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décrypt'art - Page 22

  • Champion Métadier (par Régine)

    metadier01.jpgCe serait se priver d'un grand plaisir en omettant de passer rue Quincampoix, à la galerie Catherine Putman, qui expose, jusqu'au 8 novembre, les oeuvres de Champion Métadier.

    La liberté des formes suspendues au centre de la feuille blanche, leurs couleurs éclatantes sont jubilatoires. Leur biomorphisme nous ramène aux origines de l'espèce, leur aspect ludique et coloré à l'enfance. Elles invitent à la rêverie, aux rapprochements savants, aux associations libres. Un grand plaisir pour les sens et l'intellect.

    Un résultat qui provient en grande partie de la façon de procéder de l'artiste : elle a su mettre au point un medium et une technique adaptées à son propos ; bel exemple de la rencontre heureuse de la matière et de l'esprit.

    Cette série s'appelle "Shellacs", nom emprunté à une résine naturelle dérivée d'excrétions d'insectes vivant dans les arbres. A ce matériau Champion Métadier ajoute des pigments purs. Elle dépose le mélange sur le papier posé à plat, puis le manipule juqu'à faire apparaître une forme qui lui convienne et qui commandera les suivantes. Ainsi un hasard extrêmement maîtrisé préside-t-il à leurs superpositions, emboîtements, juxtapositions ; leurs couleurs ont un éclat, un rayonnement que l'on pourrait qualifier de cathodique tant le fond du papier les rend luminescentes.

    Métadier 2.JPGLes 10 oeuvres exposées au dessus du bureau, face à l'entrée, est une ode à la couleur et à l'imaginaire. Beauté de l'alliance du jaune et du bleu, du vert et du violet, du rouge et de l'orange, du bleu et du noir ; gaîté et inventivité des formes, leur puissance érotique... On se plait à envisager ici une fleur ou un coquillage, là un jouet ou une silhouette féminine toute auréolée d'orange, là encore une amibe ou un être pieds par dessus tête...Les couleurs réagissent entre elles comme si elles étaient vivantes. Tantôt brillantes, tantôt mates, leurs rencontres créent des irisations, des superpositions, des effets d'épaisseur, de grains et de transparence.shellac.jpg

    Autant de figures qui semblent contenir des possibilités infinies de transformation "tels des organismes volatils qui se seraient formés un moment par arrêt sur image avant de disparaître" (Anne Hindry, Art press, oct. 2008, pp.50-52). Elles donnent  le sentiment que naissance et disparition sont intimement liés.

    L'univers de Champion Métadier, qui vit entre Paris et New York est très ancré dans le temps présent. La vitalité, la créativité, l'évolution incessante dont ces villes sont l'objet l'inspirent inévitablement. Elle dit puiser dans le répertoire des images médiatiques qui sollicitent sans cesse notre regard. Elle fait par exemple allusion aux "flyers", sorte de cartes postales publicitaires aux couleurs agressives que l'on distribue partout et qui finissent par voltiger sur le sol new-yorkais, aux nouvelles technologies, aux images virtuelles, à la création en 3 D, au monde des écrans.

    Ce travail s'inscrit aussi dans l'histoire de la peinture. Sa façon de laisser la part belle au hasard fait bien sûr penser aux surréalistes, au biomorphisme de Tanguy, de Arp ou de Miro, cette construction par la couleur à Matisse, ces gros plans et ces contrastes colorés de motifs qui pourraient être végétaux ou vulvaires à la Georgia O'Keefe et le fait de puiser dans l'air du temps et d'en utiliser le chromatisme au pop'art.

    Elle-même se dit en accord avec Fernand Léger par son répertoire de formes simplifiées, son implication dans son époque, sa fascination pour la modernité.

    Vous vous direz que Champion pour un prénom  ce n'est pas courant et qu'il vaut mieux pouvoir l'assumer. Et bien Champion Métadier est une femme, son prénom est Isabelle. On aimerait bien savoir si ne pas l'indiquer est un parti pris de féminisme ou une simplification.

    Galerie Catherine Putman, 40 rue Quncampoix, 75004-Paris, 1er étage. Ouvert de 14 h à 19 h du mardi au samedi. Tél 01 45 55 23 06. Jusqu'au 8 novembre.

