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décrypt'art - Page 17

  • James CASTLE (par Régine)

    Y aurait-il une lassitude à l'égard de l'art contemporain essentiellement tourné vers l'extérieur ou vers lui-même et un regain d'intérêt pour l'intériorité et l'authenticité d'oeuvres d'artistes indemnes de toutes connaissance artistique, analphabètes, souvent handicapés, mais animés de l'impérieuse nécessité d'exprimer leur Moi le plus profond ? Des expositions récentes pourraient le laisser penser, ainsi Judith Scott et ses cocons au Couvent des Bernardins (cf. article de Sylvie dans ce blog), Marcel Storr et ses églises et villes imaginaires au Pavillon carré de Baudouin à Ménilmontant et maintenant James Castle chez Karsten Greeve.

    Né en 1899, au fin fond de l'Idaho, dans une famille défavorisée, sourd-muet, totalement analphabète, James Castle, malgré ou à cause de tout cela a fait une oeuvre fascinante.

    Ne disposant d'aucun matériel pour travailler il a fait siens les moyens du bord. Dans la boutique de ses parents il a glané des emballages, des bouts de cartons, des vieilles publicités qu'il a utilisés comme support ; à la poste où son père opérait il a récupéré des enveloppes usagées ; avec une baguette de bois ou un bout de carton roulé il s'est fabriqué des pinceaux ; avec un mélange de suie, de salive et de papier crépon, un médium. La pauvreté et le côté usagé de ces matériaux, le petit format, la couleur généralement charbonneuse comme du fusain ou du pastel gras, parfois brune, rose ou bleue, renforcent l'authenticité, le dénuement et la solitude des sujets traités. Ils concernent essentiellement le monde qui l'entoure passé par le filtre de son regard.

    Les maisons ont la présence de visages fermés sur leur mystère. Isolées par un trait noir d'un environnement où la terre est sombre et le ciel bas et gris, leurs portes et leurs fenêtres sont toujours closes. L'une (photo 1)GEDC0022.JPG impose sa présence par un cadrage très serré et les horizontales qui la traversent. Une autre (photo 2)GEDC0017.JPG,
    précédée d'un long chemin - vers un paradis ?- dénote un grand sens de la perspective. Sens inné bien sûr que l'on retrouve dans nombre d'oeuvres, notamment celles d'intérieurs ou de greniers avec charpentes.

    Les personnages sont toujours frontaux (photo 3)GEDC0030.JPG
     même dans des espaces à trois dimensions, leurs corps souvent réduits à un rectangle, ils n'ont ni mains, ni pieds, ne sont jamais tournés les uns vers les autrse et leurs visages simplifiés à l'extrême regardent devant eux sans communication avec l'extérieur.  Solitaires et démunis ils se tiennent isolés ou groupés, dans des intérieurs minutieusement reproduits (photo 4)GEDC0040.JPG. Là, femmes, hommes, enfants, visages impassibles, sont debout côte à côte, spectateurs murés dans leur solitude et leur incapacité à communiquer.

    Deux de ces personnages emmaillotés, enterrés jusqu'aux épaules dans une cavité rose creusée dans une terre brune est un miracle de sensibilité (photo 5)GEDC0032.JPG. Ils se tiennent de face, l'un près de l'autre, le vêtement de l'un, l'homme sans doute, à motif de chevrons, l'autre (la femme ?) de rayures. De leur crâne s'échappe une nuée qui part dans la même direction. Avec le minimum l'essentiel est dit : l'attachement à la terre, la tendresse, l'isolement et l'incapacité à dire et à se parler...

    Le graphisme du chevron et de la ligne, probablement emprunté à celui des vêtements que portaient les hommes et les femmes de l'époque, devient parfois le motif principal, en couleurs, sur des enveloppes usagées (photos 6 et 7GEDC0033.JPG)GEDC0034.JPG. Chevrons à gauche, lignes au centre, croix à droite, sont organisés en trois bandes comme un drapeau. Leur signification nous échappe, mais leur beauté formelle est indéniable. Ils recouvrent également une adorable maison bleue (photo 8)  ; malgré le chemin qui mène à la porte et à ses volets clos (photo 8)GEDC0025.JPG, elle est rayonnante et le plaisir que J. Castle a dû avoir à la faire est communicatif. Un même attrait apparait encore dans le tracé des lettres sur du papier quadrillé  (photo 9)GEDC0039.JPG.

    Tout ce travail frise parfois l'abstraction comme la petite gouache où seule une forme émerge d'une terre sombre, largement griffée (photo 10)GEDC0029.JPG ; elle se dresse seule sous un ciel à la fois lumineux et plombé et semble interroger la solitude de l'homme face à l'infini. On pense à Michaux bien sûr et même à Rembrandt, à l'atmosphère qui se dégage de certains de ses petits tableaux.

    La simplicité formelle des oeuvres de J. Castle, la façon naïve dont il traite ses personnages, la matérialité du médium utilisé, obtenu sans doute par l'ajout du papier crépon, rappellent certains travaux de Dubuffet. Lui qui voulait faire table rase de tout savoir-faire et se passionnait pour le travail de non professionnels de l'art oeuvrant hors des normes artistiques, aurait probablement, s'il l'avait connu, retenu celui de J. Castel pour son Musée d'Art brut.

    Malgré la difficulté à vivre, la solitude, l'impossible communcation entre les êtres exprimés ici, cette oeuvre n'est pas triste. Grâce à son talent, James Castle a su nous livrer sa propre lecture du monde, et la force de cette auto affirmation est réjouissante. Elle nous va droit au coeur.

    James Castle exposition du 14 janvier au 17 mars - Galerie Karsten Greeve - 5, rue Debeylleme, 75003-Paris. 01 42 77 19 37. Ouvert du mardi au samedi de 10 à 19 h.

  • TADASHI KAWAMATA (par Régine)

    Une fois disparues les oeuvres de Tadashi Kawamata ne s'effacent pas facilement de la mémoire. Je me souviens encore du choc ressenti il y a 15 ans devant l'incroyable empilement de chaises d'église, sorte de tour de Babel, installé dans la Chapelle de la Salpétrière en 1997. Je peux me balader par la pensée sur l'immense passerelle en bois construite en 2001 à Evreux et qui reliait les quelques bâtiments rescapés du bombardement de cette ville pendant la guerre. Et que dire de ma stupéfaction devant le torrent de cagettes déversées depuis les toits de Mansart à la Maréchalerie de Versailles en 2008. Enfin qui n'a pas été surpris l'année dernière de découvrir, accrochés à la façade de Beaubourg, d'étranges cabanes ou nids d'oiseaux géants.

