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décrypt'art - Page 22

  • Loïc Le Groumellec ( par Sylvie )

    Le motif est sévère, nu et inquiétant; la surface brillante, la matière épaisse, le graphisme simplifié et la gamme limitée aux seuls noir et blanc. Réduites à ce descriptif sommaire les oeuvres de Loïc Le Groumellec exposées à la galerie Templon pourraient apparaitre consternantes de pauvreté.

    Le Groumelec.jpg"Mégalithes et maison" 2008, 120x110 cm, est l'une d'entre elles. Un titre qui est aussi un thème récurrent chez cet artiste breton né en 1957 dont la motivation semble la peinture elle-même. Toujours les mêmes sujets - mégalithes, croix, maisons - les mêmes couleurs et une même sobriété. Comment avec si peu de moyens une oeuvre peut-elle dégager une telle impression de mystère, de mélancolie et s'avérer si attachante ?

    Car rien ne s'ajoute à ces formes presques abstraites accolées les unes aux autres. Il n'y a que les ombres pour souligner leur volumétrie et les nuances de gris pour faire palpiter leur environnement. Terre et ciel se confondent dans une lumière incertaine, une sorte de pénombre qui pourrait être l'aube, le couchant, une grisaille pluvieuse ou un brouillard. Dans cet entre-deux les formes elles-mêmes se différencient peu. Les volumes sont presques semblables et tous verticaux. Seul diffère légèrement le traitement de ces blocs monolithiques, plus ou moins ovoïdes  et de guingois. Sans la double pente anguleuse centrale qui rappelle un édifice et une proportion monumentale, ils tiendraient aussi bien de curcubitacés géants à la peau grumeleuse que de buissons épais ou de menhirs.  L'oeil fait face à une entité incongrue, centrée sur la toile,  ilôt bloti replié sur lui-même, loin du monde. Dedans, c'est le silence, dehors, c'est un grand vide. Quelle solitude.

    L'artiste s'explique:" ma réflexion est basée sur des oppositions. Toute la structure repose sur ces conflits: poser la peinture mais avec une technique de l'effacement au chiffon, le noir/le blanc, la racine/l'élévation, la déconstruction/la reconstruction, la masse d'un religieux profane, la croix chrétienne et la croix tellurique

    De ce presque rien tout en retenue et symboles nait, dans l'épaisseur de la laque industrielle miroitante retirée à certains endroits pour mieux faire apparaitre le motif noir profond, la douceur, la tendresse rassurante d'une solidarité humaine dans la tourmente. La fine croix, à gauche, rassemble un peu plus cette communauté. Curieusement, elle ne coiffe pas le bâti. Est-ce à dire qu'il y a autant de transcendance à trouver dans la nature que dans l'homme ou dans une chapelle ? A chacun d' interpréter selon ses aspirations religieuses ou païennes.

     Plus je regarde cette oeuvre simplissime, plus elle me parait picturalement forte et chargée d'un non-dit éloquent.

    Galerie Daniel Templon, impasse Beaubourg 75003, Paris. Tel: 01 42 72 14 10. Jusqu'au 31 décembre 2008.

  • Jean-Pierre Schneider (par Régine)

    D'abord il y a ce grand tableau blanc qui capte le regard dès l'entrée dans la galerie et qui ne vous lâche plus. Une grande toile entièrement blanche au centre de laquelle un rectangle est esquissé ; de son angle supérieur droit un léger trait noir indiquant une perspective le transforme en boîte sans fond.*

    Le médium utilisé donne au blanc un rayonnement, une matière à la fois palpable et immatérielle. Il est froissé comme un linge par endroit, lisse comme du marbre à d'autres, partout immaculé. On pense à des linceuls, à des champs de neige fraîche, à des draps d'une blancheur parfaite.

    En bas à droite le mot "Falkenau" est à peine esquissé. Falkenau est le nom d'un camp de concentration dans lequel les américains se sont introduits après la guerre. Il y ont découvert des montagnes de cadavres. Ils sont allés trouver tous ceux qui vivaient tranquillement à proximité. Vous saviez, leur ont-ils dit, ce qui se passait, maintenant donnez-nous vos draps pour envelopper ces corps et leur rendre leur dignité.

