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décrypt'art - Page 15

  • Jean DEGOTTEX (par Sylvie).

    La peinture abstraite des années 60, qu'elle soit lyrique ou construite, est moins en cours aujourd'hui, dit-on, bien que le succès de Soto et Hantaï au centre Pompidou et du mouvement cynétique (Dynamo au Grand Palais) puissent le contredire. Mais il est des artistes qui font balayer tous les a priori. Jean Degottex est de ceux là. Malgré ou à cause de son minimalisme, de sa spiritualité évidente, de son geste rapide et ample et de son matièrisme ludique, il s'impose, et de plus en plus, comme un des grands, vingt-cinq ans après sa mort.                                                                                                                      

    Sans prétendre à une sélection exhaustive la galerie Berthet-Aittouarès présente un judicieux aperçu de son travail. En quelques trente oeuvres - peintures, papiers, bois, briques - plutôt de petit format, il reflète, sans accrochage chronologique, le cheminement, de 1957 à 1988, de cet artiste autodidacte, libre et inventif, qui a résumé lui-même son évolution:" Du signe à l'écriture, de l'écriture à la ligne".

    Is (II) - 12.62 - Ecriture noire - 108x75 cm.jpgLe Bec - 1954 - 64x49 cm.jpgL'exposition s'ouvre sur une Ecriture I.S.II de 1962 à l'encre de Chine sur papier (108x75cm) qui affirme avec force l'identité gestuelle de Degottex toute imprégnée de culture Zen. Ce n'est pas une calligraphie au sens propre du terme, il n'y a pas à décrypter des mots mais la vitalité explose sous le geste tendu, dépouillé, ascétique dans un espace  vide qui préfigure les eaux dormantes des fonds futurs. André Breton en avait souligné à l'époque la filiation avec l'écriture automatique.(photo 1)

    En face, trois oeuvres sur papier de 1954: Vague (64,5x47,5cm),Le Bec (49x32,5cm). Ce sont des croquis à l'encre de Chine faits en Bretagne, au bord de la mer : frémissements de l'eau, éclaboussures, paysages sans doute, ce qu'il appelle des "faits de nature". On sent le souvenir de ces figures bien que ce soit déjà des  signes? inscrits dans l'immédiateté d'une méditation aboutie. Ce côtoiment d'oeuvres réalisées à quelques années de distance permet de mieux comprendre comment Degottex est parvenu à l'épure avec exigence et économie de moyens. (photo 2)

    Suite Rouge (II)- 23.07.64 -106x76 cm.jpgDans la peinture sur papier Suite Rouge II 23/07/64 (106x76cm), faite dix ans plus tard, les signes, extrèmement maitrisés se brouillent par superposition et contraste dans un rapport brutal effacement-affirmation, horizontales-verticales. Cette alternance serait-elle une tentative d'ordonner le chaos ou de conjuguer tous les possibles? Le mouvement, libéré, passe en une grande respiration dans la surface déjà plus travaillée. L'échelle est également plus modeste que les grands formats qui ont fait la renommée de Degottex mais elle porte en elle retenue, rigueur et le désir toujours manifeste de transgression du support. (photo 3)

    D'un bout à l'autre de son parcours Degottex n'a cessé d'explorer les possibilités de la peinture, des outils et des supports. Jusqu'à abandonner les plus traditionnels et en créer de nouveaux. L'oeuvre est née de la rencontre du peintre et des supports, pur hasard. Selon la formule de Pierre Wat qui préface le catalogue, l'artiste s'est fait sourcier: "il donne le sentiment qu'il a seulement suscité les oeuvres, comme s'il s'était contenté de rendre le support fécond".

    Papier brique IV - poudre, empreinte de brique - 15.03.81 - 30x26 cm.jpgIMG_0673.jpgSans titre, poudre de brique sur papier, 1981.  Degottex aime besogner le papier, l'ouvrir, le couper, l'arracher ou au contraire y créér des reliefs ou des plis. Dans la brique il a trouver une autre matière première de choix, la faisant à la fois outil et support. Il la peint, la frotte, la décrète ustensile à canneler le papier. Et sur le papier ainsi gauffré il projette encore de la brique sous forme de poudre. De subtiles tonalités apparaissent que les nervures du papier absorbent ou rejettent." L'épiderme des choses est à soit seul une écriture" disait-il. Il donne à lire ce que nous n'aurions sans doute pas découvert. (photo 4)

    En 1984 il avait encore une curiosité de jeune homme. Deux Bois fendus (20/09/84) figurent ici.Que sont-ils ? Des planches de pin, des morceaux de poutre, trouvailles, rebuts ayant perdu leur usage et que Degottex aimait glaner dans les chantiers ou les décharges, leur trouvant une "intelligence". Il les manipule et suscite leurs réactions. Sans aller jusqu'à la violence des tenants de Support-Surface, son interrogation se porte sur la texture interne et externe des matériaux, à l'affût de la surprise. (photo 5)

    Bris-Signe I - 26.08.79 - 20x20,5 cm.jpgPour terminer mon incomplète exploration je citerai une toute petite oeuvre qui m'a ravie. Bris-Signe I 26/08/79 acrylique et plâtre sur brique 20x20,5x2cm, un recyclage comme lui et nous les aimons. Sous l'épaisseur du plâtre et le fine couche d'acrylique sont laissées apparentes les rainures verticales en creux de la brique. De délicates coulures bleues, de ce fameux bleu de Gordes, celui des tailleurs de pierre qu'il a souvent utilisé, s'infiltrent dans le blanc poreux qui en devient éblouissant, pris en tenaille entre des jetés de bleu et de noir en bordure. La métaphore de l'ouvert est toujours au fond du vide. (photo 6)

    Un film complète le parcours, avec les interventions de Renée Beslon-Degottex, Maurice Benhamou et, Catherine Thieck de la galerie de France.

    Jean Degottex, galerie Berthet-Aittouarès, 29 rue de Seine 75006 Paris. Tel: 01 43 26 53 09; Jusqu'au 29 juin.

  • Geneviève ASSE (par Régine)

    Le bleu de Geneviève Asse irradie la Galerie Claude Bernard jusqu'au 18 mai, l'élargissant en un espace de pure sensation, de pure émotion. Il faut entrer et se laisser emporter par l'armosphère de paix et de sérénité que ces toiles en apparence si semblables diffusent, puis il faut les regarder longuement une à une pour en saisir l'extrême complexité, la vie qui les habite, les subtiles différences qui les séparent ; en effet, la répétion, essentielle dans son travail, fait ressortir l'invisible, chaque tableau répète l'autre tout en affirmant, de façon parfois très tenue, son autonomie.