    Si vous aves vu ces oeuvres et qu'elles ont laissé en vous, comme en moi, un souvenir puissant, ou si vous ne les avez pas vues, il vous reste une dizaine de jours pour faire une expérience exceptionnelle à la Galerie Kamel Mennour.

    En pénétrant au 47 rue de la rue Saint André des Arts, vous aurez la surprise de vous engouffrer sous un plafond qui recouvre entièrement la cour
    GEDC0001.JPG. Fait de planches de toutes formes, de toutes dimensions et de toutes provenances : planches, portes, plateaux de table, lattes de plancher, fonds de placard, têtes de lit, etc..., il semble dériver à la hauteur du 1er étage (photos 1 et 2)

    GEDC0003.JPG. Le sensation d'engloutissement ne vous quittera pas durant le parcours des 3 salles de la galerie, elles aussi recouvertes à mi hauteur de cette étrange voûte (photo 3)GEDC0007.JPG.

    Cette installation modifie complètement l'espace de la cour et celui de la galerie tout en s'y intégrant parfaitement. L'agencement des morceaux de bois parait totalement aléatoire comme s'il avait été constitué par les forces de la nature(photo 4). Dans les interstices on aperçoit le ciel ou le plafond de la galerie comme si cette masse flottait au gré d'un courantGEDC0010.JPG. L'oeuvre s'intitule "Under the water" et on déambule un peu abasourdi dans cet univers qu'on ressent peu à peu comme aquatique.

    Bouleversé par le malheur qui a frappé le Japon, l'artiste a construit cette énorme accumulation statique en référence aux débris arrachés par le tsunami aux villages côtiers de son pays et qui, fragments de vies brisées, sont charriés par l'océant dérivant lentement à travers le Pacifique.

    Par l'ampleur de cette oeuvre Tadashi Kawamata nous fait physiquement prendre conscience de ce qu'ont perdu les habitants de ces régions et du désastre qui s'est abattu sur eux. On est donc face à un témoignage en hommage aux malheureux habitants des régions dévastées par le Tsunami de 2010, mais avant tout devant une magnifique oeuvre plastique proposant une expérience inattendue de l'espace.

    Galerie Kamel Mennour, 47, rue St André des Arts, 75006-Paris (01 56 24 03 63) du mardi au samedi de 11 h à 19 h - TADASHI KAWAMATA, "Under the water", jusqu'au 18 janvier.

  • JUDITH SCOTT (par Sylvie)

    Elle était sourde, muette et atteinte de trisomie. Personne n'aurait pu augurer que cette américaine, Judith Scott (1943-2005) serait un jour considérée comme l'une des grandes figures de l'Art Brut.

    Car ce n'est que dans la seconde institution pour handicapés, le Creative Growth Art Center d'Oakland (Californie) où la conduite sa soeur jumelle en 1985 qu'elle a trouvé à s'épanouir à travers la manipulation de textiles. A 40 ans passés.                                                                                                              Foin de tissages traditionnels mais une sorte d'embobinage autour d'objets choisis et assemblés, aussi hétéroclites qu'ils puissent être. Un parapluie ou un skateboard peuvent faire l'affaire. Elle en fait des cocons multicolores plus ou moins ventrus ou étoffés, dont il émane une vie presque animale par la puissance de suggestion. Oeuvres figuratives? pas vraiment, plutôt anthropomorphes ou organiques. Et telles des fétiches elles semblent détenir un secret. 

    Suspendus ou posés au sol, ces chrysalides laissent voir le minutieux, répétitif et pourtant très libre travail de confection. Chaque brin de laine, de ficelle, de cordelette ou de morceau d'étoffe trouve sa justification. La matière même des fibres et leur positionnement, l'enroulement serré ou lâche, avec des noeuds, des raccords, des effilochages, des ruptures sont, diront certains, eminemment féminins. Et de rapprocher ce travail aux frontières de l'art de celui de Louise Bourgeois ou d'Annette Messager. 

    Judith Scott 400_diapositive20-2-19845.jpgVoilà trois "cailloux" qui reflètent les couleurs de la nature, son irrégularité pourtant harmonieuse, une densité de rochers, un plein lourd de sagesse. (photo 1) dont on ne sait pourtant pas de quoi il est fait.

     Ce pourrait être un oiseau en vol, mais plutôt une carcasse d'oiseau (photo 2), un écorché blanc de chair, rouge de sang, presque gai de ces couleurs. Mais sans tête, sans plumage, avec un ventre qui, à la différence des rochers ci-dessus, semble anormalement gonflé, maladif, un plein de vide. Qui est à exorciser?

     

     Judith Scott 002 (2).jpg Judith Scott 002 (1).jpgLe jaune et le noir griffés courent le long de cette tige qui transperce une coque violette et douillette (photo 3). Allusion sexuelle ou instrument à corde?

     Cet art brut me dit que tout est possible, que la création est gouvernée par l'imaginaire, la richesse émotionnelle et une dextérité instinctive éblouissante.

    A voir absolument, et vite.

    Judith Scott "Objets secrets", au Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy, 75005, Paris. tel: 01 53 10 74 44. Jusqu'au 18 décembre.

  • MARKUS RAETZ (par Régine)

    Elégance, subtilité, magie, humour... sont les mots qui me viennent à l'esprit en pensant à l'exposition des estampes de Markus Raetz à la Bibliothèque Richelieu. C'est une exposition qui fait naître des étincelles dans la tête. Ce plaisir vient-il de l'espace de liberté que l'artiste laisse au spectateur ? Sans doute, car il n'assène aucune vérité, au contraire, il nous amène à voir la réalité de manière inédite, poétique et fait bouger nos représentations préétablies.

    J'avais découvert Markus Raetz en 2009 à l'exposition "Une image peut en cacher une autre" au Grand Palais A la fin du parcours quelques-unes de ses sculptures, jouant sur l'anamorphose, m'avaient éblouie. L'une d'elle intitulée "Crossing"GEDC0002.JPG (photo 1) présente à la Bibliothèque Richelieu, résume bien sa démarche . Il a travaillé les lettres en bronze du mot YES de telle façon qu'elles se transforment en NO quand nous tournons autour ; étrange sentiment de voir un mot évoluer comme un être vivant.

