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décrypt'art - Page 11

  • Jannis KOUNELLIS (par Sylvie).

    Il faut y courir. L'exposition Yannis Kounellis - artiste italien né en 1936 - à la Monnaie de Paris va bientôt fermer ses portes. Ce serait dommage de passer à côté du travail de cet artiste à l'origine de l'Arte Povera à la fin des années 60 qui a bouleversé le monde de la sculpture en introduisant des matériaux dits "pauvres". Il y ajoute des accessoires de la vie quotidienne se rérérant aux activités du réel: meubles, vêtements, éléments végétaux et animaux propres à faire naitre de multiples questions.

    Dés l'entrée, dans la vaste salle à très haut plafond, aux colonnes de marbre et aux dorures propres au XVIII ème siècle de cet hôtel particulier du quai Conti, Kounellis bouscule la présentation habituelle de la sculpture et de la peinture en créant un ensemble surprenant qui résume assez bien les grands symboles qui lui sont chers et les contrastes qu'il entretient.                                                                                                                 20160418_161426.jpg20160418_161907.jpgS'y côtoient une dizaine de gigantesques chevalets noirs bloquant l'espace (photo1), porteurs d'austères tableaux dans leur noirceur d'acier brut, une noirceur naturellement nuancéé de rouille et de  bleuté qui ne sont pas sans rappeler les "Outrenoirs" de Soulages ou par leur bande verticale, le minimalisme de Barnett Newman.  A leur pieds,sur le sol à damier noir et blanc, Kounellis fait dialoguer les matières, les confrontent les unes aux autres: (photo2) un bac de charbon (  un bac à sable ?) mat avec des brillances, rappelle le travail d'extraction et le pouvoir de chaleur de ce matériau. A côté, sur un amoncellement de longs clous renvoyant sans aucun doute au travail de manutention, mais dont l'épaisseur de la couche contredit le danger, un premier lit de camp dégage par ses orifices des flammes.Oui, semble t'il dire, le charbon n' est pas seulement bienfaisant, il est aussi destructeur. Le second supporte une cage où, sur la paille, dorment ou gambadent des souris. Sont elles à notre image, inconscientes mais néanmoins partie prenante du monde ?  Autour de le pièce, dans un renfoncement, Kounellis a superposé bien à plat une série de couvertures grises, en référence à la mémoire, au passage du temps, aux plis obscurs de l'âme et à la peinture de la Renaissance. Comme en un trompe l'oeil de Masaccio. L'ensemble de cette présentation spectaculaire, véritable espace dramatique, nous parle de l'histoire du lieu, de la révolution industrielle, d'une certaine beauté dramatique et de notre petitesse humaine. Elle renvoie également au savoir faire de l'institution"Monnaie de PARIS", toujours en activité et pose la question du processus de fabrication d 'une oeuvre.

    20160418_171336.jpgDans la pièce suivante de longs cylindres métalliques gisent, sous de mêmes couvertures de l'armée (photo 3). Comme des cercueils ils semblent en attente de départ. L'un d'entre eux s'appuie contre une double plaque métallique dont l'angle est ouvert. A ce sujet Kounellis raconte un souvenir d'enfance resté gravé dans son esprit: l'angle mur/porte de sa chambre lui est apparu comme une impossibilité de fuite...Sculptures, tableaux, l'échelle humaine reste la préoccupation principale dans l'élaboration d'une oeuvre. Les plaques d'acier en sont le symbole:elles mesurent 200x180cm, à peu près un lit double et les "cercueils" sont à la dimension d'individus.

    20160418_165406.jpg20160418_163805.jpgPlus loin, sur un assemblages de toiles à sacs en jute noir, pauvre, manuellement fabriqué, faisant tapis (photo 4), une petite pyramide de graines de tournesol dont on connait la valeur nutritive....Le contraste entre ces éléments - le riche le pauvre - renvoie aux échanges commerciaux et humanitaires et à l'éternel renouvellement, aux capacités de l'être humain à faire, défaire, refaire et à créer des liens.

    Dans une vitrine circulaire (photo 5), des couteaux sont très régulièrement suspendus comme des objets précieux. Et, de fait, ils peuvent être considérés comme tels: ils sont le résultat du savoir faire de la dernière manufacture de Paris et de l'industrie qui en anoblissent la simplicité de matière. Bois, métal, autant d'éléments dont la beauté et le danger méritent d'être glorifiés et tenus à distance.

    20160418_162815.jpg20160418_164403.jpgUn grand tableau, aux mêmes dimensions matriarcales que les panneaux précédents, tranche par sa couleur jaune (photo 6), éclatante, hommage à l'artiste américain  Barnett Newman, le pape de l'Expressionisme abstrait  américain. Le partage vertical, qui divise en deux le champ uniforme est remplacé ici par une poutre métallique noire. Ce fameux zip reprend l'idée de présence même de la création, ce moment de perception aigüe où l'espace se divise et réunit.

    Ces morceaux de charbon fixés sur trois grands panneaux debouts (photo 7) comme les papillons épinglés des collectionneurs, ne formeraient ils pas les lignes d'une écriture indéchiffrable? Comme les trois petits points d'une fin de phrase, ils laissent la place à un avenir incertain.

    20160418_171223.jpgLa pièce qui suit est occupée à angle droit: de face est placé un tableau partiellement rose où une phrase de Pulcinella de Stravinsky  est inscrite. A droite, sur des panneaux noirs, accrochés à des crocs de boucher, des vêtements noirs, vieux semble t'il, suggérant absence ou disparition, une tragédie sans que l'on sache laquelle (photo 8). Pour que cette oeuvre de 1972, intitulée "Da inventare sul posto" fonctionne, il manque sur cette photo le violoniste et la danseuse qui invente sur place l'oeuvre et symbolise la force, le rythme et l'orchestration, tout un ensemble condensé dans le geste créateur. Encore une preuve du désir de l'artiste de faire passer l'énergie vivante dans l'oeuvre et de "chercher de façon dramatique l'unité"... dans le dépouillement.

    Brut(e)Yannis Kounellis, à la Monnaie de Paris, 11 quai de Conti, 75006 Paris. Ouvert tous les jours de 11h à 19h, le jeudi jusqu'à22h. Jusqu'au 30 avril 2016.

     

     

  • Judit REIGL (par Régine)

    Installée en France depuis 1950 Judit Reigl, qui a aujourd'hui 93 ans, est une artiste rare à la fois parce que son oeuvre est exceptionnelle et qu'elle est très peu montrée dans les Musées et les galeries. C'est pourquoi le fait que 5 galeries parisiennes se soient entendues pour exposer simultanément jusqu'au 31 mai, une soixantaine de ses oeuvres, est un évènement. Il ne s'agit pas d'une rétrospective mais la répartition chronologique de son travail entre les différents lieux permet d'en montrer les étapes importantes et de comprendre son chemin au sein des courant de l'époque.

    La Galerie Le Minotaure ouvre le parcours avec les années 1950-1965, ses quinze premières années parisiennes. Fuyant la Hongrie et son régime totalitaire pur "faire de la peinture comme elle l'entend", après un périple inimaginable à travers l'Europe, elle arrive à Paris à 27 ans. Accueillie par son compatriote Simon Hantaï elle rencontre André Breton qui, subjugué par son travail, lui organisera sa première exposition. Grâce à lui elle découvre le surréalisme dont elle retient surtout la liberté que lui procurent l'écriture automatique et l'importance du geste. Elle développe alors rapidement ce qui sera présent tout au long de sa carrière de peintre, à savoir son intérêt pour l'implication simultanée du corps et de l'esprit.