    Dépouillés à l'extrême ces toiles sont totalement abstraites, mais ce ne sont pas des monochromes, ce sont plutôt des fenêtres ouvertes sur un espace à éprouver. Certes ces bleus un peu gris aux variations infinitésimales sont ceux de sa Bretagne natale, de l'Ile aux Moines où elle possède une maison, mais c'est plus que cela ; avec cette couleur qui n'appartient qu'à elle, l'artiste nous confronte à la densité de l'espace, à l'invisible, à l'âme du monde. La nature y est présente mais pas visible.

    La taille et le format des tableaux exposés sont très variés. Il y en a de très petits, d'autres moyens et grands, ils sont carrés, verticaux, horizontaux, il y a même un tondo, peut-être façon pour Geneviève Asse d'exprimer son incessante quête d'espace et de lumière.

    Plusieurs d'entre eux sont traversés par une ligne généralement blanche, parfois rouge, rompant l'unité du bleu et le faisant vibrer. Dans le superbe "Trace stellaire 7" (photo 1)GEDC00203.JPG (très proche de "Trace stellaire 6") une ligne blanche, d'abord estompée en haut du tableau devient éclatante et disparaît dans l'immensité du bleu. Elle traverse le tableau avec la fulgurance d'une étoile filante. Tout l'espace en est irradié et transformé. Il faut regarder vivre ce tableau pour apercevoir que cette ligne modifie la lumière et donc la couleur des deux parties qu'elle sépare. L'horizontale rouge qui déchire le haut du petit tableau nommé "Trajectoire" GEDC00106.JPG(photo 2) disparaît dans un tressaillement de blanc. Elle éblouit comme un éclair et son écho assourdi se retrouve dédoublé et inversé dans le bas de la toile. Le feu couve sous le bleu et en bouleverse l'apparente tranquillité.

    Trois grands tableaux verticaux (photos 3,4,5) GEDC00101.JPGGEDC00105.JPGGEDC00208.JPGnommés "Ecritures" sont disposés de telle façon qu'il est possible de les voir comme les pages d'un livre. En effet dans le bas de chacun d'eux quelques lignes horizontales sont tracées, rouges dans l'un blanches dans les deux autres. Elles ouvrent l'espace dans le sens de la lecture, écriture muette invitant au silence. "J'ai aimé, dit-elle, ces formats verticaux avec des lignes blanches comme celles de l'écriture. Lorsque je peins j'ai l'impression d'écrire". Or Geneviève Asse est un peintre qui vit avec les livres. Elle en a fait de merveilleux avec les plus grands poètes contemporains, Samuel Beckett, André Frénaud, André Dubouchet, Yves Bonnefoy, Sylvia Baron Supervielle, Anne de Staël...

    Même si elle n'apparaît pas de façon évidente l'architecture qui, avec l'écriture est au centre des intérêts de Geneviève Asse, sous-tend souvent ses toiles. Elle est apparente dans "Quadrille" GEDC00201.JPG(photo 6) qui a servi pour le carton d'invitation. Des lignes rouges et blanches partagent le tableau, différenciant les bleux, rythmant l'espace, lui donnant des profondeurs différentes. La construction de "Départ du bleu" GEDC00111.JPG(photo 7) fait penser à celle d'une fenêtre avec cette large ligne d'un blanc transparent teinté de rose qui, tel un battant, sépare le tableau en deux parties égales, l'une bleu gris assez sombre, l'autre bleu azur ; ce n'en n'est pas une puisque cette ligne ne descend pas jusqu'en bas  et que le bleu gris de la partie droite recouvre le bas du tableau. Efficace malgré sa légèreté serait-elle là pour empêcher l'ombre d'envahir la lumière ?

    Dans tous les cas, les surfaces planes de ces tableaux ont la propriété de s'étendre en profondeur et en largeur. Dans un espace aussi réduit que celui du petit tableau de 2013 intitulé "Matin" GEDC00207.JPG(photo 8) l'artiste réussit le tour de force de nous faire ressentir l'immensité de la mer et du ciel confondu, encore légèrement embrumés, la transparence de l'air matinal, sensation pure émergeant d'un réel.

    Toute son oeuvre conjugue rigueur et rayonnement sans pour autant renoncer à une sensualité que l'on pourrait qualifier de panthéiste.

    "La peinture est un appel, si personne n'entend cet appel, ne voit pas le tableau je ne peux rien faire. Lorsque l'un de mes tableaux arrête quelqu'un je suis heureuse" dit-elle.

    Il ne faut pas hésiter à s'arrêter longtemps devant ces tableaux exceptionnels.

    Geneviève Asse - Galerie Claude Bernard, 7/9, rue des Beaux Arts - 75006-Paris. Tél : 01 43 26 97 07. ouverte du mardi au samedi de 9 h 30 à 12 h 30 et de 14 h 30 à 18 h 30. Fermé le lundi.

     

     

  • Julio Le Parc (par Sylvie).

    Si vous avez la chance d'avoir des enfants autour de vous, emmenez les voir l'exposition de l'artiste argentin, né en 1928, Julio Le Parc, au Palais de Tokyo à Paris. Vous serez un peu désorientés dans cette demi obscurité où les lumières vrillent, éblouissent, les structures dansent et font chavirer, les miroirs transforment et perturbent la vision. Touchés par l'ingénuosité, la poésie, la fantaisie et la perfection du travail de cet artiste, votre curiosité cherchera le comment sont faites ces illusions d'optique qui tiennent de la magie. Les enfants, eux, vont instinctivement dialoguer avec les oeuvres, y mettre la main, actionner, pénétrer et s'en amuser follement. Le comble est atteint à la fin du parcours lorsqu'ils se faufilent dans la forêt dense et mobile de punching-balls suspendus au plafond. iIs s'y poursuivent, se bousculent, cognent ou prennent à bras le corps ces gigantesques  troncs blancs, mous et rassurants, qui figurent des personnages de la vie publique.                                                                                                      Quoi de surprenant ? Ils mettent en oeuvre le manifeste du GRAV (Groupe de recherche d'art visuel, fondé en 1960 par Le Parc et ses amis, Morellet et Soto entre autres, et qu'a largement fait connaître et soutenu feu la galeriste Denise René) : "Défense de ne pas participer, défense de ne pas toucher, défense de ne pas casser".

    Tout ici bouge et fait bouger.  Peintures, sculptures, installations, d'une grande économie de moyens, sont une expérience sensorielle et ludique qui nous fait participer. De l'élément impalpable qu'est la lumière Le Parc tire toutes sortes d'effets volatils qui émerveillent, et, malgré soi, on se prend au jeu du pouvoir d'animation de notre va et vient: notre mouvement participe de l'oeuvre.  