    Mais Markus Raetz n'est pas seulement sculpteur, c'est aussi un formidable dessinateur et graveur - il connait parfaitement toutes les techniques de la gravure et de la reproduction - et cette exposition en est une superbe illustration. Cet homme a la pensée au bout du crayon.

    Dans "Shatten" (ombres) par exemple GEDC0009.JPG(photo 2), une série de formes se contorsionnent avec souplesse donnant naissance à ce qui pourrait être de la fumée, un nuage, un oiseau, ou tout autre chose et enfin une pipe (clin d'oeil à "Ceci n'est pas une pipe" de Magritte). La jubilation ressentie vient du sentiment d'assister à une idée qui prend forme sous nos yeux. 

    Avec l'aquatinte "Figure masculine contemplant son ombre" GEDC0006.JPG(photo 3), un homme debout constate avec étonnement que son ombre, prenant la forme du décrochement du mur sur laquelle elle se reflète, est assise. On en est soi-même stupéfait car cette constatation toute simple nous saisit comme une révélation. Oui, Markus Raetz nous apprend à regarder et la question de la vision est au coeur de son oeuvre. On ne voit que ce que l'on veut bien voir, chacun d'entre nous a sa propre vision du monde semblent signifier l'aquatinte "Sinne I" GEDC0005.JPG(photo 4) et l'eau forte "Views" GEDC0004.JPG(photo 5). Dans la première un ruban rouge figurant la vue, sort des yeux et forme une circonvolution fermée entre le cerveau, la bouche, le nez et les oreilles d'un visage dessiné de quelques traits comme le faisait Matisse. Dans la seconde, les rayons qui sortent d'un oeil se heurtent à un cercle noir et reviennent dans l'autre oeil situé en dessous du premier. Par contre "Kluge kugel III" ou Boule intelligente III GEDC0017.JPG(photo 6) m'évoque autant l'échange entre deux intelligences que l'emprise d'un esprit sur un autre : le bras du personnage traversant le yeux de celui qui lui fait face, lui apporte en présent une boule qu'il place à la hauteur de son cerveau.
    .

    Pour ce passionné de la vision et donc des multiples aspects de la perspective, le phénomène optique de l'anamorphose est un terrain privilégié. Nous en avions déjà une belle illustration avec la sculpture Yes, mais plusieurs gravures nous en offre ici quelques exemples réjouissants. Il ne faut pas, comme avec les "Ambassadeurs" de Holbein chercher une figure dissimulée dans un coin de la représentation car Markus Raetz fait bouger l'image toute entière ; il nous invite à la faire vivre. Ainsi la trame du corps nu de la femme de "Akt" ou du visage d'Elvis Prestley dans "Nach Elvis", nous apparait tantôt en noir et blanc, tantôt en rouge et vert suivant notre propre position. "Silhouette on the promontory of nose" GEDC0013.JPG(photo 8) est à la fois un paysage et un profil.

    Enfin, d'une simple pliure horizontale sur une tôle brute découpée en forme de longue vue, il fait surgir une infinité de champs visuels et nous invite à bouger et à créer pour notre plus grand plaisir une multitude d'univers différents

    GEDC0040.JPG

    GEDC0039.JPG

    (photos 9 et 10).

    Cet artiste joue avec les mots comme avec les pièges de la perception. En voici un bon exemple avec l'héliogravure "ME/WE" GEDC0015.JPG(photo 11) ; dans un miroir il fait se refléter en WE le mot ME. Une suite de 7 aquatintes s'intitule "NO W HERE" (now here/nowhere = maintenant ici/nulle part) ; c'est une série de paysages, de lieux indéterminés tirées dans des gammes de bleu, de gris, de noir et d'ocre et dont certaines m'ont fait penser à Friedrich ou à Victor Hugo.

    Enfin, en nous montrant les différents états d'une même gravure au fil desquel un visage change, cet homme généreux nous fait participer au processus de création.

    Comme dit joliment Didier Semin dans le bel article qu'il lui a consacré "Markus Raetz a su rester en permanence le pied dans la porte de la chambre aux images pour empêcher qu'elle se referme".

     

    Markus Raetz, estampes/sculptures : exposition du 8 novembre 2011 au 12 février 2012 Bibliothèque Nationale Richelieu, 5 rue Vivienne, 75002-Paris. Ouvert du mardi au samedi de 10 à 19 h, le dimanche de 13 à 19 h. Tél : 01 53 79 59 59.

  • La Biennale de Venise (par Régine)

    GEDC0069.JPG

    Venise est une fête ! Plus on connait cette ville magique plus on a de plaisir à la retrouver. Y démarrer son séjour par un grand tour sur le vaporetto n° 2 est pour moi incontournable. Partant de la Place St Marc il descend lentement le grand canal, vous permet d'admirer à loisir les magnifiques palais qui le borde, puis remonte la lagune entre le Zattere et la Giudecca, marque l'arrêt à St Giorgio et vous dépose à votre point de départ, la Place St Marc. En complétant cete prise de contact par un petit tour au Marché du Rialto, on se sentirait presque vénitien.

    Cette fois-ci je n'étais pas venue pour Venise et ses peintres, Venise et ses églises, Venise et ses îles, mais pour Venise et sa Biennale d'art contemporain, étrangement appelée "Illuminations". Les commentaires dans la presse et les quelques interviews d'artistes m'ayant laissée sur ma faim, le besoin de m'en faire une idée personnelle m'obligea en quelque sorte à retourner dans cette ville mythique. Direction donc les Giardini et l'Arsenal.

    Devant cette accumulation d'oeuvres venues du monde entier quelques constantes me sont apparues. Les installations, les vidéos sont omniprésentes et beaucoup d'objets sont détournés de leur usage ; les photos et la peinture sont quasiment absentes et lorsqu'il y en a elles sont intégrées dans une installation. L'art actuel n'est pas introspectif, c'est l'état de notre monde et les problèmes de sociétés qui sont les thèmes récurrents. Le sexe et le corps, omniprésents il y a quelques années, n'occupent plus le devant de la scène. Finies les oeuvres intimes, toutes ces installations nécessitent de grands espaces, mais à Venise et notamment à l'Arsenal, cela ne pose pas de problème. Les oeuvres sont ainsi beaucoup plus destinées aux musées et aux espaces publiques qu'aux particuliers. Les artistes sont bavards : de nombreuses oeuvres s'accompagnent de notices explicatives, d'archives, ou exposent et commentent dans des vitrines leur processus créatif. Le problème de la pérennité de leur travail ne parait pas être un souci majeur pour les artistes. En laisser le souvenir, éventuellement par quelques traces, ou par le biais d'un catalogue leur suffirait-il ? L'utilisation du miroir, de la vapeur d'eau, de la cire, de la résine, le recours aux nouvelles technologies sont récurrents. Enfin si la mondialisation se fait sentir dans les medium utilisés et les thèmes, chaque artiste l'exprime à sa façon en fonction de sa culture propre et de son histoire personnelle.

