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art

  • Mathieu PERNOT (par Régine)

    Par sa beauté, son sujet, la démarche de l'artiste et l'usage qu'il fait de la photographie, l'exposition "Ligne de mire" de Mathieu Pernot à la Galerie Eric Dupont est une belle surprise.

    Les teintes sombres et sourdes, la matité et le velouté des surfaces pourraient faire croire qu'il s'agit de peinture. Mais non, ce sont bien des photographies dont l'étrangeté force le regard tant elles mêlent réel et imaginaire et nous confrontent à un double sentiment d'enfermement et d'évasion.

    Que représentent-elles ? Sur le mur du fond d'un lieu sombre, clos et vide, aux parois de béton brut, apparaissent, mais à l'envers, des paysages de ciel ou de mer, de côte rocheuses et de plages de sable blond.

    Mathieu Pernod a réalisé cette série dans les bunkers que les allemands, craignant un débarquement, avaient installés sur les côtes de la Bretagne Nord. Reprenant le principe de la camera oscura, ancêtre de l'appareil photo, il transforme ces lieux ténébreux et mortifères en chambre noire. Dans l'épaisse muraille extérieure il fore un trou (une vidéo le montre à l'oeuvre) laissant ainsi pénétrer à l'intérieur du blockaus un rayon lumineux qui projette sur le mur du fond de la salle de gué l'image inversée du paysage environnant.

    Sur l'une des photos (photo 1)GEDC0019.JPG on croit voir apparaître un ciel étoilé au fond de cet espace claustral, mais l'image ayant été inversée c'est celle de la mer toute proche sur laquelle vogue quelques voiliers que renvoie le rayon lumineux. Sur une autre photo (photo 2)017.JPG la plage de sable, celle du Palus toute proche, remplace le plafond du bunker tandis que le bleu de la mer envahit l'étroit poste de gué épousant ses formes inhospitalières. Sur une autre encore (photo 3) 013.JPGdes rochers ocres transforment l'étroite pièce en grotte tandis que le reflet de la mer teinte les murs d'un bleu délicat et que le sol garde son aspect noir et brut.

    En superposant des espaces si différents que celui de l'intérieur d'une casemate et d'un paysage de bord de mer, la légèreté d'un reflet avec la lourdeur des matériaux de construction, en faisant se télescoper plusieurs époques, celle de la Renaissance avec l'utilisation de la Camera oscura et celle de l'art d'aujourd'hui avec la photographie, celle de la guerre avec celle de la paix, celle de la nature avec celle de la barbarie, l'artiste libère notre imaginaire et nous embarque ailleurs. C'est à une double lecture documentaire et poétique qu'il nous invite. Chacun peut imaginer en fonction de son expérience ce qu'il ne voit pas.

    Une sculpture intitulée "Le mur" côtoie ces photos (photo 4)015.JPG. Pour la réaliser l'artiste à simplement réuni quelques fragment de mur d'une ancienne baraque du camp d'internement de Rivesaltes dans les Pyrénées. Ce camp servit de centre de transit pour les réfugiés espagnols, de centre de rassemblement des israélites avant leur déportation en Allemagne, de camp d'internement pour les prisonniers de guerre allemands et pour les collaborateurs, de camp de regroupement des harkis et de leur famille. C'est un lieu où le destin d'enfants, de femmes et d'hommes se sont croisés au gré des évènements tragiques entre 1938 et 1970 et dont il ne reste rien. Un projet de Mémorial, conçu par l'architecte Rudy Ricciotti, va y ouvrir ses portes en 2015.

    L'enfermement, l'exploration de la mémoire, la solitude, les traces des oubliés de l'histoire sont les thèmes de prédilection de Mathieu Pernot. Ainsi, au printemps, avec l'historien Ph. Artières et à l'aide de différents médium (albums souvenir, films, cartes postales, photos d'idendité) il a reconstitué à la Maison Rouge l'histoire d'un hôpital psychiatrique du Cotentin aujourd'hui désaffecté.

    Une grande exposition "La traversée" lui a aussi récemment été consacrée au Jeu de Paume. Elle montrait l'envers du décors de notre histoire contemporaine. Le monde des marges, celui des Roms, des déplacés, des migrants sans domicile, des lieux de détention et d'enfermement.

    Son travail est une pensée à l'oeuvre rendue visible dont la qualité et l'inventivité contribuent à nous émouvoir profondément. Mathieu Pernot serait-il le photographe de l'inphotographiable ?

    "Ligne de mire" de Mathieu Pernot - Galerie Eric Dupont - 138, rue du Temple, 75003-Paris (01 44 54 04 14) du mardi au samedi de 11 h à 19. Jusqu'au 23 décembre.