    Les quelques encres sur papier de la série "Eclatement" (1954) présentées dans la galerie illustrent la jubilation que lui procure cette découverte. Le trait jaillit, tourbillonne, explose tel un feu d'artifice dirigeant le regard au delà du cadre (photo 1)IMG_1747.JPG ; l'euphorie est communicative. Deux impressionnantes toiles de la série "Ecriture en masse" sont également présentes. Dans l'une (1959), au coeur d'une forme ronde d'un noir intense qui semble traverser en apesanteur l'espace de la toile blanche, flamboie un magma rouge feu. Judit Reigl nous entraîne ici dans le cosmos, à l'unisson du mouvement des planètes et au coeur de la formation du monde (photo 2)IMG_1749.JPG. Laissons la expliquer sa façon très personnelle de réaliser cette série : "A partir d'un fond blanc, je plaçais sur la toile les mottes de peinture avec une lame souple et arrondie... et je les "montais" ensuite de bas en haut de la toile en recouvrant avec un pigment noir broyé les couleurs plus légères placées en dessous". Comme d'autres artistes de sa génération Judit Reigl a toujours créé elle-même ses propres outils les adaptant au plus près à ce qu'elle souhaite faire.

    Le parcours continue avec les années 1966-1972 présentées par la Galerie Antoine Laurentin. On assiste ici à l'arrivée des figurations anthropomorphes qui, malgré les efforts de l'artiste pour revenir à la non figuration, se sont, malgré elle, imposée sans programme préconçu. Ce sont de grandes toiles (la plupart mesure 233 x 208 cm) où l'on perçoit, de façon plus ou moins évidente, des torses d'homme, peints de façon plus abstraite en noir et blanc ou plus figurative dans des couleurs très franches. Ainsi le buste d'homme d'un violet très pur parcouru d'un buisson de ramifications noires qui lui donne sa présence, sa vigueur et son dynamisme. Il est nu, musclé, puissant, traverse et déborde la toile (photo 3)IMG_1737.JPG. Un autre également intitulé "Homme" est si grand qu'il remplit la totalité du tableau. Il l'excède de toute sa force, il l'enflamme et la traverse comme un météore. En parlant de ces torses, judit Reigl s'exprime ainsi "Ils se dressent activement contre le néant, ils affirment leur existence, leur libération et expriment l'expérience d'être humain".

    Comme dans les oeuvres précédentes ces représentations fragmentaires renvoie à l'idée ce continuité de la figure hors cadre, à l'infini. Ce sont aussi des morceaux de corps qui incarnent la peinture.

    Dans la belle Galerie Anne de Villepoix ce sont les impressionnantes toiles libres de la série "Drap/décodage" de 1973 qui sont accrochées et qui ne sont que l'empreinte des tableaux de la série "Homme" dont nous venons de parler. Pour les réaliser elle a agrafé des draps transparents sur les tableaux, en a relevé l'empreinte dans des tons ocres, vert ou bleu puis a retourné la toile (photo 4)IMG_1750.JPG. Ce que l'on voit c'est donc le verso autrement dit le vestige de la peinture qui a diffusé à travers le tissu. On se trouve donc entouré d'immenses suaires, dont la trace humaine, asexuée, désincarnée, flotte dans l'espace blanc du drap. A travers la chair de ces corps qu'elle a dépouillés de leur armature de traits noirs, Judit Reigl traque la quête d'infini de l'âme humaine. "Au fond l'expérience fondamentale n'est pas proprement humaine ; c'est l'expérience d'être, en de ça et au delà de l'humain" dit-elle.

    Enfin dans un tout autre esprit un somptueux triptyque de 1976, totalement abstrait, s'impose avec une force exceptionnelle et invite à la méditation. Deux panneaux très sombres sur lesquels courent des traces bleu nuit entourent le troisième, un monochrome mordoré qui semble en métal. On reste subjuguéIMG_1751.JPG (photo 5).

    La Galerie Etienne Gaillard revient aux années 1965-1966 avec "Ecritures d'après musique" qui sont prémonitoires de la série de tableaux intitulée "L'art de la fugue" des années 1975-1982 et de son retour à l'abstraction En 1965 en effet Judit Reigl perd momentanément l'usage du coude et se trouve dans l'impossibilité de peindre de grands formats, elle en est réduite à faire des petits dessins qu'elle exécute en écoutant de la musique. Ce sont des pages de graphies légères, délicates et rythmées" (photo 6)IMG_1730.JPG.

    En entrant dans la galerie on set immédiatement happé par la beauté, l'aspect mélodieux et aérien d'une grande toile carrée de la série "L'art de la fugue" (photo 7)IMG_1758.JPG. Le fond d'un bleu profond, monochrome comme l'azur, est seulement traversé en son milieu par deux lignes de touche légères et délicates qui ne font que la parcourir. Tous les tableaux de cette série sont réalisés par l'artiste en déambulant au son de la musique, souvent de Bach, le long de grandes toiles blanches qu'elle a agrafées sur tous les murs de son atelier. Elle en effleure le recto à chaque pas avec un pinceau trempé dans une peinture glycérophtalique, donc très grasse, et enregistre ainsi son déplacement, sa danse. Puis elle taille dans le drap les parties qui lui plaisent et applique au verso une teinture acrylique, ici du bleu, à travers laquelle les traces ondoyantes de ses déplacements se diffusent et transparaissent. Sur une autre toile enduite de rouge vif les multiples traces de son passage transparaissent comme des portées musicales en orange ou beige clair. On retrouve ici son souci d'utiliser aussi bien le verso que le recto de ses toiles.

    Comme dans ses autres oeuvres, on éprouve devant celles-ci ce sentiment d'apesanteur et d'espace qui continue bien au delà du cadre. Elle s'exprime d'ailleurs ainsi : "La fugue court, engendre sa propre énergie, crée sa propre loi, s'étend sans fin ni repos.

    L'exposition au Studiolo de la Galerie de France termine ce périple en présentant "Fragments des années 1960-2015". Sur la vitrine ces quelques mots prononcés en 2016 par Judit Reigl en résume le thème "Je regarde les grandes toiles ratées ou abandonnées, Guano, Drap/décodage, Déroulement et j'y retrouve des possibilités infinies, des paysages jamais vus, fragments d'horizons lointains, hasards heureux".

    Ce sont donc des petits tableaux faits à partir de fragments découpés dans des oeuvres vouées à l'abandon. Certains sont baptisés "Guano" en référence aux excréments des oiseaux marins et que l'on utilise comme engrais naturel extrêmement riche. Les notions de strates et de mémoire, de destruction/reconstruction sont omniprésentes dans son travail.

    Plusieurs sont extraits des séries "Déroulement". Certaines ont particulièrement retenu mon attention, notamment une merveilleuse toile grise que seules quelques touches jaunes traverse en apesanteur la partie supérieure (photo 8)IMG_1724.JPG ; également quatre petits formats fort heureusement regroupés sur une cimaise. Deux sont vert bronze, deux autres pourpre sombre. Sur chacune flottent ou s'évanouissent quelques taches plus claire. Si tous ces petits formats ne retiennent pas avec la même force, ils font partie de cette constante qui est que chaque série s'engendre toujours de ce qui l'a précédé.

     

    Sous-tendue par des constantes qui traversent tout son travail, et malgré les différentes formes que celui-ci a pu prendre au cours des années, l'oeuvre de Judit Reigl est d'une grande cohérence et dépasse l'opposition figuration/abstraction. Elle le précise d'ailleurs en disant "La seule constante de mon travail est l'expérience d'être ! Si ça doit être figuratif j'accepte, si cela devient abstrait j'accepte aussi".

    Oui, Judit Reigl s'impose comme une des artistes majeurs du XXème siècle. A quand une grande rétrospective de sa peinture à Beaubourg comme celle qui a été consacrée en 2013 à son compatriote Hantaï. Elle permettrait de prendre conscience de l'ampleur et de la force de cette oeuvre exceptionnelle.