    L'origine de cette toile est là, les draps blancs, la tombe sans fond, le froid, l'inimaginable absence. Ce tableau, dénué de tout pathos, est beau parce qu'il est juste et vrai.

    schneider 7.jpgJean Pierre Schneider procède ainsi par série autour d'un thème qu'il abandonne puis reprend parfois. Il y a celui de la boîte dont on peut voir plusieurs beaux exemples exposés ici, et parmi d'autres celui des pierres noiresschneider 2.jpg ou de la ligneschneider 5.jpg. Situés, la plupart du temps, dans le tiers supérieur du tableau on pense bien sûr au fil sur lequel marche le funambule, aux rochers posés ici ou là dans le cours d'une rivière permettant de la traverser à gué.  L'artiste nous suggèrerait-il la fragilité de tout passage ? La précarité de tout équilibre ?

    A la différence de Twombly qui efface volontairement les mots inscrits dans ses toiles afin qu'ils en fassent partie intégrante, évoquant ainsi les traces des cultures qui les ont précédées, J.P. Schneider écrit lisiblement des bribes de phrases empruntées à des poètes de notres siècle (René Char, Jean Genet...), des chiffres, une notation personnelle et le spectateur est invité à les lire ; va et vient du regard. Ici encore Jean Pierre Schneider fait une proposition.

    Et il y a également la matière de la peinture. Telle une peau il faut se retenir pour ne pas en caresser la surface. Comme Tal Coat qu'il admirait bdaucoup, Jean Pierre Schneider doit fabriquer lui-même son médium. Qu'ajoute-t-il à la couleur pour qu'elle soit si fluide, si veloutée, si discrètement sensuelle ? Les objets représentés échappent à toutes lourdeur, et semblent souvent prêts à se dissoudre dans la couleur du tableau.

    Le peinture de Jean Pierre Schneider n'est ni abstraite, ni figurative, mais suggestive.

    * Ce tableau est impossible à photographier, il faut aller le voir.

    Galerie Berthet Aitouaeres - 29 rue de Seine, 75006-Paris. Tél : 01 43 26 53 09. Ouvert du mardi au samedi de 11 h à 13 h et de 14 h 30 à 19 h. contact@galerie-ba.com

  • Anthony Caro (par Sylvie)

    IMG_1981.JPGIMG_1982.JPGLe moment est propice à un grand saut dans l'oeuvre du sculpteur anglais Anthony Caro. Après une rétrospective au Musée des Beaux-Arts d'Angers, c'est au tour de la galerie Templon, à Paris, de montrer une dizaine d'oeuvres des années 2000 de cet artiste de 84 ans qui a profondément influencé la sculpture de la seconde moitié du XX ème siècle.

    D'abord assistant de Henry Moore, sa rencontre avec  David Smith aux Etats-Unis, a déterminé son orientation. Il s'attache alors aux objets industriels métalliques. Par soudure, assemblage, parfois peinture, il fait de ces récupérations des constructions abstraites , très petites ou monumentales, où s'allient le convexe et le concave, le plein et le délié, le mat et le poli. Des formes approximatives, des associations d'idées ou des changements d'échelle leur confèrent un humour, une légèreté qui contraste avec leur aspect massif..Chez Templon, "Solo Piano" (2006-2007, acier galvanisé,140x185x79 cm) évoque, avec un médium manufacturé, des travaux d'artisan."Yellow room" (2005-2006, acier et fer moulé, galvanisé et peint, 186x 230x180cm) réunit dans une dimension architecturale des angles, des ouvertures, des chassis et de la couleur, un pan de jaune bouton d'or porteur de chaleur et de vitalité. (photos).

