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décrypt'art - Page 19

  • Wim Delvoye au Musée Rodin (par Régine)

    Aussi provocateur que l'oeuvre du sculpteur belge Wim Delvoye était le pari d'exposer quelques unes de ses sculptures au Musée Rodin. Faire se côtoyer ddans le prestigieux cadre XVIIIème de l'hôtel de Biron les oeuvres d'un artiste rendu célèbre pour sa scatologique machine Cloaka reproduisant le processus de la digestion et ses cochons tatoués, était un défi. Non sans ironie, Wim Delvoye le relève avec panache, à travers quatre pièces.

    - Wim Delvoye 014.JPGDans la cour d'honneur une immense tour de 10 m de haut se dresse devant nos yeux, véritable dentelle de métal dans le style gothique le plus flamboyant et dont la complexité des détails a été poussé à l'extrêmeWim Delvoye 017.JPG. Posée sur un socle ajouré, sa sophistication court circuite la simplicité du dôme doré des Invalides et la tour Eifel qui se profilent en toile de fond. Elle forme intentionnellement avec ces deux monuments si typiques du paysage parisien un triangle insolite et en active la présence. Fait en acier Corten, découpé au laser, et non en pierre, matériau noble dont on bâtissait les cathédrales, cette tour jette un pont entre plusieurs époques bien différentes et associe le sacré et le profane.  La rouille qui envahit peu à peu la teinte argent de l'acier souligne la fragilité de toute construction humaine si élaborée soit-elle. Faire une oeuvre très sophistiquée avec un matériau pauvre est typique du travail de Wim Delvoye qui fonctionne sur le télescopage d'objets, de matériaux ou d'idées antagonistes.

    -Wim Delvoye 022.JPG A l'étage l'artiste a installé une réplique en miniature du portail de son atelier, également en acier finement travaillé. Comme Rodin qui déclina à satiété les différents éléments de sa porte de l'Enfer, Wim Delvoye énumére, avec humour, les thèmes de son vocabulaire plastique : la figure virile de M. Propre muni de son intestinWim Delvoye 024.JPG, les logos de MGM et de la Warner... Dans bruit de ferraille les portes s'ouvrent et se ferment sans interruption. Placée face à un miroir ce mouvement invite le visiteur à pénétrer dans la pièce ; ce va et vient aurait-il une connotation sexuelle ? Comme dans l'ensemble de son oeuvre le scatologique et l'esthétique s'y côtoient.

    - Wim Delvoye 026.JPGPlus loin et en écho à la sculpture "Le Christ et Madeleine" de Rodin, deux pièces de bronze patiné appelées "Hélix" ressemblent de loin à une couronne d'épines déroulée. De près ells s'avèrent être une succession de crucifix placés horizontalement, en vrille, longue hélice qui rappelle la structure de l'ADNWim Delvoye 029.JPG. Science et religion auraient-ils partie liée ? Se trouve aussi bousculée notre vision habituelle du Christ en croix, toujours isolé et érigé verticalement.

    -Wim Delvoye 031.JPGLa dernière oeuvre est la plus décapante. Faisant face à des vases grecs à figures rouges sur fond noir ayant appartenu à Rodin, Delvoye a transformé deux bombonnes de gaz en les ornant très soigneusement d'un décor similaire. Reproduction sur des objets triviaux de motifs qui font partie du fond de notre culture. Au milieu de tous ces chefs d'oeuvre le bonbonnes suggèrent sans doute la charge explosive de l'art contemporain, la possibilité d'utiliser toutes sortes de matériaux, le recyclage infini des images, etc..

    Dommage qu'il n'y ait que quatre oeuvres : on reste un peu sur sa faim. L'iconoclasme de Wim Delvoye, qui tient peut être à ses origines belges,  force à une réflexion sur la condition humaine en faisant se heurter la perfection et le dérisoire, la fange et l'or, la religion et la science, les temps anciens et notre monde moderne

    Musée Rodin, 79 rue de Varenne, 75007-Paris (01 44 18 61 10). jusqu'au 22 août 2010. Ouvert du mardi au dimanche de 10 j và 17 h 45.

  • Gilles Barbier (par Sylvie)

    Gilles Barbier : « There is no moon without a Rocket »

    Il y a dans le travail de Gilles Barbier présenté chez  Georges-Philippe et Nathalie Vallois quelque chose de réjouissant comme peuvent l’être des bricolages fantaisistes et faussement maladroits touchant à la science-fiction. Et puis une autre veine plus proprement picturale donnant à  voir un monde en mouvement, proliférant, viscéral … la marmite de la création, une part délirante qui peut mettre un peu mal à l’aise. Le lien ne m'est pa apparu du premier coup sauf, peut-être, par un  attachement certain à ce qui fait notre monde, la matière, en perpétuel renouvellement, et un regard distancié qui introduit la démesure, le lilliputien ou le surdimensionné. Ne cherchez pas le réel comme vous avez l’habitude de le voir !

    Chaque œuvre est une histoire en soi, une cosmogonie totalement inventée mais cohérente et logique, issue d’une «  possibilité du monde » qui mélange les genres, les sujets, les medium, l’échelle et que l’artiste semble avoir plaisir à traiter minutieusement avec des outils particuliers, emporté dans un élan créateur, une imagination débordante et une bonne dose d’humour : la vision d’un monde primordial malléable à l’image de la plasticité du cerveau.

