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décrypt'art - Page 23

  • Sophie CALLE à la B.N. (par Régine)

    1735975853.jpgNon seulement Sophie Calle a du talent, mais elle a un culot qui laisse pantois. Solliciter la réaction de 107 femmes, choisies pour leur métier et leur renommée, à la lettre de rupture de son amant se terminant par "Portez-vous bien", rendre public ce texte et les réponses, orchestrer et mettre en scène l'ensemble, il n'y a qu'elle pour avoir cette audace et c'est magnifiquement réussi.

    Après Venise où cette oeuvre a été montrée pour représenter la France à la dernière biennale, l'artiste investit la prestigieuse salle Labrouste de la Bibliothèque Nationale et recrute (par petite annonce dit-elle) Daniel Buren pour orchestrer le tout.

    La visite de cette exposition procure bien des plaisirs : outre celui de revoir cette salle enfin de nouveau ouverte au public, celui d'être ébloui par la mise en scène, de jubiler devant l'intelligence et la complexité du propos. L'installation, en s'adaptant à la hauteur, à la rotondité, aux différents niveaux de la salle, l'exprime visuellement.

    Sur les rambardes des balcons sont accrochés des panneaux où sont retranscrites les réponses adressées à Sophie Calle et les photographies de leurs auteurs, souvent célèbres ; juste au dessous, sur des pupitres, des classeurs reprennent ces textes afin de les rendre plus accessibles aux visiteurs. Entre les mains de toutes ces femmes le mail (puisque c'est sous cette forme que la rupture a été formulée) est passé au crible ; il est décortiqué sur le plan juridique, phonétique, psychanalytique, linguistique, intertextuel et même talmudique par les plus grandes spécialistes de la question. Il fait aussi l'objet de ripostes et de manipulations diverses : textes littéraires, cocotte en papier, transcription en langage SMS, écriture cruciverbiste, sténographique et j'en passe.

    En bas et au centre, sur les tables de travail, des écrans vidéo, installés ici ou là, projettent des artistes français ou étrangers, lisant en boucle et sous des formes infiniment variées la fameuse lettre de rupture. Ici c'est Natahlie Desay qui la chante façon lyrique, là une chanteuse de fado façon tragique, là encore une pop façon rythmique ; plus loin c'est une femme clown qui s'en moque, des actrices de nationalités différentes qui la disent dans leur langue sur tous les tons possibles.

    Au fond de la salle épousant la forme d'une des alvéoles du plafond et dominant l'ensemble, une vidéo laisse défiler le film de femmes lisant la lettre dans tous les langages possibles.

    Au  cours de sa visite, le spectateur est assailli de questions : ce mail a-t-il été réellement écrit par son amant ou Sophie Calle l'a-t-elle rédigé de toute pièce ? Daniel Buren a-t-il été  recruté par petite annonce, ou a-t-il été délibérement choisi pour son talent ?  Dérision que tout cela, le plaisir est dans l'interrogation, non dans la réponse.

    Certes, l'immense choeur de femmes qui, depuis les entrailles de la bibliothèque, répète inlassablement le même texte donnant corps à cette profusion de réactions et de commentaires qui entourent la salle, met en scène et rejoue devant nous la guerre des sexes, mais cet excès ne se retourne-t-il pas avec ironie contre le féminisme de leurs auteurs ?

    C'est dans ce perpétuel va et vient entre une question et les réponses que réside la richesse de cette installation. En utilisant le comique de répétition, l'artiste joue à merveille de la dérision de la dérision.

    Oui, Sophie Calle "a pris soin de nous".

    Bibliothèque Nationale de France - Site Richelieu, 58 rue de Richelieu, 75002-Paris (Métro Bourse). 01 53 79 53 79. Fermé les jours fériés. Sophie Calle "Prenez soin de vous", juqu'au 8 juin (Salle Labrouse).

     

  • Pierre Buraglio rive gauche, rive droite (par Régine)

    518793109.jpgLe cours de la Seine qui sépare les deux galeries exposant actuellement Pierre Buraglio pourrait figurer le changement et la continuité qui sous-tend tout le travail de cet artiste.