    Entre Giardini et Arsenal, parmi l'abondance des oeuvres exposées, en voici quelques unes qui ont particulièrement retenu mon attention et qui illustrent les remarques précédentes.

    Parmi les pavillons nationaux, aux Giardini, Mike Nelson a entièrement transformé celui de la Grande Bretagne en caravansérail abandonné (photo 1)GEDC0060.JPG ; on erre dans un dédale sombre où tout est rouillé, poussiéreux, misérable. Sur des tables ou des appentis traînent des travaux inachevés, des instruments cassés. (photo 2) GEDC0057.JPGDes matelas par terre suggèrent que ces espaces ont été squattés. Reflet tragique et poignant de la misère du monde, du temps qui passe, d'une époque révolue.

    "Cristal et résistance" est le titre de l'oeuvre proliférante et délirante de Thomas Hirschhorn qui envahit le pavillon suisse. Le motif principal en est le cristal, qui, dit-il, grâce à ses multiple facettes, permet de voir les choses de différente façons. Avec cette oeuvre précaire, volontairement bricolée, faite de bric et de broc : GEDC0031.JPGbouts de verre, cristaux, papier d'argent, scotchGEDC0032.JPG, chaises tapissées de téléphones portables, vieilles télévisions, etc... (photos 3 et 4) Hirshhorn nous propose la vision d'un monde déglingué et une façon de l'interroger de manière totalement inattendue.

    Avec "Hasard" ou "Chance" de  Boltanski, qui occupe le pavillon français, un long ruban de photographies de nouveaux nés parcourt rapidement un immense échafaudageGEDC0050.JPG (photo 5) ; parfois une sonnette retentit et le ruban s'arrête sur un des bébés et son visage apparait alors sur le moniteur d'un ordinateur. Il est choisi par le "hasard" pour le bien ou pour le mal, c'est le destin qui décide. C'est une oeuvre intéressante mais il est dommage qu'un artiste de la génération des années 1970, déjà mille fois consacré, ait été choisi pour représenter notre pays. N'y aurait-il donc aucun jeune artiste vivant actuellement en France ?

    Jennifer et Guillermo Calzadilla sont les maîtres du détournement d'objet. Ils n'ont pas hésité à renverser un tank devant le pavillon américainGEDC0040.JPG (photo 6) et à installer un orgue à l'intérieur (photo 7)GEDC0042.JPG. A la place du siège de l'organiste est installé un guichet d'où on peut, avec sa carte de crédit, tirer de l'argent. Chaque fois que quelqu'un opère, l'orgue se déclence et joue un air religieux. Critique virulente, mais un peu primaire, d'un système basé sur la force et la sacralisation de l'argent.

    Dans le pavillon coréen, le miroir est utilisé de façon fascinante par Lee Yongbaek. Votre image se reflète dans 5 ou 6 d'entre eux accrochés dans la même pièce ; soudain ils explosent avec fracas et vous disparaissez dans les éclats de verre (photo 8)GEDC0064.JPG. Rassurez-vous, ce n'est qu'une vidéo, mais très bien réalisée. Ailleurs, dans une grande glace votre propre reflet se superpose à l'image du Christ qui elle-même se transforme peu à peu en celle du Bouddha.

    Peinture et video font bon ménage dans l'oeuvre du finlandais Vesa Pekka Rannikko. L'artiste s'active sur deux écrans géants ; sur l'un il tente de construire une perspective qui s'estompe rapidement, sur l'autre il recouvre inlassablement avec un rouleau enduit de blanc des dessins ou des gravures qui ne cessent de réapparaître. C'est beau, drôle et suggestif des rapports de l'un et l'autre medium.

    Dans le pavillon belge aec "Feuilleton - les 7 péchés capitaux" Angel Veigara allie astucieusement images et peinture. Sur les 7 écrans de la grande frise qui constitue l'oeuvre défilent rapidement des images puisées dans l'actualité ; un pinceau les attaque et les barbouille rapidement de couleur. La peinture se fait dans le temps des images et fait surgir une nouvelle réalité de laquelle on a du mal à s'arracher.

    Parmi les oeuvres qui prennent place dans l'immense pavillon central des Giardini, sous la surveillance d'une multitude de pigeons empaillés placés sur la charpente par Mauricio CatellanGEDC0013.JPG (photo 9) et du Tintoret dont quelques grandes toiles occupent la salle centrale, j'en citerai quelques unes qui échappent à l'air du temps. Les entrelacs infinis, faits au stylo bille de couleur sur de grandes feuilles de papier, de l'éthiopien Gedewon (photo 10) m'ont fait penser aux manuscrits irlandais du Moyen Age GEDC0011.JPGet la série des grandes tâches sérigraphiées de l'américain Christopher Wool à des planches agrandies du test du Rorschach. On découvre avec plaisir les beaux graphismes du français Guy de Cointet GEDC0026.JPG(photo 11) mort en 1983 et trop tôt oublié.

    Des explications détaillées accompagnent la série de photos de David Godblatt, africain du sud. Les portraits qu'il a fait d'anciens détenus sont accompagnés de longs textes qui racontent leurs parcoursGEDC0018.JPG (photo 12). Ce type de travail pose la question de la limite entre reportage photographique et oeuvre d'art.

    A l'arsenal, l'installation du zurichois Urs Fischer est sans doute l'une des plus spectaculaire de la Biennale. Elle représente une grande statue du XIXème, dans le style de celles qu'on trouve dans les squares. A ses pieds l'artiste, en costume cravate, se tient debout (photo 13)GEDC0101.JPG. Alentour plusieurs fauteuils de bureau sont dispersés. Tout est en cire à bougie P1010975.JPG(photo 14); ici ou là des mèches sont allumées, une grande partie de l'installation est donc fondue. Des bouts de statue ou d'objets gisent à terre. Dans la tête de l'artiste une flamme le consume de l'intérieur. Elle représente la fragilité de l'inspiration, la brillance des idées et la disparition. Le tout est une formidable métaphore du temps qui passe.