     

  • Un tour dans les Flandres (par Régine)

    Des dessins de Wols au Lieu d'Art et d'Action Contemporaine (LAAC) de Dunkerque, des gravures de Jaume Plensa au Musée de l'Estampe de Gravelines, voilà deux bonnes raisons de profiter d'une météo favorable pour faire un tour dans les Flandres.

    Après avoir traversé un campagne opulente avec ses champs de blé dorés, de pommes de terre en fleurs, de lin ondoyant, où se blottissent de toutes petites maisons très basses aux toits pentus et longé de nombreux canaux, nous voici à Dunkerque. Nous suivons les flèches nous indiquant la direction du LAAC. Arrivés aux abords les indications disparaissent comme par enchantement et nous cherchons désespérément l'entrée. De guerre lasse, nous escaladons une colline et apercevons celui-ci entouré d'eau et niché au milieu d'un très beau parc parsemé de sculptures contemporaines (Dodeigne, Arman, Venet, Lalanne...). Nous pénétrons enfin dans un musée désert où aucune affiche ne signale cet évènement, pourtant exceptionnel, de la réunion d'une cinquantaine de dessins de Wols, artiste des années 1950 à l'origine de l'art informel et de l'abstraction lyrique.

    L'intérieur du musée fait la part belle à l'architecture au détriment de l'espace réservé à la présentation des oeuvres. Beaucoup de place perdue donc. Rien au rez-ce-chaussée transformé en amphithéâtre, et nous sommes seuls pour arpenter le 1er étage où, dans le cadre de l'opération nationale "Dessin phénoménal" sont exposés d'intéressants résultats obtenus par trois artistes à partir de phénomènes naturels : Bernard Moninot et le vent avec ses dessins de lumière, Christian Jaccard et le feu avec ses suites calcinées, Bernard Pagès et l'eau avec ses empreintes de grillage soumis à la pluie. 

    Enfin nous accédons au 2ème étage, le but de notre voyage, où sont réunis les merveilleux dessins aquarellés de Wols prêtés par des musées et des collectionneurs. Ils couvrent les périodes 1939/1941, celle de son internement comme ressortissant allemand au camp des Milles, 1943/1945 où, devenu français par son mariage, il séjourne à Dieulefit, puis sa période parisienne de 1946 à sa mort en 1951 pendant laquelle, enfin reconnu, il expose dans les meilleures galeries de Paris, Milan, New York.

    Ce qui frappe en regardant ces petits dessins (les formats n'excèdent jamais 22 x 40) c'est l'extrême liberté, la complexité et la délicatesse du graphisme alliés au raffinement des couleurs ; instinctivement on les rapproche de celles de Paul Klee que Wols découvrit très jeune. Difficile de dire ce qu'on ressent devant ces oeuvres délicates qui vous sollicitent de bien des façons ; rien d'identifiable mais difficile de s'arracher à ces images mentales figuratives ou abstraites tant elles semblent inépuisables.

    Dans "Les pieds" (1939) (photo 1)GEDC0014.JPG une série de formes imbriquées les unes dans les autres à la manière des cadavres exquis (Wols est alors proche du surréalisme) forment un personnage hybride qui repose sur deux grands pieds, sorte de gros légumes munis d'ongles. Le contour tracé d'un trait léger confère à l'ensemble une présence ubuesque et énigmatique. Avec "La chevauchée fantastique" (photo 2)GEDC0016.JPG Wols alors enfermé au camp des Milles, exprime sans doute son désir d'évasion de façon totalement imaginaire. On y retrouve cette porosité entre les formes animales, végétales et humaines chers à Miro ou à Klee. Avec "Sans titre (désir de liberté)" de 1942 (photo 3)GEDC0017.JPG aux couleurs transparentes, un bâteau vogue au dessus des montagnes entraînant dans son sillage une ville dessinée minutieusement. Le monde Wols a perdu ses assises et il nous entraîne dans un univers totalement onirique. Ce bateau, thème récurent dans son oeuvre, se transformera plus tard en bateau- ville dans "'Hantise de la ville" de 1949 (photo 4)GEDC0028.JPG où, dans une grande nacelle, fleurit tout un monde microscopique dessiné d'un trait aigu et extrêmement fin.

    Un peu plus tard le trait sensible de Wols s'échappe de la réalité pour devenir une sorte de sténographie de ses états intérieurs. Son univers se transforme en faisceaux de lignes nerveuses, inquiétantes ; elles sont entrelacées et arachnéennes, morcelées en faisceaux aigues qui traversent l'espace dans deux oeuvres datées de 1942/1945 intitullées "sans titre" GEDC0021.JPGGEDC0019.JPG(photos 5 et 6). On pense à Michaux et à ses dessins mescaliniens.

