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décrypt'art - Page 20

  • Agnès Thurnauer (par Régine)

    Un nouvel espace consacré à l'art contemporain vient d'ouvrir au fond d'une impasse du XVIème arrondissement, il est magnifique. Sa décoration, adaptée à l'esprit du quartier, diffère de celle des galeries du Marais. Ici pas de béton ciré au sol mais du parquet, pas de spots en guise d'éclairage, mais de superbes lustres, pas de verrière, vestige d'un ancien atelier d'artisan, mais de grandes fenêtres. C'est chic, sans ostentation. tagnès Thurnauer 011.JPG(photo n° 1).

    C'est à Agnès Thurnauer que revient le privilège d'inaugurer ce lieu par une grande exposition d'oeuvres récentes. je ne connaissais d'elle que les portraits réduits à de gros badges sur lesquels sont inscrits le nom féminisé d'artistes célèbres. Cela m'avait amusé, sans plus. Avec cette exposition j'ai découvert qu'elle était avant tout un "peintre", préoccupée de problèmes de peinture et très attentive aux artistes qui l'ont précédée.

    Chaque salle est consacrée à l'un de ses thèmes favoris. Dans la première celui de la danse ou du contorsionniste est le plus récent.

    "Territoire # 1"agnès Thurnauer 009.JPG en est représentatif (photo n° 2). C'est un grand tableau de 2,30 m x 2,30 m, qui date de 2010. Sur un fond fait d'une pluie de rubans gris tombant verticalement en spirale, un personnage, moulé dans une combinaison tacheté façon panthère, fait le pont occupant transversalement l'espace de la toile.  Il se tient sur la pointe des pieds, les bras coupés par le cadre. Sous l'effet cinétique du fond, son corps ondule mais se maintient coûte que coûte malgré cette position inconfortable. Le camaïeu gris et blanc de l'ensemble renforce l'unité du tableau. Cette représentation n'est-elle pas celle de l'éternel problème du rapport du fond et de la forme, de leur accord,  de leur différence et l'équilibriste ne serait-il pas le peintre ?

    Viennent ensuite les séries consacrées aux ailes d'oiseau, thème cher à Agnès Thurnauer. Elle sont dit-elle symbolique de la peinture : elles se déploient, leurs couleurs chatoyantes sont infinies et varient avec la lumière, elles nous emmènent ailleurs... telle cette paire peinte sur des petites palettes qui s'envolent dans un ciel baroque : "Grande prédelle"agnès Thurnauer 012.JPG (97 x 195) (photo n° 3). Le ciel est un autre sujet de prédilection de l'artiste car il est pour elle l'objet impossible à atteindre ; à peine a-t-on commencé à le peindre dit-elle qu'il a déjà changé, tenter de le saisir c'est représenter un temps impossible.

    Les ailes sont souvent peintes individuellement sur des toiles séparées puis assemblées en triptyque "I am #1-2-3", 2010 (195 x 97) (photo n° 4)agnès Thurnauer 013.JPG ; en marge l'artiste a appliqué les palettes maculées de la couleur qui a servi à leur réalisation ; ainsi dans le temps où il regarde la toile le spectateur est amené à en imaginer la réalisation et la matérialité. Dans "Finalement"agnès Thurnauer 001.JPG de 2010 (130 x 195) (photo n° 4), une grande paire d'ailes grises enlève l'icône de la modernité, à savoir l'urinoir de Duchamp, dans un ciel bleu pommelé de nuages. S'ouvre alors pour le regardeur une quantité de sensations mentales. La peinture doit-elle s'en débarrasser pour exister ? En dépend-elle au point de faire corps avec lui ? etc...etc...

    A L'étage deux curieuses petites oeuvres ont retenu mon attention. Elles représentent des cieux tourmentés cernés par le collage de pelures de crayon en forme de petits éventails bordés de couleurs différentes selon les crayons utilisés. C'est fascinant de minutie et de précision (photo n° 5)agnès Thurnauer 005.JPG.

    L'ensemble de ce travail convoque le regard dans le même instant où il invite l'esprit à cheminer ailleurs, vers d'autres sens, d'autres liens... et c'est ce qui le rend stimulant.

    Villa Emerige - 7 rue Robert Turquan, 75016-Paris. Métro Jasmin, du mercredi au samedi de 11 heures à 19 heures. Jusqu'au 5 juin.

     

  • Paul KLEE (par Régine)

    Il est toujours passionnant, parfois enthousiasmant de revenir aux sources de notre modernité. Une exposition plutôt discrète, car les média ne s'en sont pas encore emparés, offre cette possibilité. Elle se tient à l'Orangerie et réunit un peu plus d'une cinquantaine d'oeuvres de Paul Klee appartenant au grand collectionneur suisse, Ernst Beyeler, récemment décédé. Surtout, ne vous privez pas du plaisir extrême que procure la contemplation de ces oeuvres et, par ce printemps ensoleillé, s'y ajoute celui de traverser le jardin des Tuileries et de terminer la visite par une plongée dans les salles consacrées aux Nymphéas.