    J’ai choisi quatre oeuvres (Toutes photos courtesy galerie GP et N. Vallois)

    « Le monde comme une maison sur un arbre », 2010 (Bois, peinture à l’huile, rhodoïd, corde, flocage, _MG_3596.jpgbonzaï, env. 250x165x130cm). C’est une grappe de cabanes en bois construites sur un bonzaï, un ensemble de maisonnettes miniatures, comme un rêve d’enfant, une utopie communautaire et écologiste ou une maquette d’architecte à la réalisation précise et incongrue. Il y a de l’essaim dans cet agglomérat de cellules et de délicieuses bizarreries d’agencements et de combinaisons.

    « Le monde en forme de tong », 2010 (technique mixte, 137x85x185cm) ou l’histoire, dans une grosse boite en forme de tong, d’un créateur, le grand requin, qui vit dans les profondeurs de la mer et d’un marcheur qui marche le long du temps. Des combats qu’ils mènent naitront des archipels, le soleil, la lune, un volcan, la tempête et les tremblements de terre. Et les cauchemars des hommes se retrouveront au fond des abysses…Une représentation allégorique de l’univers, le_monde_en_forme_de_tong3.jpgjamais définitivement abouti, et de celle des hommes, en conflit permanent.

    « In the soup… » », (le titre est très long) 2010, (technique mixte, 180x100x95cm)  pointe l’imbrication _MG_3555.jpgdes choses, les émanations, les tissages qui forment toute matière. Une vraie chimie. On ne sait plus si tous ces filaments sont des vers de terre, des intestins, des rubans, de la broderie ou du fromage fondu mais cela suggère la capacité du monde à changer d’état, ses innombrables possibilités, des pires aux meilleures.

    Ceux qui sont allés au Brésil reconnaitront peut-être dans le « Trou du cul du monde », 2010 lemondetrouducul3.jpg(technique mixte, 137x85x185cm ». l’image des favelas de Rio.  Sur les hauteurs de cette installation à l’échelle du jouet, des cabanons multicolores entassés, sur l’autre versant un amoncellement de sacs poubelle, au centre… une ouverture circulaire. Allez savoir si elle vient d'expulser ces excréments ou si elle s’apprête à les engloutir. Vous voulez  mon avis ?: Ce monde là est bien loin de nos préoccupations d’occidentaux (modèle réduit), c’est le dernier refuge d’une population rejetée (sur les bords de la société) et le cratère va effacer, enfouir, transformer ce réel éphémère et fragile.

    Décidément dans l’œuvre de Barbier il est toujours question d’instabilité. Exit le rassurant mythe créateur et vive le ludique et le poétique.

    Gilles Barbier, « there is no moon without a Rocket », galerie GP. et N. Vallois, 36 rue de seine 75006 Paris. tel: 0146346107, jusqu’au 31 juillet 2010.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Balade à Chelsea (par Régine)

     

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    Je n'avais pas remis les pieds à New York depuis 25 ans ! Comment allais je retrouver cette ville qui m'avait tant fascinée ? A peine descendue de l'avion je me précipitais dans Midtown : Time square, Madison avenue, Fifth avenue, etc...Bien peu de choses avait changé. Je retrouvais "the Big apple" telle que je l'avais connue, peut-être un peu vieillie, moins trépidante, moins fantaisiste (finis les acrobates du roller et du cyclisme se faufilant dans la foule). Je l'avais quittée dans la fleur de l'âge et la retrouvais vieille dame assagie.

    Ma surprise a été dans la transformation de certains quartiers : Harlem devenu presque provincial, Brooklyn très branché, mais c'est celle de Chelsea qui est la plus troublante. Les galeries ayant déserté Soho, où elles ont été remplacées par des boutique de design ou de mode, ont envahi en masse le quartier ouest de Chelsea. Il y en a des dizaines et des dizaines, installées à plusieurs au rez-de-chaussée et dans les étage d'anciens entrepôts. Leur taille varie de quelques m2 à d'immenses surfaces au luxe souvent impressionnant. S'y balader n'a rien à voir avec le circuit de nos galeries parisiennes du Marais, encore moins celui tout récent de Belleville.

    Les oeuvres exposées sont de qualité très variable, quelques unes, d'artistes inconnus de moi, ont cependant retenu mon attention telles les sculptures du cubain Alexandre Arrechea. Ce sont des maquettes de grattes ciel dont la base, rendue malléable, s'enroule sur elle-même, permettant d'en faire varier la hauteur. Sont ainsi mis à mal, avec humour, leur taille, leur rigidité et par là même leur concept (photo n°1)004.JPG. Des cubes dans tous leurs états : emboîtés, transparents, ouvert sur un ou plusieurs côtés sont magnifiquement peints en noir et blanc par un certain Ion Zupcu.

    Mais le clou reste la prestigieuse galerie Gagosian (photo 2). Possédant plus de 10 antennes de par le monde, dont déjà 3 à New York, elle vient d'en ouvrir une nouvelle à Chelsea - toutes les grandes enseignes se doivent désormais d'avoir une succursale dans ce quartier car c'est là que "ça se passe" (Yvon Lambert vient d'y ouvrir la sienne) -. L'espace est grandiose (photo 2)011.JPG et a laissé pantoise la parisienne que je suis, habituée à de belles galeries, certes, mais pas de cette taille, ni de ce luxe. Une grande exposition de natures mortes de Roy Lichtenstein (1923-1997) s'y tenait et la beauté, la fraîcheur de cette oeuvre renforçaient encore celle des lieux. L'atmosphère de ces "still life", peintes entre 1972 et 1980 est bien différente de celle que dégage généralement ce genre. Utilisant les 3 primaires, les points ou les hachures de Ben-day, soulignant d'un traits noirs le contour simplifié des objets représentés, forçant l'aspect mécanique des reproductions qu'il utilise, Lichtenstein, qui a parfaitement digéré ses prédécesseurs (Cézanne, Matisse, Léger, Gris,...), fait des peintures extrêmement plates, vigoureuses et joyeuses. Voici quelques photos d'oeuvres qui m'ont enthousiasmée (photos 3 et 4)010.JPG
    008.JPG, notamment la sculpture toute simple de ce verre (photo 5)006.JPG.