    D'un magma de lignes aux multiples ramifications émerge parfois un visage déformé dont le regard halluciné, follement inquiet semble interroger le monde. "Spirorbes bleus" de 1948 (photo 7), GEDC0026.JPG"visage brisé" de 1947 (photo 8) GEDC0023.JPGen sont deux exemples parmi tant d'autres. Michaux pour le premier, Fred Deux pour le second ne sont pas loin. Les dessins de Wols mettent à jour ce qui est au coeur des choses et semblent se développer à partir de ce que Klee appelait le point primordial de la création.

    Dommage que cette exposition si exceptionnelle ait été remisée au dernier étage d'un musée si difficile à trouver et n'ait pas fait l'objet d'une campagne d'affiches dans la ville et dans la région permettant à un maximum de personnes de découvrir cet artiste fascinant qui a profondément marqué les générations suivantes.

    Nous quittons ce lieu désespérement vide pour mettre le cap sur le Musée de l'Estampe de Gravelines, petite ville fortifiée par Vauban, toute proche de Dunkerque. Dans l'enclos de l'arsenal, le musée est installé dans l'ancienne salle de la Poudrière. Il est simple, très joli, unique en France et remarquablement bien fait. Tout ce que vous avez voulu savoir sur les principaux procédés artistiques de reproduction des images vous est ici clairement expliqué matériel à l'appui et abondamment illustré d'oeuvres remarquables anciennes et modernes. Les arcanes des différentes techniques de la gravure (pointe sèche, burin, manière noire, eau-forte, aquatinte, etc...), de la lithographie, de la sérigraphie n'auront plus de secret pour vous.

    Le sous-sol, consacré aux expositions temporaires, présente actuellement une série de gravures de Jaume Plensa, sculpteur catalan né en 1955 à Barcelone. Intitulée "Shadow"GEDC0116.JPGGEDC0118.JPG(photo 9 et 10), la série de gravures qui ouvre et ferme l'exposition est fascinante. Des personnages émergent d'une pluie de lettres d'alphabets latin, grec ou cyrillique qui ruissellent et se défont en un rideau de larmes dans le bas de la feuille ; leur présence est à la fois dense et transparente ; sans chair, leur corps, enserré dans les mailles du langage, est constitué d'une mantille de lettres. L'artiste traque la partie non visible de l'être humain, son esprit.  Celui-ci ne se constitue-t-il pas à partir du langage ? Pour lui les lettres dont il fait ses sculptures sont l'équivalent des cellules du corps, telles des briques elles nous permettent de construire une pensée.

    Dans la série "ABC" (photo 11)GEDC0123.JPG l'artiste a retravaillé en les étirant verticalement des visages d'hommes, de femmes ou d'enfants d'ethnies différentes. Si leurs traits sont déformés, leur expression reste intacte. En captant et en isolant leur regard Plensa tente de transmettre au spectateur l'émotion qu'ils expriment. Ils occupent le centre d'une grande feuille blanche de fort grammage. Sur ce fond ont été imprimés par gaufrage des articles de la déclaration des droits de l'homme, lisibles donc uniquement grâce à la lumière. Le message porté par ce texte sous-jacent met en évidence ce qui fait l'universalité et la spécificité de l'être humain. L'homme est un être de langage, et c'est le lien étroit entre l'esprit et la matière que Jaume Plensa nous donne à voir dans ces belles séries ici exposées.

    Deux musée donc et deux conceptions différentes, l'un parfaitement défini sur son propos, l'autre avec un concept plus vague. L'un sachant mettre en avant sa spécificité, son originalité, l'autre, avec un espace plus difficile à exploiter, manquant du dynamisme nécessaire à son rayonnement dans sa ville et sa région.

    Les dessins de Wols - Lieu d'Art et d'Action Contemporaine (LAAC) - Jardin des sculptures - 59140-DUNKERQUE. Tél : 03 28 29 56 00 (jusqu'au 16 septembre 2012).

    Jaume Plensa "Le jardin des mots" - Musée du Dessin et de l'Estampe originale - Chateau Arsenal - 59820-GRAVELINES. Tél : 03 28 51 81 00. (Jusqu'au 14 octobre 2012).

  • LA TRIENNALE (par Régine)

    Baptisée "Intense proximité" la Triennale de Paris s'est installée jusqu'au 26 Août dans les locaux du Palais de Tokyo encore en travaux. Parmi la multitude d'oeuvres réparties sur trois étages on déambule dans une sorte de friche industrielle qui n'est pas sans rappeler l'Arsenal de Venise pendant la Biennale.