    L'exposition présente une sélection des étapes significatives du travail de Klee. La première réunnit quelques oeuvres des années 1914/1919, la deuxième celle de l'époque de son enseignement au Bauhaus et à l'Académie de Dusseldorf (1920-1933), la troisième, la plus importante, réunit des oeuvres plus tardives (1935-1940). Plus dramatiques, elles étaient très appréciées de E. Beyeler parce qu'elles récapitulaient, disait-il, le travail de toute une vie.

    Presque toutes de petit format, souvent peintes à l'aquarelle sur un papier contrecollé sur carton, ces oeuvres défient celles des années qui vont suivre où prédomineront l'immensité de la toile, la peinture à l'huile ou à l'acrylique. Sa postérité n'en fut pas moindre, elle est manifeste chez des artistes qui chercheront à traduire les forces fondamentales de la nature, son mystère et sa poésie. Wols ou Laubiès par exemple qui eux aussi ont privilégié le papier, l'aquarelle et le petit format. Michaux et Zao Wou Ki l'ont beaucoup regardé et assimilé. Par delà l'Atlantique on est tenté d'en rapprocher le travail de Tobey toute empreinte de délicatesse et de raffinement.

    Ni figurative, ni abstraite, ignorant la distinction entre réel et imaginaire, ces oeuvre entraînent le spectateur dans des territoires inconnus et cependant extrêmement évocateurs. J'en évoquerai quelques unes.

    Dans "La Chapelle"klee 001.JPG (Aquarelle et détrempe blanche sur papier contrecollé sur carton, 1917, 29,7 x 20,9) (photo n°1), tout un jeu de formes proche d'une écriture, orienté dans des perspectives variées, se construit à partir d'un fragile édifice qui pourrait figurer une chapelle dans le bas du cadre et s'élève jusqu'à son extrémité supérieure. S'y promènent, comme en apesanteur, lettres et pictogrammes célestes (celui de la lune, des étoiles ou du soleil). Le rapport entre cette construction ascendante et les couleurs d'une extrême délicatesse diffuse sur cette architecture onirique une lumière transparente toute empreinte de spiritualité.

    Le bleu lumineux de "Paysage du passé" klee 002.JPGde 1918 (Aquarelle et gouache sur papier contrecollé sur carton, 1918, 22,6 x 26,3) (photo n° 2), enchante les quelques arbres gouachés de blanc et le soleil jaune qui tourne dans le ciel, cercles et triangles se répondent pour entraîner le spectateur dans une rêverie éblouie.

    Quand il réalise le "Lever de la lune" klee 004.JPG(crayon et aquarelle, contrecollé sur carton, 1925, 37,4 x 27) (photo 3), Klee enseigne au Bauhaus, où il insiste notamment sur la puissance de la couleur. Cette oeuvre est comme une symphonie musicale orchestrant le lever de la lune au coeur d'une nuit profonde. Le halo n'entoure pas l'astre, il est repoussé sur les bords sous forme d'un damier ocre foncé, bleu nuit avec un accent de blanc qui agence la surface ; cette partition colorée fusionne pour former un noir, oh combien mystérieux, d'où surgit le disque jaune lumineux d'une lune ronde et majestueusement présente.

    A partir des années 1930, l'oeuvre de Klee devient plus tragique. "Diane"klee 006.JPG(huile sur toile, 80 x 60) (photo n°4) annonce un monde inconnu et menaçant. Sur un fond modulé de bleu et de vert, animé d'un semi de points noirs, la silhouette verte et ocre de la déesse, dessinée avec vigueur, s'avance menaçante, un pied sur une roue, cachant son visage et son corps derrière une cape et des vêtements qui virevoltent autour d'elle. A la partie supérieure une flèche, symbole de la chasseresse, accentue le dynamisme inexorable de l'ensemble.

    En 1938, quand il peint "Sorcières de la forêt" klee 008.JPG(Huile sur papier contrecollé sur jute, 99 x 74) (photo n° 5), Klee, installé à Berne, a fui l'Allemagne nazi et se sait condamné par une maladie incurable. D'épais traits noirs sur un fond très coloré articulent les motifs d'un univers de sorcières. Les corps désarticulés, le masque des visages menace le spectateur. Les arabesques des traits sont comme une écriture dont la liberté est proche de la folie. L'utilisation du jute accentue le côté brutal et primitif de l'ensemble.

    Enfin "Un porche"klee 010.JPG de 1939 (détrempe sur papier Ingres, contrecollée sur carton, 31,6 x 14) (photo n° 6) est une oeuvre de deuil ; entièrement grise elle est un adieu aux couleurs de la vie. Elle laisse percevoir cette porte vers l'au-delà où l'artiste va bientôt disparaître. Une forme casquée garde l'entrée d'un temple inconnu ouvrant sur le vide et sur laquelle est posé un disque blafard. Peinture totalement impressionnante qui traduit l'inconnu devant lequel se trouve confronté tout homme face à la mort.

    Toutes les oeuvres exposées ont la qualité de celles dont je viens de parler. C'est une exposition exceptionnelle et il serait dommage de rater l'occasion de voir le travail d'un artiste si rarement présenté dans notre pays.

     

    Paul KLEE (1879-1940), La collection d'Ernst Beyler - Musée de l'Orangerie, du 14 avril au 19 juillet 2010. Tous les jours (sauf mardi) de 9 h à 18 h.