    Dans d'autres vastes lieux j'ai pu voir un accrochage de feutres de Robert Morris (1931)(photo 6)014.JPG, des panneaux de verre gravé de Kiki Smith (1954), mais dans la plupart des cas les artistes m'étaient totalement inconnus et leurs travaux assez médiocres.

    Le mystère demeure de savoir comment le marché peut absorber toutes ces oeuvres d'autant plus que ces galeries sont désertes et qu'à Brooklyn, m'a-t-on dit, les docs au bord de l'East River se transforment eux aussi en galeries.

    Cette prolifération m'a laissée perplexe sur l'art considéré comme une marchandise à la mode avec laquelle beaucoup pensent faire fortune.

     

     

     

  • Georg Baselitz (par Sylvie)

    Totems ou bonhommes de bois ?

    Baselitz 1.jpgBaselitz 2.jpgLes deux grandes effigies de 3m de haut monobloc, en bois barbouillé de bleu, taillées sommairement dans des troncs, dégagent dans le vaste espace de la galerie Thaddaeus Ropac une force primitive et rassurante comme les statues de l’île de Pâques ou certains totems des Arts premiers. Un Collodi pourrait-il animer ces sortes de poupées de bois ?

    Ce sont des figures maladroites, presque inachevées, comme le sont souvent les grands portraits peints tête en bas qui ont fait la renommée de cet artiste germanique, Georg Baselitz, né en 1938, un figuratif dans l’abstraction allemande des années 80. On peut les trouver laids parce qu’à peine dégrossis. C’est le propre de l’Art brut, il dérange.                                                             Toutes deux sont assises, droites dans leurs bottes (des godillots noirs mal équarris, bien ancrés dans le réel) le coude droit appuyé sur le genou, la main sur l’oreille (à l’écoute ?) et couverts d’une casquette blanche, carrée, très germanique sur laquelle est inscrit ou étiqueté le mot « zéro », un mot qui questionne : ont-ils la tête vide? Est-ce l’origine de l’œuvre, le bois, qui est peu de chose?

    A regarder de plus près, ces formes élémentaires gardent sur elles les traces brutales de la hache et de la scie qui les a façonnées. On ne les caresserait pas de peur de se faire mal. Du fait même qu’elles sont peu détaillées, leur phallus est d’autant plus provocateur et agressif. La couleur bleue, un bleu de Prusse délayé au blanc qui m’a paru doux et gai, passé, semble-t-il à la hâte comme de l’aquarelle, laisse voir le bois naturel, la chair du support. J’ai cru sentir dans ce détail une trace évidente de l’attachement personnel et sensible de Baselitz à l’arbre, à la forêt, cette puissance métaphorique propre à la culture allemande et qui résume toute l’histoire de son peuple. Le bleu ne fait pas qu’habiller ces êtres monumentaux, il couvre leur visage comme le charbon celui des mineurs remontant à la surface, aussi noir que leur combinaison et rempli de lassitude. Les géants de Baselitz, mélancoliques et contemplatifs, dont les yeux dégoulinent de blanc ont l’air de s’interroger sur le monde, cherchant pathétiquement appui. Ils pourraient bien symboliser une forme de négation de l’individu comme le mot « zéro » sur leur casquette (qui se réfère à une marque de matériel pour peintres en bâtiment qui a fait faillite) alors que leur taille colossale impose l’image presque aveuglante du fantôme de l’histoire.

    Pinocchio, le pantin de Collodi est devenu un enfant après le dur apprentissage de la liberté ; les bonshommes en bois de Baselitz seraient-ils, l’image d’une Allemagne longtemps muselée…qui a encore soif de liberté ?

    Georg Baselitz, sculptures monumentales, galerie Thaddaeus Ropac, 7 rue Debelleyme, 75003 Paris. Jusqu'au 29 mai.

     

     

     

  • Agnès Thurnauer (par Régine)

    Un nouvel espace consacré à l'art contemporain vient d'ouvrir au fond d'une impasse du XVIème arrondissement, il est magnifique. Sa décoration, adaptée à l'esprit du quartier, diffère de celle des galeries du Marais. Ici pas de béton ciré au sol mais du parquet, pas de spots en guise d'éclairage, mais de superbes lustres, pas de verrière, vestige d'un ancien atelier d'artisan, mais de grandes fenêtres. C'est chic, sans ostentation. tagnès Thurnauer 011.JPG(photo n° 1).

    C'est à Agnès Thurnauer que revient le privilège d'inaugurer ce lieu par une grande exposition d'oeuvres récentes. je ne connaissais d'elle que les portraits réduits à de gros badges sur lesquels sont inscrits le nom féminisé d'artistes célèbres. Cela m'avait amusé, sans plus. Avec cette exposition j'ai découvert qu'elle était avant tout un "peintre", préoccupée de problèmes de peinture et très attentive aux artistes qui l'ont précédée.