    La Galerie Jean Fournier présente une vision rétrospective des oeuvres effectuées entre 1966 et 1997, essentiellement des travaux de manipulation de matériaux récupérés : agrafages, assemblages, masquages pleins ou vides, fenêtres... Peinture et dessin reprennent leurs droits dans la sélection de Marwan Hoss qui couvrent la période 1997-2007.

    Dans la diversité de ce travail, on retrouve un même sens du rythme, de la couleur, de l'espace créé entre le monde extérieur et l'oeuvre, cette façon bien particulière de solliciter le regardeur et d'appréhender le temps.

    En voici quelques exemples puisés d'abord chez Jean Fournier :

    Pour réaliser "Masquages plein" de 1980 (64,5 x 49,5 cm) (photo 1), l'artiste a récupéré des bandes de masquage utilisées dans les ateliers de peinture automobile ; il les a contrecollées, en une pluie de diagonales sur une plaque d'altuglass dont la transprence élimine le fond et rend l'espace actif et mouvant. La scansion des bandes beiges maculées de jaune ou de noir (comme les dièses du clavier d'un piano) insuffle un rythme puissant à la composition et redonne à ces déchets promis à la poubelle une vitalité qui déborde le cadre.

    1787850604.jpg"L'assemblage de paquets de gauloises" de 1982 (47,5 x 52 cm), (photo n° 2), est constitué d'emballages de cigarettes vides bleus et verts, de papier noir, de bandes de masquage et de signalisation. Ils ont été dépliés, défroissés et assemblés par des agraffes, de la colle ou d'autres moyens, morceaux d'une réalité déchue qui, sans cette intervention auraient disparu. De ce sujet qui aurait pu être nostalgique, Buraglio a fait un jeu graphique multicolore et  trépidant.

    Coexistent ainsi sur une même surface des temps différents : celui de l'action sur ce qui a été récupéré, celui de la mémoire et de l'inéluctable dégradation que le temps fait subir aux choses. En outre, l'organisation en horizontales et diagonales et l'agencement des couleurs, entraînent le spectateur dans une cadence et un temps qui n'ont rien à voir avec du vague à l'âme.

    Pour les travaux plus récents présentés rue d'Alger, Buraglio a délaissé la glane pour reprendre crayons et pinceaux, sans toutefois abandonner le maniement de l'agrafeuse. Ses "Dessins d'après" attestent d'un attachement à la peinture de ses prédécesseurs et plusieurs oeuvres témoignent de son goût pour l'architecture, l'art du montage, le jazz et le cinéma. Un artiste complet !

    1563480370.jpgUne constante : la liberté laissée au spectateur pour compléter, imaginer, rêver, se souvenir... "Mon bunker 5" de 2007/2008 (40 x 95 cm) (photo n° 3),  enserre, dans l'angle droit d'un cadre de sérigraphie, une petite peinture sur contreplaqué qui, en quelques traits, figure le haut d'un immeuble. Vide, le reste du cadre devient, pour le spectateur, une possibilité en suspens. Ce manque donne au visible sa force et sa présence. Il devient ouverture sur un espace mental beaucoup plus vaste.

    Le "16" , le yuka de 2007 (160 x 127 cm) qui clôture l'exposition pourrait résumer bien des aspects de son travail : exploitation d'un fond en contreplaqué usagé, réemploi de dessins détourés, forte présence de détails d'architecture, découpage, à la Matisse, dans la couleur, tout un ensemble construit par agrafages comme autant de flash de mémoire...

    Quel talent que  de faire coexister dans un espace à deux dimensions toutes sortes de références, d'en exploiter les possibilités plastiques, et de les organiser de telle façon que le résultat final serve de tremplin à l'imaginaire du spectateur.

    Buraglio a conquis sa place et affirmé sa personnalité de peintre dans les années 60 au sein de Support-Surface qui s'attachait à redéfinir la peinture et ses constituants. Quarante ans après il poursuit ce même chemin qui n'a pas pris une ride et garde, au contraire toute sa fraîcheur. Le raffinement de la couleur et l'équilibre de la composition contribuent largement à cette réussite.