     

  • Belleville (par Sylvie)

    On dit beaucoup que Paris s'endort, qu'elle devient une ville de vieux, dodelinante et couche-tôt. Le récit de nos explorations diurnes ne suffira évidemment pas à convaincre les grincheux que Paris bouge. C'est pourtant là où je veux en venir. Arpentant depuis pas mal d'années les rues de la capitale, je ne peux m'empêcher de leur trouver sans cesse de nouveaux aspects attrayants ou d'y faire des découvertes surprenantes. Rien à voir, bien sûr, avec la folle "vie  parisienne".

    Prenons  les arts plastiques par exemple puisque c'est notre sujet. Ils ont leurs quartiers: Matignon, Saint Germain des prés, le Marais sont de solides bastions. Comme le XIII ème il y a dix ans, c'est aujourd'hui Belleville qui accueille de nouveaux galeristes, souvent jeunes avec des artistes qui le sont aussi. Loyers encore modérés et espaces parfois somptueux d'anciens ateliers d'artisans en sont la cause. Nous avons rôdé dans ce quartier en devenir , nous  laissant gagner par l'atmosphère tranquille de ce coin au charme provincial du Nord Est de Paris et trouvé, non sans mal quelques fois, presque une dizaine de galeries à l'installation encore sommaire mais aux choix très contemporains. En voilà quelques unes.

    Premier arret rue Jouye-Rouve au nom étrange.La galerie n'est pas novice. Elle a muté de la rue de Malte. Jorge Pedro Nunez a un humour duchampien. Ses sculptures en roues de véloGEDC0012.JPG (photo , ou en escabeau et ses cadres à photos sans photos mais réfléchissant le spectateur sont réjouissants. Et la galeriste n'est pas blasée, elle commente et semble prendre autant de plaisir que nous. Galerie Crèvecoeur, 4 rue Jouye-Rouve, 75020,tel: 09 54 57 31 26. Jusqu'au 7 mai.

    Au même numéro une autre galerie dont la porte nous a été introuvable.Depuis notre passage manqué se tient une exposition de Ernesto Satori. Galerie Marcelle Alix, 4 rue Jouye-Rouve 75020, tel 09 50 04 16 80. Du mercredi au samedi de 14h à 19h. Jusqu'au 22 mai.

     Isabelle Cornaro expose des moulages en plâtre d'objets quotidiens posés sur planche et des films projetés sur eux, dans une réflexion sur la valeur des objets et des objets d'art. C'est à la Galerie Balicehertling, 47 rue Ramponeau, 75020. Tel 01 40 33 47 26. Jusqu'au 7 mai.

    168 Valérie Favre.jpgValérie Favre est loin d'être une inconnue. Les oeuvres sur papier sous vitrines courant tout autour de la pièce, allient différentes techniques et différents univers dans une sorte de copié-collé où communient le réel et l'imaginaire ; des images de fond et des ajouts, des figures et des retouches. Un monde mysterieux et attachant se cachant parfois derrière un motif de rideau de scène. Galerie Jocelyn Wolff, 78 rue Julien Lacroix, 75020. tel: 01 42 03 05 65. Jusqu'au 30 avril.

    La paire de sculptures pyramidales en bois et béton, comme un négatif-positif de Wilfrid Almendra nous a convaincuesGEDC0002.JPG: formes et matériaux sont de toute noblesse, à la hauteur de ce vaste espace qui fut un garage et qui a été préféré au local de la rue de Turenne. Près d'elles, des images retravaillées par Pierre Bismuth d'immeubles de Le Corbusier ...et des travaux de Nick Devereux et  Lisa  Oppenheim. Une galerie conviviale. Bugada et Cargnel (Cosmic galerie) 7-9 rue de l'Equerre, 75019. Tel :01 42 71 72 73. Du mercredi au samedi de 14h à 19h. Jusqu'au 15 mai.

    Etonnants "surplombs" que le travail de Dove Allouche: 38 dessins à la mine de plomb des forêts calcinées du Portugal. Aussi noirs et de la même facture que les épreuves photographiques dont ils sont issus. Galerie Gaudel de Stampa, 3 rue de Vaucouleurs, 75011. Tel: 01 40 21 37 38. Du mercredi au samedi de 14h30 à 19h. Jusqu'au 17 avril.

    Sous le petit écran, dans ce qui devait être auparavant la vitrine d'une boutique, les deux individus en entretien n'ont pas levé les yeux. D'après le prospectus, pas très accueillant non plus, la video était signée Kathryn Bigelow, la réalisatrice du film 'Démineurs". Nous n'en saurons rien, tant pis pour cette fois. Bien des galeristes se plaignent de la difficulté d'attirer les clients ; encore faudrait-il qu'ils fassent un effort. Celle-ci a quelques progrès à faire. Elle se dit pourtant" fondée sur le principe de la disponibilité à l'évènement".Collectif Castillo/Corrales, 65 rue Rébeval, 75019. tel:01 78 03 24 51.Du mercredi au samedi de 14h à 18h.