    Chaque salle est consacrée à l'un de ses thèmes favoris. Dans la première celui de la danse ou du contorsionniste est le plus récent.

    "Territoire # 1"agnès Thurnauer 009.JPG en est représentatif (photo n° 2). C'est un grand tableau de 2,30 m x 2,30 m, qui date de 2010. Sur un fond fait d'une pluie de rubans gris tombant verticalement en spirale, un personnage, moulé dans une combinaison tacheté façon panthère, fait le pont occupant transversalement l'espace de la toile.  Il se tient sur la pointe des pieds, les bras coupés par le cadre. Sous l'effet cinétique du fond, son corps ondule mais se maintient coûte que coûte malgré cette position inconfortable. Le camaïeu gris et blanc de l'ensemble renforce l'unité du tableau. Cette représentation n'est-elle pas celle de l'éternel problème du rapport du fond et de la forme, de leur accord,  de leur différence et l'équilibriste ne serait-il pas le peintre ?

    Viennent ensuite les séries consacrées aux ailes d'oiseau, thème cher à Agnès Thurnauer. Elle sont dit-elle symbolique de la peinture : elles se déploient, leurs couleurs chatoyantes sont infinies et varient avec la lumière, elles nous emmènent ailleurs... telle cette paire peinte sur des petites palettes qui s'envolent dans un ciel baroque : "Grande prédelle"agnès Thurnauer 012.JPG (97 x 195) (photo n° 3). Le ciel est un autre sujet de prédilection de l'artiste car il est pour elle l'objet impossible à atteindre ; à peine a-t-on commencé à le peindre dit-elle qu'il a déjà changé, tenter de le saisir c'est représenter un temps impossible.

    Les ailes sont souvent peintes individuellement sur des toiles séparées puis assemblées en triptyque "I am #1-2-3", 2010 (195 x 97) (photo n° 4)agnès Thurnauer 013.JPG ; en marge l'artiste a appliqué les palettes maculées de la couleur qui a servi à leur réalisation ; ainsi dans le temps où il regarde la toile le spectateur est amené à en imaginer la réalisation et la matérialité. Dans "Finalement"agnès Thurnauer 001.JPG de 2010 (130 x 195) (photo n° 4), une grande paire d'ailes grises enlève l'icône de la modernité, à savoir l'urinoir de Duchamp, dans un ciel bleu pommelé de nuages. S'ouvre alors pour le regardeur une quantité de sensations mentales. La peinture doit-elle s'en débarrasser pour exister ? En dépend-elle au point de faire corps avec lui ? etc...etc...

    A L'étage deux curieuses petites oeuvres ont retenu mon attention. Elles représentent des cieux tourmentés cernés par le collage de pelures de crayon en forme de petits éventails bordés de couleurs différentes selon les crayons utilisés. C'est fascinant de minutie et de précision (photo n° 5)agnès Thurnauer 005.JPG.

    L'ensemble de ce travail convoque le regard dans le même instant où il invite l'esprit à cheminer ailleurs, vers d'autres sens, d'autres liens... et c'est ce qui le rend stimulant.

    Villa Emerige - 7 rue Robert Turquan, 75016-Paris. Métro Jasmin, du mercredi au samedi de 11 heures à 19 heures. Jusqu'au 5 juin.

     

  • Paul KLEE (par Régine)

    Il est toujours passionnant, parfois enthousiasmant de revenir aux sources de notre modernité. Une exposition plutôt discrète, car les média ne s'en sont pas encore emparés, offre cette possibilité. Elle se tient à l'Orangerie et réunit un peu plus d'une cinquantaine d'oeuvres de Paul Klee appartenant au grand collectionneur suisse, Ernst Beyeler, récemment décédé. Surtout, ne vous privez pas du plaisir extrême que procure la contemplation de ces oeuvres et, par ce printemps ensoleillé, s'y ajoute celui de traverser le jardin des Tuileries et de terminer la visite par une plongée dans les salles consacrées aux Nymphéas.

    L'exposition présente une sélection des étapes significatives du travail de Klee. La première réunnit quelques oeuvres des années 1914/1919, la deuxième celle de l'époque de son enseignement au Bauhaus et à l'Académie de Dusseldorf (1920-1933), la troisième, la plus importante, réunit des oeuvres plus tardives (1935-1940). Plus dramatiques, elles étaient très appréciées de E. Beyeler parce qu'elles récapitulaient, disait-il, le travail de toute une vie.

    Presque toutes de petit format, souvent peintes à l'aquarelle sur un papier contrecollé sur carton, ces oeuvres défient celles des années qui vont suivre où prédomineront l'immensité de la toile, la peinture à l'huile ou à l'acrylique. Sa postérité n'en fut pas moindre, elle est manifeste chez des artistes qui chercheront à traduire les forces fondamentales de la nature, son mystère et sa poésie. Wols ou Laubiès par exemple qui eux aussi ont privilégié le papier, l'aquarelle et le petit format. Michaux et Zao Wou Ki l'ont beaucoup regardé et assimilé. Par delà l'Atlantique on est tenté d'en rapprocher le travail de Tobey toute empreinte de délicatesse et de raffinement.

    Ni figurative, ni abstraite, ignorant la distinction entre réel et imaginaire, ces oeuvre entraînent le spectateur dans des territoires inconnus et cependant extrêmement évocateurs. J'en évoquerai quelques unes.