  • Jean-Marc Bustamante (par Sylvie)

    Bustamante 006.jpg Jean-Marc Bustamante est à l'honneur à la galerie Thaddaeus Ropac, jusqu'au 16 octobre, avec des sérigraphies sur plexiglass aux couleurs claquantes dans de très grands formats comme il en a l'habitude. Personne, à la galerie,  n'a pu me donner le sens du titre de l'expo "La Chambre des Saintes". Dommage!

    Cet artiste polyvalent, né en 1952 à Toulouse, à la fois photographe, sculpteur, dessinateur, peintre, utilisant des Bustamante 008.jpgmédiums et des techniques diverses, nous avait surpris au début des années 90 par de gigantesques photos de cyprès alignés, formant rideau et rendus presque artificiels par leur densité et leur vision frontale. Paysages, certes, mais frontières envahissantes et énigmatiques.

    Les oeuvres présentées cette fois restent liées à la nature, mais une nature transposée, interprétée, entre figuration et abstraction. La technique en est la sérigraphie et le support du plexi épais monté sur pièces métalliques à distance du mur.  Ce qui n'est pas sans rappeler la notion d'obstacle, de frontière. D'ailleurs un paravent de plexi, lui aussi sérigraphié, obstrue l'entrée. Quant au sofa central, il est habillé de tissu, reprenant le motif Bustamante 003.jpgrépétitif de fond de la série, qui figure en papier peint tout autour de la pièce et en tramage dans chaque oeuvre. Peu importe ce que chacun y voit, vagues de la mer, vibrations de l'air ou simples trainées de couleur, on le retrouve partout. La relation qu'il créé entre les différentes oeuvres, nous conduit à une amusante gymnastique visuelle et mentale, à des allers-retour de l'une à l'autre. L'artiste a investi l'espace dans sa totalité et veut visiblement nous faire participer.

    Et la gymnastique ne s'arrête pas là. Elle implique un va et vient entre fond et formes. La qualité des images ci-dessus vous empêchera sans doute de voir nettement les horizontales irrégulières grises du papier peint, d'autant plus qu'elles sont en partie occultées par celles, imprimées en sérigraphie, qui les recouvrent partiellement. En revanche, vous comprendrez comment elles se laissent voir dans les interstices et comment  les couleurs peuvent se projetter en ombre sur le fond, à quelques centimètres derrière elles. Dans le jeu des pleins et des vides, des transparences, des opacités, et des contrastes colorés s'ajoutent les reflets des  visiteurs et du lieu sur la brillance du plexi. Le brouillage est savant et miroitant et, finalement la frontière perméable.

    De chacun des tableaux émergent des formes, plutôt organiques, de fleurs, de feuillage, de branches  donnant une vision rigidifiée de la nature, comme un travail d'entomologiste ayant épinglé ses papillons. Les couleurs, complémentaires, rappellent les découpages de Matisse, avec une fraicheur comparable, mais une agitation de surface plus ludique et beaucoup moins sereine, me semble-t'il.

    Jean-Marc Bustamante, "La chambre des Saintes", galerie Thaddaeus Ropac, 7 rue Debelleyme, 75003, Paris. 01 42 72 61 66. Jusqu'au 16 octobre.

     

  • Tatiana Trouvé (par Régine)

    Je connaissais le nom de Tatiana Trouvé, peu son oeuvre. Exposé à Beaubourg après avoir obtenu le prix Marcel Duchamp, c'était l'occasion d'en approcher le travail qui, je l'avoue, me laisse perplexe.

    Je regarde, j'essaye de comprendre, je m'amuse un peu, mais... quel est le propos qui sous-tend cet ensemble d'espaces manipulés, de dessins souvent très noirs et d'objet en fonte disséminés sur le sol. Quel en est le fil conducteur ?

    Je m'acharne à examiner de près.

    Deux installations introduisent et ferment l'exposition. Dans la première, dès le couloir qui mène à l'espace 315, on est invité à se tordre le cou pour voir sur la gauche, derrière une vitre, des bonbonnes de gaz de différentes tailles, posées sur un plancher mouillé et reliées au plafond par de fins tuyaux ainsi qu'une porte entrouverte. Que s'est-il passé dans ce lieu ? un incendie, une inondation ? On entre à l'intérieur et une autre vitre est ménagée dans le mur pour apercevoir l'envers de ce décor et les visiteurs qui arrivent. Où veut-on en venir ?