    Galerie Jean Fournier, 22 rue du Bac, 75007 (01 42 97 44 00) Métro : Rue du Bac - Oeuvres de 1966 à 1997. Jusqu'au 30 Avril

    Galerie Marwan Hoss, 12 rue d'Alger, 75001 (01 42 96 37 96) Métro : Tuileries - Oeuvres de 1998 à 2008. Jusqu'au 30 avril.

     

  • Les mains d'osier de Kasia Ozga (par Sylvie)

    222999802.JPG808099146.JPGElles sont rassemblées en clairière près des tennis de la Cité Universitaire, un petit ilôt comme en déterminent  d'elles-mêmes certaines plantes ou quelques archaïques menhirs. Ce sont des mains, gigantesques, en osier tressé, qui sortent de terre aussi naturellement que les arbres qui les entourent. 

    A les voir ainsi, à des degrés divers d'émergence, elles ont l'air vivantes, prêtes à faire apparaître qui une paume, qui un troisième doigt, et, selon l'angle de vue ou les ombres portées, donnant l'illusion de jouer un rôle dans le cadre qui leur est alloué : là soutenir le feuillage comme un tronc multipare, ici servir de dossier au banc de pierre, ou simplement rappeler que l'homme et la nature ne font qu'un. Il y a là de l'enfance et du rêve, c'est extrèmement attachant.

    Conçues dans une optique résolument écologiste, ces formes, faites de matériaux naturels éphémères, donc actifs et changeants, établissent un dialogue avec l'environnement et suscitent en chacun de nous une part créative, dynamique et réjouissante. Il y en aura toujours quelques uns pour penser à une noyade mais toutes ces verticales légères et gauches, pleines de vitalité, ont plus à faire avec un cri d'enthousiasme.

    "Les mains d'oeuvre" ont été réalisées, dans le cadre des projets-étudiants, avec le soutien des Fonds FIE de Cité Culture. Elles sont signées d'une jeune artiste polonaise, Kasia Ozga, étudiante en philo de l'art à Paris VIII qui exposera cet été en Bretagne avec le collectif d'Etang-d'Art

    Parc de la Cité Universitaire , bd Jourdan, 74014. Jusqu'au 15 avril.

     

  • Max Wechsler (par Régine)

    1505588488.jpg1405234232.jpgA la fois ascétiques et énigmatiques, délicates et puissantes les oeuvres de Max Wechsler actuellement exposées à la galerie Guislain - Etats d'art nécessitent de s'y arrêter longuement et de les examiner avec attention. A distance elles sont presque monochromes, de près elles révèlent un travail extraordinairement minutieux.

    Grands formats, aux reflets de métal, et petits papiers marouflés, regroupés par deux, trois ou quatre, développent une gamme de noirs et de gris dont il est difficile de dire le véritable médium : pas d'huile, pas d'acrylique, pas de gouache. Les motifs sont des lettres, des fragments de mots indéchiffrables. Or, ces oeuvres ne sont pas peintes mais faites de morceaux de papier imprimé incroyablement travaillés.

    Le matériel de base : des pages imprimées et déchirées, une photocopieuse noir et blanc, des ciseaux, de la colle et du liant. Pour les grandes toiles, souvent divisées en trois parties, Wechsler chiffonne le papier et le colle librement sur la surface préparée de la toile jusqu'à ce que celle-ci soit complètement et densément recouverte (photo de gauche). Le tout est revêtu d'une couche de colle qui devient un élément plastique de l'oeuvre par sa présence dure et transparente qui favorise l'éclosion d'infinies nuances.

    La photocopie permet aussi toutes sortes de manipulations : reproduire les bribes déchirées, les agrandir ou les réduire, varier les contrastes, flouter le contour des lettres pour arriver à une sédimentation d'images, de mémoires diverses.

    La texture fine et soyeuse des petits formats  non recouverts de colle (photo de droite) , est d'une infinie douceur. Les gris impalpables se nuancent de jaune, de vert ou de rose. Deux, parfois trois bandes horizontales, à motif différent, se recouvrent légèrement et occultent sur quelques centimètres le papier sous-jacent, différent de celui du dessus, comme une liasse d'échantillons.