    Dans "La Chapelle"klee 001.JPG (Aquarelle et détrempe blanche sur papier contrecollé sur carton, 1917, 29,7 x 20,9) (photo n°1), tout un jeu de formes proche d'une écriture, orienté dans des perspectives variées, se construit à partir d'un fragile édifice qui pourrait figurer une chapelle dans le bas du cadre et s'élève jusqu'à son extrémité supérieure. S'y promènent, comme en apesanteur, lettres et pictogrammes célestes (celui de la lune, des étoiles ou du soleil). Le rapport entre cette construction ascendante et les couleurs d'une extrême délicatesse diffuse sur cette architecture onirique une lumière transparente toute empreinte de spiritualité.

    Le bleu lumineux de "Paysage du passé" klee 002.JPGde 1918 (Aquarelle et gouache sur papier contrecollé sur carton, 1918, 22,6 x 26,3) (photo n° 2), enchante les quelques arbres gouachés de blanc et le soleil jaune qui tourne dans le ciel, cercles et triangles se répondent pour entraîner le spectateur dans une rêverie éblouie.

    Quand il réalise le "Lever de la lune" klee 004.JPG(crayon et aquarelle, contrecollé sur carton, 1925, 37,4 x 27) (photo 3), Klee enseigne au Bauhaus, où il insiste notamment sur la puissance de la couleur. Cette oeuvre est comme une symphonie musicale orchestrant le lever de la lune au coeur d'une nuit profonde. Le halo n'entoure pas l'astre, il est repoussé sur les bords sous forme d'un damier ocre foncé, bleu nuit avec un accent de blanc qui agence la surface ; cette partition colorée fusionne pour former un noir, oh combien mystérieux, d'où surgit le disque jaune lumineux d'une lune ronde et majestueusement présente.

    A partir des années 1930, l'oeuvre de Klee devient plus tragique. "Diane"klee 006.JPG(huile sur toile, 80 x 60) (photo n°4) annonce un monde inconnu et menaçant. Sur un fond modulé de bleu et de vert, animé d'un semi de points noirs, la silhouette verte et ocre de la déesse, dessinée avec vigueur, s'avance menaçante, un pied sur une roue, cachant son visage et son corps derrière une cape et des vêtements qui virevoltent autour d'elle. A la partie supérieure une flèche, symbole de la chasseresse, accentue le dynamisme inexorable de l'ensemble.

    En 1938, quand il peint "Sorcières de la forêt" klee 008.JPG(Huile sur papier contrecollé sur jute, 99 x 74) (photo n° 5), Klee, installé à Berne, a fui l'Allemagne nazi et se sait condamné par une maladie incurable. D'épais traits noirs sur un fond très coloré articulent les motifs d'un univers de sorcières. Les corps désarticulés, le masque des visages menace le spectateur. Les arabesques des traits sont comme une écriture dont la liberté est proche de la folie. L'utilisation du jute accentue le côté brutal et primitif de l'ensemble.

    Enfin "Un porche"klee 010.JPG de 1939 (détrempe sur papier Ingres, contrecollée sur carton, 31,6 x 14) (photo n° 6) est une oeuvre de deuil ; entièrement grise elle est un adieu aux couleurs de la vie. Elle laisse percevoir cette porte vers l'au-delà où l'artiste va bientôt disparaître. Une forme casquée garde l'entrée d'un temple inconnu ouvrant sur le vide et sur laquelle est posé un disque blafard. Peinture totalement impressionnante qui traduit l'inconnu devant lequel se trouve confronté tout homme face à la mort.

    Toutes les oeuvres exposées ont la qualité de celles dont je viens de parler. C'est une exposition exceptionnelle et il serait dommage de rater l'occasion de voir le travail d'un artiste si rarement présenté dans notre pays.

     

    Paul KLEE (1879-1940), La collection d'Ernst Beyler - Musée de l'Orangerie, du 14 avril au 19 juillet 2010. Tous les jours (sauf mardi) de 9 h à 18 h.

     

  • Belleville (par Sylvie)

    On dit beaucoup que Paris s'endort, qu'elle devient une ville de vieux, dodelinante et couche-tôt. Le récit de nos explorations diurnes ne suffira évidemment pas à convaincre les grincheux que Paris bouge. C'est pourtant là où je veux en venir. Arpentant depuis pas mal d'années les rues de la capitale, je ne peux m'empêcher de leur trouver sans cesse de nouveaux aspects attrayants ou d'y faire des découvertes surprenantes. Rien à voir, bien sûr, avec la folle "vie  parisienne".

    Prenons  les arts plastiques par exemple puisque c'est notre sujet. Ils ont leurs quartiers: Matignon, Saint Germain des prés, le Marais sont de solides bastions. Comme le XIII ème il y a dix ans, c'est aujourd'hui Belleville qui accueille de nouveaux galeristes, souvent jeunes avec des artistes qui le sont aussi. Loyers encore modérés et espaces parfois somptueux d'anciens ateliers d'artisans en sont la cause. Nous avons rôdé dans ce quartier en devenir , nous  laissant gagner par l'atmosphère tranquille de ce coin au charme provincial du Nord Est de Paris et trouvé, non sans mal quelques fois, presque une dizaine de galeries à l'installation encore sommaire mais aux choix très contemporains. En voilà quelques unes.

    Premier arret rue Jouye-Rouve au nom étrange.La galerie n'est pas novice. Elle a muté de la rue de Malte. Jorge Pedro Nunez a un humour duchampien. Ses sculptures en roues de véloGEDC0012.JPG (photo , ou en escabeau et ses cadres à photos sans photos mais réfléchissant le spectateur sont réjouissants. Et la galeriste n'est pas blasée, elle commente et semble prendre autant de plaisir que nous. Galerie Crèvecoeur, 4 rue Jouye-Rouve, 75020,tel: 09 54 57 31 26. Jusqu'au 7 mai.