    Expositions jusqu'au 21 Mai 2016 :

    Galerie Le minotaure : "Eclatement écriture en masse" - 2, rue des Beaux Arts, 75006-Paris (01 43 54 62 93)

    Galerie Antoine Laurentin : "Homme" - 23, Quai Voltaire, 75007-Paris (01 42 97 43 42)

    Galerie Anne de Villepoix : " Drap/décodage" - 43, rue de Montmorency, 75003-Paris (01 42 72 32 24)

    Galerie Alain Le Gaillard : "Ecriture d'après musique, art de la fugue" -  19, rue Mazarine, 75006-Paris (01 43 26 25 35)

    Le Studiolo Galerie de France : "Fragements de peinturesz" - 54, rue de la Verrerie, 75004-Paris (01 42 74 38 00)

     

     

  • Matérialité de l'invisible (par Sylvie)

    Le titre un peu intello pourrait en décourager plus d'un. A tort. L'exposition Matérialité de l'invisible, l'archéologie des sens au Centquatre à Paris, est passionnante. Elle traite de points de vue inhabituels sur notre rapport au monde, à l'histoire et à l'environnement. Et les oeuvres sont autant d'expériences scientifiques propres à nous faire prendre conscience de notre univers, son évolution, ses possibles. La dizaine d'artistes contemporains internationaux en présence sous la houlette de José-Manuel Gonçalvès - dans le cadre du projet européen NEARCH - les ont conçues en lien avec des archéologues. Tous ont en commun de rendre visible ce qui ne l'était pas, ou plus. En voici quelques exemples.

    Materialite de l'invisible-Anish-Kapoor.jpgLa mise en bouche est délectable. Ascension est une oeuvre d'Anish Kapoor, artiste britannique d'origine indienne né en 1954, bien connu pour ses réalisations monochromes, monumentales et parfois controversées (cf  Versailles été 2015). Il s'agit ici d'une mystérieuse colonne d'eau blanche et mouvante, propulsée d'en haut. Insaisissable, c'est un espace clos, plein par sa forme, un vide par son impalpabilité. Elle est l'image même d'une matérialité invisible. Hypnotique! (photo 1)

    IMG_1658.JPGIMG_1663.JPGAvec l'installation Mon château, Hicham Berrada, franco-marocain né en 1986, fabrique un vieillissement accéléré. Des triangles d'acier bâtis en château de cartes dans une boite de laboratoire sont soumis, dans l'eau, à une radioactivité intense et des conditions d'environnement particulières. Comme une épave au fond des mers. Du métal rongé, s' échappent  fumées et  déchets poussiéreux qui laissent deviner un probable effondrement, fut il imperceptible. Ils renvoient aux architectures humaines soumises au passage du temps et des climats. L'idée que les hommes sont responsables de leur environnement est encore présente dans la video Présage  Berrada,  bouleversant les formes et les couleurs initiales par adjonction de produits chimiques, active un pullulement d'excroissances multicolores en évolution continue. Que de beauté perverses.(photos 2 et 3)

    IMG_1667.JPGFragments se penche sur la valeur marchande de l'histoire. Ali Cherri, né à Beyrouth en 1976, pose la question de l'authenticité des objets et de leur âge véritable. Soclés, disposés harmonieusement, sont-ils des restes de notre histoire ou le reflet de la société contemporaine avide d'une fortune matérielle ? (photo 4)

    IMG_1681.JPGLes ombres chinoises qui meublent la vidéo Apparitions de Nathalie Joffre forment une chorégraphie poétique qui reproduit la gestuelle de l'archéologie, à la fois précise et répétitive mais finalement insaisissable. Le personnage en premier plan l'atteste en tournant le dos à ces silhouettes.(photo5)

    Il faut s'asseoir et visionner en entier  l'installation de Materialite de l'invisible-Ronny-Trocker.jpgRonny Trocker Estate (summer), italien né en 1978. Sur des photos de plage où les estivants sont figés dans leurs mouvements se greffe la vidéo d'un migrant épuisé. Il est clair que ces deux temporalités ne sont pas les mêmes comme ne sont pas les mêmes les préoccupations des participants. La tragédie vécue par les uns laisse indifférents les autres. Un sujet bien d'actualité à l'heure où la surproduction d'images nous rend passifs. (photo 6)

    IMG_1690.JPGIMG_1688.JPGIMG_1685.JPGJ'ai gardé pour la fin les  installations d'Agapanthe Florent (Konné et Alice Mulliez). Le fil conducteur en est le sucre, denrée liée à la colonisation, à l'industrie agro-alimentaire et aux échanges mondiaux, avec tout ce que cette condition éphémère implique de conservation, d'usure et de traces. Ainsi, dans Réserve, sommes nous mis en présence de pseudo- matériaux de construction, des briques, de la tôle ondulée  ou de pseudo-vestiges antiques d'un patrimoine imaginaire, tous moulés en sucre . Et, presque enfouis sous les cristaux  au devenir fondant, les déchets de notre civilisation, présents dans Amas, évoquent, par delà la magnificence de leur scintillement, l'inévitable altération de nos modes de vies (photos 7,8 et 9).

    "Matérialité de l'invisible, archéologie des sens" au Centquatre, 5 rue Curial, 75019 Paris, jusqu'au 8 mai 2016. Les mercredis, jeudis, samedis et dimanches de 14h à 19h. Vacances scolaires du mardi au dimanche de 14h à 19h.Horaires élargis les week-ends.

     

  • Jean Michel ALBEROLA (par Régine)

    L'exposition de Jean Michel Alberola (né en 1953 en Algérie) qui se tient actuellement au Palais de Tokyo ne s'appréhende pas facilement. Ni chronologique, ni hiérarchique elle est construite comme un labyrinthe aux multiples ramifications. On peut la voir comme la traversée d'un espace mental, celui de l'artiste dont la préoccupation est d'explorer et de visualiser le processus complexe de l'élaboration de la pensée. Pour lui, celle-ci est le résultat d'une multitude de connexions entre des domaines aussi variés que l'économie, la géographie, le jeu, le cinéma, la littérature, l'économie, les mathématiques... noms qu'il a donné aux différentes salles de l'exposition.

    Des noms de philosophes : W. Benjamin, S. Weil, S. Kofman, G. Debord, K. Marx, voisinent ceux de cinéastes : J.L. Godard, Fritz Lang ou d'écrivains : Kafka ou Stevenson dont l'écriture très visuelle et les récits (l'Ile aux trésor, Le maître de Ballantrae) qui requièrent une part active du lecteur, le fascinent. Leurs ouvrages figurent d'ailleurs dans une bibliothèque visible depuis plusieurs salles de l'exposition. Pour Alberola tout est flux et échange. Ces auteurs se sont aidés, dit-il, de ce qui les a précédés pour penser.

    Entre abstraction et figuration, cette oeuvre bavarde, envahie de mots et de slogans, offre une multitude de dessins, de sculptures, de peintures, de néons... En effet chez lui peinture et parole sont intrinsèquement liées ; pas de hiérarchie entre l'un et l'autre, pas de différence entre le "fecit, le dixit et le pinxit".

    Pour illustrer mon propos, parmi les 300 oeuvres exposées j'en décrirai quelques unes qui ont particulièrement retenu mon attention.

    Dès la première salle intitulée "présentation" une oeuvre fragile et d'une grande beauté se nomme "le seul état de mes idées" (photo 1)IMG_1572.JPG. Dans une vitrine posée sur une précieuse petite table dorée, une pluie d'oeufs d'autruche tombe et entoure un visage en papier mâché ; l'un d'entre eux est en or et git éclos sur le sol. Oui une idée ne nait jamais seule mais fait appel à une multitude de notions qui l'enrichissent et lui permettent de prendre forme.

    Alberola fait énormément de dessins et le papier est son support de prédilection, mais il n'y a pas de hiérarchie dans les techniques utilisées : gouache, aquarelle, pastel, dessin à l'encre noire, il passe de l'une à l'autre ou les mélange.

    Pour figurer le bouillonnement et la complexité d'une pensée en train de se faire, celle par exemple de Stevenson, de Nietzsche ou de Godard, sur un fond de couleur fluo, jaune, orange ou vert, il a dessiné une série de spirales de tailles diverses toutes imbriquées les unes dans les autres (photo 2)IMG_1576.JPG. Telles des bulles elles tournoient autour d'une ligne infinie, s'enroulent sur elles-mêmes, se bousculent et tentent de se frayer un passage dans la multitude des autres. Tout cela traduit un activité intense.