    Pour la deuxième, le fond de la salle d'exposition a été restructuré par l'adjonction de deux petits murs à angle droit de 1,20 m de hauteur chacun percé de trois portes fenêtres très basses. Je me mets donc à quatre pattes, et aperçois au bout d'un long couloir la personne qui m'accompagne. Mais comment cela est-il possible puisqu'elle se trouve, également à 4 pattes, devant les trois petites portes vitrées, à 90° sur ma gauche et que le mur du fond est fermé ? Ma logique vacille, mais je finis par saisir que l'intersection des trois couloirs est dotée de miroirs qui, non seulement procurent une impression de profondeur, mais courbent l'espace à angle droit. Rétrospectivement je comprends que la première installation fonctionne selon le même principe.

    Une grille métallique noire scinde la salle d'exposition en deux Sur les murs sont accrochés de nombreux dessins, très beaux, très dépouillés, très noirs. Ils représentent des chambres, des ateliers, des bureaux où dedans et dehors s'entremêlent. Ils sont dans l'ensemble d'une grande profondeur de champ. Certaines formes sont tracées à la mine de plomb, d'autres, découpées dans du papier métallique, apparaissent et disparaissent tels des fantômes, au grès de nos déplacements.

    Quel est la fonction des objets en fonte posés par terre ? Une corde se dresse figée dans l'espace figurant, on s'en doute, le temps arrêté.

    Aux deux extrémités de la pièce, par un trou dans le mur, s'écoule de façon continue une poussière noire et brillante formant deux tas qui ne cessent de grossir.

    Tout cela est un peu provoquant et ne manque pas d'humour, mais quel en est le sens ?

    L'exposition s'appelle "4 beetween 3 and 2". Elle fait donc référence à une quatrième dimension qui s'insèrerait entre la deuxième, celle des dessins, et la troisième, celle des objets.

    En effet, l'espace de la série des dessins à la mine de plomb et au crayon, intitulés "Remanence" est changeant, sa réalité nous échappe, extérieur et intérieur se mêlent comme dans le souvenir et le rêve ; les objets, disséminés sur le sol, d'ailleurs souvent repris dans les dessins, ne sont pas identifiables, ils peuvent être ceci ou cela. Les installations instaurent le doute sur ce qu'on voit. A suivre l'artiste, la réponse à notre interrogation est à trouver dans l'expérimentation.

    Pour elle cette quatrième dimension est le temps et c'est dans le jeu des dimensions, des échelles, des perspectives, des correspondances entre les divers éléments de l'exposition qu'il s'insère et qu'elle tente de nous rendre sensible.

    Ce n'est pas tant pensai-je la durée qui, elle, est symbolisée par la poussière noire qui s'écoule et qui finira eput-être par recouvrir l'exposition, que le temps du rêve et du souvenir, celui où les objets ont perdu leur utilisé, où les lieux sont des non lieux, où les personnes sont inatteignables. C'est celui que Marcel Proust a tenté de capter par l'écriture et que l'artiste essaye ici de nous faire toucher du doigt.

    Un tel travail n'a rien de séduisant, ce n'est pas sur ce registre que Tatiana Trouvé joue, il est minimal et intellectuel, mais il ouvre un territoire virtuel au coeur même du visible. L'essentiel se déroule sur un autre plan que celui qui compose nos systèmes de références ordinaires, sur un autre plan que ce qui est donné à la perception.

    Morale de cette histoire : Pas de découragement ! L'oeuvre de Tatiana Trouvé pose simplement de façon contemporaine la question qui est au coeur de toute oeuvre d'art, celle de l'espace et du temps.

    P.S. Aucune photo n'accompagne ce texte car à Beaubourg elles sont interdites. Il ne vous reste plus qu'à aller vous rendre compte sur place.

    Centre Pompidou. ESpace 315, Niveau 1. Tous les jour sauf mardi de 11 h à 21 h. Jusqu'au 29 septembre.

  • Nils Udo (par Sylvie)

    P1000191.JPGP1000197.JPGAvec Nils Udo nous finissons en beauté notre dernier tour des galeries avant les vacances.

    Oui, Nils Udo (né à Lauf en Allemagne en 1937), dont nous connaissions depuis les années 70 les interventions éphémères dans le paysage, prises en photos par lui-même aux couleurs et aux cadrages soigneusement choisis. Un travail  plein de sensibilité sur la gamme étonnamment large des couleurs de la nature au fil des saisons, un regard de promeneur et d'artiste, une approche d'écologiste dénonçant indirectement la société.