    Le printemps aidant nous reviendrons, il y aura sans doute encore du nouveau Et, quoiqu'il en soit ill nous restera à voir la Galerie italienne, 75 rue de la Fontaine au roi 75020. Tel: 01 49 29 07 74

     

     

     

     

  • René Guiffrey (par Sylvie)

    René Guiffrey est un artiste exigeant. Il ne cherche pas à séduire. Il oeuvre dans le blanc et la transparence, le géométrique et la superposition. Pas facile! Les oeuvres exposées actuellement à la galerie Gimpel et Müller sont l'occasion de constater encore une fois qu'une émotion peut naitre de ces abstractions où l'ego n'a pas de place et la répétition est de mise. N'ayant jamais perdu, depuis ses débuts dans les années 60, le goût de la blancheur du papier (et sa texture) Guiffrey en perpétue l'usage et poursuit avec cette non-couleur, qu'elle soit de peinture acrylique, de verre industriel ou de miroir, sa quête de l'insaisissable.

    115 Guiffrey, la mouche.jpgIl oeuvre par séries, ce qui met en lumière les variations du procédé. Le titre de la première, "La mouche" ( série de trois), acrylique et verre, 80x80 cm, 2005, pourrait trouver son origine dans la légèreté de son apparence, quelque chose de fragile et de délicat comme l'aile d'un d'insecte. Elle est constituée de carrés concentriques en fines plaques de verre transparent, cernées d'un liseret de miroir. Le carré de surface, le plus petit, est peint en blanc. Cette forme carrée et ses emboitements nous rappellent bien sûr l'Abstraction géométrique et l'Art cinétique. Elle en a la forme rassurante et silencieuse, cette carrure qui l'ancre dans le réel. Elle en a les déclinaisons internes qui fractionnent l'espace clos. Mais si tout se jouait par la couleur posée chez Albers ou Vasarely, Guiffrey laisse agir la neutralité du  materiau  qui, imprévisible, modifie le support par sa seule présence, prend relief et couleur - il devient tout à fait vert - au fil des couches, crée des lignes, accroche et subit la lumière, réfléchit le regardeur et introduit son empreinte éphémère dans l'oeuvre. La bordure de miroir prend sa part de reflets et finalement l'oeuvre, si rigoureuse dans sa construction, si ouverte dans son champ de blanc qui cerne le carré, si plate en surface et si immatérielle dans sa gamme pâle, bouscule sa propre ordonnance par les effets qu'elle suscite.

    174 Guiffrey, Blanc et débords..jpgAvec "Blanc et débords", acrylique et verre, 80x120 cm (série de deux) on comprend mieux la technique chère à Guiffrey des fixés sous verre. La peinture, appliquée au dos du matériau, apparait, par transparence, brillante et subtilement crémeuse dans un grand rectangle où s'en inscrit un autre, séparé par un vide. Dans cette échancrure elle déborde de son périmètre, festonne de façon aléatoire et se profile en ombres changeantes sur le fond selon le cheminement du regardeur, laissant voir en dessous une bande argentée qui fait passer la lumière et un double trait noir, péremptoire comme l' affirmation d'un tangible dans cet " interstice du doute" (in Bernard Privat:" René Guiffrey ou l'effroi du beau").

    175 Guiffrey, retour sur 76..jpgLa plus troublante des oeuvres exposées est pour moi "Retour sur 76". Deux trapèzes blancs, verticaux, peints sous verre,  occupent, dans un équilibre parfait, le centre de l'oeuvre et forment un carré brillant de surface et d'une blancheur lustrée qui contraste avec celle du fond. Des traits noirs, tracés à la plume, semble t'il, soulignent, prolongent, encadrent les côtés et portent en eux des notations chiffrées. Ce pourrait être un croquis d'architecte avec ses lignes fugitives, ses doublements, ses orientations flèchées. Un effet de perspective, né du décallage entre forme et lignes, entre verre et fond, entraine le regard, encouragé ici par les reflets obliques de l'éclairage, vers une fenêtre aveugle, une profondeur invisible, un espace de méditation.  

    René Guiffrey, galerie Gimpel et Müller, 12 rue Guénégaud, 75006 Paris. jusqu'au 10 avril.                           

     

     


  • JAN DIBBETS - "Horizons" (par Régine)

    Pourquoi ai-je trouvé l'exposition de Jan Dibbets, intitulée "Horizons", si belle et si stimulante ? serait-ce parce que son thème permet d'allier les contraires ? (Rien en effet n'est plus réel et en même temps plus abstrait que l'horizon") ; elle m'est apparue à la fois conceptuelle et visuelle, abstraite et figurative, minimaliste et romantique.

    Qu'est-ce que l'horizon si ce n'est cette ligne imaginaire, mais bien visible, qui sépare la terre ou la mer du ciel, qui se modifie en fonction de notre position et s'éloigne lorsqu'on s'en rapproche. Il est aussi cette convention à partir de laquelle un peintre dit "réaliste" construit la perspective et donc la profondeur de la scène qu'il veut représenter. C'est une ligne que l'on voit dans la nature, dans l'art, mais qui, comme l'équateur, n'a pas d'existence.

    En Hollande, patrie de Jan Dibbets, étrange pays où la terre et la mer sont au même niveau, sa présence est obsédante ; elle a imprégné tout l'art du XVIIème au XXème siècle, et après Ruysdaël et Mondrian, il en poursuit la quête.

    L'exposition montre deux temps de réflexion de l'artiste sur ce thème : le premier dans les années 1970, le deuxième à partir de 2005.