    On n'est pas dans la peinture, mais dans l'écrit. Les caractères sont souvent méconnaissables. Le texte, impossible à déchiffrer, est plongé dans l'obscur. A l'inverse d'Opalka qui exprime l'anéantissement par un lent processus, Max Wechsler malaxe, enfouit lettres et mots, et en rend la signification inaccessible. 

    Veut-il communiquer ainsi son rapport au langage par l'effacement du sens ? Seul l'univers plastique peut en avoir un quand l'écrit n'en porte plus. Enfant d'une famille juive, né à Berlin en 1925, il est arrivé en France à l'âge de 13 ans dans un pays où parler allemand était une menace mortelle. Seule solution : se taire. Cette expérience traumatique façonne probablement son oeuvre.

    La gamme des noirs calcinés et des gris cendrés évoque la disparition dans les flammes et on ne peut s'empêcher de penser qu'il s'agit d'une référence à un monde englouti et aux évènements mortels qui ont marqué sa jeunesse.

    Cette peinture de murmure et de retenu semble signifier que l'excès d'écrit tue le sens. Devant le déferlement actuel de publications Wechsler nous dit peut-être qu'il est temps de faire taire ce barvardage pour entendre ce qui est important.

    Toujours présentées sans cadre, tissées d'innombrables lettres et mots ces oeuvres sont de bien énigmatiques messages qui laissent au bord du vertige.

    Galerie Etats d'Art - 35, rue Guénégaud, 75006-Paris. Tél : 01 53 10 15 75, du mardi au samedi de 11 h à 13 h et de 14 h à 19 h. Jusqu'au 15 avril. Galerie.guislain@wanadoo.fr

  • Philippe Cognée (par Sylvie)

    1128155432.JPGParce que depuis ses débuts j'ai toujours apprécié son travail, je suis allée avec entrain voir la dernière exposition de Philippe Cognée , chez Templon, à Paris.

    Il y a là 36 tableaux du même petit format (70,5x47cm), accrochés bien régulièrement à hauteur des yeux. Des rouges lie-de vin, des noirs et des blancs puissants et des demi-tons somptueux s'y déploient dans une déclinaison de lignes horizontales et verticales. Le thème ? Des carcasses animales, des sacs d'os et de viande suspendus à des crochets. De près, de loin, en gros plans ou en rangs, tel un reportage. Il est vrai que photos et vidéos servent toujours à Cognée de point de départ, quelque soit le sujet. Projettées sur la toile ou le bois, elles sont peintes à l'encaustique  (cire d'abeille et pigments) et recouvertes d'un film plastique qu'il chauffe au fer à repasser puis arrache. Ce qui a fondu devient écrasé, embué, donnant aux éléments figurés un aspect  fragile, plus vivant et plus abstrait à la fois. Matité des zônes arrachées, vitrification  des fonds vierges, la surface - la peau de la peinture ? - vibre autant que l'image. Toutes ces vues sont des plongées dans la matière animale, pas de bordure pour limiter le champ. Gros plans et alignements dans les abattoirs industriels sont autant  de corridors, de perspectives floues dans lesquelles le regard pénètre comme dans les allées d'un jardin. Non sans un certain 66128057.JPGmalaise, quand même.

    D'autres artistes avant lui se sont penchés sur les "écorchés" et les quartiers de boeuf, Rembrandt , Goya, Soutine, ou encore Bacon. Après avoir traité, avec distance et froideur, des foules, des villes, des étalages de supermarché, l'univers de notre quotidien construit et, par le floutage, donné sur le point de disparaitre, Cognée avait dévoilé plus nettement son angoisse du néant dans des séries de crânes humains. Le regard  qu'il porte ici sur la chair, fut-elle animale, m'a donné le sentiment qu'il abordait, de front cette fois, la question essentielle: qui sommes nous ? et, pour l'artiste qu'il est : qu'est-ce que la peinture?

    Pris individuellement, ces tableaux sont d'une très grande beauté plastique. La série, insecable, est presque trop forte. Personnellement je préfère le Cognée plus distant.

    Philpppe Cognée "Carcasses", galerie daniel templon, 4 impasse Beaubourg, 75003. Paris. Du mardi au samedi, de 10h à 19h. Jusqu'au 5 avril. 