    Rassemblant matériaux trouvés sur place ou en ajoutant d'étrangers par contraste, il nous a donné à voir un témoignage à la fois des richesses de la végétation et des possibilités de reconstruction des volumes et de l'espace. Avec les autres artistes du Land Art, il a mis le doigt sur l'incertitude des genres en art contemporain.

    Son côté fusionnel avec la nature, on le retrouve dans cette exposition  à la galerie Pierre-Alain Challier qui présente ses dernières peintures à l'huile, un retour à sa première technique.

    Avec le même intérêt pour le détail Nils Udo peint des gros plans comme s'il voulait nous révéler quelque chose qui nous aurait échappé : des troncs d'arbres, des branches, du feuillage, la ferme verticalité des uns, la savante constitution des autres ou simplement la délicatesse des formes et des couleurs. Il les saisit au pinceau frontalement comme en photo. Par la combinatoire sulbtile du froid-chaud des couleurs, leur légèreté ponctuelle - presque une transparence - sur des contours appuyés, j'ai cru toucher les textures contrastées et l'équilibre fragile de la végétation.

    Ici (photo 1) sur des branches au tracé résolu et aux couleurs automnales s'épanouit en un bouquet de petites touches traversées de lumière un très léger feuillage d'or. Il y a de la nostalgie dans ce feuillage dont on devine la chute prochaine.

    Là (photo 2), l'esquisse en larges traits oranges d'un fût au cadrage serré avec ses rameaux naissants se superpose à un lointain de forêt vert tendre : vision d'ensemble qui fonctionne comme l'oeil, capable de saisir l'un et le tout et les prémisses d'un printemps dans l'acidité tonale.

    Aux amateurs de paysages signalons également l'exposition "Landscope", qui se termine à la même date, à la galerie Thaddeus Ropac. Parmi les travaux des dix-neufs artistes réunis autour de la notion de paysage mon coup de coeur est allé aux deux oeuvres  en noir et blanc de Didier Rittener et Ugo Rondinone.

     

    Nils Udo, Galerie Pierre-Alain Challier, 8 rue Debelleyme, 75003 (01 49 96 63 00).  Jusqu'au 2 Août.

    Landscope, Galerie Thaddeus Ropac, 7, rue Debelleyme, 75003-Paris. (06 17 31 16 05). Jusqu'au 26 juillet.

  • André MARFAING (par Régine)

    Deux Galeries de la rue de Seine exposent actuellement les oeuvres des 15 dernières années du peintre André Marfaing, né en 1925 et décédé en 1987. Ne les ratez pas ! D'ailleurs, si vous passez dans la rue, vous résisterez difficilement à la tentation de rentrer tant, apercue depuis la rue, cette peinture s'impose avec force.

    L'éternel jeu de l'ombre et de la clarté (de la nuit et du jour, du vide et du plein, de bien et du mal, de l'absence et de la présence) qui, depuis l'origine fascine l'esprit humain, est peut-être ce qui retient le spectateur avec une telle force.

    Deux couleurs qui s'affrontent pour faire jaillir la lumière : le noir et le blanc, mais pas n'importe quel noir : lisse, brillant, mat, épais, toujours somptueux ; pas n'importe quel blanc : éclatant, ivoirien, crémeux, toujours éblouissant.

    Avec ces deux couleurs, et parfois un peu de brun ou de gris, et des coups de pinceaux que l'on imagine énergiques et précis, Marfaing construit ses tableaux. Il organise les plans, construit les affrontements, ordonnent les formes, sorte d'écriture dans l'espace dont l'énergie continue et maîtrisée provoque une explosion dans le regard.

    Parmi les constructions très variées de ses toiles on repère quelques constantes :

    marfaing 1.jpgParfois, comme dans l'oeuvre reproduite ici, un pont est jeté entre deux rives. A droite une large plage noire découvre le haut de la toile, tandis qu'une bande étroite occulte l'autre côté. Une écriture hâtive, énergique, très sûre relie les deux bords, ancrée à droite par un épaississement de la matière, comme une suture. Ce noir puissant fait flamboyer un blanc immaculé. La lumière claque de toute part. Blanc et noir se font tour à tour fond et forme ; le blanc n'est pas le lieu où s'absente la peinture, il réagit, il vibre.

    marfaing 3.jpgParfois la plage de noir occupe les deux tiers du tableau, en occulte le haut et se brise dans le blanc en un graphisme fougueux qui déchiquette l'espace (photo).