    Plusieurs dessins se présentent comme un cheminement, comme une sorte de carte de géographie mentale. Prenons pour exemple la gouache intitulée "Katarina Joséphine Watcher" (photo 3)IMG_1626.JPG. Cette femme fut exilée de son propre pays, la Suisse. Il en offre un portrait conceptualisé. Elle n'est pas dépeinte d'après son apparence physique, mais par une série de bulles roses qui émergent d'une mer bleu intense et qui, reliées entre elles, porte toutes un nom différent en rapport avec son destin.

    Quelques sculptures, pleines d'humour, expriment l'impasse dans laquelle se trouve parfois la pensée, telle cette petite maison en bois, intitulée, elle aussi, "Le seul état de mes idées. 3" (photo 4) IMG_1574.JPGet à laquelle on peut accéder par deux escaliers qui se croisent mais qui débouchent tous deux sur le vide. De frêles constructions en planchettes de bois jaunes, qui ressemblent à des cabanes pour oiseaux, figurent la fragile et complexe construction de la pensée d'un J.L. Godard ou d'un stevenson (photo 5)IMG_1615.JPG.

    La question du pouvoir est posée par une série de magnifiques peintures, toutes intitulées "Le roi de rien" (photos 6, 7, 8)IMG_1583.JPGIMG_1587.JPGIMG_1591.JPG. Démarrée en 1990 et poursuivie encore aujourd'hui cette série occupe une salle entière. S'agit-il de l'artiste lui-même, de la mise en cause du pouvoir quel qu'il soit ou du refus de toute hiérarchie ? Il n'est évidemment pas anodin qu'une ouverture ménagée dans un des murs permette, tout en regardant les tableaux, de lire "Le discours sur la servitude volontaire" de La Boétie affichée dans la salle voisine. Ces peintures, très frontales, très plates, sont faites de la superposition de magnifiques aplats colorés -jaune d'or, mauve, rose tendre, vert émeraude - qui s'imbriquent les uns dans les autres comme dans un collage. Ces personnages dont le visage est effacé ont perdu leur identité ; leurs corps sont disloqués, leurs membres sont inachevés ou tronqués, seuls leurs pieds sont bien posés sur le sol. Le motif central est entouré de bandes colorées qui se mêlent et se superposent. Comme chez ses contemporains de la Transavangarde italienne ces oeuvres sans profondeur semblent habitées de fantasmes morcelés, projection et juxtaposition du vécu de l'artiste.

    La nostalgique série intitulée "Paupières inférieures/paupières supérieures", peinte en noir et blanc, dévoile un univers de l'entre deux fait de souvenirs, de visions. Dans la salle consacrée à l'Histoire, Alberola, très concernée par les problèmes de société, en expose notamment deux consacrées aux émeutes raciales qui ont eu lieu dans le quartier de Watts à Los Angeles (photo 9)IMG_1606.JPG. Vides de tout personnage, avec une perspective qui débouche  sur des ouvertures aveugles, d'un noir intense, il s'en dégage un étrange sentiment de solitude et de déréliction.

    Les néons enfin dessinent des paroles qui mêlent réflexion politique ou artistique. Fonctionnant comme de petits oracles ironiques, leurs mots interpellent le spectateur, renforcent et reprennent ce qui est exprimé par les autres medium. Parmi la multitude de ceux qui sont exposés, j'en retiendrai deux qui me semblent résumer mon propos. L'un reprenant les réflexions de l'artiste sur le pouvoir, inscrit en rouge "Il n'y a pas de figure centrale" (photo 10)IMG_1625.JPG et l'autre, sur la complexité de l'élaboration de la pensée, inscrit dans un brouillard bleu rendant la lecture difficile "La conscience claire" (photo 11)IMG_1628.JPG.

    Inclassable, énigmatique, très cérébrale, l'oeuvre de Jean Michel Alberola n'est pas d'un accès facile et le spectateur est sans cesse interpellé pour trouver lui-même un sens à cet ensemble protéiforme. "Va chercher toi-même" nous dit l'artiste à plusieurs reprises.  L'exposition avec son espace décloisonné où tout se répond par un jeu de connexions, se vit comme la traversée d'un univers, celle d'une pensée en mouvement. Dans ce foisonnement et parallèlement à cette façon d'appréhender l'exposition comme un tout, on est forcément amené à faire des choix, à s'arrêter sur telle ou telle oeuvre qui trouve en soi un écho. Mais le monde de Jean-Michel Alberola est un monde en couleur, et quelles couleurs ! Tantôt puissantes, tantôt douces et tendres, tantôt chaleureuses, leur charme opère indéniablement et procure un plaisir intense pendant tout le parcours.

    Jean Michel Alberola "L'aventure des détails" jusqu'au 16 mai. Palais de Tokyo, 13 avenue de Président Wilson, 75116-Paris - de midi à minuit tous les jours sauf mardi.

  • La villa Vassilieff, lieu d'art et de recherche (par Sylvie).

    Niché dans une impasse verdoyante de l'avenue du Maine (photos 1 et 2), l'atelier de Marie Vassilieff a été un des foyers des avant-gardes du début du XX ème siècle jusqu'en 1913 puis le siège du musée du Montparnasse jusqu'en 2013. Il renait aujourd'hui avec le soutien de Bétonsalon, un centre d'art et de recherche, pour offrir aux artistes et aux chercheurs un lieu inédit de rencontres, d'hébergement, d'échanges et d'expositions qui s'interroge sur le rôle et l'usage du patrimoine. Il est libre d'accès.

    1.villa_vassilieff-vue-de-lentree-2.jpegla-villa-vassilieff,M304933-baie.jpgLa villa Vassilieff a ouvert ses portes mi-février avec l' exposition "Groupe Mobile"(jusqu'en juillet) qui propose une immersion dans le Fonds Marc Vaux, peu connu des non initiés mais d'une grande richesse et conservé au Centre Pompidou depuis la mort du photographe en 1971. Cet ancien charpentier a photographié les artistes actifs à Paris des années 20 à la fin des années 60, plus de 6000, pas seulement leurs oeuvres mais aussi leurs lieux de travail, leurs rencontres, tout cela répertorié, empilé, en boites, un matériau inestimable (plus de 250.000 plaques de verre) dont l'exploration permet un nouveau regard sur le contexte de production et les récits historiques qui leurs sont attachés. A côté de quelques noms d'artistes connus, Modigliani, Zadkine..., la plupart des autres n'ont pas laissé de traces sur le marché de l'art mais ils témoignent des bouleversements à la fois artistiques et politiques dont Paris a été le théâtre. La villa a choisi de montrer des oeuvres trouvées dans ces ateliers, une façon de s'éloigner de la tradition académique et de repenser notre rapport aux oeuvres et aux idées. Par exemple des créations d'artistes indiens ayant séjourné à Paris dans les années 20 qui ont contribué à la naissance d' un art indien moderniste à Bombay.

    Villa V. atelier P.R.-bs-2016-vv-groupe-mobile-103-1e16d.jpgLe Pernod Ricard Fellowship a apporté son soutien à la Villa Vassilieff. Il participe de sa démarche dans l'esprit cosmopolite et convivial de l'ancien atelier en offrant chaque année pour trois mois une bourse et un hébergement à 4 artistes ou chercheurs venus de tous horizons (photo3, l'atelier). Mathieu Zurcher ouvre le programme (février-avril) de l'année 2016 d' "Immanence" avec des photos dérangeantes aux couleurs intenses et aux motifs détourés; suivront Andrea Ancira (Mexique 1984), chercheuse et curatrice indépendante, qui s'interroge sur le rôle du son et de l'image dans les idées d'utopie, de révolution et de commerce; Zheng Bo (Pékin 1974) examine le lien entre partis politiques et mauvaises herbes, le rôle de celles-ci dans la crise  écologique actuelle ; Sojung Jun (Corée du sud 1982) étudie la synesthésie comme principe de création en s'appuyant sur "Le paysan de Paris" d'Aragon ; enfin Ernesto Orosa (Cuba) s'intéresse a la créativité populaire des objets-outils dans l'environnement urbain. Des sujets destinés à bousculer notre idée du rôle et de l'usage que nous faisons du patrimoine.20160214_163722.jpg

    villa vassilieff-trompe-l'oeil-CbGK-5BWwAA7LiO.jpgBien que très intellectuelle dans ses sujets de recherche la villa Vassilieff est suffisamment captivante et originale pour nous concerner tous d'autant plus qu' Emmanuelle Lainé a recréé en trompe-l'oeil (photos 4 et 5), pour notre plus grand amusement, l'état transitoire de la villa alors en cours de rénovation. Elle a inclus dans cette image des agrandissements de photos de Marc Vaux ainsi que différentes oeuvres et objets que l'on retrouve dans l'exposition "Groupe Mobile". Et puis qui résisterait au délicieux cadre de l'impasse du Montparnasse, aux différents "locataires" comme l'espace Krajcberg, atelier-galerie du sculpteur brésilien du même nom célèbre pour ses bois brûlés et ses prises de position politique (exposition "Manifestes" jusqu'au 30 mars)). Allez, la balade est instructive et bucolique. On peut même y boire un café.