    Difficile de trouver ses repères devant une telle abondance. On peut bien sûr tenter de suivre le fil conducteur proposé par l'organisateur de la manifestation, l'américano-nigérian Okwui Enwezor : l'influence de l'ethonographie sur le travail des artistes contemporains et les répercussions de la modialisation sur la création artistique. On peut aussi s'y promener, nez au vent, l'esprit en éveil, prêt à être surpris et à faire des découvertes - partis pris que j'ai adopté et qui m'a permis d'avoir les coups de coeur que voici :

    Geta Bratescu - Vertigii, 1978 et La règle du jeu, 1982. Judicieusement accrochée en face des photos ethnographiques de Claude Levi Strauss voilà une série qui illustre parfaitement les propos du maître sur les rapports de l'art et du bricolage. Née en 1926 à Bucarest cette artiste roumaine a savamment réalisé de petits patchworks qui sont des merveilles de délicatesse et de subtilité (photo 1)GEDC0076.JPG ; elle a glané ici ou là des morceaux d'étoffe, souvent très petits et effilochés, les a assemblés avec minutie en fonction de leurs couleurs, de leurs motifs, du sens de leur tissage, de leurs textures, pour donner naissance à de précieuses et poétiques géographies.

    On retrouve le même principe, mais traité de façon différente avec la série de 1982 "La règle du jeu" (photo 2)GEDC0005.JPG.Au centre d'une feuille quadrillée, Geta Bratescu a dessiné des cercles ; autant de planisphères sur les bords desquelles, et dérangeant leur quadrillage, elle a rapproché et fait se chevaucher des fragments de papiers de couleurs vives, de qualité et de motifs différents. Avec trois fois rien elle réussit à faire naître sous nos yeux des petits univers éclatés, tels ceux perçus à travers un Kaléidoscope (photo 3). Comme chez Schwiters les espaces ainsi créés participent à la fois de l'art et du quotidien (papiers peints, tissus), de la réalité et de l'imaginaire (j'ai cru y voir des continents s'entrechoquer).

    Hellen Gallagher - Morphia, 2008-2012. Les oeuvres sur papier de cette américaine, née en 1965 d'un père capdeverdien et d'une mère irlandaise, sont captivantes. Les cadres verticaux et les tables qui les supportent constituent un ensemble autonome (photo 3)GEDC0049.JPG qui permet d'en faire le tour et de constater que ses dessins sont travaillés des deux côtés d'une feuille de papier très fin, presque transparent. Le plus souvent ce sont deux têtes d'africaines dont la coiffure tressée de façon extrêmement sophistiquée occulte tout ou partie du visage (photo 4 et 5)GEDC0042.JPGGEDC0043.JPG. Le double, la métamorphose, l'identité des noirs américains semblent être au coeur de la réflexion de l'artiste. Le mystère de la fabrication de ces dessins hybrides, exceptionnels sur le plan esthétiques, ajoute au plaisir de les contempler. Encre, crayon, aquarelle, vernis, huile, plâtre, tempera, papier découpé lit-on sur le cartel ; tout cela est bien sidérant. Le jeu sur le titre "Morphia" qui signifie à la fois Morphée, divinité grecque des rêves prophétiques, morphologie, forme des visages et morphine permet plusieurs niveaux de lecture.

    "Stone with hair" (1998) (photo 7) du sculpteur afro-américain David Hammons est une oeuvre troublante (photo 6)GEDC0071.JPG. Mélant les règnes animal et humain, l'artiste a collé sur une pierre oblongue et lisse des cheveux ramassés chez un coifeur d'Harlem. Un accident dans la pierre crée une balafre qui peut être perçue comme une cicatrice rituelle. Ainsi coiffée, la pierre prend vie et devient une tête marquée par le signe physique d'une appartenance raciale.

    La sculpture "Deflated" (2009) de Monica Bonvicini évoque l'idée d'affaiblissement (photo 7)GEDC0098.JPG. Un bloc de chaînes agglomérées en un cube parfait repose sur un socle en miroir. Mais un des angles est en train de s'écrouler mettant en cause le caractère implacable et froid des chaînes. Intéressante image de la perte du pouvoir qui fait penser à une actualité brûlante.

    Parmi la multitude des videos d'intérêt inégal et dont la majorité se résume en un long et souvent ennuyeux reportage ethnographique il en est une, très élaborée, qui a retenu toute mon attention : "Headache" d'Aneta Grzeszykowska, jeune vidéaste née en 1974 à Varsovie. Un corps nu et blanc de femme évolue sur un fond noir (photo 8)GEDC0003.JPG. Séparé de ce corps chaque membre est doué d'une activité autonome. Exprimant une sorte de rage, indépendamment ou ensemble, ils martyrisent la tête et le buste de la femme. Cette déconnection physique représente sans doute le morcellement d'une personnalité mais aussi, et avec humour, l'ambivalence des relations de dépendance et d'autonomie.