    Parmi bien d'autres voici quelques pièces réjouissantes qui en disent long sur les outils, les techniques et les effets avec lesquels l'artiste a joué pour nous offrir des oeuvres ouvertes qu'un rien métamorphose et qu'il ne tient qu'à nous de faire vivre.

    julio-le-parc-cellule à pénétrer.jpgGEDC0016.JPGLe blanc et le noir sont très présents, blanc de la lumière, noir de l'ombre née du contrate. Deux exemples: La cellule à pénétrer adaptée, 2005 (à partir du Labyrinthe GRAV de 1963), est faite de lamelles de miroir suspendues. Les reflets créent une multitude de taches mobiles que fractionne l'entrelacs mouvant et imprévisible des bandes.(photo1)                                                 A travers les orifices de Continuel-lumière-mobile, la lumière passante dessine une sorte de voie lactée féérique où les constellations en mouvement tournoient en confettis, comme un envol de duvet (2).

    GEDC0023.JPGGEDC0038.JPGSur le Continuel-lumière cylindre (1962-2005) l 'alternance des rayons lumineux qui se croisent donnent à la lune noire l'illusion d'un mouvement rotatif et cyclique. Le mécanisme déploie sur la surface un drapé savant et changeant, presque tactile.(3)                                         Lames réfléchissantes(2005). Pour peu que l'on se déplace devant ces entailles verticales dans le rouge, nait une autre forme en losange qui suit le regard du promeneur.(4).   

    julio_le_parc___s__rie_15_1863_north_576x-Modulation 1125.jpgGEDC0028.JPGC'est une pure illusion d'optique, mais la cible, faite de cercles concentriques de couleurs pures, série 15n°18 -1971/2012, vibre et palpite.(5)                                 A travers les pièces de rhodoïd transparent qui composent  la sphère rouge (2001/2012), les faisceaux lumineux  modulent la couleur en différentes intensités et y tracernt une grille de lignes variables selon la place du spectateur(6).

    GEDC0034(1).JPGLe souffle de quelque zéphir mécanique anime avec humour, de sa présence immaterielle, des objets quotidiens: là une balle de ping-pong en devient sautillante, ici une botte de rouleaux de papier de toilette souple s'érige en gerbe ondulante. La traine d'une robe de mariée? (7).

    Je rappellerai que l'exposition s'ouvre sur un dispositif simple que les enfants adorent, les lames de rhodoïd souples: elles réfléchissent et déforment les silhouettes... qui se contorsionnent d'autant plus : il y a du rire dans l'air !

    Julio Le Parc, Palais de Tokyo, av du Président Wilson,75016, Paris. Jusqu'au 13 mai 2013

  • Rafael SOTO (par Régine)

    Non, l'Argentine n'a pas exporté que le Tango et les écrits de Borges. Heureusement pour nous une multitude d'Argentins talentueux - la plupart ayant fui la dictature - sont venus s'installer en France : ainsi les metteurs en scène Alfredo Arias et Gérôme Savary, les écrivains Copi, Julio Cortazar, Sylvia Baron Supervielle et parmi eux les artistes Rafaël Soto et Julio Le parc. Tous deux ont su insuffler une dynamique nouvelle à l'art français des années 1960 en y introduisant le mouvement et en rendant le spectateur actif devant leurs oeuvres.

    L'art cinétique est à l'honneur en ce moment à Paris. Plusieurs galeries en exposent, le 4ème étage de Beaubourg montre les pièces de la dation Rafaël Soto mort en 2005, le Palais de Tokyo consacre une grande rétrospective à Julio Le Parc et enfin vient de s'ouvrir au Grand Palais une exposition intitulée "Dynamo" retraçant l'histoire de ce mouvement.

    Je n'ai pas encore vu "Dynamo" mais les expositions Soto et Le Parc sont de vrais bonheurs, non seulement parce qu'elles sont belles, mais aussi parce qu'elles entraînent dans une autre dimension, stimulent l'esprit et les sens, destabilisent, bref vous enchantent.

    Attardons-nous sur celle de Soto dont les pièces judicieusement choisies donnent une idée générale de son travail. Tout au long de sa vie cet artiste n'aura eu de cesse de tenter de rendre visible les vibrations de l'univers, de capter l'impermanence du réel et de saisir l'espace-temps. Mais comment parvenir à piéger des réalités aussi complexes ? Soto va chercher, tâtonner et essayer différents matériaux que cette exposition décline pour notre plus grand plaisir.

    La découverte dans les années 1950 du travail de Moholy Nagy et de son usage de substances transparentes va servir de déclic pour une série d'oeuvres sur plexiglas. "Dynamique de la couleur" de 1957 (67 x 67 x 28) en fournit un bel exemple (photo 1)GEDC0014.JPG. Elle se compose de deux éléments superposés mais séparés l'un de l'autre par quelques centimètres : un fond en bois régulièrement striés verticalement de noir et de blanc et une surface en plexiglas également striée mais de lignes colorées de différentes longueurs, disposées soit verticalement, soit en diagonales ; lorsqu'on se déplace devant elles, les stries s'entrelacent, se tressent, provoquant un effet vibrant qui libère les couleurs.

    Voulant faire sentir la vibration au delà de l'oeuvre elle-même l'artiste va opter pour le métal. Regardons "Vibration jaune" de 1965 (photo 2)GEDC0019.JPG. Soit un carré de 106 x 106 cm partagé en deux zones, celle du haut peinte dans un jaune lumineux, celle du bas striée régulièrement de noir et de blanc. Devant cette dernière sont suspendues des baguettes métalliques, également peintes en jaune, si fines qu'elles se courbent et frémissent au moindre souffle provoquant une onde qui se propage alentour et envahit la zone monochrome. C'est d'une grande beauté et on reste saisi par sa simplicité et son élégance.

    Puis ce sera la série des T, petits éléments métalliques en forme de T fixés de façon régulière sur un fond en bois dans le sens des stries qui y sont peintes. Lorsqu'on bouge devant ces oeuvres une intense vibration optique se produit et nous voilà piégés dans un champ de forces qui nous échappe totalement GEDC0030.JPG(photo 3 et 4)GEDC0031.JPG.

    Fasciné par l'oeuvre de Malevitch et par celle de Mondrian, par les carrés du premier et surtout par le tableau "Boogie, Woogie" du second, il va associer aux T des carrés de différentes couleurs. "Senegales" de 1988 (photo 5) GEDC0029.JPGen est une belle illustration. Devant une grande surface carrée (203 x 203) dont les deux tiers supérieurs sont rayés et le tiers inférieur uniformément blanc sont dispersés, à distance égale, des carrés colorés de différentes tailles. Le mouvement émane d'une illusion optique créée par les différences d'intensité des couleurs. Certains carrés semblent avancer tandis que d'autres reculent.

    Les inventions se multiplient et prennent différentes formes. Une "Extension" de 1988 (photo 6)GEDC0046.JPG couvre au sol plusieurs mètres carrés ; une multitude de tiges de couleur rouge et prune y ondulent au grès de votre déplacement, semblent suivre votre corps, répondre à vos gestes. Un "Cube pénétrable" (photo 7)GEDC0036.JPG propose d'éprouver la réalité de l'univers, sa fluidité, sa multi-dimensionnalité, sa flexibilité. Et si vous l'observez bien avant d'y pénétrer votre oeil discernera un carré rouge qui flotte en son centre, là où l'artiste a peint en couleur une partie des tiges vous invitant à voir ce volume virtuel, c'est-à-dire qui n'existe que si votre oeil l'a reconstitué. 