    Villa Vassilieff, chemin du Montparnasse, 21 av du Maine, 75015, tel: 01 43 25 88 32. Ouvert du mardi au samedi de 11h à 19h. Immanence, tel: 01 42 22 05 68. Ouvert du jeudi au samedi de 14h à 18h. Espace Krajcberg, tel : 09 50 58 42 22. Ouvert tous les jours sauf lundi de 14h à 18h.

     

  • BUBLEX, la Défense et les oeuvres d'art (par Sylvie).

         Admettons que vous ne connaissiez pas bien la Défense et appréhendiez un tant soit peu ce quartier d'affaires démesuré, emblématique du Paris de demain. L'annonce d'un nouveau bâtiment en bois et  lilliputien celui là, dans l'ensemble que forme ce secteur ouest du futur Grand Paris, devrait vous surprendre et vous pousser à une exploration du territoire.

          Saviez-vous que parmi tours de bureaux et centres commerciaux il  comporte environ 70 oeuvres d'art éparpillées sur la simple dalle qui ne mesure pas moins de 30ha.  Commencé dans les années 60 avec le CNIT, vaste hall d'expositions qui  hébergea à ses débuts les "Arts Ménagers", le quartier de la Défense a eu son apothéose avec la construction de la Grande Arche dans les années 80 et reste toujours en évolution.                                               Depuis ses premiers pas, architecture et sculpture y dialoguent, offrant un aperçu des courants artistiques du XXème siècle. Las, entre les  immeubles toujours plus nombreux, aux tailles et formes spectaculaires - les dernières dépassent les 200m - les oeuvres monumentales qui jalonnent le parcours, se sont dégradées avec le temps. Le gestionnaire, DEFACTO, chargé par l'EPAD (devenu EPADESA,  Etablissement public pour l'aménagement de la région de la Défense) de les entretenir et de les mettre en valeur, a fait appel à Alain Bublex (représenté par la galerie Vallois) pour trouver la formule qui profite au visiteur autant qu'au rénovateur. Rien d'étonnant dans ce choix. L' artiste s'est toujours intéressé à l'évolution urbaine et aux possibilités de transformation aussi utopiques qu'elles puissent être. Plug-in-city (2000) donnait à voir avec humour l'univers étrange d'une ville en construction où des cellules de chantier de couleurs vives venaient joyeusement se greffer sur une architecture aléatoire. Le module éphémère est resté sa forme de référence. Il colle à la modernité. "Il est devenu quelque chose de magique, excitant, le symbole d'un monde en train de se faire" ajoute Bublex.

    pavillon pts de v CF014843 W-Bublex.jpgAinsipavillon pts de v CF014857 W- bublex 3.jpg a vu le jour le Pavillon des points de vue (photos 1 et 2), sorte de belvédère mobile en bois,  modifiable et déplaçable en fonction du chantier. De dimension modeste (15m2) et monté sur pilotis métalliques, il offre à voir des photos et des documents sur l'oeuvre à rénover, permet, à travers une baie vitrée, d'être en tête à tête avec celle-ci et, à l'étage supérieur, d'observer le paysage dans lequel elle s'inscrit. photo Bublex.jpg            

    20160208_154641.jpgCette cabane (photo 3), aujourd'hui face au gigantesque Pouce de César (1994,  photo 4) qui vient d'être repoli et l'ongle verni, arbore sur ses flancs un portrait géant multicolore de l'artiste. Dès mars, elle sera démontée et adaptée à un autre chantier. Ce pourrait être les Doubles lignes de Bernar Venet (1988 photo4), ou le Moretti de Raymond Moretti (1992) ou encore L'Araignée rouge de Calder (1974 photo3).  La Défense de Barrias (1883), l'oeuvre la plus ancienne, qui célèbre la victoire contre l'armée prussienne et les 30.000 parisiens morts sous la Commune, est passée en premier.

    Reste la soixantaine d'autres oeuvres qui n'attendent que votre regard. Les traders du quartier sont trop pressés pour les contempler. Quel plaisir pourtant d'arpenter cet étrange univers minéral  à la découverte des 2 Personnages fantastiques de Miro (1978), de la Fontaine monumentale de Yaacov Agam (1977), de La Défonce de François Morellet(1990) et de bien d'autres. A ne pas rater lorsque le Pavillon des points de vue y sera posté. Emmenez les enfants, Defacto a édité un petit guide de balade qui leur est destiné.

    Pour toute information, rendez-vous sur ladefense.fr ou sur le site de Defacto, téléchargez gratuitement le guide oeuvres d'art : http://www.ladefense.fr/fr/kiosque/guide-oeuvres-d'art-fr                                                                                                                                                             

    Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, 36 rue de Seine, 75006. Paris. Tel: 0146346107.                                                                                                                         

     

     

  • Balade hivernale dans les galeries du Marais (par Régine et Sylvie)

    Après l'effervescence des fêtes de fin d'année et les terribles secousses vécues à Paris, la ville semblait dans un état de torpeur. Nous avons voulu voir si les galeries du Marais dont le dynamisme n'est plus à prouver, étaient elles aussi plongées dans l'engourdissement.

    Point de départ du périple chez Marian Goodman, rue du Temple. Steve Macqueen, cinéaste et artiste britannique reconnu sur la scène internationale, est à l'affiche. La grande salle du rez-de-chaussée est vide, Seul l'un de ses murs est entièrement revêtu d'une installation de 77 néons bleu foncé écrivant inlassablement avec autant d'écritures différentes, la phrase "Remember me"IMG_1497.JPG (photo 1). A l'étage en dessous deux vidéos sont projetées simultanément de part et d'autre d'un même écran. D'un côté Ashes, magnifique jeune homme insouciant et plein de vigueur, se tient, ébloui face au paysage, à la proue d'un bateau orange navigant sur la mer des Caraïbes d'un bleu intense (photo 2)IMG_1506.JPG. De l'autre côté on assiste, dans le cadre d'un joli cimetière antillais à la confection d'une tombe et à la pose d'une plaque commémorative indiquant qu'Ashes est enterré là. Le mur de néon est esthétiquement très beau certes, et les images des vidéos, un peu lassantes par le suivi en temps réel ou presque - lent passage de la truelle et du pinceau - sont, bien sûr, tournées par un cinéaste de talent, mais on peut regretter que le thème nous rappelant que vie et mort se côtoient sans cesse, que nous vivons tous avec de fantômes, soit le rabachage d'une évidence sous une forme qui s'apparente à une démonstration au premier degré. Et que de place perdue dans ce magnifique espace !

    Direction rue de Turenne à la Galerie Perrotin où, sous le titre "Origin", du nom de leur Mouvement, trois peintres coréens se partagent actuellement les cimaises. Changement total d'univers. Ici tout est perfection, calme, sérénité. L'un des trois artistes, Suh Seung-Won,IMG_1534.JPG a particulièrement retenu notre attention. Dans la partie supérieure d'une série de tableaux monochromes, de couleur beige sable ou bleu azur semblent s'envoler et s'échapper des formes géométriques - cubes transparents, boîtes vides, carrés parfaits - d'une grande harmonie de couleur (brun léger, vert émeraude, beige clair), sortes de cerf-volants animés d'un souffle impalpable qui donne un délicieux sentiment de liberté, de sérénité de légèreté et d'espace dilaté à l'infini (photo 3).