    Au même numéro une autre galerie dont la porte nous a été introuvable.Depuis notre passage manqué se tient une exposition de Ernesto Satori. Galerie Marcelle Alix, 4 rue Jouye-Rouve 75020, tel 09 50 04 16 80. Du mercredi au samedi de 14h à 19h. Jusqu'au 22 mai.

     Isabelle Cornaro expose des moulages en plâtre d'objets quotidiens posés sur planche et des films projetés sur eux, dans une réflexion sur la valeur des objets et des objets d'art. C'est à la Galerie Balicehertling, 47 rue Ramponeau, 75020. Tel 01 40 33 47 26. Jusqu'au 7 mai.

    168 Valérie Favre.jpgValérie Favre est loin d'être une inconnue. Les oeuvres sur papier sous vitrines courant tout autour de la pièce, allient différentes techniques et différents univers dans une sorte de copié-collé où communient le réel et l'imaginaire ; des images de fond et des ajouts, des figures et des retouches. Un monde mysterieux et attachant se cachant parfois derrière un motif de rideau de scène. Galerie Jocelyn Wolff, 78 rue Julien Lacroix, 75020. tel: 01 42 03 05 65. Jusqu'au 30 avril.

    La paire de sculptures pyramidales en bois et béton, comme un négatif-positif de Wilfrid Almendra nous a convaincuesGEDC0002.JPG: formes et matériaux sont de toute noblesse, à la hauteur de ce vaste espace qui fut un garage et qui a été préféré au local de la rue de Turenne. Près d'elles, des images retravaillées par Pierre Bismuth d'immeubles de Le Corbusier ...et des travaux de Nick Devereux et  Lisa  Oppenheim. Une galerie conviviale. Bugada et Cargnel (Cosmic galerie) 7-9 rue de l'Equerre, 75019. Tel :01 42 71 72 73. Du mercredi au samedi de 14h à 19h. Jusqu'au 15 mai.

    Etonnants "surplombs" que le travail de Dove Allouche: 38 dessins à la mine de plomb des forêts calcinées du Portugal. Aussi noirs et de la même facture que les épreuves photographiques dont ils sont issus. Galerie Gaudel de Stampa, 3 rue de Vaucouleurs, 75011. Tel: 01 40 21 37 38. Du mercredi au samedi de 14h30 à 19h. Jusqu'au 17 avril.

    Sous le petit écran, dans ce qui devait être auparavant la vitrine d'une boutique, les deux individus en entretien n'ont pas levé les yeux. D'après le prospectus, pas très accueillant non plus, la video était signée Kathryn Bigelow, la réalisatrice du film 'Démineurs". Nous n'en saurons rien, tant pis pour cette fois. Bien des galeristes se plaignent de la difficulté d'attirer les clients ; encore faudrait-il qu'ils fassent un effort. Celle-ci a quelques progrès à faire. Elle se dit pourtant" fondée sur le principe de la disponibilité à l'évènement".Collectif Castillo/Corrales, 65 rue Rébeval, 75019. tel:01 78 03 24 51.Du mercredi au samedi de 14h à 18h.

    Le printemps aidant nous reviendrons, il y aura sans doute encore du nouveau Et, quoiqu'il en soit ill nous restera à voir la Galerie italienne, 75 rue de la Fontaine au roi 75020. Tel: 01 49 29 07 74

     

     

     

     

  • René Guiffrey (par Sylvie)

    René Guiffrey est un artiste exigeant. Il ne cherche pas à séduire. Il oeuvre dans le blanc et la transparence, le géométrique et la superposition. Pas facile! Les oeuvres exposées actuellement à la galerie Gimpel et Müller sont l'occasion de constater encore une fois qu'une émotion peut naitre de ces abstractions où l'ego n'a pas de place et la répétition est de mise. N'ayant jamais perdu, depuis ses débuts dans les années 60, le goût de la blancheur du papier (et sa texture) Guiffrey en perpétue l'usage et poursuit avec cette non-couleur, qu'elle soit de peinture acrylique, de verre industriel ou de miroir, sa quête de l'insaisissable.

    115 Guiffrey, la mouche.jpgIl oeuvre par séries, ce qui met en lumière les variations du procédé. Le titre de la première, "La mouche" ( série de trois), acrylique et verre, 80x80 cm, 2005, pourrait trouver son origine dans la légèreté de son apparence, quelque chose de fragile et de délicat comme l'aile d'un d'insecte. Elle est constituée de carrés concentriques en fines plaques de verre transparent, cernées d'un liseret de miroir. Le carré de surface, le plus petit, est peint en blanc. Cette forme carrée et ses emboitements nous rappellent bien sûr l'Abstraction géométrique et l'Art cinétique. Elle en a la forme rassurante et silencieuse, cette carrure qui l'ancre dans le réel. Elle en a les déclinaisons internes qui fractionnent l'espace clos. Mais si tout se jouait par la couleur posée chez Albers ou Vasarely, Guiffrey laisse agir la neutralité du  materiau  qui, imprévisible, modifie le support par sa seule présence, prend relief et couleur - il devient tout à fait vert - au fil des couches, crée des lignes, accroche et subit la lumière, réfléchit le regardeur et introduit son empreinte éphémère dans l'oeuvre. La bordure de miroir prend sa part de reflets et finalement l'oeuvre, si rigoureuse dans sa construction, si ouverte dans son champ de blanc qui cerne le carré, si plate en surface et si immatérielle dans sa gamme pâle, bouscule sa propre ordonnance par les effets qu'elle suscite.