    La ravissante petite sculpture intitulée "Cube bleu interne" de 1976 (50 x 50 x 32) (photo 7) GEDC0043.JPGest construite sur le même principe. Le cube bleu cobalt qui flotte en son milieu l'iradie et la dématérialise totalement.

    En nous faisant participer au fonctionnement de ses oeuvres Soto nous invite à un parcours plein de surprises et de plaisir esthétique. Comme celle de Le Parc au Palais de Tokyo voilà une exposition qui procure du bonheur. Vive l'Argentine !

    Centre Pompidou - 4ème étage - Place Georges Pompidou, 75004-Paris.  (01 44 78 12 33) Soto. Jusqu'au 20 mai. Tous les jours sauf mardi de 11 h à 21 h.

  • STREET-ART (par Sylvie)

    Voilà une bonne surprise! Je n'avais pas d'attirance particulière pour le street-art, mais je ne pouvais pas ne pas voir sur certains pignons d'immeubles ou le long de l'A6 à proximité de Paris et me divertir des signatures géantes et colorées qui en couvrent les contreforts. Agressives et rageuses, ou simplement décoratives, elles  introduisent la couleur sur du bati souvent terne. Certains diront qu'elles sabotent les efforts des paysagistes !                                                                                                               Les premièrs graffitis sont apparus çà et là dans les années 60 en Europe et aux Etats Unis. Cette appropriation de l'espace public  relevait d'une volonté de marquer le territoire par son nom ou une signature visuelle, de délivrer sans contraintes un message, de dire ses inquiétudes face aux problèmes politiques, sociaux et de prendre le monde à témoin. Comme les trublions du rap dénoncent les injustices. Ce mode d'expression, libre, qui accuse et dérange, a si bien collé à notre époque qu'il s'est répandu au delà de toute attente et leurs auteurs, qui travaillent aussi en ateliers, avec des supports et des techniques très divers sont aujourd'hui reconnus comme de vrais artistes. Et gardent leur pseudo, leur "blaze" de graffeurs de rue.                                                                                         L'exposition qui se tient au Musée de la Poste rend compte de cet art éphémère et multiforme, violent, triste et gai à la fois, devenu une culture qui emballe les plus jeunes. et qui est passé du mur à la toile, de  l'espace public à celui du musée, du manifeste à l'oeuvre d'art.  Pour ce tour d'horizon, six des onze artistes présents ont réalisé une oeuvre spécialement pour l'évènement, à même le mur. Des vidéos montrent les artistes en action et des vitrines présentent le matériel de certaines réalisations.

    Ernest Pignon-Ernest- les Expulsés.jpgZlotykamien-double portrat- 2013 234.jpgQuestion de génération sans doute, les pionniers ont eu mes faveurs. D'Ernest Pignon-Ernest,  (France 1942) je me souvenais de certaines de ses interventions:une série napolitaine entre le sacré et le profane, et des sdf peints sur cabine téléphonique, des êtres éplorés sur des supports sinistrés. La photo en noir et blanc des "Expulsés", (1979) (photo1)chargés de leur dérisoire minimum vital, sur le mur d'un immeuble détruit laissant voir des traces de papiers peints, de cloisons, de conduits de cheminées, nous renvoit à des images d'évictions de squats,d'exode et à notre culpabilité.

    A peine moins émouvants dans leur simplicité les "Ephémères" de Gérard Zlotykamien (France 1940) sont des visages sommaires tracés à la bombe aérosol, aux bouches porteuses de cri ou de souffrance. Des murs des Halles où ils sont nés, les voilà transposés sur toile ou sur des amalgames souples nés de la modernité.(photo 2)

    Miss-Tic-au-Musée-1024x768.jpgInvader 2013 249.jpgimage_22 street art-Jeff Aérosol- woody allen.jpegLa renommée de Miss Tic  ( France 1956) n'est plus à faire, son nom, ses jeux de mots, sa "manière noire" et son féminisme sont reconnaissables entre toutes.(photo 3). Elle se fait l'écho de la condition des femmes, avec virulence et humour.

    A partir du médium ludique qu'est le Rubick's cube Invader ( France 1969) explore l'histoire de l'art (Delacroix) avec une" liberté guidant le peuple" en mosaïque, aussi bien que les possibilités des pixels en forme d'émoticons. (photo 4).

    Le pochoiriste Jef Aérosol ( J.F. Perroy, France 1957) a fait sa renommée avec des portraits de personnalités. Sur le marché de l'art ses oeuvres s'arrachent à prix d'or. (photo 5)

    Dran- 2013 -207.jpgstreetart003- C215.jpgLes peintures de Dran (France 1980) semblent tout droit sorties d'une bande dessinée, une bande dessinée à l'ancienne sans agressivité. Mais sous la naïveté apparente de cette "ville propre", la critique de la société est féroce et l'humour noir.(photo 6)

    C215 (Christian Guemy France 1973) peint des pochoirs sur le thème de l'enfance ou des laissés pour compte sur les murs et le mobilier urbain. Couleurs chaudes et poésiede de romans de gare pour les uns, filet de rides noires qui disent autant les outrages de la vie que la circulation sanguine pour les autres.(photo 7)

    1217158efb0ca481cbf1bb8322c5d17e-street art-Rero.jpgPour signifier le refus, Rero (France 1983) barre comme s'il mettait un bandeau sur la bouche.  On le comprends tout de suite.(photo 8)

    image_40 street art- visage-Vhils.jpegstreet-art-Bansky- 2013 216.jpgVhils ( Alexandre Farto,Portugal 1987) campe des portraits frappants dont les reliefs émanent d'affiches découpées à la main ou au laser, soit, ( photo 9) de plâtre mural travaillé au gravoir ou au marteau piqueur. Le panneau de brique et de plâtre que voici a été monté spécialement pour l'exposition.

    Bansky ( Angleterre 1974) est la figure légendaire du street-art.Il veut rester énigmatique et protège sa figure: on ne la verra pas sur la video le concernant. Mais ses images, comme celle-ci, rassemblent toutes sortes de symboles.(photo 10)

    Je ne les citerai pas tous mais tous m'ont accrochée dans ce tour d'horizon essentiellement français de l'art urbain, qui fait état de l' évolution et de la belle dynamique d'une discipline pourtant... illégale mais qui accède à la récupération mercantile.

    "Au delà du street-art", L'Adresse Musée de la Poste, 34 bd de Vaugirard, 75015 Paris, tel: 01 42 79 24 24. Du lundi au samedi de 10h à 18h. Jusqu'au 30 mars 2013.