    A la galerie Karsten Greeve, rue Debeylleme, sous le titre "Question of forgiveness" le peintre israélien Gidéon Rubin propose une série de portraits sans visage inspirés de clichés d'inconnus figurant dans d'anciens albums photos, journaux ou magazines. C'est une invite à imaginer l'histoire de ces individus, une réflexion sur le temps et la mémoire. Moins sensibles aux grands tableaux figurant des groupes de personnages, nous nous sommes particulièrement attachées à quelques petits formats où sont croqués des fillettes vues de dos (photos 3 et 4)IMG_1527.JPGIMG_1529.JPG. Leurs coiffures (nattes, queue de cheval, coupe au carré), leurs attitudes prêtent à rêveries, incitent à supposer leur caractère, leur façon d'être, leur milieu social et provoquent nos propres souvenirs. La peinture est légère, presque aquarellée. Rubin n'impose pas sa vision et laisse libre cours à l'imaginaire du spectateur. C'est une peinture agréable, un rien nostalgique. Elle n'a pas provoqué pour autant une grande émotion en nous.

    Impossible de ne pas s'arrêter chez Thaddeus Ropac tout proche. La salle du rez-de-chaussée est en plein accrochage, il faudra revenir. Sus à l'étage par le bel escalier de métal pour découvrir quelques sculptures de l'autrichien, Erwin Wurm qui ici, comme à l'accoutumée, et non sans humour, s'attaque à notre cadre de vie pour le perturber. Intitulée "Lost" l'exposition montre la réplique en polyester de quelques meubles de la vie courante style vintage ; d'un blanc immaculé,IMG_1514.JPG ils offrent une surface polie qui invite au toucher. Des empreintes physiques (traces de pas ou de fesses) ont par exemple défoncé le moulage d'un fauteuil ou d'une commode (photo 5)  ; un lit à deux places et une cuvette de WC IMG_1523.JPGont rétréci de façon à les rendre inutilisables (photo 6) ; le moulage d'un réfrigérateur intitulé "Butter" IMG_1517.JPG dont la couleur beurre frais et l'aspect malléable du matériau utilisé transforme sa surface en ce qui est normalement son contenu, à savoir une motte de beurre (photo 7). Ainsi les objets soit révèlent leur usage dans une vie passée, soit sont rendus inutilisables, soit encore sont détournés de leur fonction. Profaner ainsi les objets du quotidien est plaisant, drôle, dérangeant, mais est-ce suffisant ? Cela nous a semblé relever plus du gag que de l'art.

    L'annonce alléchante d'une exposition de l'artiste suisse Thomas Hirschhorn à la galerie Chantal Crousel guide nos pas vers la rue Charlot. Hélas la déception est à la hauteur de l'attente. Reprenant un procédé déjà maintes fois utilisé Hirschhorn associe des photos de cadavres sanglants prises dans la presse ou sur internet, à des publicités de mode de magazines et à des zones pixellisées faites de petits carrés de couleurs juxtaposées, destinées au floutage (photo 8)image_medium.jpg. Tapissant les murs de la galerie, ces immenses collages sous plastique transparent, accrochent la lumière et troublent la vision. Quel malaise devant cette juxtaposition. Elle rappelle la consommation pèle mêle des images propre à notre époque. L'artiste ne cède-t-il pas à la facilité ? Il nous avait habitué à de environnements autrement plus inventifs et efficaces.

    Décidément les vraies découvertes, les coups de foudre sont choses rares et précieuses... Vivement le réveil de Paris en février avec, espérons-le, quelques artistes français au programme.

    Galerie Marian Goodman - 79, rue du Temple, 75003-Paris. Steve Mcqueen (jusqu'au 27 Février)

    Galerie Perrotin - 76, ru de Turenne, 75003-Paris. "ORIGIN" : Choi Myoung-Young, lee Seung-Jio, Suh Seung-Won jusqu'au 27 Février. @galerieperrotin

    Galerie Karsten Greve - 5, rue Debelleyme, 75003-Paris. Gideon Rubin "Question of Forgiveness" jusqu'au 5 mars. @Galerie Karsten Greve

    Galerie Thaddaeus Ropac - 7, rue Debelleyme, 75003-Paris. Erwin Wurm "Lost", jusqu'au 5 mars.

    Galerie Chantal Crousel - 10, rue Charlot, 75003-Paris. Thomas Hirschhorn "Pixel collage", jusqu'au 26 Février. @GChantalCrousel

     

     

     

  • Anselm KIEFER (par Sylvie)

    Anselm Kiefer est à l'honneur à Paris. Après Londres en 2014 et avant la grande rétrospective qui ouvre à Beaubourg le 16 décembre, la BNF lui consacre une exposition consacrée à ses livres, pourtant innombrables mais souvent ignorés. C'est un voyage saisissant débouchant  sur un univers d'une richesse rare tant du point de vue des idées que de celui des techniques plastiques que nous offre cet artiste allemand, né en 1945, hanté par l'écriture depuis son plus jeune âge, et dont l'oeuvre, puissante et dérangeante, est habitée par les grands thèmes littéraires, philosophiques, l'histoire allemande et la Shoah.

    L'exposition est bâtie comme une cathédrale. Un transept où des vitrines horizontales montrent des livres ouverts classée par thèmes et par styles ; sur les bas-côtés, des "chapelles" présentent de monumentales sculptures et, glorifiant le livre, deux gigantesques tableaux figuratifs et provocateurs marquent seuil et sortie. La mystique est déjà bien là. On se sent un peu écrasé. 

    Comme souvent chez Kiefer, les tableaux sont construits selon une perspective dont le point focal, symbole de la lumière infinie, est au centre.

    Kiefer-Clairière-20151031_153045.jpg Clairière, huile, émulsion, acrylique, shellac, feuilles d'argent, fils métalliques et livres brulés, 280x570x40cm, 2015. (photo 1) à l'entrée n'y échappe pas. C'est là que se trouve, suspendu dans un halo blanc, un empilement de livres calcinés au milieu de la pâte épaisse d'une forêt de sapins dressés les uns contre les autres, presque fluorescents.  La volumétrie sculpturale, les couleurs sombres, la densité de la forêt et la  profondeur de l'espace central  en marquent le caractère éminemment romantique. Dédiée à Martin Heidegger qui fut nazi, cette toile où se lit un appel à la purification,  évoque les grands mythes germaniques mais aussi  la destinée humaine, la vie et la mort et le combat nature et culture...qui se fait parfois barbarie.

                                                                                A l'autre bout , Le Livre...2007, surplombe en majesté une gigantesque marine aux flots et cieux tumultueux, image sans doute de la douleur du monde. Ainsi sacralisé par sa place centrale  et sa matière le plomb, il répond à la mystique judaïque pour laquelle il est savoir, culture, élévation spirituelle.  

    Kiefer-20151031_153518- Reines de France.jpgKiefer-20151031_154930.jpgPour mieux comprendre le travail de Kiefer penchons nous sur les vitrines. Elles confirment que le livre est à la fois sujet, objet et support. Tous les formats coexistent, toutes les matières, du papier au plomb, et tous les médiums y sont appliqués. Ce sont des herbiers, des livres de terre, d'autres couverts de sperme, de la photo, de la poésie, de la pornographie (photo 3), avec des rehauts d'aquarelle, des dessins, du sable, de la cendre, des cheveux et parfois des mots écrits. Ils touchent au sacré et au profane, aux mythologies, à l'histoire allemande, à la religion, à la kabbale, aux femmes (Les reines de France, photo 2), à des cosmogonies, aux écrivains Paul Celan, Ingeborg Bachmann et donnent à l'oeuvre kabbalistique d' Isaac Louria toute sa puissance poétique. Enfermés dans leur épaisseur et dans les vitrines, on ne peut les feuilleter, comme un savoir secret, "un répertoire de formes et une manière de matérialiser le temps qui passe".