    Bien que les installations, la vidéo, les photos soient omniprésentes dans cette triennale, la peinture n'est pas totalement oubliée. Citons l'impressionnante série de 2010 "Jugement dernier" de Barthélemy Togo. Ce sont des aquarelles sur papier dont le motif est le crâne humain. Pour traiter ce sujet morbide, l'artiste a su jouer de plusieurs contradictions. En utilisant un lavis couleur rouge sang pour les peindre et en les transperçant de clous il a renforcé la cruauté du propos, mais la légèreté et la transparence de l'aquarelle s'opposent à cette violence. D'un des crânes des branches, dont la verdure est toute imbibée de sang, prennent racine (photo 9)GEDC0052.JPG; plusieurs autres, accrochés aux branches d'un baobab tiennent entre leurs dents des ramure verdoyantes (photo 10)GEDC0056.JPG. Ainsi de la mort naît la vie et toute vie est condamnée à disparaître en un cycle sans fin. Si l'ensemble de ces aquarelles se nomme "Jugement dernier" est-ce aussi pour signifier que les morts, les victimes de massacres sont les juges des vivants ? Cette oeuvre forte, aux multiples interprétations nous poursuit longtemps.

    Je ne saurai conclure sans une mention spéciale pour les superbes dessins de Wilfredo Lam : 25 d'entre eux, extraits de ses très beaux "Carnets de Marseille" (1941) courent le long d'un mur (photo 11)GEDC0106.JPG. Réfugié dans cette ville au moment de l'Armistice, il y rencontre de nombreux surréalistes en partance pour les Etats Unis : A. Breton, B. Péret, V. Brauner, Max Ernst... Les échanges intellectuels et artistiques qu'il a avec eux l'incitèrent à développer un nouveau vocabulaire pictural. Il réalise alors de magnifiques dessins où la spontanéité et l'imagination guident son crayon. Michel Leiris les qualifiera de "tumultueuses proliférations de formes illustrées".

    Bien sûr le parcours est colossal et plusieurs visites sont nécessaires pour tenter d'épuiser la richesse de cette triennale. L'aspect "éternel chantier" du Palais de Tokyo m'a paru en "intense proximité" avec un art constamment en mouvement, puisant ses racines dans la confrontation avec des civilisations inconnues au début du XXème siècle et dans le terreau actuel de la mondialisation. Confrontation qui semble s'imposer à tous, à preuve l'exposition qui vient de s'ouvrir à la Fondation Cartier "Histoire de voir, show and tell" (261, bd Raspail, 75006-Paris).

    TRIENNALE "INTENSE PROXIMITE" - Palais de Tokyo, 13 avenue de Président Wilson, 75016-Paris (01 47 23 54 01) ouvert tous les jours sauf mardi de 12 à 24 h.

     

     

  • La Biennale de Venise (par Régine)

    GEDC0069.JPG

    Venise est une fête ! Plus on connait cette ville magique plus on a de plaisir à la retrouver. Y démarrer son séjour par un grand tour sur le vaporetto n° 2 est pour moi incontournable. Partant de la Place St Marc il descend lentement le grand canal, vous permet d'admirer à loisir les magnifiques palais qui le borde, puis remonte la lagune entre le Zattere et la Giudecca, marque l'arrêt à St Giorgio et vous dépose à votre point de départ, la Place St Marc. En complétant cete prise de contact par un petit tour au Marché du Rialto, on se sentirait presque vénitien.

    Cette fois-ci je n'étais pas venue pour Venise et ses peintres, Venise et ses églises, Venise et ses îles, mais pour Venise et sa Biennale d'art contemporain, étrangement appelée "Illuminations". Les commentaires dans la presse et les quelques interviews d'artistes m'ayant laissée sur ma faim, le besoin de m'en faire une idée personnelle m'obligea en quelque sorte à retourner dans cette ville mythique. Direction donc les Giardini et l'Arsenal.

    Devant cette accumulation d'oeuvres venues du monde entier quelques constantes me sont apparues. Les installations, les vidéos sont omniprésentes et beaucoup d'objets sont détournés de leur usage ; les photos et la peinture sont quasiment absentes et lorsqu'il y en a elles sont intégrées dans une installation. L'art actuel n'est pas introspectif, c'est l'état de notre monde et les problèmes de sociétés qui sont les thèmes récurrents. Le sexe et le corps, omniprésents il y a quelques années, n'occupent plus le devant de la scène. Finies les oeuvres intimes, toutes ces installations nécessitent de grands espaces, mais à Venise et notamment à l'Arsenal, cela ne pose pas de problème. Les oeuvres sont ainsi beaucoup plus destinées aux musées et aux espaces publiques qu'aux particuliers. Les artistes sont bavards : de nombreuses oeuvres s'accompagnent de notices explicatives, d'archives, ou exposent et commentent dans des vitrines leur processus créatif. Le problème de la pérennité de leur travail ne parait pas être un souci majeur pour les artistes. En laisser le souvenir, éventuellement par quelques traces, ou par le biais d'un catalogue leur suffirait-il ? L'utilisation du miroir, de la vapeur d'eau, de la cire, de la résine, le recours aux nouvelles technologies sont récurrents. Enfin si la mondialisation se fait sentir dans les medium utilisés et les thèmes, chaque artiste l'exprime à sa façon en fonction de sa culture propre et de son histoire personnelle.