    Marfaing 6.jpgParfois encore la lumière doit se frayer un passage étroit entre deux grandes zones d'ombre. Elle les écarte comme le ferait une lame d'acier brillante, cassure étincelante qui s'ouvre sur l'infini (photo). Ainsi, même lorsque la lumière est occultée par le noir elle est néanmoins triomphante.

    On a souvent rapproché Marfaing de Soulages - ils s'appréciaient d'ailleurs mutuellement - mais leur démarche me semble différente. Soulages, sensibles à la matière des choses, travaille la peinture de façon à capter la lumière et à dialoguer avec l'espace. C'est la texture de la surface et la manière dont la lumière s'y décompose qui l'intéresse. Marfaing fait jaillir la lumière d'un parcours, d'une succession de gestes. Ce n'est pas le tableau comme objet qui le préoccupe, mais plutôt l'acte créateur lui-même et en regardant ses oeuvres, je ne peux m'empêcher de penser à ce passage de la genèse, où il est dit que Dieux créa la lumière en séparant le jour de la nuit.

    "Marfaing remonte dans le temps et il va très loin, jusqu'aux premières heures de la création, jusqu'aux moments où les chose n'existaient encore qu'en tant que tensions" disait le critique Imre Pane.

    Hormis ce conflit ombre/lumière, il se dégage de ces toiles une vitalité, une énergie communicative qui confirme notre propos.

     Galerie Berthet-Aittouarès, 29 rue de Seine, 75006-Paris (01 43 26 53 09). Galerie Protée, 38 rue de Seine, 75006-Paris (01 43 25 21 95) Ouvert du mardi au samedi de 11 h à 13 h et de 14 h 30 à 19 h. Jusqu'au 28 juin 2008.

     

  • Antony Gormley (par Sylvie)

    995915741.JPG49232375.JPGElles sont tellement transparentes que l'on croirait des aquarelles, entre sanguines, sépias ou quelques encres fluides. Elles font voir des corps, "le" corps humain dans sa notion la plus générale, plus hommes que femmes, qui se déploient dans l'espace. Ils ne volent pas bien que sans appui mais quelque soit leur position, ils font comprendre la forme et rendent compte du lien entre l'homme et l'univers, l'harmonie entre eux. Antony Gormley est un sculpteur britannique, né en 1950, plus préoccupé du corps comme lieu que comme objet. Ses dessins l'attestent

    Peu de lignes dans ces petits formats, si ce n'est les contours, d'une graphie extrèmement fine, mais des taches qui modèlent les volumes. Et ce qui donne à ces oeuvres un caractère unique ce sont les substances utilisées provenant du corps ou de la terre. Le café, la chicorée, le sang, le noir de fumée, la caséine, l'huile, le lait, le sperme... révèlent  des propriétés bien à elles et réagissent selon la texture et la porosité des supports souvent fabriqués par l'artiste lui-même. 

    Un grand plaisir très subtil. A voir vite, l'exposition se termine bientôt.

    Antony Gormley " Dessins de 1981 à 2001 ". galerie Thaddeus Ropac, 7 rue Debelleyme, 75003, Paris. Du mardi au samedi de 10h à 19h, jusqu'au 7 juin 2008. 

  • Philippe Hélénon (par Régine)

    Dans la très animée rue Vieille du Temple, au numéro 23, une agréable galerie du même nom expose un artiste discret, très attachant et pourtant trop peu connu.

    La mode, Philippe Hélénon n'en a que faire. Ici vous ne verrez ni photos, ni installations, ni vidéos, mais de la vraie peinture.

    Pour s'exprimer l'artiste préfère le papier à la toile (une seule est ici présentée), le petit format au grand, comme s'il voulait resserrer au maximum son propos. Le regard qu'il porte sur le monde n'est pas tranquille mais intense. Avec le médium qu'il élabore lui-même, fait de gouache, de pastel écrasé, d'encres dilués, il obtient des noirs profonds percés d'éclats de lumière qui semblent sourdre des profondeurs de l'être et de la terre. Pour peindre il part de la réalité, mais non sans la déformer,  en accentuer certains aspects, en isoler d'autres et en donner parfois une représentation totalement abstraite. Le papier qu'il utilise est souvent marqué d'un pli en son centre, comme si la page peinte avait été extraite d'un livre ; c'est une lecture du monde qu'il nous propose. Ses sujets sont variés : portraits, objets, paysages et exercent sur le regardeur une étrange puissance.