    La reproduction de la bibliothèque de l'artiste, dans la première chapelle, le confirme. Ces gigantesques livres en plomb, en carton, reliés ou rangés dans des boites métalliques cachent dans leur épaisseur leur contenu. Ils sont  illisibles, seulement à contempler.  Mais dans cette accumulation  de savoir le poids de la matière ressemble à un bandeau d'occultation qui pourrait bien cacher le sens de l'Histoire.                                                       

     La même monumentalité gouverne les sculptures. Elles évoquent le livre par la forme ou les symboles : le thème de  Nigredo, 1998 (photo 4)20151220_145540.jpg est l'alchimie dans sa proximité avec le processus créatif. L'amoncellement de matériaux récupérés ou fabriqués par l'artiste, brulés, empilés et attaqués par dégradation, ou volontairement rouillés, suggèrent la transmutation chimique. Les strates se superposent en couches géologiques et donnent à ces livres la fois lourds de plomb et précaires dans leur instabilité, l'aspect d'un concentré de savoir hermétique et inaccessible. Kiefer-20151031_153906- Shevirath....jpg

    Shevirah ha-kelim (Installation  334x171x45cm, 2011 (photo 5). Les thèmes juifs sont au cœur de l'oeuvre de Kiefer depuis son voyage en Israël en 1984. Il reprend ici le mythe kabbalistique de la création dans lequel la lumière divine brise les vases, c'est à dire les attributs de Dieu, pour s'incarner. Et ce n'est pas dans la douceur. Les livres de plomb suspendus à des branches  (embrochés) ont à leur pied le verre brisé et supportent  un demi cercle de verre où sont inscrites les émanations de la divinité.  Pour Kiefer, ce mythe figure le processus intérieur de la création et l'exil du peuple d'Israël. A effrayer plus d'un. 

    20151206_152856-Le Livre.jpgLa vie secrète des plantes ,2001, (photo 6) est un grand livre debout  et ouvert en plomb. Kiefer assimile la vie des plantes à celle des étoiles. Elles sont peintes sur un fond émulsionné de noir évoquant la nuit galactique, le cosmos, et comme en astronomie, elles portent des numéros.

    La lettre perdue, 2012 (photo 7) est composée d'une ancienne presse typographique envahie par des tournesols. Elle rappelle l'invention de l'imprimerie et le livre comme source de savoir, les tournesols -auxquels Kiefer a toujours apporté une importance symbolique- figurant l'élan spirituel porté par le livre. Les caractères épars sur le sol renvoient au mythe du Golem. Malgré le jaillissement des tiges, les têtes penchées des fleurs sont d'une grande mélancolie.20151206_152326.jpg

    Conceptuel et matiériste, Anselm Kiefer n'en finit pas de nous surprendre. Il est un des grands artistes allemands d'aujourd'hui qui ont osé se confronter à l'histoire de leur pays pour en "réveiller la mémoire". A la question qu'il se posait : comment être artiste aujourd'hui après la Shoah ? , je crois que nous pouvons lui répondre : vous en êtes un, un grand. A découvrir dans son ensemble au Musée de l'art moderne Georges Pompidou, du 16 décembre 2012 au 8 avril 2016.

    Anselm Kiefer "L'alchimie du livre" à la B.N.F. François Mitterrand jusqu'au 7 février 2016.

     

     

     

  • Jeff Wall, Collection Walther, Giacomelli (par Régine)

    La photographie a mis longtemps avant d'être considérée comme un médium intéressant par les artistes et par le public. Elle a pris sa revanche désormais, avec la vidéo, supplantant la peinture traditionnelle et envahissant galeries et musées. Ce mois de novembre, "Mois de la photo" depuis 26 ans fait de Paris la capitale mondiale de ce médium : une bonne occasion de faire le point. Et les propositions ne manquent pas ! disons le sans détour : il est rare que nous soyons vraiment séduites, que notre imaginaire soit emporté, que l'émotion nous saisisse. Mais quelques propositions émergent du lot et nous réconcilient avec ce médium sans doute trop galvaudé.

    Il en est ainsi des petits formats de Jeff Wall, actuellement exposés à la Fondation Cartier Bresson, notamment ceux du 1er étage proposés dans des caissons lumineux.

    Jeff Wall n'est évidement pas un inconnu. Né en 1946 à Vancouver, docteur en histoire de l'art il vient à la photo par la peinture. Ses grands formats qu'il a eu l'idée de présenter dans des caissons lumineux afin de donner plus de relief à l'image son célèbres. Ce sont de véritables compositions qui, par une infinité de détails, se réfèrent à des tableaux connus - il a en effet toujours maintenu un rapport étroit avec la peinture -. Les petits formats sont tout à fait exceptionnels dans son travail, mais il ne les considère pas du tout comme secondaires. Pour lui ils font partie intégrante de son oeuvre.

    Chaque photo présentée dans l'exposition capture quelque chose du monde, instants saisis dans leur existence la plus forte et la plus touchante. Autant de Vanités qui donnent un sentiment aiguë de l'existence, de l'usure des choses, de la beauté passé, de l'éphémère. Le sujet photographié est toujours d'une grande simplicité et pourrait passer totalement inaperçu. En voici quelques exemples. Une Petite fenêtre joliment colorée (Blind window, 2000), nichée dans l'encoignure d'une mur blanc, est envahie de toile d'araignée poussiéreuses. Oubliée par son propriétaire elle n'a pas dû être ouverte depuis fort longtemps (photo 1)IMG_1259.JPG. Elle fut cependant bien belle peinte de cette magnifique couleur bleu canard ; un tronc d'arbre au pied duquel se dresse un fagot de brindilles où sont restés accrochés quelques déchets jetés là par négligence (Clipper branches. E. Gordova street. Vancouver 1999) (photo 2)IMG_1257.JPG. Malgré l'humilité du sujet, cette photo, magnifiquement cadrée, est d'une grande qualité plastique avec une multitude de petits détails qui se répondent et où domine la gamme des verts et des gris. Avec Bassin in Rome de 2004 (photo 3)IMG_1248.JPG, une fontaine en pierre patinée par le temps, l'oeil du photographe a saisi les multiples interactions entre les objets : arrondi de la margelle, du pneu de la voiture en stationnement, rouge du clignotant de la voiture, traces de rouille dans le fond du bassin et petite rondelle en plastique y qui flotte, opposition entre la modernité de la voiture et l'ancienneté d'une fontaine sans âge.

    Par son attention aux textures, à la matière, aux couleurs, aux correspondances entre les choses, Jeff Wall nous révèle ce dont la vie nous détourne. Il nous permet de voir au delà de la surface des choses et aiguise notre perception de la réalité et de sa fragilité. Il nous laisse aller là où notre imagination nous entraîne mais ne nous y conduit pas.

    Fondation Cartier Bresson - 2, Impasse Lebouis, 75014-Paris (01 56 80 27 00). du mardi au dimanche de 13 h à 18 h. Jusqu'au 20 décembre 2015

     

    Avec "Après Eden" la collection Walther c'est une profusion d'images saisies partout dans le monde, puisées dans l'exceptionnelle collection de photos qu'Artur Walther et sa femme accumulent depuis plus de 20 ans, que nous propose actuellement la Maison rouge. Son commissaire Simon Njami a organisé par thème un ensemble passionnant qui balaye tout notre siècle et dont le titre "Après Eden", évoquant un monde déchu, donne le ton.

    C'est Karl Blossfelt, un photographe du début du siècle qui ouvre magnifiquement la première section consacrée au paysage. Ses photos de végétaux en noir et blanc, toute cadrées de la même façon, dépassent le strict aspect documentaire pour faire apparaître chaque plante comme un magnifique motif décoratif (photo 1)IMG_1287.JPG. On retrouve ce même esprit distancié avec la série de photos frontales de hauts fourneaux et de gravières du célèbre couple Bernd et Hilla Becher (photo 2)IMG_1292.JPG. Suivent une série de paysages faussement paisibles, souvent chargés de la mémoire des blessures laissées par l'Apartheid, les guerres intérieures ou la colonisation de l'Afrique australe et centrale prises par plusieurs photographes africains. Ce sont les grands espaces abîmés, vides et tristes de David Goldblatt (photo 3) IMG_1295.JPGet de  Santu Moforeng, les grands hôtels de luxe de l'époque coloniale aujourd'hui délabrés de Guy Tillim (photo 4)IMG_1303.JPG ou les township de Jo Tacliffe.