    .Avec une multitude d'armoires à glace défraîchies à peintre différentes les unes des autres, le chinois Song Dong a construit un dédale de pièces d'habitation (photo 15)

    GEDC0083.JPG. Elles entourent la structure laquée rouge d'une maison ancienne sur le toit de laquelle sont installés des casiers destinés aux pigeons (photo 16)GEDC0082.JPG. Ces oiseaux, qui occupaient des petits espaces tous semblables, ont-ils, dans un jeu infini de miroirs, étaient remplacés par des êtres humains ?

    Quant à Yuan Gong, il tente de réveiller d'énormes et inquiétants containers rouillés en en faisant échapper, à intervalle réguliers, d'immense jets de vapeur (photo 17)GEDC0125.JPG.

    De ce monde de désolation heureusement James Turell nous laisse entrevoir un petit coin de paradis. La beauté de son espace vaut bien l'heure d'attente pour y pénétrer. On y baigne dans une couleur impalpable et irréelle qu'on tente en vain de toucher. Bleue, rose, violette, elle évolue lentement et c'est un enchantementGEDC0109.JPG (photos 18 et 19).GEDC0112.JPG

    "Illumi nations", ce titre à double entrée, choisi par Brice Cuniger, directrice artistique de cette 54ème Biennale de Venise, suggérerait-il à la fois que l'art est sensé éclairer notre regard sur le monde et que chaque nation le fait de façon différente en dépit de la mondialisation ?

  • Giuseppe Gabellone (par Sylvie)

    Parallèlement à l'exposition de Xavier Veilhan, la galerie Perrotin présente les oeuvres de 2011 d'un autre artiste, italien celui-là, Giuseppe Gabellone, né en 1973, dont la subtilité du travail m'a enthousiasmée.

    A côté de son très médiatique voisin il tient parfaitement la route. La diversité de ses recherches débouche sur un mélange technique aussi bien dans les oeuvres elles-mêmes que dans leur multiplicité. On pourrait croire qu'il se disperse. Il n'en n'est rien. Le rapport sculpture, photographie, sérigraphie est perceptible au premier coup d'oeil, favorise une attention particulière et ouvre sur un univers des premiers âges, pétrifié.

    Fumo 2011 giuseppe-gabellone-21778_1.jpgDes 32 tirages numériques je signalerai en particulier Fumo, en deux couleurs sur papier, cadre verre, 172x132x5cm. Une image extrèmement composée, en strates, qui peut faire penser à la capture d'un instant, dans certaines oeuvres du land-art. Sur le fond, un sol craquelé; posés approximativement aux quatre coins, des briques; par dessus s'étalent trois volutes parallèles de fumées dont on devine à peine qu'elles s'inscrivent sur une plaque de verre posée sur ces appuis. La troisième dimension, très présente,  le contraste des matières et les ombres rendent l'image troublante, à la fois tactile et évanescente.

    Autre technique: les bas-reliefs (il y en a quatorze). Je les ai trouvé sublimes! Ils sont nés de moulages à la cire perdue de carton ondulé et retravaillés en aluminium. Approche surprenante, qui m'a parue assez nouvelle, d'un materiau- papier commun que Gabellone anoblise ainsi.

    Gabellone 0028.jpgGabellone 0029.jpgGabellone OO30.jpgA titre d'exemple, quelques gros plans de Sans titre 2011 vous feront voir la surface métallique, polie, d'une grande douceur, pas du tout uniforme dans sa couleur puisqu'elle laisse apparaitre des opacités et des brillances, des noirs et des gris changeants selon la lumière ou le déplacement du spectateur. Elle est travaillée soit en incisions linéaires dont le graphisme évoque le tracé de constellations, soit en groupes de rayures parallèles aléatoires  comme un dessin au téléphone, ou encore en véritables trous à la noirceur profonde. L'artiste  visiblement aime complexifier les textures, en tirer d'insoupçonnables effets tout en préservant l'âme du support, sa constitution. Ni le métal ni le graphisme ne font oublier les lignes, la volumétrie et la légèreté du carton, ses longues tubulures aérées et son effilochage de bordure. Processus lent et très subtil qui m'a rappelé le travail, sur papier, toile ou bois, de Jean Degottex. ( A voir chez Berthet-Aittouarès à Art Elysées du 20 au 24 octobre)

    Giuseppe Gabellone, galerie Perrotin, 76 rue de Turenne, 75003 Paris. tel: 01 42 16 79 79. Jusqu'au 15 octobre 2011.

  • Bernar Venet (par Régine)

    Cet été Bernar Venet a été présent sur tous les fronts :

    Comme sculpteur il s'est imposé à Versailles avec les deux immenses arcs symétriques encadrant, tels une mandorle, la statut équestre de Louis XIV et dont la simplicité minimale mais grandiose servait magnifiquement la majesté du lieu.

    Comme peintre : ses tabeaux de 2001 à 2011 ont été exposés à l'Hôtel des Arts de Toulon. En inscrivant en noir ou en pourpre sur des fonds de couleur saturée (jaune ou rose vifs, bleu ou or) des formules mathématiques il rendait celles-ci concrètes. Abstraction et figuration se trouvaient réunis et c'était magnifique.

    Deux autres oeuvres sont encore visibles dans le splendide parc de la propriété Caillebotte au sud de Paris devenue Centre d'art et d'expositions et où se tient jusqu'au 23 novembre la biennale de la sculpture (la ferme Ornée, 8 rue de Concy, 91330-Yerres - Tél : 01 69 48 93 93).

    Mais Bernar Venet est également dessinateur, graveur, lithographe, sérigraphe et les travaux qui en résultent sont actuellement exposés à la Galerie Pierre Alain Challier. Plus intimes, elles accompagnent des petites sculptures que le format rend précieuses.

    La liberté des lignes qu'il trace et nomme "indéterminées", leur ouverture à l'espace, leur beauté formelle, leur élégance m'ont subjuguée.

    Je retiens d'abord l'énergie et la sûreté du trait des deux de ces "lignes indéterminées" de 2005 (photos 1 et 2) GEDC0032.JPGGEDC0031.JPGexposées à droite dès l'entrée. Tracées d'un geste précis, enroulées sur elles-mêmes, elles n'ont ni commencement ni fin. Leur sensualité et leur puissance sont rendues par l'utilisation du fusain et d'un papier à fort grain, ce qui a permis à l'artiste de faire jaillir la lumière et de créer un hallo autour d'elles. En dessinant des ombres en perspective où ces lignes semblent reposer sur un sol, Venet agit en sculpteur donnant à les voir dans l'espace.