     

  • Sophie RISTELHUEBER (par Régine)

    L'oeuvre reproduite sur le carton d'invitation de la Galerie Catherine Putman pour l'exposition de Sophie Ristelhueber m'avait tellement fascinée que je m'étais promise d'aller voir le travail de cette artiste dont j'ignorais tout. Le titre "Track" aussi m'avait intrigué ; il m'évoquait autant la trace d'un objet disparu que la traque d'une énigme non élucidée.

    Je n'ai donc pas tardé à gravir le petit escalier qui mène à la galerie de la rue Quincampoix et là, comme je l'espérais, les six images exposées m'ont captivée. D'une matière très sombre qui pourrait être celle de gravures à la manière noire, des formes émergent : des lignes de chemin de fer traversent un pont, disparaissent sous un tunnel ou s'enfoncent dans une forêt profonde ; il faut les regarder longuement pour que peu à peu une multitude de détails apparaissent.

    Pour les réaliser Sophie Ristelhueber a exhumé une série de photos prise en 1984 dans les Pyrénées orientales pour le compte de la Datar. Elle s'était alors attachée à photographier des lignes de chemin de fer, souvent abandonnées, passant dans ces zones montagneuses et ayant nécessité nombre d'ouvrages d'art.

    Près de trente ans plus tard elle redonne vie à ces tirages argentiques en les repeignant, avec une minutie extrême, à la peinture acrylique noire. Ce ne sont pas ces photos peintes qu'elle montre, mais leur photographie tirée à l'aide d'une imprimante à jet d'encre dans le format souhaité (les photos reproduites ici sont au format 104 x 132).

    J'ai scruté avec attention l'oeuvre dont la reproduction sur le carton d'invitation m'avait tellement frappée (photo 1)g_Putman13SophieRistelhueber03a.jpg. Une voie ferrée sort d'un tunnel dont on aperçoit la paroi sur la gauche, et disparaît rapidement dans un tournant en s'enfonçant dans les ténèbres ; elle est cernée de toute part par une forêt noire et dense dont les frondaisons repeintes de façon extrêmement détaillée retombent en cascade.

    Dans une autre (photo 2)g_Putman13SophieRistelhueber01a.jpg les rails serpentent dans un tunnel dont on peut encore voir les détails de l'armature ; une partie a été arrachée laissant voir un ciel rayé de coups de pinceau à l'acrylique noire. De la végétation pousse sur les parties démolies. La forêt est moins dense et dans le lointain on entrevoit un chateau sur une hauteur.

    Dans une autre (photo 3)g_Putman13SophieRistelhueber04a.jpg un tunnel est obstrué par un énorme rocher, bouche d'ombre autour de laquelle pousse des herbes folles. Comme dans les oeuvres précédentes la matière est très présente, elle semble avoir une épaisseur et le noir profond se teinte de reflets bleutés et bruns.

    Pas âme qui vive dans ces paysages noctures et angoissants. Une atmosphère très romantique d'abandon et de solitude les habite comme les autres photos de l'exposition. L'homme est absent mais sa trace est bien présente. Il y a ce qu'il a construit, ce qui lui a servi à se déplacer pendant des années dans des endroits inaccessibles par la route, puis ce qu'il a abandonné laissant la nature reprendre ses droits. "Je trouve que mon travail est extrêmement habité même si les gens ne sont pas là" dit-elle.

    Ces paysages sauvages et désolés, traversés de voies de chemin de fer à l'abandon illustrent la fuite du temps et le déroulement de la vie humaine. Y affleure aussi l'histoire de cette région. Elles me rappellent certaines gravures de Constable ; comme lui l'artiste nous fait sentir que la nature finira pas prendre le relai de l'histoire ; ces ruines sont encore présentes mais elle disparaîtront un jour sous la végétation.

    La traque de la trace hante tout le travail de Sophie Ristelhueber ; les rehaussements à l'acrylique qu'elle effectue sur ces vieilles photos n'en seraient-ils pas la métaphore ? Avec son pinceau elle fouille ces lieux qu'elle a autrefois photographiés redonnant au paysage l'épaisseur de sa texture et de son mystère. On est surpris qu'il s'agisse de tirages tant la matière du medium est présente mais le léger relief et les teintes qu'on croit deviner sont illusoires puisqu'il s'agit de photos re-photographiées, donc parfaitement plates.

    M'est alors revenu à l'esprit un livre de l'allemand Heimito Von Doderer lu il y a longtemps "Le meurtre que tout le monde commet". Conrad, le héros, ayant couru toute sa vie après les traces qui lui permettraient d'élucider le meurtre de sa belle-soeur finit par découvrir qu'elle fut assassinée une nuit dans un train au moment où celui-ci passait sous un tunnel et que lui-même faisait partie des voyageurs. En arpentant les rails du trajet il plonge dans l'obscurité de ce drame pour trouver une réponse à la fatalité et à la force du destin.

    Sophie Ristelhueber "Track". Galerie Catherine Putman, 40 rue Quincampoix, 75004-Paris. Ouvert du mardi au samedi de 14 h à 19 h. Jusqu'au 16 mars.

     

     

     

  • Philippe COGNEE (par Régine)

    Voir l'exposition de Philippe Cognée à la Galerie Templon est une expérience captivante. On ne peut qu'être saisi par le beauté des tableaux exposés où dominent toutes les nuances du vert, du blanc, du rouge brique, où se télescopent opacité et transparence, profondeur et affleurement, où la matière somptueuse frémit.

    On n'échappe pas non plus au trouble qu'ils provoquent : Pourquoi tant de fascination pour un thème aussi banal : en effet ce ne sont que façades anonymes de bâtiments dégradés, désertés par ceux qui les ont occupés. Pourquoi cette impression paradoxale de temps suspendu comme dans les toiles de Chirico et de déroulement inéluctable qui use et fait disparaître toute chose, de présence réelle très forte du sujet représenté et de son délitement, pourquoi ce constat froid et distancié du réel nous touche-t-il si fort ?

    Cadrés très serrés, laissant peu ou pas de place au ciel ou à l'environnement immédiat, réduites à un jeu d'horizontales et de verticales, les constructions représentées offrent leurs façades décrépites au spectateur et leur solitude serre le coeur.

    En voici quelques exemples tous peints en 2012 : En perspective rapprochée l'ancien atelier intitulé "Brasilia" (175x 280),GEDC0024.JPG (photo 1) impose avec force sa présence massive. Des lignes noires quadrillent sa façade blanc délavé et s'y diluent. Sur le mur du bas quelques graffitis s'effacent. Le charme de la couleur vert céladon qui rejoint le bleu du ciel et la douceur de la matière du pignon aimante le regard et procure un plaisir irrépressible ; il faut lutter pour résister au désir de le toucher. Telles des fils d'une ancienne ligne électrique des parallèles courent au haut du tableau, élargissant l'espace. C'est d'une simplicité absolu et c'est magnifique.