    La première oeuvre exposée, prémonitoire de tout ce qui va suivre, date de 1969. Intitulée "Five island trip" (photo n°1) elle se présente sous la forme d'un montage associant une carte de la Hollande avec le tracé de 6 parcours, les 6 photos prises lors de ces déplacements et une description manuscrite des trajets effectués. Ce travail est très proche de ceux réalisés à la même époque par des artistes du Land art, notamment par Richard Long auquel Dibbets s'était lié lors de son séjour à Londres au St Martin College.

    Sur chaque photo tirée en noir et blanc jan dibbets 014.JPG(photo n° 1), la mer, légèrement moutonnante, est gris foncé, le ciel est gris clair. Il s'assombrit et disparaît presque complètement sur le dernier cliché. La variation de la hauteur de la ligne d'horizon, différente sur chacune d'elle, donne le sentiment de voir la mer se soulever, redescendre, se soulever à nouveau comme le mouvement des marées, celui des vagues, comme une respiration. Bien que minimaliste dans sa forme, l'idée de l'éternel retour, si chère aux romantiques m'a semblé ici sous-jacente.

    Avec les oeuvres suivantes effectuées vers 1972/1974, Dibbets va se livrer à une série d'expérimentations autour du même sujet ; ce sont des montages de photos dans lesquels la ligne d'horizon est si malmenée que le principe même d'horizontalité s'en trouve offensé. Elle se bombe ("Dutch Mountains"), prend la forme d'une vague ("Negative mountain sea") (photo n° 2)jan dibbets 030.JPG ou, renversant terre et mer, d'un rapporteur de géomêtre ("Universe-world's platform") (photo n° 3)jan dibbets 026.JPG. En dessinant un petit schéma en bas de chaque oeuvre, qui en indique la structure formelle, l'artiste nous dit précisément comment il a organisé le montage des photos qui les compose et nous donne à voir l'image et son concept ; avec les "Comets"jan dibbets 020.JPG, (photo n° 4) la taille des photos et de leur encadrement blancs sans bords, leur agencement dans l'espace transforme l'ensemble en une fusée verte ou bleue qui s'élance vers l'infini. Cette trajectoire obtenue à partir d'innombrables horizontales est si parfaite qu'elle semble faite de carreaux de faience scellés à même le mur.

    L'horizon serait-il flexible ? Quelle étrange sensation !

    Trente ans plus tard, Dibbets va reprendre une oeuvre de 1972 : "Section aurea" pour la soumettre à d'innombrables variations ; elle est composée de deux photographies, l'une représentant la ligne d'horizon prise en étau entre ciel et terre, l'autre entre ciel et mer, accolées de manière à ce qu'elle travers les deux panneaux de façon continue.

    Avec cette nouvelle série commencée en 2005, intitulée "Land see : Horizon", l'artiste va agencer ces deux images de multiples manières. Dans la plupart des oeuvres exposées, la perturbation du spectateur naît de la variation des orientations infligées alors que l'horizon reste constamment parallèle au sol (photos 5, 6, 7)jan dibbets 022.JPGjan dibbets 025.JPGjan dibbets 035.JPG. Comme le liquide d'un récipient que l'on pencherait dans différents sens, l'horizontalité de sa ligne reste imperturbable et telle une clepsydre dont l'eau ne s'écoulerait plus, le temps semble suspendu dans un espace immuable. Cette ligne qui sépare un ciel uniformément bleu clair d'une mer bleu sombre légèrement agitée et d'une prairie verte ne creuse pas l'espace. Tout reste sur le même plan. Cela, si simple et si complexe, est bien troublant.

    Avec un  minimum de moyens et une obstination comparable à celle du peintre R. Ryman qui ne peint qu'avec la couleur blanche, Yan Dibbets, depuis plus de quarante ans, s'évertue à percer le mystère d'une ligne à la fois invisible et s'offrant au regard.

    La question qu'il me semble inlassablement poser est "Que voit-on quand on voit ?"

     

    Jan DIBBETS "Horizons", Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris - 11, Avenue du Président Wilson, 75016-Paris. 01 53 67 40 00.  Jusqu'au 2 Mai de 10h à 18h sauf lundi.

     

  • Gregory Markovic (par Sylvie)

    nuage2.jpgnuage2 Markovic.jpgCe n'est probablement pas parce que Soulages et son "outrenoir" sont à la une à la grande exposition de Beaubourg mais le fait est que le noir, de nos jours, se porte bien. Il a acquis toutes les noblesses. Voyez l'uniformité vestimentaire des foules et le col roulé obligatoire de ces messieurs. Mais là n'est pas mon propos. Parlons dessin.

    Je viens de voir l'exposition de Gregory Markovic à la Galerie Particulière. Elle m'a enchantée. Surtout le grand triptyque de 2008 dont chacun des éléments atteint 164x282 cm. Il est noir, d'un noir puissant, mat, envahissant, qui laisse entrevoir des espaces blancs, du blanc éclatant au gris sourd, se déployant en nuées. Pourquoi nous emporte t'il ainsi ? Est-ce le mouvement de ces masses vaporeuses ou la profondeur du noir? Avons-nous sous les yeux un tirage photographique ou son négatif ?