    On aurait tort de s'arrêter là puisque l'actualité met Anthony Caro au premier plan. En effet, trois musées du Nord - Calais, Dunkerque, et Gravelines- présentent trois angles de vues complémentaires d'une production de quarante ans. De plus, une oeuvre, répondant à une commande publique, vient d'être inaugurée à l'église Saint Jean Baptiste  de Bourbourg, dans la même région.

    Cette création,  pensée pour un édifice gothique durement touché pendant la dernière guerre, est composée, fait rarissime, d'un ensemble intitulé "choeur de lumière": 15 sculptures  en métal réparties en cercle dans les niches de l'abside (photo), sculptures-tours en chêne autour des piles, chaire, cuve baptismale en béton blanc, tout un mobilier lithurgique et, à l'exterieur, faisant la liaison entre espace public et espace sacré, une sculpture en forme de porche circulaire en acier Corten,  un alliage à l'aspect corrodé et patiné, d'une très grande résistance aux conditions atmosphériques (photo).

    Dans ce sanctuaire religieux, Anthony Caro  n'a pas dévié de ses préférences : les matériaux qui en font l'unité, acier ondoyant ou rigide,  bois,  terre cuite (photo) ou  béton sont toujours d'une densité abrupte. Sur le fond de gothique, un faire-valoir respectif  et un dialogue architecture, sculpture et art sacré s'établit. Cette oeuvre épurée et expressive, éminemment contemporaine - elle devrait en choquer certains - a une dimension intemporelle.

    Depuis les débuts d'Anthony Caro avec le métal dans le années 60 - et avant lui Picasso et Gonzales, d'autres artistes ont délaissé les matériaux traditionnels de la sculpture au profit de ce médium propre à la modernité. Les mathématiques ayant permis l'exploration de ses capacités, l'espagnol Chillida, le Français Bernard Venet ou  encore l'américain Richard Serra en ont conçu des oeuvres résolument gigantesques. Il ne s'agit plus d'objets mais d'un rapport à l'espace.

    Galerie Daniel Templon, 30 rue Beaubourg, 75003, Paris. Jusqu'au 3 novembre 2008.

    "Sculptures d'acier" au LAAC de Dunkerque. "Les barbares" au Musée des Beaux-arts et de la dentelle, Calais. "Papiers et volumes" au Musée de Dessin et de l'Estampe originale, Gravelines. Jusqu'au 23 fécrier 2009.

    image11 porche Bourbourg.jpg

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    image9 détail Bourbourg.jpg

  • Champion Métadier (par Régine)

    metadier01.jpgCe serait se priver d'un grand plaisir en omettant de passer rue Quincampoix, à la galerie Catherine Putman, qui expose, jusqu'au 8 novembre, les oeuvres de Champion Métadier.

    La liberté des formes suspendues au centre de la feuille blanche, leurs couleurs éclatantes sont jubilatoires. Leur biomorphisme nous ramène aux origines de l'espèce, leur aspect ludique et coloré à l'enfance. Elles invitent à la rêverie, aux rapprochements savants, aux associations libres. Un grand plaisir pour les sens et l'intellect.

    Un résultat qui provient en grande partie de la façon de procéder de l'artiste : elle a su mettre au point un medium et une technique adaptées à son propos ; bel exemple de la rencontre heureuse de la matière et de l'esprit.

    Cette série s'appelle "Shellacs", nom emprunté à une résine naturelle dérivée d'excrétions d'insectes vivant dans les arbres. A ce matériau Champion Métadier ajoute des pigments purs. Elle dépose le mélange sur le papier posé à plat, puis le manipule juqu'à faire apparaître une forme qui lui convienne et qui commandera les suivantes. Ainsi un hasard extrêmement maîtrisé préside-t-il à leurs superpositions, emboîtements, juxtapositions ; leurs couleurs ont un éclat, un rayonnement que l'on pourrait qualifier de cathodique tant le fond du papier les rend luminescentes.

