Sur le thème du tronc d'arbre (par Sylvie)
Ils ne sont pas botanistes mais ont en commun une même fascination pour l'arbre et particulièrement le tronc, dans une similitude de destin avec l'homme. Les oeuvres de deux de ces artistes sont encore visibles pendant quelques jours dans des galeries parisiennes. J'y ajouterai deux autres qui ont déjà exposé mais qui, faute d' avoir été remarqués pourront faire l'objet d'une découverte au Festival des jardins de Chaumont sur Loire qui vient d'ouvrir pour l'été.
Fabien Mérelle, le plus jeune - il est né en 1981 - est un dessinateur minutieux et imaginatif. Son travail sur papier à l'encre de Chine a d'ailleurs été récompensé par le prix Canson en 2010 et il figurait dans la collection Guerlain montrée à Beaubourg en 2013. Son univers, très personnel, mêle un onirique tantôt drolatique tantôt cauchemardesque à un réalisme absolu. A la galerie Praz-Delavallade à Paris, près du dessin d'un dormeur couché (l'artiste?) au bas du corps-tronc, reptilien, coupé en rondelles (photo 2)
, se trouvent deux sculptures figurant ce végétal: les doigts d'une petite main blanche posée sur sellette s' étirent en multiples branches feuillues comme prêtes à griffer (photo 3) ; il y a de la sorcellerie dans cette évocation. L'autre, rose et grenue comme la chair humaine impose sa verticalité d'arbre sans racine, presque obscène, d'où s'échappe une frêle branche desséchée de la même couleur (photo 1). A se demander si ce grand corps-phallus si humain et présent dans sa forme et sa dimension n'a pas perdu son pouvoir de donner vie. Mérelle joue si bien des disproportions, des contrastes, du merveilleux et du monstrueux qu'on ne sait plus si les situations auxquelles il nous confronte sont seulement incongrues ou inquiétantes. "Je réalise des fantasmes et exorcise des phobies" dit-il.
Berlinde de Bruykere est une artiste belge , née en 1964. Aux côtés du photographe Matthieu Pernot et du peintre Philippe Vandenberg, exposés ensemble à la Maison Rouge, elle conduit notre regard à la misère du monde, à notre pauvre chair, à la solitude qu'elle a, semble t-il, vécue. Ses troncs raides, assemblés en sculptures couchées comme sur une table de dissection, habillés de cire rose et grise, souple et satinée comme peau humaine, évoquent une chair malade, au bord de la putréfaction, et en soulignent la fragilité (photo 4) autant que la cruauté des hommes et ses peurs les plus profondes. Le dérisoire humain apparait sous le volume végétal. Un profond malaise nait des bandages de chiffons et des sangles de cuir qui les entourent. Martyr, isolement, viennent à l'esprit et nous ébranlent physiquement, rappelant les Christ morts des maîtres anciens. Sous l' obscénité évidente, apparait une façon de surmonter la désespérance, celle de l'humanité toute entière, celle de l'homme malgré son pouvoir sexuel, celle de l'Histoire et ses guerres - la Flandre de la guerre de 14 - celle de l'individu, l'artiste elle-même et ses souvenirs de tissus souillés dans on enfance malheureuse.
Henrique Oliveira, né en 1973, est brésilien. Je l'ai découvert au Collège des Bernardins à Paris en 2013. Le gigantesque tronc d'arbre noueux qu'il avait installé sous les ogives semblait devoir les pulvériser. Utilisant le bois de chantier qui permet d'épouser l'architecture et de se plier à des formes organiques, Oliveira met en évidence des forces obscures ou inconnues mais toujours d'une extrême puissance plastique et visuelle. Cette "transubstanciation" avait quelque chose de scatologique. Au Palais de Tokyo les troncs tordus emmêlés de "Baitogogo" étaient pris dans des poutres-supports. A Chaumont sur Loire "Momento fecundo" (photo 5), forme une impressionnante spirale, comme un immense serpent quasi vivant qui pousse de façon organique et déstabilise le visiteur dans sa perception de l'espace. C'est tout le bâtiment qui prend vie et les entrelacs, entre animal et végétal, s'enroulent aux charpentes et aux escaliers, comme un réseau impossible à maitriser. A la manière des favelas de Sao Paulo !
Giuseppe Penone, né en 1947 en Italie, s'est illustré en dernier lieu dans les jardins du château de Versailles. La démesure de ses moulages en bronze était à la hauteur des lieux. On peut voir à Chaumont "l'arbre-chemin" une oeuvre pérenne qu'il a installée en 2012. Lui aussi en appelle à la similitude homme-arbre malgré leur différence de temporalité: une même matière fluide que le temps modifie. Proche du land-art et de l'arte povera, Penone exalte avec poésie et spiritualité la grandeur et la beauté du végétal, son énergie impalpable, dans une relation empathique avec l'homme.
Fabien Mérelle, galerie Praz-Delavallade, 5 rue des Haudriettes, 75003 Paris. Jusqu'au 17 mai 2014. Berlinde de Bruykere, à la Maison Rouge, Fondation Antoine de Galbert, 10 bd de la Bastille, 75012 Paris. J'usqu'au 11 mai 2014. Henrique de Oliveira et Giuseppe Penone au Festival des jardins de Chaumont sur loire, jusqu'au 2 novembre 2014.






Yves Oppenheim ouvre en fanfare notre tour d'horizon. Pure abstraction multicolore bien qu'on puisse y deviner peut-être quelques fleurs éclatantes, sa tapisserie (Beauvais 2010), conçue comme un polyptyque, est lumineuse et réjouissante. Les lignes créent un lacis sans dimension narrative et la présentation suspendue dans le vide permet d'évaluer l'envers des choses et les arcanes de la fabrication. Une prouesse !(1). Les 3 arbres"(Beauvais1989) de Mario Prassinos jouent les négatifs où noirs et blancs sont inversés (2). Verrez vous la voûte céleste ou le mouchetage de la plante elle-même dans L'Aucuba (Savonnerie 2005) de Marc Couturier (3)? On retrouve tel qu'en lui-même le bleu métallique et le rêve des toiles de Jacques Monory sur la laine souple de Velvet jungle n°1 (Gobelins 2012) (4). Clin d'oeil au lieu où nous sommes Le jardin des Gobelins (2012) de Christophe Cuzin s'ouvre tel un Matisse intimiste, dans l'encadrement de la fenêtre, mais traité en petits carrés comme un code à flasher (5).