    Rien de tout cela.Gregory Markovic (né en 1972) utilise la photo comme point de départ certes, pour la mise en place de ces formes aléatoires que sont les nuages mais son objectif est un travail sur la lumière, l'espace, le vide et le silence. Son médium ? Le fusain, ce gros bâton de charbon végétal brut, réputé pour ses qualités de tendresse et de friabilité, avec lequel des milliers d'étudiants en art se sont exercés au modelé des plâtres antiques. On se rappellera que, dans sa recherche des fondus et dégradés qui a culminé avec le pointillisme, Georges Seurat, au XIX ème siècle, s'en est fait un outil de choix.

    Markovic le passe et le repasse en grands gestes horizontaux. Accrochant d'abord le grain du papier- celui-ci étant choisi parce que fragile, résistant et porteur de lumière- le fusain se fait de plus en plus couvrant, unifié et lisse avec des plages satinées, presque joyeuses dans des étendues d'une opacité inquiétante. Il y a quelque chose d'opiniâtre à vouloir ainsi tout salir, et dans quelle poussière! Le geste d'un tourmenté s'abîmant dans la noirceur du monde ?  

     Après cette addition, des soustractions au doigt, au chiffon, à la gomme, au calque, à la paille de fer, au papier de verre à la recherche d'une sorte de salut, patiemment, obstinément. A force de frottements la clarté advient. "Je creuse jusqu'à la lumière". Le noir s'enfonce, le blanc renait de la cendre après l'avoir absorbée. De sa subtilité et de sa richesse vient l'éclat. Les nébulosités prennent chair et avec elles la dynamique du mouvement. Il n'est pas sûr qu'elles  soient le résultat d'une observation  stricte ou romantique de la nature comme chez les anglais Constable ou Turner. Elles ont plus à voir avec les paysages mentaux des peintres nuagistes des années 50-60, avec la même liberté.

    Enveloppé dans le grand format l'oeil se perd, entrainé dans deux dimensions, les gouffres d'un espace sans limites et les méandres des motifs engendrés. De près, les gestes inscrits sur la surface en multiples fines griffures, horizontales ou circulaires, l'animent de façon spectaculaire comme le tramage d'une soierie et participent de la vibration ressentie lorsqu'il s'en éloigne. Rien ne s'arrête, tout flotte, tout est possible. l'imaginaire s'envole.

    Gregory Markovic "Dessins", Galerie Particulière, 16 rue du Perche, 75003. Paris. 01 48 74 28 40. Jusqu'au 28 mars 2010.

  • Claire Morgan (par Sylvie)

    05022010_001.jpgFaut-il les appeler sculptures? leur volumétrie s'y prête mais il y a tant de transparence, de légèreté et d'air qui circule entre les composants qu'on serait tenté de qualifier les oeuvres de Claire Morgan, présentées à la galerie Karsten Greve, d'univers. Des univers flottants et fragiles comme des bulles de savon coloré de grande dimension où "la perfection et le désastre fusionnent" selon l' expression de l'artiste, une jeune irlandaise née à Belfast en 1980.

    Pourquoi la perfection? parce que de près, les formes réalisées sont linéaires - parallélépipèdes, cubes, sphères; elles ont cette qualité de précision propre à la 05022010_003.jpggéométrie. Suspendues et maintenues régulièrement espacées par des fils de nylon à peine visibles, que la lumière transforme en pluie arachnéenne, leur présence a quelque chose de magique. Dans ce subtil entrelacs, les délicates pièces, plus ou moins translucides et dentelées, qui font l'étoffe des oeuvres, sont insérées ponctuellement comme des pierres précieuses aux tons parfois éblouissants: fraicheur du bleu de "The blues II" (photo 3), blancheur immaculée de "Part of the seam" (photo 1).

    Alors pourquoi le désastre? Parce que de près le spectacle révèle sa véritable 05022010_004.jpgnature, faite d' insectes ou de multiples petits morceaux du plastique le plus ordinaire - le polyéthylène des sacs poubelles ("Clearing",photo 2) - déchiquetés et assemblés. Et dans ces sortes de cages en déchets il y a toujours un animal mort ou piégé, un oiseau, un renard, des papillons... Aussi beau soit-il, le poids de ce cadavre semble d'autant plus lourd que le piège est gracile et aérien.

    Dépouillées et mysterieuses ces installations ambivalentes nous émerveillent et nous questionnent. La beauté et l'émotion m'ont gagnée devant cette combinaison silencieuse d'organique et d'inorganique qui pointe la fragilité et la brutalité du monde, le drame de l'humaine condition et l'impact de notre mode de vie sur la planète: une réflexion de moraliste et d'écologiste qui frappe par l'art rigoureux, complexe et habile, de lier la beauté du monde du vivant aux éléments les plus représentatifs de la pollution humaine.

    "Life blood" de Claire Morgan, galerie Karsten Greve, 5 rue Debelleyme, 75003 Paris. 01 42 77 19 37. Jusqu'au 25 février 2010.

  • Fauves et expressionnistes (par Régine et Sylvie)

    L'exposition "Fauves et expressionnistes" a été l'occasion d'un retour au Musée Marmottan, somptueux hôtel particulier du XIXème siècle devenu en quelque sorte "le" musée Monet de Paris.