    Métadier 2.JPGLes 10 oeuvres exposées au dessus du bureau, face à l'entrée, est une ode à la couleur et à l'imaginaire. Beauté de l'alliance du jaune et du bleu, du vert et du violet, du rouge et de l'orange, du bleu et du noir ; gaîté et inventivité des formes, leur puissance érotique... On se plait à envisager ici une fleur ou un coquillage, là un jouet ou une silhouette féminine toute auréolée d'orange, là encore une amibe ou un être pieds par dessus tête...Les couleurs réagissent entre elles comme si elles étaient vivantes. Tantôt brillantes, tantôt mates, leurs rencontres créent des irisations, des superpositions, des effets d'épaisseur, de grains et de transparence.shellac.jpg

    Autant de figures qui semblent contenir des possibilités infinies de transformation "tels des organismes volatils qui se seraient formés un moment par arrêt sur image avant de disparaître" (Anne Hindry, Art press, oct. 2008, pp.50-52). Elles donnent  le sentiment que naissance et disparition sont intimement liés.

    L'univers de Champion Métadier, qui vit entre Paris et New York est très ancré dans le temps présent. La vitalité, la créativité, l'évolution incessante dont ces villes sont l'objet l'inspirent inévitablement. Elle dit puiser dans le répertoire des images médiatiques qui sollicitent sans cesse notre regard. Elle fait par exemple allusion aux "flyers", sorte de cartes postales publicitaires aux couleurs agressives que l'on distribue partout et qui finissent par voltiger sur le sol new-yorkais, aux nouvelles technologies, aux images virtuelles, à la création en 3 D, au monde des écrans.

    Ce travail s'inscrit aussi dans l'histoire de la peinture. Sa façon de laisser la part belle au hasard fait bien sûr penser aux surréalistes, au biomorphisme de Tanguy, de Arp ou de Miro, cette construction par la couleur à Matisse, ces gros plans et ces contrastes colorés de motifs qui pourraient être végétaux ou vulvaires à la Georgia O'Keefe et le fait de puiser dans l'air du temps et d'en utiliser le chromatisme au pop'art.

    Elle-même se dit en accord avec Fernand Léger par son répertoire de formes simplifiées, son implication dans son époque, sa fascination pour la modernité.

    Vous vous direz que Champion pour un prénom  ce n'est pas courant et qu'il vaut mieux pouvoir l'assumer. Et bien Champion Métadier est une femme, son prénom est Isabelle. On aimerait bien savoir si ne pas l'indiquer est un parti pris de féminisme ou une simplification.

    Galerie Catherine Putman, 40 rue Quncampoix, 75004-Paris, 1er étage. Ouvert de 14 h à 19 h du mardi au samedi. Tél 01 45 55 23 06. Jusqu'au 8 novembre.

  • Jean-Marc Bustamante (par Sylvie)

    Bustamante 006.jpg Jean-Marc Bustamante est à l'honneur à la galerie Thaddaeus Ropac, jusqu'au 16 octobre, avec des sérigraphies sur plexiglass aux couleurs claquantes dans de très grands formats comme il en a l'habitude. Personne, à la galerie,  n'a pu me donner le sens du titre de l'expo "La Chambre des Saintes". Dommage!

    Cet artiste polyvalent, né en 1952 à Toulouse, à la fois photographe, sculpteur, dessinateur, peintre, utilisant des Bustamante 008.jpgmédiums et des techniques diverses, nous avait surpris au début des années 90 par de gigantesques photos de cyprès alignés, formant rideau et rendus presque artificiels par leur densité et leur vision frontale. Paysages, certes, mais frontières envahissantes et énigmatiques.

    Les oeuvres présentées cette fois restent liées à la nature, mais une nature transposée, interprétée, entre figuration et abstraction. La technique en est la sérigraphie et le support du plexi épais monté sur pièces métalliques à distance du mur.  Ce qui n'est pas sans rappeler la notion d'obstacle, de frontière. D'ailleurs un paravent de plexi, lui aussi sérigraphié, obstrue l'entrée. Quant au sofa central, il est habillé de tissu, reprenant le motif Bustamante 003.jpgrépétitif de fond de la série, qui figure en papier peint tout autour de la pièce et en tramage dans chaque oeuvre. Peu importe ce que chacun y voit, vagues de la mer, vibrations de l'air ou simples trainées de couleur, on le retrouve partout. La relation qu'il créé entre les différentes oeuvres, nous conduit à une amusante gymnastique visuelle et mentale, à des allers-retour de l'une à l'autre. L'artiste a investi l'espace dans sa totalité et veut visiblement nous faire participer.