    174 Guiffrey, Blanc et débords..jpgAvec "Blanc et débords", acrylique et verre, 80x120 cm (série de deux) on comprend mieux la technique chère à Guiffrey des fixés sous verre. La peinture, appliquée au dos du matériau, apparait, par transparence, brillante et subtilement crémeuse dans un grand rectangle où s'en inscrit un autre, séparé par un vide. Dans cette échancrure elle déborde de son périmètre, festonne de façon aléatoire et se profile en ombres changeantes sur le fond selon le cheminement du regardeur, laissant voir en dessous une bande argentée qui fait passer la lumière et un double trait noir, péremptoire comme l' affirmation d'un tangible dans cet " interstice du doute" (in Bernard Privat:" René Guiffrey ou l'effroi du beau").

    175 Guiffrey, retour sur 76..jpgLa plus troublante des oeuvres exposées est pour moi "Retour sur 76". Deux trapèzes blancs, verticaux, peints sous verre,  occupent, dans un équilibre parfait, le centre de l'oeuvre et forment un carré brillant de surface et d'une blancheur lustrée qui contraste avec celle du fond. Des traits noirs, tracés à la plume, semble t'il, soulignent, prolongent, encadrent les côtés et portent en eux des notations chiffrées. Ce pourrait être un croquis d'architecte avec ses lignes fugitives, ses doublements, ses orientations flèchées. Un effet de perspective, né du décallage entre forme et lignes, entre verre et fond, entraine le regard, encouragé ici par les reflets obliques de l'éclairage, vers une fenêtre aveugle, une profondeur invisible, un espace de méditation.  

    René Guiffrey, galerie Gimpel et Müller, 12 rue Guénégaud, 75006 Paris. jusqu'au 10 avril.                           

     

     


  • JAN DIBBETS - "Horizons" (par Régine)

    Pourquoi ai-je trouvé l'exposition de Jan Dibbets, intitulée "Horizons", si belle et si stimulante ? serait-ce parce que son thème permet d'allier les contraires ? (Rien en effet n'est plus réel et en même temps plus abstrait que l'horizon") ; elle m'est apparue à la fois conceptuelle et visuelle, abstraite et figurative, minimaliste et romantique.

    Qu'est-ce que l'horizon si ce n'est cette ligne imaginaire, mais bien visible, qui sépare la terre ou la mer du ciel, qui se modifie en fonction de notre position et s'éloigne lorsqu'on s'en rapproche. Il est aussi cette convention à partir de laquelle un peintre dit "réaliste" construit la perspective et donc la profondeur de la scène qu'il veut représenter. C'est une ligne que l'on voit dans la nature, dans l'art, mais qui, comme l'équateur, n'a pas d'existence.

    En Hollande, patrie de Jan Dibbets, étrange pays où la terre et la mer sont au même niveau, sa présence est obsédante ; elle a imprégné tout l'art du XVIIème au XXème siècle, et après Ruysdaël et Mondrian, il en poursuit la quête.

    L'exposition montre deux temps de réflexion de l'artiste sur ce thème : le premier dans les années 1970, le deuxième à partir de 2005.

    La première oeuvre exposée, prémonitoire de tout ce qui va suivre, date de 1969. Intitulée "Five island trip" (photo n°1) elle se présente sous la forme d'un montage associant une carte de la Hollande avec le tracé de 6 parcours, les 6 photos prises lors de ces déplacements et une description manuscrite des trajets effectués. Ce travail est très proche de ceux réalisés à la même époque par des artistes du Land art, notamment par Richard Long auquel Dibbets s'était lié lors de son séjour à Londres au St Martin College.

    Sur chaque photo tirée en noir et blanc jan dibbets 014.JPG(photo n° 1), la mer, légèrement moutonnante, est gris foncé, le ciel est gris clair. Il s'assombrit et disparaît presque complètement sur le dernier cliché. La variation de la hauteur de la ligne d'horizon, différente sur chacune d'elle, donne le sentiment de voir la mer se soulever, redescendre, se soulever à nouveau comme le mouvement des marées, celui des vagues, comme une respiration. Bien que minimaliste dans sa forme, l'idée de l'éternel retour, si chère aux romantiques m'a semblé ici sous-jacente.

    Avec les oeuvres suivantes effectuées vers 1972/1974, Dibbets va se livrer à une série d'expérimentations autour du même sujet ; ce sont des montages de photos dans lesquels la ligne d'horizon est si malmenée que le principe même d'horizontalité s'en trouve offensé. Elle se bombe ("Dutch Mountains"), prend la forme d'une vague ("Negative mountain sea") (photo n° 2)jan dibbets 030.JPG ou, renversant terre et mer, d'un rapporteur de géomêtre ("Universe-world's platform") (photo n° 3)jan dibbets 026.JPG. En dessinant un petit schéma en bas de chaque oeuvre, qui en indique la structure formelle, l'artiste nous dit précisément comment il a organisé le montage des photos qui les compose et nous donne à voir l'image et son concept ; avec les "Comets"jan dibbets 020.JPG, (photo n° 4) la taille des photos et de leur encadrement blancs sans bords, leur agencement dans l'espace transforme l'ensemble en une fusée verte ou bleue qui s'élance vers l'infini. Cette trajectoire obtenue à partir d'innombrables horizontales est si parfaite qu'elle semble faite de carreaux de faience scellés à même le mur.