    Malgré l'attrait que représente pour nous la peinture contemporaine, revoir, en passant, ces "Nymphéas" (1917-1919) a été un choc. Nous avions oublié à quel point Monet avait pris de la distance par rapport au réel et retenu la leçon de Turner. Et combien ce tableau,fait de  multiples traits horizontaux inscrits en all-over dans un vaste format très horizontal (100x300cm)  était abstrait et  avait pu influencer les américains dans leur désir d'espace. Jackson Pollock et Joan Mitchell ne sont pas loin.

    Mais venons en aux oeuvres expressionnistes de l'exposition temporaire. Il est toujours passionnant de revenir aux sources de la modernité. Là, elles sont représentatives du renouveau artistique en Allemagne avant la 1ère guerre mondiale regroupé autour des mouvements Die Brucke à Dresde et Der Blaue Reiter à MUnich. Bousculant les codes de la peinture, elles traduisent, en harmonies dissonantes, un réel sans fard et le Moi intérieur de l'artiste. Elles ont profondément modifié notre vision du monde.

    Une toile nous a parue esquisser cette nouvelle tendance, elle est signée Emile Nolde. "Le pont" (1910) est encore dans la thématique campagnarde chère aux impressionnistes et les roses, les violets, les jaunes et les verts se mêlent en touches enlevées et chatoyantes. Ce pourrait être du Monet, une impression figitive peinte sur le motif, avec déjà quelque chose de fiévreux avant coureur de conflit. Comme les autres membres du mouvement Die Brucke, Node évoluera vers plus de primitivisme et de couleurs fortes.

    Les yeux noirs, Jawlensky 03-02-2010 14;09;05.jpg

    Nous avons choisi trois portraits pour illustrer l'expressionnisme en ce qu'ils ont de frontal et mettent l'accent sur les yeux. La "jeune fille au chapeau rouge" (1905) d'Edvard Munch les expressionnistes 001.jpg(photo n° 2), d'un noir et rouge sur fond jaune saturés, nous fixe de son regard inquiet où passe toute l'angoisse de la destinée humaine. La rapidité de la touche semble vouloir saisir au plus prêt la détresse de l'enfant ; le quadrillage noir de sa robe l'emprisonne dans son mal-être. Avec "Les yeux noirs" (1912) Jawlensky (photo n° 1) cerne les formes d'un trait sombre. Fini le modelé, tout se joue sur le contraste des couleurs chaudes et froides. Dépourvu de tout souci naturaliste, le visage est jaune, vert, rouge, les cheveux sont bleux et la force du regard des immenses yeux noirs ne vous lâche pas. otto-dix-leonie-litho_1262732668.jpg"Léonie" (1923) d'Otto Dix (photo 3)est caricaturale. Sous son grand chapeau peu flatteur, ridiculement ornementé, et ses joues trop peintes, elle a le visage cabossé par la vie. Voilà bien la férocité de la Nouvelle Objectivité. Plusieurs autoportaits figurent dans l'exposition, tel celui de Kokoschka les expressionnistes 007.jpg(photo 4) de 1917 dont la nervosité de touches en larges virgules traduit souffrance et instabilité et sont à rapprocher de ceux, sans complaisance, de Lucian Freud. Eric Heckel, quant à lui, nous fait entrevoir Bernard Buffet.

     

    Et la nature dans tout cela? Les expressionnistes la jouent primitiviste, comme le montre le paysage tout en sauvagerie et mystère d'Adolf Erbslöh.les expressionnistes 011.jpg(photo 5) Les arbres, traités en larges éventails, dans une gamme de vert et de bleu sombres envahissent une maison mauve dont les fenêtres sont comme deux yeux apeurés.

    kees-van-dongen_1262732846.jpgAu milieu de ces oeuvres tourmentées qui renvoient à l'intériorité et à ce que Kandinsky appelle la "nécessité intérieure", le "Nu de jeune fille " (1906) de Van Dongen (photo 6) a la grâce d'une sensualité assumée. L'audace des couleurs ne fait qu'en confirmer la liberté insolente et souligner la distance qui sépare les Fauves de la douceur de l'impressionnisme d'une part et de la critique sociale et morale de l'expressionnisme de l'autre.

     

    "Fauves et expressionnistes, de Van Dongen à Otto Dix" - Musée Marmottant Monet, 2 rue Louis Boilly, 756016-Paris.  01 44 96 50 33. Tous les jours sauf lundi de 11 à 18 h. Jusqu'au 20 février.

     

     

     

     

  • Josef Nadj (par Sylvie)

    Josef Nadj, les corbeaux 23012010_006.jpgLes artistes complets sont rares. Josef Nadj en est un. Ses chorégraphies m'enchantent toujours. Les arts plastiques. l'architecture, la matière y sont mêlés comme si le corps seul n'y suffisait pas. Si vous avez vu "Paso doble" vous ne pouvez pas avoir oublié cette performance réalisée avec Miguel Barcelo.

     Allez savoir ce qui l'a le plus marqué, son père charpentier, son grand-père paysan dans sa hongrie natale ou ses études d'histoire de l'art, de théatre et de musique. Nadj n'est pas que chorégraphe même s'il dirige le Centre Chorégraphique National d'Orléans.Il est également photographe et dessinateur. Ceux qui ne connaissent pas cette part de son travail devraient filer très vite à la galerie Vieille du Temple qui en expose des exemples pour quelques jours encore. 