    Et la gymnastique ne s'arrête pas là. Elle implique un va et vient entre fond et formes. La qualité des images ci-dessus vous empêchera sans doute de voir nettement les horizontales irrégulières grises du papier peint, d'autant plus qu'elles sont en partie occultées par celles, imprimées en sérigraphie, qui les recouvrent partiellement. En revanche, vous comprendrez comment elles se laissent voir dans les interstices et comment  les couleurs peuvent se projetter en ombre sur le fond, à quelques centimètres derrière elles. Dans le jeu des pleins et des vides, des transparences, des opacités, et des contrastes colorés s'ajoutent les reflets des  visiteurs et du lieu sur la brillance du plexi. Le brouillage est savant et miroitant et, finalement la frontière perméable.

    De chacun des tableaux émergent des formes, plutôt organiques, de fleurs, de feuillage, de branches  donnant une vision rigidifiée de la nature, comme un travail d'entomologiste ayant épinglé ses papillons. Les couleurs, complémentaires, rappellent les découpages de Matisse, avec une fraicheur comparable, mais une agitation de surface plus ludique et beaucoup moins sereine, me semble-t'il.

    Jean-Marc Bustamante, "La chambre des Saintes", galerie Thaddaeus Ropac, 7 rue Debelleyme, 75003, Paris. 01 42 72 61 66. Jusqu'au 16 octobre.

     

  • Tatiana Trouvé (par Régine)

    Je connaissais le nom de Tatiana Trouvé, peu son oeuvre. Exposé à Beaubourg après avoir obtenu le prix Marcel Duchamp, c'était l'occasion d'en approcher le travail qui, je l'avoue, me laisse perplexe.

    Je regarde, j'essaye de comprendre, je m'amuse un peu, mais... quel est le propos qui sous-tend cet ensemble d'espaces manipulés, de dessins souvent très noirs et d'objet en fonte disséminés sur le sol. Quel en est le fil conducteur ?

    Je m'acharne à examiner de près.

    Deux installations introduisent et ferment l'exposition. Dans la première, dès le couloir qui mène à l'espace 315, on est invité à se tordre le cou pour voir sur la gauche, derrière une vitre, des bonbonnes de gaz de différentes tailles, posées sur un plancher mouillé et reliées au plafond par de fins tuyaux ainsi qu'une porte entrouverte. Que s'est-il passé dans ce lieu ? un incendie, une inondation ? On entre à l'intérieur et une autre vitre est ménagée dans le mur pour apercevoir l'envers de ce décor et les visiteurs qui arrivent. Où veut-on en venir ?

    Pour la deuxième, le fond de la salle d'exposition a été restructuré par l'adjonction de deux petits murs à angle droit de 1,20 m de hauteur chacun percé de trois portes fenêtres très basses. Je me mets donc à quatre pattes, et aperçois au bout d'un long couloir la personne qui m'accompagne. Mais comment cela est-il possible puisqu'elle se trouve, également à 4 pattes, devant les trois petites portes vitrées, à 90° sur ma gauche et que le mur du fond est fermé ? Ma logique vacille, mais je finis par saisir que l'intersection des trois couloirs est dotée de miroirs qui, non seulement procurent une impression de profondeur, mais courbent l'espace à angle droit. Rétrospectivement je comprends que la première installation fonctionne selon le même principe.

    Une grille métallique noire scinde la salle d'exposition en deux Sur les murs sont accrochés de nombreux dessins, très beaux, très dépouillés, très noirs. Ils représentent des chambres, des ateliers, des bureaux où dedans et dehors s'entremêlent. Ils sont dans l'ensemble d'une grande profondeur de champ. Certaines formes sont tracées à la mine de plomb, d'autres, découpées dans du papier métallique, apparaissent et disparaissent tels des fantômes, au grès de nos déplacements.