    Entre Giardini et Arsenal, parmi l'abondance des oeuvres exposées, en voici quelques unes qui ont particulièrement retenu mon attention et qui illustrent les remarques précédentes.

    Parmi les pavillons nationaux, aux Giardini, Mike Nelson a entièrement transformé celui de la Grande Bretagne en caravansérail abandonné (photo 1)GEDC0060.JPG ; on erre dans un dédale sombre où tout est rouillé, poussiéreux, misérable. Sur des tables ou des appentis traînent des travaux inachevés, des instruments cassés. (photo 2) GEDC0057.JPGDes matelas par terre suggèrent que ces espaces ont été squattés. Reflet tragique et poignant de la misère du monde, du temps qui passe, d'une époque révolue.

    "Cristal et résistance" est le titre de l'oeuvre proliférante et délirante de Thomas Hirschhorn qui envahit le pavillon suisse. Le motif principal en est le cristal, qui, dit-il, grâce à ses multiple facettes, permet de voir les choses de différente façons. Avec cette oeuvre précaire, volontairement bricolée, faite de bric et de broc : GEDC0031.JPGbouts de verre, cristaux, papier d'argent, scotchGEDC0032.JPG, chaises tapissées de téléphones portables, vieilles télévisions, etc... (photos 3 et 4) Hirshhorn nous propose la vision d'un monde déglingué et une façon de l'interroger de manière totalement inattendue.

    Avec "Hasard" ou "Chance" de  Boltanski, qui occupe le pavillon français, un long ruban de photographies de nouveaux nés parcourt rapidement un immense échafaudageGEDC0050.JPG (photo 5) ; parfois une sonnette retentit et le ruban s'arrête sur un des bébés et son visage apparait alors sur le moniteur d'un ordinateur. Il est choisi par le "hasard" pour le bien ou pour le mal, c'est le destin qui décide. C'est une oeuvre intéressante mais il est dommage qu'un artiste de la génération des années 1970, déjà mille fois consacré, ait été choisi pour représenter notre pays. N'y aurait-il donc aucun jeune artiste vivant actuellement en France ?

    Jennifer et Guillermo Calzadilla sont les maîtres du détournement d'objet. Ils n'ont pas hésité à renverser un tank devant le pavillon américainGEDC0040.JPG (photo 6) et à installer un orgue à l'intérieur (photo 7)GEDC0042.JPG. A la place du siège de l'organiste est installé un guichet d'où on peut, avec sa carte de crédit, tirer de l'argent. Chaque fois que quelqu'un opère, l'orgue se déclence et joue un air religieux. Critique virulente, mais un peu primaire, d'un système basé sur la force et la sacralisation de l'argent.

    Dans le pavillon coréen, le miroir est utilisé de façon fascinante par Lee Yongbaek. Votre image se reflète dans 5 ou 6 d'entre eux accrochés dans la même pièce ; soudain ils explosent avec fracas et vous disparaissez dans les éclats de verre (photo 8)GEDC0064.JPG. Rassurez-vous, ce n'est qu'une vidéo, mais très bien réalisée. Ailleurs, dans une grande glace votre propre reflet se superpose à l'image du Christ qui elle-même se transforme peu à peu en celle du Bouddha.

    Peinture et video font bon ménage dans l'oeuvre du finlandais Vesa Pekka Rannikko. L'artiste s'active sur deux écrans géants ; sur l'un il tente de construire une perspective qui s'estompe rapidement, sur l'autre il recouvre inlassablement avec un rouleau enduit de blanc des dessins ou des gravures qui ne cessent de réapparaître. C'est beau, drôle et suggestif des rapports de l'un et l'autre medium.

    Dans le pavillon belge aec "Feuilleton - les 7 péchés capitaux" Angel Veigara allie astucieusement images et peinture. Sur les 7 écrans de la grande frise qui constitue l'oeuvre défilent rapidement des images puisées dans l'actualité ; un pinceau les attaque et les barbouille rapidement de couleur. La peinture se fait dans le temps des images et fait surgir une nouvelle réalité de laquelle on a du mal à s'arracher.