  • Georg Baselitz ( par Sylvie )

    912227716.2.jpg Baselitz.

     Cette forme compacte, à gauche, faite de larges taches de couleurs gaies, brouillonnes, au centre de la gigantesque toile blanche, c’est un coup de poing, une tornade emportée dans un mouvement circulaire.  Il est surmonté d’un motif  de lignes noires entrecroisées, bordées de couleurs primaires, droit sorti d’un tableau de Mondrian. Curieux mélange ! Et puis on voit des jambes, à l’envers.

     Le titre de la série le confirme, il s'agit de l’image d'un couple. En penchant la tête - ce qui devrait faire se dresser les cheveux de l'artiste - aucun doute, la scène représente une femme, rose et jaune, nue, peut-être, sur un fond vert , assise sur les genoux d'un homme vêtu de bleu. Chaussés, chapeautés, un peu clownesques, ils évoquent plus la luxure que la tendresse.  Il y a une fulgurance dans les traces de pinceau en tous sens et les traits griffés qui rappelle l’expressionniste abstrait William de Kooning et ses « women »  des années 50.

    Des personnages la tête en bas, peu de peintres se sont faits une marque de fabrique de cette façon de faire. C'est du Baselitz ! Pied de nez au spectateur,  mépris pour la nature humaine ou difficulté graphique à camper debout nos carcasses de bipèdes ? La question peut se poser devant les toiles de cet artiste allemand né en 1938 exposées à  la galerie Thaddaeus Ropac, à Paris.

    Pourquoi le retournement ? C’est une vieille histoire. Baselitz a pris le parti d'inverser ses motifs à la fin des années 60 en réponse à une interrogation sur la représentation du réel et  la pratique picturale. S’ensuit évidemment un double dérangement: dérangement devant cette mauvaise facture, une peinture à toute vitesse d’une représentation grossière; dérangement face à ce quelque chose de reconnu sans l'être exactement, le sujet,  mais vidé de son sens du fait de l’inversion avec pourtant l’effet tragique du miroir. Je rapprocherais volontiers cette oeuvre de celle, intitulée « souvenir de la galerie des Glaces » peinte dans les années 20 par un autre allemand, Otto Dix, expressionniste de la Nouvelle Objectivité : même  représentation cynique d’une société pourrie, même effet miroir.

    Pour ses 70 ans, Baselitz ne se renie pas. Ce motif du couple il l’a déjà traité (d'où le nom de "Remix" de l'exposition). Il lui donne ici une nouvelle résonance. Représentation et abstraction y chahutent de façon d'autant plus troublante que s’ajoute la référence à la  gaîté géométrique de Mondrian, un artiste attaché à l’utopie d’une société future parfaitement équilibrée. Seulement voilà, les jambes  sont suspendues comme de la viande et  la grille noire, tronquée, réduite à l’état de crocs de boucher, figure une croix gammée. Décidément cette génération de peintres allemands a du mal à surmonter son passé.

    Georg Baselitz "Remix", galerie Thaddaeus Ropac, 7 rue Debelleyme, 75003. Paris. Du mardi au samedi de 14 à 19h. Jusqu'au 29 mars 2008. 

     

  • Claudio PARMIGGIANI (par Régine)

    545215866.jpg1522468378.jpgJe me souviens d'avoir éprouvé un énorme choc en voyant pour la première fois des oeuvres de Claudio Parmiggiani. C'était il y a quelques années à Toulon. Elles me faisaient toucher du doigt le lien entre le monde matériel et le monde spirituel. Ce même sentiment me saisit devant l'installation actuellement visible à la galerie Serge le Borgne.

    Comme à son habitude Parmiggiani a investi et exploité entièrement l'espace mis à sa disposition. Un espace très clair composé de deux longues salles en L bordées sur un côté d'une verrière.

    L'installation occupe les deux salles : elle est composée de deux ensembles de casiers en acier borssé, 115 pour l'une (5 en largeur et 23 en longueur), 185 pour l'autre (5 en largeur et 37 en longueur) ouverts sur le dessus et remplis de cendre.