    Quel est la fonction des objets en fonte posés par terre ? Une corde se dresse figée dans l'espace figurant, on s'en doute, le temps arrêté.

    Aux deux extrémités de la pièce, par un trou dans le mur, s'écoule de façon continue une poussière noire et brillante formant deux tas qui ne cessent de grossir.

    Tout cela est un peu provoquant et ne manque pas d'humour, mais quel en est le sens ?

    L'exposition s'appelle "4 beetween 3 and 2". Elle fait donc référence à une quatrième dimension qui s'insèrerait entre la deuxième, celle des dessins, et la troisième, celle des objets.

    En effet, l'espace de la série des dessins à la mine de plomb et au crayon, intitulés "Remanence" est changeant, sa réalité nous échappe, extérieur et intérieur se mêlent comme dans le souvenir et le rêve ; les objets, disséminés sur le sol, d'ailleurs souvent repris dans les dessins, ne sont pas identifiables, ils peuvent être ceci ou cela. Les installations instaurent le doute sur ce qu'on voit. A suivre l'artiste, la réponse à notre interrogation est à trouver dans l'expérimentation.

    Pour elle cette quatrième dimension est le temps et c'est dans le jeu des dimensions, des échelles, des perspectives, des correspondances entre les divers éléments de l'exposition qu'il s'insère et qu'elle tente de nous rendre sensible.

    Ce n'est pas tant pensai-je la durée qui, elle, est symbolisée par la poussière noire qui s'écoule et qui finira eput-être par recouvrir l'exposition, que le temps du rêve et du souvenir, celui où les objets ont perdu leur utilisé, où les lieux sont des non lieux, où les personnes sont inatteignables. C'est celui que Marcel Proust a tenté de capter par l'écriture et que l'artiste essaye ici de nous faire toucher du doigt.

    Un tel travail n'a rien de séduisant, ce n'est pas sur ce registre que Tatiana Trouvé joue, il est minimal et intellectuel, mais il ouvre un territoire virtuel au coeur même du visible. L'essentiel se déroule sur un autre plan que celui qui compose nos systèmes de références ordinaires, sur un autre plan que ce qui est donné à la perception.

    Morale de cette histoire : Pas de découragement ! L'oeuvre de Tatiana Trouvé pose simplement de façon contemporaine la question qui est au coeur de toute oeuvre d'art, celle de l'espace et du temps.

    P.S. Aucune photo n'accompagne ce texte car à Beaubourg elles sont interdites. Il ne vous reste plus qu'à aller vous rendre compte sur place.

    Centre Pompidou. ESpace 315, Niveau 1. Tous les jour sauf mardi de 11 h à 21 h. Jusqu'au 29 septembre.

  • Nils Udo (par Sylvie)

    P1000191.JPGP1000197.JPGAvec Nils Udo nous finissons en beauté notre dernier tour des galeries avant les vacances.

    Oui, Nils Udo (né à Lauf en Allemagne en 1937), dont nous connaissions depuis les années 70 les interventions éphémères dans le paysage, prises en photos par lui-même aux couleurs et aux cadrages soigneusement choisis. Un travail  plein de sensibilité sur la gamme étonnamment large des couleurs de la nature au fil des saisons, un regard de promeneur et d'artiste, une approche d'écologiste dénonçant indirectement la société.

    Rassemblant matériaux trouvés sur place ou en ajoutant d'étrangers par contraste, il nous a donné à voir un témoignage à la fois des richesses de la végétation et des possibilités de reconstruction des volumes et de l'espace. Avec les autres artistes du Land Art, il a mis le doigt sur l'incertitude des genres en art contemporain.

    Son côté fusionnel avec la nature, on le retrouve dans cette exposition  à la galerie Pierre-Alain Challier qui présente ses dernières peintures à l'huile, un retour à sa première technique.