    Les arcs de la sérigraphies "97,5 arcs" (photo 3)GEDC0041.JPG ne s'achèvent pas. Ils sont en communication avec un espace beaucoup plus vaste. Leur matérialité est rendue palpable par la couleur sanguine du fusain utilisé pour leur dessin. Venet les tient fermement en équilibre sur un sol tracé en noir et sur lequel s'inscrit leurs ombres.

    En écho à la puissance de ce tracé répond l'apparente instabilité de la sculpture en acier Corten, de couleur rouille comme la sanguine, intitulée "Effondrement 216°5" (photo 4)GEDC0033.JPG. Les arcs de cercle gisent renversés sur une plaque de métal. Disposés dans un ordre aléatoire, abandonnés à eux-mêmes ils semblent être dans un équilibre provisoire. Sculpture émouvante par sa disponibilité à l'espace et à l'interprétation.

    Le lien fort que l'artiste établit entre ses oeuvres sur papier et ses sculptures est concrétisé par la réalisation de sculptures présentoirs qu'il appelle ses "originaux multiples". Le coffret sculpture-estampe présenté ici a été réalisé spécialement pour la galerie (photo 5)GEDC0038.JPG. Sur un socle renformant un tiroir contenant six gravures originales de 2011 intitulées "lignes droites/désordre", il a disposé un effondrement de lignes droites. Se trouvent ainsi réunis en un seul objet sculpture et dessins. Les lignes de ces différentes estampes (photos 6 et 7)GEDC0040.JPGGEDC0039.JPG qui pourraient faire penser à des rails de chemin de fer, entraînent le regard à vive allure vers un espace inconnu. Elles contiennent tous les possibles.

    Traversant l'espace vacant de la feuille de papier, le tracé de certaines gravures intitulées"Combinaisons aléatoires de lignes indéterminées "(photo 8)Combinaison aléatoire de lignes indéterminées, 1998, Gravure pointe sèche.JPG possède comme dans certaines oeuvres de Chillida le rythme du travail créateur, sa netteté, sa certitude et sa rigueur. Venet me semble alors plus proche du grand sculpteur basque que des artistes minimalistes tels que Kosuth ou W. Morris dont on l'a souvent rapproché.

    Je terminerai avec une petite sculpture intitulée "9 lignes obliques" de 2009 (photo 9)GEDC0044.JPG également en acier Corten. Elle est toute simple : 9 sveltes bâtons, qui m'ont fait penser à 9 fusains sanguine, scellés sur un socle du même matériau, sont réunis en un faisceau. Sa simplicité a la force et la grâce de l'évidence. Matière et forme y sont miraculeusement mariés.

    "Bernar Venet, Sculptures et estampes" - Galerie Pierre Alain Challier, 8 rue Debelleyme, 75003-Paris. Tél : 01 49 96 63 00. Jusqu'au 5 novembre 2011. 

  • Nils Udo au musée de la Poste

    Avant de plonger à nouveau dans la grisaille urbaine, profitons du plaisir offert par le Musée de la Poste: une rétrospective (1973-2010) des oeuvres de Nils Udo, un artiste allemand, souvent assimilé au Land Art. Habité par la nature, il la saisit, l'accompagne, la transforme et nous en rappelle la beauté et la fragilité. "A rendre visible l'invisible", tel est, selon lui, le sens de son travail.

    L'exposition montre clairement cette quête et la variété des médiums d'approche: installations, photos, peintures visent à glorifier la nature, à aiguiser notre regard par des mises en scène végétales ou minérales aux dimensions variables dans lesquelles des juxtapositions contrastées, des couleurs fortes et des changements d'échelle offrent une surprenante instabilité. Il suffit de quelques fleurs, pétales, feuilles, boules de neige, branches, herbes de la pampa ou sable ayant trouvé leur place par les soins de l'artiste, et les micro (ou macro)cosmes ainsi obtenus créent une nouvelle réalité pleine de  poésie. Bien que fabriquée, elle s'impose à notre regard comme une évidence naturelle. Elle garde le caractère propre du lieu où elle se situe, et introduit du merveilleux. En voici quelques exemples: (photos extraites du catalogue).

    1) Le Nid (1978) terre, pierres, bouleaux et herbe, lifochrome sur aluminium, noir et blanc, 124x124cm. 2) Le Palais des cendres, 2002, cendres volcaniques, feuilles de palmiers.Llfochrome sur aluminium, 100x145cm. 3) Radeau de fougères, 1974, plantation flottante de fougères sur radeau de bois, lac marécageux, photo noir et blanc sur papier baryté, 50x50cm. 4) Sculpture de soleil pour l'équinoxe, 1979, frêne, épicea, chène et osier, photo n.b. sur papier baryté.

    Ete 2011 Nils Udo 008 le Nid.jpg

    Ete 2011 Nils Udo 009 le Palais des cendres,2002..jpgEte 2011 Nils Udo 007 radeau de fougères.jpgNils Udo, photo Sculpture de soleil pour l'équinoxe, 1979.19-08-2011 14;10;01.jpg

     

     

     

     

     

     

     N'allez pas chercher ces lieux "manipulés". ce sont des installations ephémères que Nils Udo a détruit ou laissées se désagréger. Il n'en reste que les photographies qu'il a prises à des instants très précis et très calculés.Elles en ont la beauté et la fugacité. C'est la mémoire de l'instant, sa trace. Capter et inscrire un moment de soleil, lui réaliser un cadre qui le révèle avec autant de délicatesse ( photo 4)) m'a paru d'un savoir faire extrème pour un spectacle délectable.  

    L'exposition présente également quelques dessins préparatoires, des encres de Chine et une série de Nils Udo, huile sur toile, 1078-06, (branches)2006.19-08-2011 13;57;09.jpgpeintures à l'huile qui semblent représenter la nature  mais  la schématisent par une linéarité appuyée qui souligne les formes, leur donnant un tour biomorphe comme chez Matta ou wilfredo Lam, et des couleurs peu vraisemblables, survoltées . Il y a là quelque chose de japonisant dans ces peintures, un Japon plus proche de Murakami que du Japon traditionnel.1978/06, 2006; huile sur toile 158x136cm (photo 5)

    A ne pas manquer, le film relatant la construction d'un nid monumental qui figure, terminé, en photo (1). Rude travail, nécessitant toute une équipe, que le maniement au centimètre près de gigantesques troncs en ménageant leur équilibre, comme l'oiseau pose chaque brindille.