    1667238061.jpgDes visages déformés, inquiétants, tourmentés surgissent d'accidents de la matière pour exprimer une intranquillité fondamentale et la difficulté d'exister. Agrégats de tâches claires et sombres ils occupent toute la page ou émergent d'un fond opaque et ne vous lâchent pas.

    Même masacrée/La face humaine/Est encore un visage/Humain/Sa ressemblance/Fait peur

    dit Bernard Noël dans "Quel est ce visage", un livre qui vient de paraître aux Editions Fata Morgana et consacré aux portraits de Philippe Hélénon.

    616591997.jpgLes objets qui lui donnent à rêver et qu'il peint sans relâche sont forgés de main d'homme (faucille, couteau, clou, lame) ou travaillés par la nature (ardoise, noeud de bois, graines). Sensibles aux correspondances entre les choses, les représentations qu'il en fait donnent lieu à des interprétations diverses : telle hache forgée par son grand-père pourrait être une palme ou un éventail, telle crosse un boomerang, telle lame un épi ou une bouteille effilée ou encore telle ardoise trouée un visage humain.

    1855625901.jpgGénéralement partagés en deux parties, la terre et le ciel, ses paysages sont réduits à l'essentiel : Dans celui représenté ici, l'humus noir plonge ses racines dans un milieu humide et lumineux tandis que le blanc du ciel occulte un gris sous-jacent. De petites diagonales viennent rompre son horizontalité  : formes humaines, végétales ou animales, on ne sait, qui nous rappellent que le monde n'est pas univoque.

    A la douceur de l'Ile de France Philippe Hélénon préfère, semble-t-il, les chemins de bergers, les pentes rocailleuses et désertes des Pyrénées où il passe souvent ses vacances dans la maison de son grand-père ou les landes arides et les côtés déchiquetées d'Irlance.

    Une oeuvre forte et extrêmement personnelle à découvrir.

    Galerie Vieille du Temple - 23, rue Vieille du Temple, 75003-Paris (Tél : 01 40 29 97 52) Du mardi au vendredi de 14 h à 19 h. Samedi de 14 h 30 à 19 h 30. Jusqu'au 31 mai

     

                                                                     

     

     

     

  • Sophie CALLE à la B.N. (par Régine)

    1735975853.jpgNon seulement Sophie Calle a du talent, mais elle a un culot qui laisse pantois. Solliciter la réaction de 107 femmes, choisies pour leur métier et leur renommée, à la lettre de rupture de son amant se terminant par "Portez-vous bien", rendre public ce texte et les réponses, orchestrer et mettre en scène l'ensemble, il n'y a qu'elle pour avoir cette audace et c'est magnifiquement réussi.

    Après Venise où cette oeuvre a été montrée pour représenter la France à la dernière biennale, l'artiste investit la prestigieuse salle Labrouste de la Bibliothèque Nationale et recrute (par petite annonce dit-elle) Daniel Buren pour orchestrer le tout.

    La visite de cette exposition procure bien des plaisirs : outre celui de revoir cette salle enfin de nouveau ouverte au public, celui d'être ébloui par la mise en scène, de jubiler devant l'intelligence et la complexité du propos. L'installation, en s'adaptant à la hauteur, à la rotondité, aux différents niveaux de la salle, l'exprime visuellement.

    Sur les rambardes des balcons sont accrochés des panneaux où sont retranscrites les réponses adressées à Sophie Calle et les photographies de leurs auteurs, souvent célèbres ; juste au dessous, sur des pupitres, des classeurs reprennent ces textes afin de les rendre plus accessibles aux visiteurs. Entre les mains de toutes ces femmes le mail (puisque c'est sous cette forme que la rupture a été formulée) est passé au crible ; il est décortiqué sur le plan juridique, phonétique, psychanalytique, linguistique, intertextuel et même talmudique par les plus grandes spécialistes de la question. Il fait aussi l'objet de ripostes et de manipulations diverses : textes littéraires, cocotte en papier, transcription en langage SMS, écriture cruciverbiste, sténographique et j'en passe.