    Dans la section "Identité" c'est une série de portraits d'enfants soldat qui défient la caméra de Guy Tillim. Malgré leur appartenance à un groupe et leur camouflage de parade, le photographe a su capter la personnalité de chacun d'eux (photo 5)IMG_1305.JPG.

    Dans la section "ville" on s'amuse des travaux systématiques de recensement de bâtiments d'une rue ou d'un quartier, présentés sous forme de Léoporello, fait en 1966 par Ed Ruscha pour Sunset bd à Lons Angeles, par Yoshikazu Suzuki et Shohachi Kimura en 1954 pour le quartier commercial de Tokyo et par Arwad Messmer pour la Fruchstrabe à Berlin après la guerre, chacun ignorant les travaux de l'autre.

    On reste stupéfait par le travail du photographe Huang Yan qui a transformé son corps en paysage traditionnel chinois (photo 6)IMG_1314.JPG ou par la transformation de Samuel Fosso en Angela Davis.

    Enfin on n'oubliera pas de si tôt la galerie de portraits d'Auguste Sander révélant le visage de la société allemande à la veille de l'arrivée du nazisme ni celle de Richard Avedon celui des gens de pouvoir à Washington.

    On n'en finirait pas d'énumérer tous les trésors que recèlent cette exposition. A chacun d'y faire son choix.

     

    La Maison rouge, 10 bd de la Bastille, 758012-Paris. Du mercredi au dimanche de 11 h à 19 h (01 40 01 08 81). Jusqu'au 17 janvier 2016

     

    Hâtez-vous d'aller voir les photos de Mario Giacomelli que Michèle et Odile Aittouares exposent dans leur galerie de la rue de Seine jusqu'au 28 novembre.

    De ce photographe né en 1925 et mort il y a 15 ans on connait surtout les rondes de séminaristes jouant dans la neige ou les visages de vieillards au seuil de la mort prises dans l'hospice de son village. On ignore souvent ses derniers travaux, ceux où il libère totalement son imaginaire pour faire des oeuvres qui sont de véritables constructions mentales parfois totalement abstraites. C'est sur cette période fascinante que se concentre cette 4ème exposition consacrée par cette galerie au maître italien.

    Ainsi cette photo sans profondeur qui mêle réalité et fantasme (photo 1)IMG_1337.JPG. Au premier plan un monticule d'herbes drues où se cache un oiseau, deux chaises (reflet l'une de l'autre ?) ; au fond un vieux mur blanc sert d'écran à l'artiste pour y projeter un théâtre d'ombres étranges, celle d'un arbre mort sur la branche duquel est posé un oiseau et suspendu un vêtement, celle de la silhouette d'un personnage énigmatique sur la droite. Les lignes noires et blanches, verticales et horizontales se répondent et rythment l'ensemble. Le réel est métamorphosé pour devenir impalpable, fugitif, énigmatique.

    Son intérêt pour la ligne, ses différentes formes, son dynamisme, pour la matière, pour le contraste du noir et du blanc l'emmène à faire des oeuvres totalement abstraites tell "Poésie en recherche d'auteur", IMG_1338.JPGvéritable dessin dans l'espace (photo 2).

    Pour réaliser "Dimanche d'avant" (photo 3)IMG_1340.JPG, sur une plage déserte il installe quelques objets : une forme drapé de noir, un grand cercle et un arbre encapuchonné de noir. Avec ces quelques éléments très simples il a transformé cet espace anonyme en un lieu qui fut occupé puis abandonné et nous entraine bien au delà du réel.

    Plus poète que photographe, jusqu'à sa mort Giacomelli multipliera les mises en scène pour approcher ses fantasmes et rendre concrète ses visions.

    "Mario Giacomelli, photographe métaphysique", Galerie Berthet Aittouares - 14, rue de Seine, 75006-Paris (01 43 26 53 09). Ouvert du mardi au samedi de 11 à 13 h et de 14 h 30 à 19 h.

     

  • Parcours d'automne (par Sylvie).

    Les couleurs de l'automne donnent au jardin du Palais royal, à Paris, une magnifiscence exceptionnelle. C'est une bonne occasion pour revisiter cet ensemble construit au XVII ème siècle selon la volonté de Richelieu, d'autant plus qu'une série de sculptures en pierre de Volvic s'y déploient pour quelques semaines encore, révélant à la fois la densité de cette matière grise et opaque plus connue comme matériau de construction que comme médium d'artiste et, par contraste, les fines arcades des galeries qui l'entourent et les rondeurs foisonnantes des alignements de tilleuls.                                                                                                      

    Thierry Courtadon est un tailleur de pierre auvergnat, artisan-artiste choisi pour promouvoir cette roche volcanique et faire inscrire la chaine des Puys au patrimoine mondial de l'Unesco. Il a su tirer de cette matière aride une amabilité saisissante en multipliant les contrastes: l'opaque et le transparent, le rugueux et le lisse, le flexible et le rigide, le tranchant et le contondant, la fantaisie et compact...avec des titres évocateurs. Voilà quelques exemples. De gauche à droite:1) Agripper,2) Entrouvrir, 3)Onduler, 4)Gribouiller...

    20151105_163824 Agripper.jpg20151105_163607_resized- Entrouvrir.jpg20151105_164002 Onduler.jpg20151105_163309- Gribouiller.jpg Deux artistes contemporains ont déjà laissé des empreintes durables dans la cour du Palais. Témoins d'une époque pas si lointaine, leurs oeuvres se revoient avec intérêt et plaisir: les 2  fontaines d'art cinétique de Pol Bury, (1985) avec leurs boules d'acier miroitantes qui reflètent l'environnement mais dont manque, hélas aujourd'hui le mouvement originel (5) ;  et, par delà les critiques qu'elles ont suscitées à l'époque de leur installation ( 1986), les  260 20151105_162403 Fontaine.jpg20151105_162122 colonnes Buren.jpgcolonnes noires et blanches de Daniel Buren (6), un travail in situ propre  à transformer le lieu et interroger les passants. Beaucoup s'interrogent encore, mais les enfants adorent.

    A quelques pas de là, au sortir du jardin, place Colette, la station Palais royal a troqué, en 2000, à l'occasion du centenaire du métro de Paris, les volutes Art Nouveau de Guimard pour les guirlandes d'alu et de verre de Murano de Jean Michel Othoniel. (7). Ce "kiosque des noctambules" forme un dôme multicolore comme le bouquet final d'un feu d'artifice.

    Un peu plus loin la pyramide du Louvre de Ming Pei vaut, à elle seule, contemplation. (8) A la nuit tombée, tel un éclair éblouissant, elle est traversée d'un trait de néon rouge incandescent comme de la foudre, oeuvre de Claude Lévèque, en place jusqu'au 25 janvier 2016.

    20151105_162008- Metro Palais royal.jpg20150813_144847.jpgIl ne faudrait pas quitter "le ventre" de la ville sans aller voir l'avancement des travaux du Forum des Halles, le Paris de demain et sa canopée, ou revisiter l'église Saint Eustache, à ses côtés, contemporaine du Palais royal. On y découvre dans un renfoncement à droite, une "vie du Christ", petit triptyque gravé, en bronze et patine or, du peintre américain Keith Haring (1958-1990), proche de la figuration libre, des graffeurs, et connu pour son art pop. Campés d'un trait  sûr dans une composition fourmillante, les petites silhouettes anonymes toutes semblables, cernées d'une ligne souple et continue, caractéristiques de cet artiste, expriment avec fraicheur les grands thèmes de la foi chrétienne et, sans doute, les préoccupations spirituelles d'un homme mort prématurément du sida. (9). Les petits bonshommes évoquent la multitude humaine aussi bien que les participants de la vie du Christ; et le bébé, forme récurrente chez Haring, le petit Jésus.

    N'oubliez pas de cliquer sur sur les images pour les voir en grand.