    "Nature. Rétrospective photographies et peintures", Nils Udo. Musée de la Poste, 34 bd de Vaugirard, 75015. Paris tel: 01 42 79 24 24. Jusqu'au 1er octobre 2011.

  • Frédéric Benrath au Monastère Royal de Brou (par Régine)

    Rien de tel qu'une rétrospective pour mesurer la force du propos et l'ampleur d'une oeuvre. L'exposition de Frédéric Benrath (décédé en 2007) au Monastère Royal de Brou en est une belle illustration. 

    Elle met en effet à jour de façon frappante son incessante recherche d'un espace ouvert, infini et insaisissable. Façon de traduire sa quête d'une transcendance et le sentiment de permanence de l'impermanence si bien décrit par Nietszche dont la pensée l'avait profondément marqué.

    Une présentation chronologique très bien pensée met en évidence les différentes étapes de son travail tout en soulignant sa cohérence. On saisit comment peu à peu l'artiste va se dégager de la représentation d'un univers tumultueux où s'affrontent des masses en mouvement parfois fortement griffées, comment plus tard les noeuds qui se débattent dans le bas de certaines toiles vont se dénouer pour laisser place au seul combat de l'ombre et de la lumière et aboutir à des tableaux d'un extrême dépouillement où la couleur atteint une lumineuse transcendance.

    Des constantes, telles que l'horizontalité, un espace se prolongeant au delà de la toile, une lumière venant de nulle part, un chromatisme sensuel et raffiné, se retrouvent dans toute son oeuvre. Le titre de ses tableaux ou de ses séries fonctionne comme le révélateur de ses affinités et de son désir d'absolu.

    Parmi la soixantaine d'oeuvres accrochées dans les belles salles voûtées du Monastère, en voici quelques unes, choisies dans les différentes époques, qui me semblent appuyer particulièrement mon propos.

    Dès l'entrée, la diagonale qui traverse "L'hommage à Ruysbroek l'admirable" GEDC0002.JPG(photo 1), une grande toile de 1959 (130 x 195), vous entraîne avec force dans le tourbillon d'une nuée rose émergeant des ténèbres et qui tente de s'échapper dans un univers qu'on imagine sans limite. Tout au long de l'exposition cette puissance d'attraction ne quittera pas le spectateur.

    La construction de la "Dédicace à C.D. Friedrich" (photo 2)BENRATH_PORTROYAL_CHARTES_0116.jpg, un petit tableau de 1964 (65 x (54) n'est pas loin de celle du "Moine au bord de la mer". Un horizon débordant le cadre partage l'espace en deux parties. Dans le bas très sombre une énergie lumineuse irradie de deux cocons pris dans des filaments bleux et jaunes, vie qui chercherait à percer alentour. Dans le haut une lumière émerge des profondeurs, unifie les ocres et les verts et les tient en équilibre sous un mince horizon noir.

    Les noeuds qui palpitent dans le bas de la série "L'exporation de l'air" se défont peu à peu pour aboutir à des oeuvres comme "Capitale de la douleur" de 1969 (photo 3)BENRATH_PORTROYAL_CHARTES_0081.jpg où, dans un mouvement ascendant, de larges stries horizontales font se chevaucher le noir, le bleu, l'ocre et le blanc. Chaque éléments est infiltré par les autres et leur partage ne se fait pas sans tumulte. Le beauté des couleurs, leurs nuances, leur raffinement et leur puissance n'est pas exempte d'une grande sensualité. Le peinture de Benrath s'adresse directement aux sens ; comment ne pas ressentir physiquement la souffrance exprimée ici !

    Puis les lignes vont se défaire pour se transformer en nuées de couleur. Dans le bas de "Sans titre" de 1978 (photo 4)BENRATH_PORTROYAL_CHARTES_0102.jpg un nuage mauve émerge d'un néant noir, se diffuse lentement, en rencontre un bleu, l'épouse et le repousse dans le noir qu'on devine dans le haut du tableau.

    P0lus tard la ligne d'horizon, au delà de laquelle la couleur se transforme, est souvent placée très haut. Plusieurs exemple de la série "Mes Archipels" sont ici présents : "Diotima" (1987) "Si par delà la distance" (1989). L'espace s'y déploie sans fin et le spectateur, pris de vertige, se laisse emporter par ces lointains indéterminés. Dans "Inséparablement disparait le jour avec la nuit" (photo 5)GEDC0005.JPG, 1991 (120 x 120) un orange rompu sort de l'ombre pour devenir peu à peu lumineux. Il se dissout dans une bande horizontale jaune aux contours incertains dont le haut s'évanouit dans un horizon gris qui lui-même disparait dans une vapeur blanche semblable à une buée. Oui la nuit et le jour sont indissolublement liés et tout n'est qu'un "éternel retour". On retrouve encore ici ce combat de l'ombre et de la lumière, dualité présente tout au long de son oeuvre.

    Puis cet horizon disparaît complètement. Il est parfois remplacé par une ligne estampée dans la couleur "Titre manquant" BENRATH_PORTROYAL_CHARTES_0096.jpg(photo 6)  1998 (120 x 120), "Saturation", 1999, (120 x 120). Tableaux qu'il voulait disait-il "libérés de toute accroche, de tout contraste, sans commencement ni fin, des flux de couleurs où circulent les sensations, où bat le coeur et où germe l'émotion". Dans le grand "diptyque" bleu et beige de 2002 (200 x 160) qui clôt l'exposition un rectangle est incisé dans le panneau de droite ; serait-ce une fenêtre ouverte vers l'invisible ?

    Comme le Musée National de Port Royal des Champs où se tient parallèlement une expositions sur les 10 dernières années du travail de F. Benrath (voir ci-dessous l'article "Benrath à Port Royal" par Sylvie), le splendide Monastère Royal de Brou, avec son église gothique, sa succession de cloîtres, ses salles voûtées où se tient cette rétrospective, exalte l'intériorité et spiritualité de cette peinture.

    Complétées par l'exposition parisienne qui se tient actuellement à la Galerie "L'Or du temps", 25 rue de l'Echaudé, 75006-Paris), espérons que cette série de manifestations de l'été 2011 autour de l'oeuvre de ce peintre exceptionnel permettra à un plus large public de le connaître et de prendre conscience de son importance.