    En bas et au centre, sur les tables de travail, des écrans vidéo, installés ici ou là, projettent des artistes français ou étrangers, lisant en boucle et sous des formes infiniment variées la fameuse lettre de rupture. Ici c'est Natahlie Desay qui la chante façon lyrique, là une chanteuse de fado façon tragique, là encore une pop façon rythmique ; plus loin c'est une femme clown qui s'en moque, des actrices de nationalités différentes qui la disent dans leur langue sur tous les tons possibles.

    Au fond de la salle épousant la forme d'une des alvéoles du plafond et dominant l'ensemble, une vidéo laisse défiler le film de femmes lisant la lettre dans tous les langages possibles.

    Au  cours de sa visite, le spectateur est assailli de questions : ce mail a-t-il été réellement écrit par son amant ou Sophie Calle l'a-t-elle rédigé de toute pièce ? Daniel Buren a-t-il été  recruté par petite annonce, ou a-t-il été délibérement choisi pour son talent ?  Dérision que tout cela, le plaisir est dans l'interrogation, non dans la réponse.

    Certes, l'immense choeur de femmes qui, depuis les entrailles de la bibliothèque, répète inlassablement le même texte donnant corps à cette profusion de réactions et de commentaires qui entourent la salle, met en scène et rejoue devant nous la guerre des sexes, mais cet excès ne se retourne-t-il pas avec ironie contre le féminisme de leurs auteurs ?

    C'est dans ce perpétuel va et vient entre une question et les réponses que réside la richesse de cette installation. En utilisant le comique de répétition, l'artiste joue à merveille de la dérision de la dérision.

    Oui, Sophie Calle "a pris soin de nous".

    Bibliothèque Nationale de France - Site Richelieu, 58 rue de Richelieu, 75002-Paris (Métro Bourse). 01 53 79 53 79. Fermé les jours fériés. Sophie Calle "Prenez soin de vous", juqu'au 8 juin (Salle Labrouse).

     

  • Pierre Buraglio rive gauche, rive droite (par Régine)

    518793109.jpgLe cours de la Seine qui sépare les deux galeries exposant actuellement Pierre Buraglio pourrait figurer le changement et la continuité qui sous-tend tout le travail de cet artiste.

    La Galerie Jean Fournier présente une vision rétrospective des oeuvres effectuées entre 1966 et 1997, essentiellement des travaux de manipulation de matériaux récupérés : agrafages, assemblages, masquages pleins ou vides, fenêtres... Peinture et dessin reprennent leurs droits dans la sélection de Marwan Hoss qui couvrent la période 1997-2007.

    Dans la diversité de ce travail, on retrouve un même sens du rythme, de la couleur, de l'espace créé entre le monde extérieur et l'oeuvre, cette façon bien particulière de solliciter le regardeur et d'appréhender le temps.

    En voici quelques exemples puisés d'abord chez Jean Fournier :

    Pour réaliser "Masquages plein" de 1980 (64,5 x 49,5 cm) (photo 1), l'artiste a récupéré des bandes de masquage utilisées dans les ateliers de peinture automobile ; il les a contrecollées, en une pluie de diagonales sur une plaque d'altuglass dont la transprence élimine le fond et rend l'espace actif et mouvant. La scansion des bandes beiges maculées de jaune ou de noir (comme les dièses du clavier d'un piano) insuffle un rythme puissant à la composition et redonne à ces déchets promis à la poubelle une vitalité qui déborde le cadre.

    1787850604.jpg"L'assemblage de paquets de gauloises" de 1982 (47,5 x 52 cm), (photo n° 2), est constitué d'emballages de cigarettes vides bleus et verts, de papier noir, de bandes de masquage et de signalisation. Ils ont été dépliés, défroissés et assemblés par des agraffes, de la colle ou d'autres moyens, morceaux d'une réalité déchue qui, sans cette intervention auraient disparu. De ce sujet qui aurait pu être nostalgique, Buraglio a fait un jeu graphique multicolore et  trépidant.

    Coexistent ainsi sur une même surface des temps différents : celui de l'action sur ce qui a été récupéré, celui de la mémoire et de l'inéluctable dégradation que le temps fait subir aux choses. En outre, l'organisation en horizontales et diagonales et l'agencement des couleurs, entraînent le spectateur dans une cadence et un temps qui n'ont rien à voir avec du vague à l'âme.