    Parmi les oeuvres qui prennent place dans l'immense pavillon central des Giardini, sous la surveillance d'une multitude de pigeons empaillés placés sur la charpente par Mauricio CatellanGEDC0013.JPG (photo 9) et du Tintoret dont quelques grandes toiles occupent la salle centrale, j'en citerai quelques unes qui échappent à l'air du temps. Les entrelacs infinis, faits au stylo bille de couleur sur de grandes feuilles de papier, de l'éthiopien Gedewon (photo 10) m'ont fait penser aux manuscrits irlandais du Moyen Age GEDC0011.JPGet la série des grandes tâches sérigraphiées de l'américain Christopher Wool à des planches agrandies du test du Rorschach. On découvre avec plaisir les beaux graphismes du français Guy de Cointet GEDC0026.JPG(photo 11) mort en 1983 et trop tôt oublié.

    Des explications détaillées accompagnent la série de photos de David Godblatt, africain du sud. Les portraits qu'il a fait d'anciens détenus sont accompagnés de longs textes qui racontent leurs parcoursGEDC0018.JPG (photo 12). Ce type de travail pose la question de la limite entre reportage photographique et oeuvre d'art.

    A l'arsenal, l'installation du zurichois Urs Fischer est sans doute l'une des plus spectaculaire de la Biennale. Elle représente une grande statue du XIXème, dans le style de celles qu'on trouve dans les squares. A ses pieds l'artiste, en costume cravate, se tient debout (photo 13)GEDC0101.JPG. Alentour plusieurs fauteuils de bureau sont dispersés. Tout est en cire à bougie P1010975.JPG(photo 14); ici ou là des mèches sont allumées, une grande partie de l'installation est donc fondue. Des bouts de statue ou d'objets gisent à terre. Dans la tête de l'artiste une flamme le consume de l'intérieur. Elle représente la fragilité de l'inspiration, la brillance des idées et la disparition. Le tout est une formidable métaphore du temps qui passe.


    .Avec une multitude d'armoires à glace défraîchies à peintre différentes les unes des autres, le chinois Song Dong a construit un dédale de pièces d'habitation (photo 15)

    GEDC0083.JPG. Elles entourent la structure laquée rouge d'une maison ancienne sur le toit de laquelle sont installés des casiers destinés aux pigeons (photo 16)GEDC0082.JPG. Ces oiseaux, qui occupaient des petits espaces tous semblables, ont-ils, dans un jeu infini de miroirs, étaient remplacés par des êtres humains ?

    Quant à Yuan Gong, il tente de réveiller d'énormes et inquiétants containers rouillés en en faisant échapper, à intervalle réguliers, d'immense jets de vapeur (photo 17)GEDC0125.JPG.

    De ce monde de désolation heureusement James Turell nous laisse entrevoir un petit coin de paradis. La beauté de son espace vaut bien l'heure d'attente pour y pénétrer. On y baigne dans une couleur impalpable et irréelle qu'on tente en vain de toucher. Bleue, rose, violette, elle évolue lentement et c'est un enchantementGEDC0109.JPG (photos 18 et 19).GEDC0112.JPG

    "Illumi nations", ce titre à double entrée, choisi par Brice Cuniger, directrice artistique de cette 54ème Biennale de Venise, suggérerait-il à la fois que l'art est sensé éclairer notre regard sur le monde et que chaque nation le fait de façon différente en dépit de la mondialisation ?

  • René Guiffrey (par Sylvie)

    10 septembre 2010 (40) b.jpg10 septembre 2010 (29) b.jpg055.jpgAprès un long silence de deux mois, nous voici à nouveau opérationnelles.      Remontant du sud de la france, j'ai fais un arrêt à l'Isle sur la Sorgue pour voir les dernières oeuvres de René Guiffrey dans un nouveau lieu d'exposition, la galerie DNR, qui s'est installée au Village des Antiquaires de la Gare, un endroit plein de charme.

    Ceux qui connaissent le travail de Guiffrey (voir la note d'avril 2010) ne seront pas étonnés de tant de rigueur. La thématique géométrique demeure, le verre se superpose toujours pour créer des profondeurs dans des transparences colorées;  papier et  miroir restent les mediums de prédilection de cet artiste exigeant.Si le carré a longtemps été chez lui une forme presque obsessionnelle dans une recherche de troisième dimension, l'étirement semble lui devenir une nécéssité. On aurait pu peut-être, l'augurer dans ses poliptyques passés, mais là, avec la colonne "Joyce"en miroir, qui fait voir différentes facettes du monde  et"Cordoba", ces cinq pièces sur papier faisant un circuit fermé, pas de doute. D'ailleurs le titre complet de l'exposition est:" Cordoba, alentours et autres", comme la preuve d'un élargissement de la vision. 

    René Guiffrey, galerie DNR, village des antiquaires de la gare, 2bis rue de l'egalité, 84800 l'Isle sur la Sorgue. 06 20 39 06 69. Jusqu'au 31 décembre 2010.