     Rien de plus, mais l'effet de surprise fait vite place à une multitude de sentiments.

     J'ai d'abord été frappée par la beauté que dégage l'extrême simplicité de l'oeuvre, le rapport entre la dureté de l'acier et la douceur sensuelle de la cendre, entre la couleur argent mat du contenant et celle tantôt grise, tantôt dorée, tantôt légèrment jaune du contenu. J'ai dû me retenir pour ne pas toucher et laisser couleur entre mes doigts cette poudre aux couleurs mordorées qui semble être tombée d'un sablier et que les infinies nuances de la lumière module à l'infini. Oh temps suspend ton vol !

    Les liens avec l'art minimal et l'Arte Povera sont bien sûr évidents : prise en compte de l'espace d'exposition, dépouillement, sollicitation du spectateur pour le premier, simplicité du matériau, mise en évidence d'un processus pour le second, mais cette oeuvre nous entraîne aussi vers d'autres chemins et nous inspire des sentiments bien particuliers.

     Il s'agit de crémation - les casiers font inévitablement penser à des urnes funéraires - et ceci est loin d'être neutre. Avec une extrême simplicité, et avec sérénité, Parmiggini suggère la fragilité des êtres et des choses et leur inéluctable dissolution. La phrase de la Bible nous revient en mémoire " Tu es poussière et du retourneras poussière". Nous sommes devant une Vanité des temps modernes.

    Tout le mystère de l'absence est pointé là. Certes les objets auxquels nous étions attachés ont disparu, les êtres aimés sont morts, mais leur souvenir, leur lumière nous habite. Les boîtes contiennent toutes des cendres, mais chaque tas est imperceptiblement différent, comme si l'aura de ce qui a disparu dans les flammes subsistait. Secrète et émouvante vie des choses !

    En nous confrontant à l'ultime métamorphose, cette oeuvre m'inspire le respect. Elle est à la fois matérielle et spirituelle, physique et mentale, et conduit du simple au sublime, de l'élémentaire au métaphysique.

    Je ne saurais mieux que l'artiste exprimer ce que j'ai ressenti : "Je crois qu'une oeuvre ne peut se dire avec les mots. La parole appartient à une langue, l'image à un autre alphabet et la langue de l'image réside dans l'émotion, première impulsion qui enfante l'art."

    Claudio Parmiggiani : "Cenere", Phénix, 2008, Galerie Serge Le Borgne - 108, rue vieille du temple - 75003-Paris. Du mardi au samedi de 10 à 13 h et de 14 h 30 à 19 h jusqu'au 22 mars 2008

     

  • présentation de notre blog

    Nous, Sylvie et Régine, nous intéressons à l'art de notre époque. Ce blog est destiné à vous faire part de nos coups de coeur lors de balades ou de visites dans des galeries essentiellement parisiennes et à essayer de les faire passer avec des mots simples.

    Les commentaires sont les bienvenus, qu'ils soient critiques ou pas. Portes ouvertes aux  questions et aux suggestions.


  • Les transparences de Desgrandchamps(par Sylvie)

    8307e6371151c7e83e2757d4a6c9ea4e.jpgAvis aux amateurs de fantômes: une étrange atmosphère règne dans les tableaux de Marc Desgrandchamps. L'oeil y cherche en vain un nom à mettre sur ces non-lieux et ces non-figures, une situation précise à identifier, une histoire à interpréter. Sont-ce des apparitions ou des disparitions?

    Quoiqu'il en soit, un vrai plaisir est là dans la fraicheur des couleurs où les bleus intenses et les verts dominent; dans la légèreté "aquarellique"du médium huile, particulièrement fluide, fait de pigments dilués. Des formes indéterminées se superposent sans heurts. L' espace est ouvert, on respire. Les images parlent de la vie quotidienne, banale, sous un soleil toujours latent. Des silhouettes humaines, souvent tirées de photos, évoluent dans la nature ou le bâti - la plage, la cité -  entrainant le regard dans leur mouvement comme dans un film. Cà et là des indices comme des bribes de souvenirs précis teintés de mélancolie: une tong, un visage en casquette et lunettes noires..C'est un peu pop.