    Totalement frontale et plate la façade de "Brasilia 2" (153 x 153) GEDC0033.JPG(photo 2) allie somptuosité et déréliction. Somptuosité des couleurs comme noyées dans la masse, harmonie de leurs accords, profondeur noire des fenêtres à demi murées qui tels des yeux vous contemplent, donnant à cette pauvre maison un regard humain.

    Est-ce par sa simplicité minimaliste, la forme de la baie horizontale, les lettres écrites sur son fronton que "Detroit" (115 x 145) GEDC0032.JPG(photo 3) évoque immédiatement Hopper ? Mais la lumière dorée qui baigne les oeuvres du peintre américain, le sentiment d'attente souvent éprouvé devant elles, ont fait place ici à une atmosphère grise et triste et à une impression d'abandon et de solitude.

    Afin d'avoir un regard distancié et dépassionné sur la réalité, pour réaliser cette série, Philippe Cognée a cherche des images sur Internet "Elles n'appartiennent à personne, elles sont à tout le monde et je peux me les approprier" dit-il. Ainsi ces bâtiments ont été photographés au Brésil, au Mexique, aux Etats-Unis ou ailleurs. Peu importe.

    Comme pour Richter la photographie est la base de son travail, comme lui il l'associe à une technique qu'il a mise lui-même au point. Tandis que le peintre allemand revient sans cesse sur le trop plein de peinture en la raclant d'un bord à l'autre, Cognée peint la photo, projetée agrandie sur une toile avec un mélange de couleurs et de cire ; sur cette peinture il applique un film plastique qu'il repasse avec un fer chaud et qu'il arrache. Si chez Richter les couleurs semblent se dissoudre et l'image se désintégrer à mesure que l'observateur s'en approche pour devenir quasiment abstraite, avec sa technique Cognée nous immerge dans la peinture. Il obtient une matière qui devient vivante, donnant chair aux images et conférant à ses tableaux l'aspect d'un monde en voie de disparition. Le temps et l'espace se rétractent et se dilatent et à l'inverse de Chirico où le temps est immobile, ici on voit l'effet du temps plus que le temps lui-même ; le vide n'est pas métaphysique mais existenciel.

    L'image nette de la réalité donnée par la photo disparaît pour laisser place à un monde flou et insaissisable. Le flou, devenu représentation des temps modernes, est ici celui de l'effondrement de l'environnement, de sa désespérance. On pourrait lui opposer le flouttage pratiqué par Carole Benzaken qui dit le passage en vitesse du spectateur, son regard sur le paysage. Chez Cognée la surface se trouble et devient flottante, mouvante, tantôt dense comme une laque, tantôt douce comme une peau ou alvéolée et rugueuse comme du marbre rongé. Les couleurs tantôt sourdes, tantôt chatoyantes s'infiltrent les unes dans les autres. Les traits noirs qui de loin ont le velouté du fusain, de près deviennent brillantes comme du vernis. La réalité se découvre multiple, contradictoire, fuyante.

    L'exposition se poursuit dans l'impasse Beaubourg par une série de portraits sur papier pour lesquel l'artiste a utilisé la même technique. Les personnages GEDC0039.JPGGEDC0040.JPG(photo 4 et 5), dont le regard fixe le spectateur, ont un visage et un corps à la fois mouvant et stable. Tout en demeurant insaisissable chacun affirme son individualité. La mobilité de leurs chairs labourées par la peinture montre leur vulnérabilité et annonce leur possible dissolution. Ils n'évoquent pas la souffrance comme les visages déformés de Bacon, mais mettent à nu leur humaine condition. Chaque être est unique, corps et esprit sont intimement liés, mais rien n'est fixe, tout peut disparaître.

    Au centre de la galerie, à l'aide de petits cubes en marbre blanc de différentes tailles, l'artiste a installé une maquette de ville imaginaire (photo 6)GEDC0038.JPG. Elle sera évidemment différente à chaque exposition. On y voyage dans un lieu à la fois connu, mais anonyme, étrange et on pense au film de Sophia Coppola "Lost in translation"

    Par cette belle exposition, Philippe Cognée nous montre le dessous des choses et sublime la fragilité de la vie, la beauté de l'éphémère et de l'insaisissable.

    Philippe COGNEE - Galerie Daniel Templon - 30 rue Beaubourg, et en face Impasse Beaubourg 75002-Paris. Tél : 01 42 77 45 36.Du lundi au samedi de 10h à 19h. Jusqu'au 23 février.

     

  • Sol LEWITT (par Sylvie).

    Les oeuvres de Sol LeWitt que présente Marian Goodman sont peintes à même les murs. C'est le propre des "wall drawings". Ils sont enchanteurs.

    6934148dbddb5614c52c9d90156a86d5.jpgAu nombre de quatre, ils ont été conçus entre 1985 et 1994. On se sent petit poucet comme dans une cathédrale devant ces grands triangles assemblés de différentes couleurs qui dessinent des pyramides du sol au plafond, ou plutôt du plafond au sol, car le regard va instinctivement de haut en bas, de la pointe à l'assise, même si les perspectives semblent aussi diverses que celles d'un chapiteau dont on ferait le tour. Malgré leur rigidité et leur platitude, ces combinaisons rigoureuses d'éléments géométriques dégagent un charme captivant, et, placées côte à côte, si proches de lignes, de facture et de couleurs, laissent croire un instant qu'elles ne sont qu'une ou composées comme un ensemble. En réalité il s'agit d'une série. (Photo 1:Wall Drawing #457, double pyramide asymétrique, décembre 1985, doc.galerie Goodman).                                                                                                                                           Des questions viennent à l'esprit: où s'arrête chaque oeuvre, quel est le support puisqu'il a fallu les réaliser et les installer alors que l'artiste est décédé depuis 2007, où est la trace de sa main?

    sol lewitt 002.jpgLe support c'est le mur, le mur seul, pas de toile, pas de papier et, bien sûr, pas de cadre. Facettes et fond sont peints au lavis d'encre, par couches successives, dans les tons jaune, rouge, bleu et gris, mouchetés, qui rappellent les fresques italiennes du Trecento dont LeWitt était féru, ayant vécu à Spoleto en Italie, près des oeuvres de Giotto. La technique n'est peut-être plus tout à fait la même mais pour obtenir la modulation des couleurs au rendu si doux et si profond, il a bien fallu appliquer des pigments sur un enduit frais ou, ce qui est probable, tamponner en multiples couches les murs à l'aide de chiffons mouillés et colorés. Ainsi l'oeuvre est partie prenante des murs et donc intransportable. (Photo 2, Wall Drawing 459#, lavis d'encre, décembre 1985).