    Pour les travaux plus récents présentés rue d'Alger, Buraglio a délaissé la glane pour reprendre crayons et pinceaux, sans toutefois abandonner le maniement de l'agrafeuse. Ses "Dessins d'après" attestent d'un attachement à la peinture de ses prédécesseurs et plusieurs oeuvres témoignent de son goût pour l'architecture, l'art du montage, le jazz et le cinéma. Un artiste complet !

    1563480370.jpgUne constante : la liberté laissée au spectateur pour compléter, imaginer, rêver, se souvenir... "Mon bunker 5" de 2007/2008 (40 x 95 cm) (photo n° 3),  enserre, dans l'angle droit d'un cadre de sérigraphie, une petite peinture sur contreplaqué qui, en quelques traits, figure le haut d'un immeuble. Vide, le reste du cadre devient, pour le spectateur, une possibilité en suspens. Ce manque donne au visible sa force et sa présence. Il devient ouverture sur un espace mental beaucoup plus vaste.

    Le "16" , le yuka de 2007 (160 x 127 cm) qui clôture l'exposition pourrait résumer bien des aspects de son travail : exploitation d'un fond en contreplaqué usagé, réemploi de dessins détourés, forte présence de détails d'architecture, découpage, à la Matisse, dans la couleur, tout un ensemble construit par agrafages comme autant de flash de mémoire...

    Quel talent que  de faire coexister dans un espace à deux dimensions toutes sortes de références, d'en exploiter les possibilités plastiques, et de les organiser de telle façon que le résultat final serve de tremplin à l'imaginaire du spectateur.

    Buraglio a conquis sa place et affirmé sa personnalité de peintre dans les années 60 au sein de Support-Surface qui s'attachait à redéfinir la peinture et ses constituants. Quarante ans après il poursuit ce même chemin qui n'a pas pris une ride et garde, au contraire toute sa fraîcheur. Le raffinement de la couleur et l'équilibre de la composition contribuent largement à cette réussite.

    Galerie Jean Fournier, 22 rue du Bac, 75007 (01 42 97 44 00) Métro : Rue du Bac - Oeuvres de 1966 à 1997. Jusqu'au 30 Avril

    Galerie Marwan Hoss, 12 rue d'Alger, 75001 (01 42 96 37 96) Métro : Tuileries - Oeuvres de 1998 à 2008. Jusqu'au 30 avril.

     

  • Les mains d'osier de Kasia Ozga (par Sylvie)

    222999802.JPG808099146.JPGElles sont rassemblées en clairière près des tennis de la Cité Universitaire, un petit ilôt comme en déterminent  d'elles-mêmes certaines plantes ou quelques archaïques menhirs. Ce sont des mains, gigantesques, en osier tressé, qui sortent de terre aussi naturellement que les arbres qui les entourent. 

    A les voir ainsi, à des degrés divers d'émergence, elles ont l'air vivantes, prêtes à faire apparaître qui une paume, qui un troisième doigt, et, selon l'angle de vue ou les ombres portées, donnant l'illusion de jouer un rôle dans le cadre qui leur est alloué : là soutenir le feuillage comme un tronc multipare, ici servir de dossier au banc de pierre, ou simplement rappeler que l'homme et la nature ne font qu'un. Il y a là de l'enfance et du rêve, c'est extrèmement attachant.

    Conçues dans une optique résolument écologiste, ces formes, faites de matériaux naturels éphémères, donc actifs et changeants, établissent un dialogue avec l'environnement et suscitent en chacun de nous une part créative, dynamique et réjouissante. Il y en aura toujours quelques uns pour penser à une noyade mais toutes ces verticales légères et gauches, pleines de vitalité, ont plus à faire avec un cri d'enthousiasme.

    "Les mains d'oeuvre" ont été réalisées, dans le cadre des projets-étudiants, avec le soutien des Fonds FIE de Cité Culture. Elles sont signées d'une jeune artiste polonaise, Kasia Ozga, étudiante en philo de l'art à Paris VIII qui exposera cet été en Bretagne avec le collectif d'Etang-d'Art

    Parc de la Cité Universitaire , bd Jourdan, 74014. Jusqu'au 15 avril.