     

     

  • La donation Cordier (par Régine)

    "Vive les affinités formelles", c'est ce que l'on a envie de clamer après une visite à l'exposition "Les désordes du plaisir" au Centre Pompidou. Seconde donation du galeriste-collectionneur Daniel Cordier, elle rassemble 90 objets issus de sociétés non occidentales ou des objets dits de curiosité ainsi qu'une trentaine d'oeuvres d'art contemporain, résultat d'une recherche buissonnière, jouissive et tous azimuts, d'un esthète épris tout jeune de la beauté du monde.

    L'accrochage rend manifeste ces correspondances qui ne sont probablement apparues qu'à posteriori mais qui révèlent la sensibilité de Cordier aux formes, aux matières, aux échos qu'elles font naître, à leur rapport au corps, à tout ce qui suinte du monde et dont l'art ne serait qu'une manifestation parmi d'autres. Les objets les plus humbles, souvent de culture lointaine, font vivre des oeuvres d'art d'aujourd'hui, faisant fi des hiérarchies. Ce nouveau contexte oblige à regarder celles-ci autrement. Elles apparaissent comme faisant partie du monde, plongeant elles aussi leurs racines dans l'histoire de la terre et de l'humanité : les béances du feutre découpé de Robert Morris GEDC0001.JPGjouxtant des margelles de puits peuls, creusées par les cordages (photo 1); GEDC0009.JPGles rondeurs des coiffes zoulous au dessus de ballons de cuir patiné et des objets courbes (casques, têtes de poupées, rondelles de jouets brisés) figurant dans un tableau de Dado (photo 2). On découvre que ces connivences sautent les civilisations : des GEDC0004.JPGvisages émergent aussi bien d'un graffiti de Brassaï que de soufflets de forge dogons ou d'un "portrait au mur" de Jean Dubuffet (photo 3) ; que des similitudes existent entre production de la nature et oeuvre d'art : le même artiste  a réalisé un tableau en écorces qui voisine fort bien les circonvolutions d'un champignon parasite; des cervicales de baleine égalent en beauté les volutes vigoureuses, tourmentées et colorées d'une oeuvre surréaliste de Simon Hantaï, des empilements d'anneaux ou une sculpture de Claude Viseux faite de mâchoires de chevaux ; aux dessins de Réquichot font écho de délicates chimères de coraux. On tisse des liens entre des oeuvres exposées ici et d'autres qui ne le sont pas, par exemple un emblème nigérien, fait de crânes d'animaux, de plumes, de brindilles disposés sur un fond en vannerie, destiné à éloigner le léopard fait penser aux assemblages de Louis Pons pour qui "la décharge publique est un musée qui a raté son coup" ou GEDC0013.JPGles stalagmites de coraux et les cotonneuses éponges blanches aux sculptures immaculées d'Eric Cameron...(photo 4). Mais tout cela n'est-il pas trop beau, parfaitement  gratuit ?

    Déplacés et exposés dans un musée prestigieux ces objets, aux origines les plus diverses, perdent, bien sûr, leur sens initial qu'il soit religieux, social, ou utilitaire ; leur statut a changé. Il n'est plus question d'ethnographie. Leur but est mis au profit de leur seul potentiel plastique. Duchamp avait raison : les rapprochements purement arbitraires et esthétiques avec des oeuvres d'art dont la finalité est totalement différente n'en sont pas moin stimulants, ils mettent en marche la mécanique mentale et l'imaginaire. C'est une vraie délectation que reflète bien le titre de l'exposition, choisi par Daniel Cordier lui-même "Les désordre du plaisir".

    "Les désordres du plaisir", MNAM, Centre Pompidou, place Beaubourg, Paris 3ème. Métro Rambuteau. Tél : 01 44 78 12 33. Du Du mercredi au lundi de 11 h à 21 h. jusqu'au 23 mars.

  • présentation de notre blog

    Nous, Sylvie et Régine, nous intéressons à l'art de notre époque. Ce blog est destiné à vous faire part de nos coups de coeur lors de balades ou de visites dans des galeries essentiellement parisiennes et à essayer de les faire passer avec des mots simples.

    Les commentaires sont les bienvenus, qu'ils soient critiques ou pas. Portes ouvertes aux  questions et aux suggestions.


  • les vacances

    Noue reprendrons nos déambulations en septembre, bonnes vacances à tous.

  • l'esprit de notre blog

    Nos coups de foudre en matière d'art contemporain ont été si nombreux que nous avons eu envie de les partager. L'exhaustivité ne sera pas notre propos.  Nous choisirons une seule oeuvre par artiste ou par exposition, et nous tenterons de l'explorer avec des mots simples.

    Rendez-vous fin février pour un vrai démarrage. Nous comptons sur vos réactions.

    Sylvie et Régine