; son dessin n'est pas la représentation d'un objet, d'un paysage ou d'une idée, mais le résultat de son désir de capter avec des dispositifs, qu'il met lui-même au point, les forces agissantes de la nature, d'en faire le portrait en quelque sorte.
Deux expositions lui sont actuellement consacrées, elles permettent de découvrir cet artiste hors du commun. L'une intitulée "Cadastre" a lieu à la Galerie Catherine Putman, l'autre "Chambre d'écho" a la Galerie Jean Fournier.
L'exposition "Cadastre" chez Catherine Putman, présente différentes séries récentes : Cadastre, Ligne d'erre, Clinamen. Chez Bernard Moninot une oeuvre résulte toujours d'une autre qui lui est antérieure. Les deux première (Cadastre et Ligne d'Erre) sont donc issues d'une série plus ancienne "La mémoire du vent" dont quelques exemples sont aussi présents. Le dispositif mis en place pour la réaliser éclaire bien sa démarche ultérieure : après avoir attaché à un arbre une plaque de verre enduite de fumée, il équipe une branche avoisinante d'une tige de verre de façon à ce qu'elle vienne griffer la plaque lorsque le vent souffle et la remue. S'enregistre ainsi le mouvement du vent, son écriture dit-il.
Ce travail a provoqué chez lui une libération du geste. En effet, laissant sa main guidée par le hasard, il a réalisé plusieurs séries comme la "Ligne d'erre" dont les dessins transcrivent le mouvement de son regard sur le paysage environnant (photo 1). L'oeil se balade et parallèlement la main, guidée par ce qui est scrutée, trace et déploie un entrelacs de lignes qui parcourent souvent une constellation de taches d'aquarelles légères comme des bulles. Dessins d'un vagabondage mental qui ouvre les portes de l'imaginaire. Pour la série "A la poursuite des nuages" l'artiste procède de la même façon. A l'aide d'un pinceau japonais il regarde le ciel et peint à l'aquarelle et en aveugle la course des nuages (photo 2). Ainsi nous fait-il sentir physiquement leur transparence, leur volume, leur moutonnement, leur mouvance et nous montre que temps et espace son indéfectiblement liés. La série "Cadastre" est née après un séjour d'une semaine à l'observatoire de Haute Provence. En reliant par un trait très fin et aléatoire des petites taches blanches ou colorées projetées sur un papier noir il recrée sous nos yeux le scintillement des constellations de la voûte céleste (photo 3). La lumière fossile, celle dont on perçoit l'éclat des milliards d'année après l'extinction de l'astre qui l'a produite, le fascine. Elle l'a inspiré pour réaliser une oeuvre d'une grande beauté (photo 4). Il a parsemé et collé sur un disque de plexiglass des pentacrines, fossiles en forme d'étoile datant de 200 millions d'années qu'il collecte dans le Jura, dans le vignoble de Château Chalon, et où il a un atelier. En tendant des fils entre elles il a dessiné la carte d'un ciel imaginaire rempli d'innombrables constellations. Ainsi a-t-il fait se toucher le sol et le ciel (photo 4). D'ailleurs le mot cadastre ne contient-il pas le mot astre ?
Pour la série "Clinamen", (photo 5) B. Moninot a traduit visuellement ce concept de la physique épicurienne signifiant la déviation spontanée des atomes qui les fait s'entrechoquer. Il a superposé deux plans faits de soie fine et transparente constellés de taches rondes et légères qui semblent flotter. En bougeant le spectateur voit les tâches se heurter. Pour représenter la fusion optique des couleurs il procède de la même façon en superposant deux plaques de couleurs différentes et c'est le spectateur qui met en marche le processus. Bernard Moninot rend toujours le spectateur actif devant ses oeuvres.
L'exposition "Chambre d'écho" chez Jean Fournier est le nom d'une installation autour de laquelle s'organise toute l'exposition (photo 6). Devant ce dispositif, d'une infinie complexité et d'une grande élégance, on se sent aussi attiré, perplexe et interrogatif que devant le Grand verre de Duchamp ou le Modulateur de lumière de Moholy Nagy. Tout en transparence sa structure parallélépipédique contient une petite maison (la cabane) (photo 7) au toit de laquelle est suspendu un lustre dit sonore car un mécanisme permet d'en faire teinter les éléments. Lui fait face un rideau transparent dit "de patience" sur lequel est esquissé une montagne (photo 8). Au théâtre ce terme désigne la toile tendue au fond de la scène pour cacher les éléments de décor en attente, ici il cache une série d'objets de mémoire que Moninot a accumulé avec le temps ainsi que les lettres d'une phrase de René Char "Les yeux seuls sont encore capable de pousser un cri" (photo 9). Ce dispositif spatial, dont la fonction reste mystérieuse et dont la complexité et la délicatesse sont comparables à un mécanisme d'horlogerie, pourrait être la matérialisation de l'écho d'évènements anciens et oubliés qui, toute notre vie durant, se répercutent en nous et nous font tels que nous sommes. Cette longue expérience est pour lui comparable à celle de l'écho qui, en montagne, se répercute de vallée en vallée et finit par s'évanouir.
Sur le mur qui lui fait face sont accrochés quelques aquarelles légères de montagnes bleues et enneigées sur lesquelles on devine le reflet de la chambre d'écho (photo 10). Sous vitrine figurent les carnets dans lesquelles a été consigné, des années durant, le processus d'élaboration de cette machine qui semble inspirée par l'ouvrage passionnant de Frances Yates L'art de la mémoire. Les autres oeuvres de l'exposition complètent bien celles qu'on a pu voir à la Galerie Catherine Putman.
Ainsi Bernard Moninot s'échappe-t-il de l'art traditionnel pour explorer des territoires inconnus et nous donner à voir des choses invisibles à l'oeil nu ou qui n'existe que le temps de la vision. Il ne représente pas le temps mais ces deux expositions nous montre comment il le met en action pour nous donner à voir le langage poétique et musical de la nature. L'extrême raffinement dans l'exécution de ces oeuvres ne serait-il pas l'écho de la subtilité des phénomènes qu'il perçoit de la nature. Ce travail fascinant, unique en son genre, interroge infiniment le spectateur.
Galerie Catherine Putman - 40, rue Quincampoix, 75004-Paris. (01 45 55 23 06). Bernard Moninot "Cadastre" jusqu'au 4 Mai
Galerie Jean Fournier - 22, rue du Bac, 75007-Paris (01 42 97 44 00) Bernard Moninot "Chambre d'écho). jusqu'au 4 Mai