    Frédéricd Benrath Couleurs d'infini - Monastère Royal de Brou - 63 bd de Brou - 01000-Bourg en Bresse (04 74 22 83 83). Du 18 juin au 18 septembre 2011. Ouvert tous les jours de 9 h à 18 h

  • Frédéric Benrath à Port Royal des Champs (par Sylvie)

     

    BENRATH_PORTROYAL_CHARTES_0049 (rouge Ainsi la nuit).jpgEn préambule à l'exposition de Frédéric Benrath -de son vrai nom Philippe Gérard (1930-2007) à Port Royal des Champs, trois oeuvres (huiles sur toile de 80x80cm) s'inscrivent en solitaires, au premier étage, dans l'univers muséal du XVII ème siècle fait de portraits et de scènes de la vie abbatiale. La surprise est grande mais il y a tant de dépouillement dans ces monochromes ou pseudo-monochromes impalpables que leur présence apparait comme une évidence dans ce haut-lieu de spiritualité janséniste avec lequel Benrath se sentait tant d'affinités.Ainsi la nuit ,2004 (photo 1)) titre d'un quatuor du compositeur Henri Dutilleux dont il était un fervent admirateur,se déploie en rouge frémissant, Petite suite des Hespérides (2001) et Sans titre (1999), en face, nous emportent, loin du tangible, dans une abstraction transparente, aérienne, que le format carré humanise et dont la proximité révèle en douceur les nuances et les multiples directions de la brosse.                                                                                 

     Il n'en n'a pas toujours été ainsi. Classé à se débuts dans les années 50 comme nuagiste, mouvement qui regroupa entre autres René Duvillier, René Laubiès, Marcelle Loubchansky..., Frédéric Benrath s'est peu à peu libéré des gestes nerveux et des effets lumineux  du romantisme allemand dont il était imprégné, et d'une certaine sensualité propre à l'art occidental, pour aller vers un vide actif, un espace poétique.           

    L'exposition de Port-Royal présente 23 oeuvres des dernières années (F.B. est mort accidentellement en2007),période d'épurement apaisé,tout en intériorité.                                                                                                                  P1020161 5 panneaux verticaux Benrath.JPG Au deuxième étage, dans la salle au plafond bas, au volume tassé par les poutres et le carrelage, les 5 grandes huiles sur toile verticales Sans titre,2002- 2003, 200x80cm (photo 2) aimantent le regard comme des meurtrières vers un improbable infini, sans fond, plein d'incertitude mais vibrant de couleurs et de modulations. Elles donnent une idée du constant travail de l'artiste sur la couleur et la lumière et son évolution vers le grand format. Quel jaune somptueux ! Benrath aurait'il trouvé chez le Pérugin ou Philippe de Champaigne des modèles de coloristes ?

    Benrath, diptyque Sans Titre 2002 (2) 08-05-2011 15;23;13.jpg Cet accrochage en série prépare assez bien le néophyte aux diptyques et triptyques qui suivent. La jonction réelle ou simulée par un trait perpétue le principe de répétition qui peut tout aussi bien jouer sur les antagonismes chromatiques que sur leur fusion. Benrath s'est toujours refusé à une conception a priori de ses polyptyques, chaque élément se devant d'être valable en lui-même. Il ne s'agit pas d'histoires racontées en plusieurs éléments, c'est un fait plastique qui force le spectateur à combiner différentes lectures d'un seul coup, verticale, horizontale ou d'ensemble. En quelque sorte, à faire cohabiter des contradictions. Sans titre, 2002, 200x120cm (photo 3) est un carré sur un rectangle aux valeurs proches, qui n'est pas sans rappeler les espaces colorés de Rothko et son inspiration nietzchéenne. La terre disparait au profit de la nuit - un tiers de terre et deux tiers de ciel.  Il n'y a plus seulement les jeux de la lumière sur la surface, les nuances dans la peinture et les traces de la gestuelle pour que la charge émotionnelle opère. Il y a cette rupture qui créé contraste et dissonnance. Reprise de souffle qui, comme chez Dutilleux, orchestre la mélodie par la contiguité des sections.                 Benrath, Mes hautes solitudes 2003. 16-04-2011 11;43;44.jpg                                                                                                            

    On retrouve cet élan, dans Mes hautes solitudes, 2002, huile sur toile, 200x160cm (photo 4), fusion de deux verticales grises à la recherche, semble-t-il, d'une sagesse, d'une élévation, proche de celle de Pascal et des Solitaires en ces lieux mêmes. La ligne de jonction, comme le zip de Barnett Newman, ne divise pas, elle unifie. Et les deux éléments, en ne s'opposant pas, nous procurent "un sentiment d'élargissement de l'espace et du temps". Pourquoi tant de gris chez Benrath, direz-vous? Ce sont des couleurs indéfinissables, nées de mélanges faits par le peintre, couleurs incertaines d'où émerge la lumière. " Ma quête du gris,disait-il , n'exclut nullement la sous-jacence des autres couleurs et leur effacement dans le gris originel...le gris pour nommer tout ce qui devient et tout ce qui meurt...lieu de toutes les germinations, de tous les possibles..."                                                                               

    P1020111 tryptyque horiz gris-noir-gris Benrath.JPGDe l'ensemble d' oeuvres en présence j'en signalerai une autre qui m'a particulièrement  enthousiasmée. Le Noir de l'étoile, 2004, 320x120cm (photo 5) est un large triptyque horizontal  où le noir central éclate et diffuse sa lumière bleutée sur les panneaux adjacents, à peine plus clairs. Il ne nous absorbe pas dans sa profondeur, il rayonne comme une présence dans l'absence.Oeuvre imphotographiable,hélas, il faut aller la voir pour sentir et comprendre le dépassement de l'humain que Frédéric Benrath souhaitait atteindre par sa peinture, tendue vers le sublime. Et de fait, il émane de ses oeuvres un sentiment de méditation et de recueillement qui pousse au silence, à la contemplation de ce qui pourrait bien être la puissance des éléments, les mouvements de l'âme et l'expression esthétique du spirituel.

    Frédéric Benrath et Port Royal, ses dernières oeuvres, Musée national de Port Royal des Champs - 78114 - Magny les Hameaux. 01 39 30 72 72.Tous les jours sauf le mardi, de 10h30 à 12h30 et de 14h à 18h en semaine et de 10h30 à 18h le week-end. Jusqu'au 21 août 2011.