    La vision frontale de cette jeune personne toute en rondeurs sensuelles (photo), à la démarche alerte, créé une dynamique dans l'univers rigide urbain dont la composition structure le tableau. La transparence du vêtement, en surimpression, donne à sentir tout à la fois sa propre légèreté,  mais aussi l'épaisseur de la chair et la géométrie du paysage dont ils sont traversés, en l'adoucissant. Quel étonnant condensé de vie. L'artiste introduit des "dégoulinures" de peinture qui floutent certains contours. Etres et choses en acquièrent une improbable matérialité comme si notre vision se brouillait.  Selon l'humeur, un malaise peut naître devant ces spectres déliquescents dans un bleu tranchant, hors limite qui rappelle la solitude de certaines peintures surréalistes.

    A voir absolument la vidéo qui accompagne l'exposition, pour mieux comprendre le travail de Desgrandchamps. 

     Marc Desgrandchamps , à la galerie Zürcher, 56 rue Chapon, 75003, Paris. Du mardi au samedi de 12h à19h, jusqu'au 12 mars 2008.

  • Colette Deblé aux Editions des femmes (par Régine)

    79d73372b7d22d55bb1185cf1ebf3b66.jpgCréées en 1973 dans la foulée de 1968 et de la fondation du MLF, les Editions des Femmes, avec la fermeture, quelques années plus tard, de leur librairie de la rue de l'Odéon, avaient disparues de notre paysage quotidien.4f79e3286b440e178c136f08325fe717.jpg

    Quarante ans plus tard, elles réapparaissent avec éclat, non seulement en ouvrant une librairie au 33 rue Jacob, mais aussi, au n° 35 dans un ancien magasin de Kilims, un splendide espace galerie.

    Pour célébrer ces évènements  Antoinette Fouque, la fondatrice, a demandé à l'artiste Colette  Deblé d'illustrer un agenda pour 2008. Le choix de cette artiste ne pouvait être plus judicieux. En effet, depuis une dizaine d'années Colette Deblé propose une lecture inédite de la représentation de la femme dans l'histoire de l'art ; d'une scène peinte, sculptée ou photographiée, elle en isole l'image et se l'approprie en en redessinant le contour au crayon ou à l'encre de Chine et en la colorant d'une gamme délicate de lavis d'encres diluées. Avec l'acuité d'une enthomologiste, elle a l'art de saisir, avec la pointe de son crayon, la spécificité de chacune d'elle. Les quelques 200 lavis qu'elle a exécutés pour cette entreprise sont exposés là et c'est un enchantement.

    Une farandole de femmes aux visages et aux  attitudes d'une infinie variété, et dont les membres tronqués ou les évidemments internes rappellent les statues antiques ou les marionnettes d'Asie, nous communiquent leur vitalité.

    Les bleux, les verts, les rouilles, les jaunes, les pourpres, toute une palette de teintes légères et rompues se fondent les unes dans les autres pour notre plus grand plaisir, par la grâce du lavis. De Duras à Sapho, d'Isadora Duncan à Diane ou de Marie Curie à Sainte Cécile ou Simone de Beauvoir et bien d'autres ces portraits semblent flotter dans un univers semé de taches de couleur comme autant de constellations.

    L'exposition respecte l'organisation de l'agenda : elle commence par les femmes qui illustrent le mois de janvier pour se terminer par celles qui illustrent le mois de décembre.

     C'est ainsi que nous sommes accueillis par une Ste Lucie (photo 1), extraite d'un tableau d'Oldoni ; les couleurs des longs plis mouvants de sa robe semblent évoluer sous nos yeux. Un portrait de Sapho (photo 2) qui porte à sa bouche une flute à la fois présente et absente, puisqu'elle est faite d'une réserve de blanc dans l'harmonie colorée du vêtement et du visage, clot cette galerie de portraits.

    Toutes ces femmes passent sur les pages de l'agenda, évanescentes, rendues parfois à la force de leur personnalité par des citations en bas de pages.

    C'est beau, tonique et réjouissant. 

    Espace galerie des Editions des Femmes - 35 rue Jacob, 75006-Paris du 14 décembre au 15 février, de 11 h à 19 h. du mardi au samedi.