    Artiste conceptuel, Sol LeWitt a toujours conçu avec soin ses oeuvres, confiant l'exécution à d'autres. Les "wall drawings" ont été réalisés selon ses instructions par des étudiants et de jeunes artistes. Partant d' éléments formels simples et abstraits, il a pu réduire sa sublectivité et séparer la conception de l'exécution. Cette attitude nous étonne encore un peu aujourd'hui où les notions d'authenticité, d'originalité et de valeur sont encore bien présentes. La règle a longtemps voulu qu'une oeuvre d'art soit objet unique, produit par un seul individu, oubliant en cela la vieille tradition des ateliers de maîtres. LeWitt en a gardé l'esprit puisqu'il a autorisé une part de hasard, considérant que les erreurs et les imperfections des exécutants, à la surface du mur, faisaient partie de l'oeuvre. Les "wall drawings" combinent l'autonomie et l'intemporalité d'un motif abstrait avec la spécificité d'un lieu  (la galerie Goodman) et les contingences d'une installation particulière.

    Sol LeWitt n'a cessé de créer des dessins muraux pendant plus de trente ans jusqu'à sa mort. Ils ont été réalisés dans différents endroits par des exécutants variés. Comme des estampes ou des photos elles se prêtent à la multiplicité. Théoriquement n'importe qui peut suivre les instructions donnés par l'artiste pourvu qu'il ait consciencieusement suivi le plan de l'artiste et choisi un lieu approprié. D'ailleurs ceux de la galerie sont à vendre.

    sol lewitt 003.jpg Sol LeWitt, souvent considéré comme le père de l'art conceptuel et minimal, nous force à réexaminer nos définitions de l'art et nos idées sur le rôle de l'artiste. En séparant la conception de l'exécution il a voulu parler à l'esprit plus qu'à l'oeil. S'il se dégage effectivement des dessins muraux une véritable spiritualité, on ne se lasse pas de regarder ces "Pyramides" majestueuses et tendres qui s'adressent, malgré tout, à l'émotion. On aurait tort de se priver d'une visite au Centre Pompidou-Metz où trente trois dessins y sont exposés jusqu'en juillet 2013.

    Sol LeWitt, "Pyramides", auxquelles il faut ajouter, visibles au sous-sol, une sélection d'oeuvres imprimées, représentatives de l'évolution du style de l'artiste (Photo 3). Galerie Marian Goodman, 79 rue du Temple, 75003 Paris. Tel: 01 48 04 70 52. Jusqu'au 19 janvier 2013.

  • Mircea CANTOR (par Sylvie).

    Mircea Cantor, né en 1977 en Roumanie, travaille à Paris et en Transylvanie. Il est le onzième lauréat du prix Marcel Duchamp et, comme tel, est exposé au centre Pompidou. La maison traditionnelle en bois, sculpture décorée du motif typique de corde, vue au jardin des Tuileries dans la cadre de la FIAC hors les murs, donnait à saisir une ambiguité dans ce cocon sans toit. L'espace 315 de Beaubourg est l'occasion de mieux comprendre l'état d'esprit de l'artiste à travers des oeuvres de 2012, minimalistes et troublantes par leur évidence poétique et une certaine résonnance philosophique.

    Le sas d'entrée met sur le champ devant les préoccupations de Cantor: le temps, le jeu, le merveilleux, la mort, des sujets essentiels qu'il approche avec subtilité.

    mircea cantor (suite) 014.jpgSur le mur blanc se lit:" Don't judge, filter, shoot" (Ne juge pas, filtre, tire), une injonction qui est à la fois le titre de l'exposition et le nom d'une des oeuvres, trace semi-brulée qui évoque pour moi un fil de fer barbelé. Le processus et le sens ne me deviendront intelligibles que plus avant. A ce stade, sa beauté grinçante joue sur les nerfs comme des meubles baroques dont les aspérités font mal avant même de les avoir touchés. Expérience stimulante sans être physiologiquement désagréable.

    A droite, la vidéo "Wind orchestra" (orchestre de vent) montre en boucle un enfant posant délicatement à la verticale une série de couteaux acérés et, d'un souffle, les faisant s'écrouler. L'enfant a tout le sérieux de son âge au jeu de l'habileté et de la précision et recommence sans cesse. J'ai cru voir, revisitée ainsi, l'expérience du fort-da chère à Freud, l'alternance présence-absence de la mère, cette compulsion de répétition propre à la nature humaine. Le résultat est fragile, limpide, grave - on y sent le plaisir de construire, le danger des grandes lames et la vanité de toute oeuvre humaine - mais néanmoins ludique comme un jeu de quille et l'on se prend à le regarder... en boucle, avec délectation.

    Mircea Cantor-006.jpgPassons à l'intérieur. "Don't judge, filter, shoot" forme une rosace - vitrail ou mécanisme prêt à   tourner ? - constituée de six tamis ordinaires en bois et fine trame métallique miroitante trouée, dans lesquels gisent des balles de fusil en béton et or. Hypothèse de déchiffrement : le tamis, outil de filtrage, serait notre jugement ; l'assemblage aurait la forme d'un cristal de graphite, témoin de modernité (selon l'auteur) ; les balles, l'image même de la violence et de la fulgurance ; et mon tout compose un ensemble faussement simple, en réalité complexe, à multiples sens. Le rôle de l'artiste, semble vouloir dire Cantor, n'est pas de juger mais de choisir dans le réel (le filtrer) puis de le dépasser (tirer). La beauté est question de regard - merci à Duchamp - et il y a dans cette composition une harmonie plastique et des contrastes convaincants : les tamis ne peuvent plus tamiser, il ont été troués par les balles ; celles-ci, lourdes de masse et de prix, seront ralenties par leur poids... Serait-ce l'évocation d'un état du monde et de ses contradictions ?

    mircea cantor 003.jpgChic, une banquette pour s'asseoir et regarder la seconde vidéo. C'est opportun. "Sic transit gloria mundi" (Ainsi passe la gloire du monde) s'inscrit en effet dans un temps lent et renvoie aussi bien à la mythologie, qu'à l'histoire de la chrétienté ou à la mondialisation. Une jeune femme asiatique, à la longue robe drapée comme un personnage de l'Antiquité, parcourt pieds nus, lentement, le cercle formé par de pauvres hères allongés, un bras tendu, main ouverte et bandée. Elle tient une longue mèche allumée qui se consume peu à peu en passant sur les mains. Les brûlures sont mentalement à craindre malgré les bandages, et la progression du feu, en multiples étincelles épineuses, ravive le souvenir des pointes de barbelé comme un appel à l'instinct de survie. Voilà qui nous éclaire sur l'image du texte d'entrée, écrit à la mèche de dynanite. Sa signification est peut-être à chercher du côté des nations opprimées comme le fut la Roumanie. Ce spectacle est superbe de sobriété, de dépouillement, de raffinement sensuel et sa tension est entretenue par le son d'une simandre qui sert à l'appel à la prière dans le rite orthodoxe. Quel est ce rite initiatique avec paroxysme et apaisement ? L'énigme reste entière, sauf peut-être à y voir le temps compté, la fragilité humaine, notre mort inéluctable et les cycles qui nous maintiennent dans l'espérance d'un avenir meilleur. Le propos est silencieux, attentiste, universel.