    Avec le même intérêt pour le détail Nils Udo peint des gros plans comme s'il voulait nous révéler quelque chose qui nous aurait échappé : des troncs d'arbres, des branches, du feuillage, la ferme verticalité des uns, la savante constitution des autres ou simplement la délicatesse des formes et des couleurs. Il les saisit au pinceau frontalement comme en photo. Par la combinatoire sulbtile du froid-chaud des couleurs, leur légèreté ponctuelle - presque une transparence - sur des contours appuyés, j'ai cru toucher les textures contrastées et l'équilibre fragile de la végétation.

    Ici (photo 1) sur des branches au tracé résolu et aux couleurs automnales s'épanouit en un bouquet de petites touches traversées de lumière un très léger feuillage d'or. Il y a de la nostalgie dans ce feuillage dont on devine la chute prochaine.

    Là (photo 2), l'esquisse en larges traits oranges d'un fût au cadrage serré avec ses rameaux naissants se superpose à un lointain de forêt vert tendre : vision d'ensemble qui fonctionne comme l'oeil, capable de saisir l'un et le tout et les prémisses d'un printemps dans l'acidité tonale.

    Aux amateurs de paysages signalons également l'exposition "Landscope", qui se termine à la même date, à la galerie Thaddeus Ropac. Parmi les travaux des dix-neufs artistes réunis autour de la notion de paysage mon coup de coeur est allé aux deux oeuvres  en noir et blanc de Didier Rittener et Ugo Rondinone.

     

    Nils Udo, Galerie Pierre-Alain Challier, 8 rue Debelleyme, 75003 (01 49 96 63 00).  Jusqu'au 2 Août.

    Landscope, Galerie Thaddeus Ropac, 7, rue Debelleyme, 75003-Paris. (06 17 31 16 05). Jusqu'au 26 juillet.

  • André MARFAING (par Régine)

    Deux Galeries de la rue de Seine exposent actuellement les oeuvres des 15 dernières années du peintre André Marfaing, né en 1925 et décédé en 1987. Ne les ratez pas ! D'ailleurs, si vous passez dans la rue, vous résisterez difficilement à la tentation de rentrer tant, apercue depuis la rue, cette peinture s'impose avec force.

    L'éternel jeu de l'ombre et de la clarté (de la nuit et du jour, du vide et du plein, de bien et du mal, de l'absence et de la présence) qui, depuis l'origine fascine l'esprit humain, est peut-être ce qui retient le spectateur avec une telle force.

    Deux couleurs qui s'affrontent pour faire jaillir la lumière : le noir et le blanc, mais pas n'importe quel noir : lisse, brillant, mat, épais, toujours somptueux ; pas n'importe quel blanc : éclatant, ivoirien, crémeux, toujours éblouissant.

    Avec ces deux couleurs, et parfois un peu de brun ou de gris, et des coups de pinceaux que l'on imagine énergiques et précis, Marfaing construit ses tableaux. Il organise les plans, construit les affrontements, ordonnent les formes, sorte d'écriture dans l'espace dont l'énergie continue et maîtrisée provoque une explosion dans le regard.

    Parmi les constructions très variées de ses toiles on repère quelques constantes :

    marfaing 1.jpgParfois, comme dans l'oeuvre reproduite ici, un pont est jeté entre deux rives. A droite une large plage noire découvre le haut de la toile, tandis qu'une bande étroite occulte l'autre côté. Une écriture hâtive, énergique, très sûre relie les deux bords, ancrée à droite par un épaississement de la matière, comme une suture. Ce noir puissant fait flamboyer un blanc immaculé. La lumière claque de toute part. Blanc et noir se font tour à tour fond et forme ; le blanc n'est pas le lieu où s'absente la peinture, il réagit, il vibre.

    marfaing 3.jpgParfois la plage de noir occupe les deux tiers du tableau, en occulte le haut et se brise dans le blanc en un graphisme fougueux qui déchiquette l'espace (photo).