    L'horizon serait-il flexible ? Quelle étrange sensation !

    Trente ans plus tard, Dibbets va reprendre une oeuvre de 1972 : "Section aurea" pour la soumettre à d'innombrables variations ; elle est composée de deux photographies, l'une représentant la ligne d'horizon prise en étau entre ciel et terre, l'autre entre ciel et mer, accolées de manière à ce qu'elle travers les deux panneaux de façon continue.

    Avec cette nouvelle série commencée en 2005, intitulée "Land see : Horizon", l'artiste va agencer ces deux images de multiples manières. Dans la plupart des oeuvres exposées, la perturbation du spectateur naît de la variation des orientations infligées alors que l'horizon reste constamment parallèle au sol (photos 5, 6, 7)jan dibbets 022.JPGjan dibbets 025.JPGjan dibbets 035.JPG. Comme le liquide d'un récipient que l'on pencherait dans différents sens, l'horizontalité de sa ligne reste imperturbable et telle une clepsydre dont l'eau ne s'écoulerait plus, le temps semble suspendu dans un espace immuable. Cette ligne qui sépare un ciel uniformément bleu clair d'une mer bleu sombre légèrement agitée et d'une prairie verte ne creuse pas l'espace. Tout reste sur le même plan. Cela, si simple et si complexe, est bien troublant.

    Avec un  minimum de moyens et une obstination comparable à celle du peintre R. Ryman qui ne peint qu'avec la couleur blanche, Yan Dibbets, depuis plus de quarante ans, s'évertue à percer le mystère d'une ligne à la fois invisible et s'offrant au regard.

    La question qu'il me semble inlassablement poser est "Que voit-on quand on voit ?"

     

    Jan DIBBETS "Horizons", Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris - 11, Avenue du Président Wilson, 75016-Paris. 01 53 67 40 00.  Jusqu'au 2 Mai de 10h à 18h sauf lundi.

     

  • Gregory Markovic (par Sylvie)

    nuage2.jpgnuage2 Markovic.jpgCe n'est probablement pas parce que Soulages et son "outrenoir" sont à la une à la grande exposition de Beaubourg mais le fait est que le noir, de nos jours, se porte bien. Il a acquis toutes les noblesses. Voyez l'uniformité vestimentaire des foules et le col roulé obligatoire de ces messieurs. Mais là n'est pas mon propos. Parlons dessin.

    Je viens de voir l'exposition de Gregory Markovic à la Galerie Particulière. Elle m'a enchantée. Surtout le grand triptyque de 2008 dont chacun des éléments atteint 164x282 cm. Il est noir, d'un noir puissant, mat, envahissant, qui laisse entrevoir des espaces blancs, du blanc éclatant au gris sourd, se déployant en nuées. Pourquoi nous emporte t'il ainsi ? Est-ce le mouvement de ces masses vaporeuses ou la profondeur du noir? Avons-nous sous les yeux un tirage photographique ou son négatif ?

    Rien de tout cela.Gregory Markovic (né en 1972) utilise la photo comme point de départ certes, pour la mise en place de ces formes aléatoires que sont les nuages mais son objectif est un travail sur la lumière, l'espace, le vide et le silence. Son médium ? Le fusain, ce gros bâton de charbon végétal brut, réputé pour ses qualités de tendresse et de friabilité, avec lequel des milliers d'étudiants en art se sont exercés au modelé des plâtres antiques. On se rappellera que, dans sa recherche des fondus et dégradés qui a culminé avec le pointillisme, Georges Seurat, au XIX ème siècle, s'en est fait un outil de choix.

    Markovic le passe et le repasse en grands gestes horizontaux. Accrochant d'abord le grain du papier- celui-ci étant choisi parce que fragile, résistant et porteur de lumière- le fusain se fait de plus en plus couvrant, unifié et lisse avec des plages satinées, presque joyeuses dans des étendues d'une opacité inquiétante. Il y a quelque chose d'opiniâtre à vouloir ainsi tout salir, et dans quelle poussière! Le geste d'un tourmenté s'abîmant dans la noirceur du monde ?  

     Après cette addition, des soustractions au doigt, au chiffon, à la gomme, au calque, à la paille de fer, au papier de verre à la recherche d'une sorte de salut, patiemment, obstinément. A force de frottements la clarté advient. "Je creuse jusqu'à la lumière". Le noir s'enfonce, le blanc renait de la cendre après l'avoir absorbée. De sa subtilité et de sa richesse vient l'éclat. Les nébulosités prennent chair et avec elles la dynamique du mouvement. Il n'est pas sûr qu'elles  soient le résultat d'une observation  stricte ou romantique de la nature comme chez les anglais Constable ou Turner. Elles ont plus à voir avec les paysages mentaux des peintres nuagistes des années 50-60, avec la même liberté.

    Enveloppé dans le grand format l'oeil se perd, entrainé dans deux dimensions, les gouffres d'un espace sans limites et les méandres des motifs engendrés. De près, les gestes inscrits sur la surface en multiples fines griffures, horizontales ou circulaires, l'animent de façon spectaculaire comme le tramage d'une soierie et participent de la vibration ressentie lorsqu'il s'en éloigne. Rien ne s'arrête, tout flotte, tout est possible. l'imaginaire s'envole.

    Gregory Markovic "Dessins", Galerie Particulière, 16 rue du Perche, 75003. Paris. 01 48 74 28 40. Jusqu'au 28 mars 2010.