    Mircea Cantor-005.jpg"Epic fountain" ravit. Quel plaisir pour l'oeil ! Les trois colonnes de trois mètres de haut qui le composent sont faites d'épingles de sûreté en or, accessoires du commun transcendés par leur riche matériau. Assemblées en double hélice selon la structure de l'ADN, un thème récurent chez Cantor, elles se déploient, légères et scintillantes comme une cascade ou de poètiques fumeroles aux horizontales régulières d'une échelle. L'échelle de Jacob ? Les oeuvres de Mircea Cantor sont toujours difficiles à déchiffrer. La "fontaine épique", épure linéaire et somptueuse incarnera peut-être pour certains l'humanité riche et féconde, en mutation continue. Quoiqu'il en soit, elle cliquette dans la lumière comme un bijou de prix.

    Mircea Cantor au centre Pompidou, espace 315, niveau 1. Tous les jours sauf le mardi de 11h à 21h. Jusqu'au 7 janvier.

  • Bertrand LAVIER (par Régine)

    De Bertrand Lavier je ne connaissais que quelques pièces isolées vues lors de visites dans des musées d'art contemporain : le réfrigérateur monté sur un coffre fort "Brandt/Haffner de 1984" GEDC0037.JPG(photo 1), le piano recouvert d'une épaisse couche de peinture acrylique "Steinway and sons de 1987 GEDC0029.JPG(photo 2). Je ne m'étais pas attardée outre mesure sur la signification de ces oeuvres dont je pensais qu'elles se situaient plutôt du côté de la provocation, voire du canular.

    L'exposition du Centre Popidou a été pour moi une révélation. Divisée en sections reprenant les grands thèmes qui traversent son travail, elle m'a permis de comprendre que ces oeuvres nous invitaient avant tout à remettre en cause nos certitudes, à voir le monde de façon décalée en nous révélant des évidences dont nous n'avions pas conscience.

    Le plaisir éprouvé en parcourant cette exposition nait d'une stimulation de la pensée provoquée par des rapprochements inattendus, des transpositions temporelles, des médium imprévus, autant de court-circuits qui, avec humour, aiguillonnent l'esprit.

    En voici quelques exemples parmi d'autres :

    Dans la section Des choses et des mots, contrairement à ce que disaient les artistes conceptuels de sa génération, B. Lavier nous avertit qu'il, ne faut pas faire confiance au langage. Pour le démontrer il place un mobile de Calder noir et rouge sur un radiateur laqué blanc de marque Calder et intitule l'oeuvre : "Calder et Calder" (photo 3)GEDC0026.JPG. Le résultat est beau, mais troublant : comment un mot peut-il désigner à la fois un banal appareil de chauffage et une merveilleuse oeuvre d'art ?

    Sur les deux parties égales d'un diptyque de 1984 intitulé "Mandarine by Duco and Ripolin" GEDC0040.JPG(photo 4), il applique de la couleur "Mandarine" ; pour l'une l'artiste a utilisé la peinture du fabricant Ripolin, pour l'autre de Duco. Alors que le résultat devrait être le même puisque la référence de la couleur est identique, il est très différent : l'une des parties est orange, l'autre rouge. Ainsi est mise en doute la capacité du langage à traduire le réel et il est prouvé que la réalité est bien une affaire de subjectivité.

    A l'école d'horticulture de Versailles où il fit ses études, B. Lavier découvre la technique de la greffe. L'idée qu'il est possible, à partir de deux éléments, d'en faire un troisième qui aura une identité propre, différente de ceux qui lui ont donné naissance l'a fascinée. Sachant cela, le sens des oeuvres citées précédemment et auxquelles je n'avais pas prêté attention s'éclaire. En greffant un frigidaire sur un coffre fort (photo 1) ou un pierre sur un frigidaire, Lavier fait jaillir l'idée de sculpture qui n'est autre qu'un objet posé sur un socle.

     En recouvrant un piano "Steinway and sons" (photo 2) non de feutre comme Beuys, mais d'une épaisse couche de peinture afin de la rendre évidente et avec une touche évoquant celle de Van Gogh, il greffe la représentation picturale d'un objet sur l'objet lui-même, rapproche et destabilise deux mondes qui jusque là étaient séparés, celui de l'objet et celui de la peinture ; détourné, le piano n'est plus un piano puisqu'il ne peut plus jouer, il n'est pas une peinture puisqu'il est en trois dimensions, ni une sculpture puisqu'il est peint. Le résultat échappe aux catégories dans lesquelles on voudrait l'assigner.

    Dans la section intitulée L'art de la transposition, avec les "Walt Disney productions"GEDC0046.JPG (photo 5), il agrandit au format réel des vignettes d'oeuvres contemporaines imaginées par l'auteur d'une bande dessinée de 1947 et intitulée "Mickey au musée d'art moderne". Le résultat est surprenant, les sculptures évoquent des formes proches de celles de Arp et les tableaux des oeuvres de grands peintres  du pop Art. Ainsi le réel des oeuvres pulvérise-t-il la cloison qui sépare le réel de l'imaginaire.

    L"idée du ready made de Duchamp est omniprésente, mais si l'artiste se l'accapare il la transforme avec ironie et sensibilité. A l'objet neutre, pur concept qu'était le porte bouteille ou l'urinoir, il oppose "La Giulietta" GEDC0042.JPG(photo 6), une Alfa Roméo gravement accidentée, exposée telle quelle ou "Teddy" GEDC0043.JPG(photo 7), un petit ours en peluche usagé soclé qui sont de véritables blocs d'émotion.

    En imaginant ce que sera le musée ethnographique de notre civilisation occidentale dans quelques centaines d'années il nous projette dans le futur. Pour donner forme à son idée, il fait socler des objets dérisoires de notre consommation courante : un skate board "Chuick metruck" GEDC0045.JPG(photo 8), une serrure "J.M.B. Classique"GEDC0048.JPG, (photo 9) un kayak "Nautiraid" GEDC0004.JPG(photo 10), etc... Dépouillés de leur utilité, magnifiés par le soclage, la beauté de ces objets, même celle d'un simple parpaing, rivalise avec les oeuvres montrées dans les musées ; ainsi nous interroge-t-il, avec drôlerie, sur le choix et la valeur des objets sacralisés par leur mode d'exposition.

    Conçu comme une mise en scène, cette exposition raconte la vision pleine d'humour que Bertrand Lavier a du monde de l'art. Comme Maurizio Catelan, dont on serait tenté de le rapprocher, il a une manière très personnelle de se faire entendre. Tous deux nous font réfléchir aux codes sur lesquels se construit l'histoire de l'art et font leur miel des multiples illusions qui hantent notre modernité.

    Bertrand Lavier, depuis 1969 - Centre Pompidou - du 26 septembre 2012 au 7 Janvier 2013. Galerie 2, niveau 6. Tous les jours sauf le mardi de 11 h à 21 hy.