    Ce qui m'a le plus intéressée ? les dessins à la mine de plomb. On y voit guère de "corbeaux" malgré le titre de la série mais une nature vivante, toute frissonnante du vol de ces oiseaux. Ils passent, semble-t'il, groupés en nuage; les arbres plient, leur feuillage se brouille dans le mouvement et leur tronc compact se densifie plus encore. Tout est noir, un noir puissant, riche de valeurs et de matière, opaque ou brillant d'un reflet de lumière ou diaphane dans les turbulences. Le dessin est précis, aux traits multiples longuement travaillés en vue d'une surface lisse et pleine ou au contraire alvéolée ou ramifiée. La nature balayée, acculée, dit sa force en touffes et en mailles serrées et sa souplesse en enchevêtrements savants déliés et suaves. Il en émane une douceur et une sensualité qui va bien au delà de la simple représentation. Nadj fait corps avec son crayon: "je suis à la fois l'observateur, le pinceau, la peinture et le danseur".

    Josef Nadj, galerie Vieille du Temple, 23 rue Vieille du Temple, 75004 Paris. Jusqu'au 30 janvier 2010.

  • Boltanski au Grand Palais (par Sylvie)

    Boltanski, vue générale 014.jpgSans attendre, craignant les foules qui d'ordinaire forment une queue interminable Boltanski, mur de boites, 15012010_007-001.jpglors des grandes expositions, je suis allée au Grand Palais voir" Personnes" de Christian Boltanski.  La précipitation a parfois du bon. C'était loin d'être la bousculade. Nous verrons dans les semaines à venir si le public a eu envie de se laisser toucher par cet artiste français de renommée mondiale, né en 1944, comme il a été séduit par ses prédécesseurs de Monumenta 2008 et 2009,l'allemand Anselm Kiefer et l'américain Richard Serra. Pas si sûr.

    Passé le mur de boites métalliques, empilées et numérotées comme au crematorium, dont on ne voit pas le contenu mais seulement la magnifique façade grise et rouille, passé ce mur de secrets ou de cendres, réalisé dans les années 60/80, on pénètre au coeur de l'exposition "Personnes". Il s'agit d'une installation, d'une immersion, faite pour être vue à la nuit tombante ou tombée afin que la majesté, la finesse de la coupole disparaisse au profit d'un espace noir, anonyme et sans repaire: des vêtements multicolores, des fripes dirons-nous, sont étalés au sol en groupes quadrilatéraux bornés aux angles par des poutres verticles d'acier noir. Soutenus par des filins, des tubes de néon éclairent assez bas ces natures mortes. Toute la nef centrale est ainsi tapissée, comme une mosquée. Dans un coin, au dessus d'une gigantesque pyramide d'autres vêtements, s'active une redoutable griffe de chantier en métal rouge. Cette grosse araignée descend, empoigne une quantité des étoffes, les soulève et, d'un coup, lâche sur le monticule ses " proies" comme autant de corps de damnés. Tout cela dans un grand vacarme qui tient de battements de coeur ou de trains en mouvement. On est assourdis. "..Au Grand Palais, j'ai..(eu)..la sensation de réaliser un opéra." confie Boltanski.

    Ajoutez qu'il n'y a volontairement pas de chauffage. Il fait glacial, la lumière est froide. On grelotte physiquement et psychiquement. Il y a là tant de tragique que l'indifférence est impossible. Tout ramène à la Shoah, à la brutalité (la griffe), à l'élimination systématique et massive (accumulation et gigantisme), à l'individu perdu dans la masse (innombrables vestiges), à l'absence (vêtements vides), à la mémoire. C'est impressionnant et spectaculaire. La couleur des vêtements est subtilement choisie: au sol, les aplats terreux sont réveillés par des taches vives, comme un tableau de Poliakoff mais ils font figures de corps rigidifiés; et malgré sa polychromie, la pyramide de chiffons mous évoque un charnier. Le visiteur diurne ne peut s'empêcher d'observer la contraste entre la coupole, archétype de civilisation et ce à quoi renvoie l'exposition, la barbarie et la mort.

    On se promène entre ses plate-bandes comme dans un jardin du Moyen Age, un espace de méditation. N'empêche que ce retour sur les catastrophes de l'Histoire et sur notre inexorable finitude, fussent-elles magistralement interprêtées entre oeuvre d'art plastique et oeuvre théatrale, m'a donné la nausée. Il y a si peu d'espoir, de perspectives d'un avenir meilleur, pas d'humour; c'est absolument sans issue et s'inscrit parfaitement dans le climat d'inquiétude générale. Reste à savoir s'il faut rabâcher toujours le même discours mortifère pour tenter d'en sortir. Et que pensent les plus jeunes? Vous me direz que les artistes n'en n'ont rien à faire et que les obsessions font les meilleurs thèmes.

    Monumenta 2010, "Personnes" de Christian Boltanski au Grand Palais, avenue Winston Churchill, 75008 Paris. Tous les jours sauf mardi. Jusqu'au 21 février.