    Marfaing 6.jpgParfois encore la lumière doit se frayer un passage étroit entre deux grandes zones d'ombre. Elle les écarte comme le ferait une lame d'acier brillante, cassure étincelante qui s'ouvre sur l'infini (photo). Ainsi, même lorsque la lumière est occultée par le noir elle est néanmoins triomphante.

    On a souvent rapproché Marfaing de Soulages - ils s'appréciaient d'ailleurs mutuellement - mais leur démarche me semble différente. Soulages, sensibles à la matière des choses, travaille la peinture de façon à capter la lumière et à dialoguer avec l'espace. C'est la texture de la surface et la manière dont la lumière s'y décompose qui l'intéresse. Marfaing fait jaillir la lumière d'un parcours, d'une succession de gestes. Ce n'est pas le tableau comme objet qui le préoccupe, mais plutôt l'acte créateur lui-même et en regardant ses oeuvres, je ne peux m'empêcher de penser à ce passage de la genèse, où il est dit que Dieux créa la lumière en séparant le jour de la nuit.

    "Marfaing remonte dans le temps et il va très loin, jusqu'aux premières heures de la création, jusqu'aux moments où les chose n'existaient encore qu'en tant que tensions" disait le critique Imre Pane.

    Hormis ce conflit ombre/lumière, il se dégage de ces toiles une vitalité, une énergie communicative qui confirme notre propos.

     Galerie Berthet-Aittouarès, 29 rue de Seine, 75006-Paris (01 43 26 53 09). Galerie Protée, 38 rue de Seine, 75006-Paris (01 43 25 21 95) Ouvert du mardi au samedi de 11 h à 13 h et de 14 h 30 à 19 h. Jusqu'au 28 juin 2008.

     

  • Antony Gormley (par Sylvie)

    995915741.JPG49232375.JPGElles sont tellement transparentes que l'on croirait des aquarelles, entre sanguines, sépias ou quelques encres fluides. Elles font voir des corps, "le" corps humain dans sa notion la plus générale, plus hommes que femmes, qui se déploient dans l'espace. Ils ne volent pas bien que sans appui mais quelque soit leur position, ils font comprendre la forme et rendent compte du lien entre l'homme et l'univers, l'harmonie entre eux. Antony Gormley est un sculpteur britannique, né en 1950, plus préoccupé du corps comme lieu que comme objet. Ses dessins l'attestent

    Peu de lignes dans ces petits formats, si ce n'est les contours, d'une graphie extrèmement fine, mais des taches qui modèlent les volumes. Et ce qui donne à ces oeuvres un caractère unique ce sont les substances utilisées provenant du corps ou de la terre. Le café, la chicorée, le sang, le noir de fumée, la caséine, l'huile, le lait, le sperme... révèlent  des propriétés bien à elles et réagissent selon la texture et la porosité des supports souvent fabriqués par l'artiste lui-même. 

    Un grand plaisir très subtil. A voir vite, l'exposition se termine bientôt.

    Antony Gormley " Dessins de 1981 à 2001 ". galerie Thaddeus Ropac, 7 rue Debelleyme, 75003, Paris. Du mardi au samedi de 10h à 19h, jusqu'au 7 juin 2008. 

  • Philippe Hélénon (par Régine)

    Dans la très animée rue Vieille du Temple, au numéro 23, une agréable galerie du même nom expose un artiste discret, très attachant et pourtant trop peu connu.

    La mode, Philippe Hélénon n'en a que faire. Ici vous ne verrez ni photos, ni installations, ni vidéos, mais de la vraie peinture.

    Pour s'exprimer l'artiste préfère le papier à la toile (une seule est ici présentée), le petit format au grand, comme s'il voulait resserrer au maximum son propos. Le regard qu'il porte sur le monde n'est pas tranquille mais intense. Avec le médium qu'il élabore lui-même, fait de gouache, de pastel écrasé, d'encres dilués, il obtient des noirs profonds percés d'éclats de lumière qui semblent sourdre des profondeurs de l'être et de la terre. Pour peindre il part de la réalité, mais non sans la déformer,  en accentuer certains aspects, en isoler d'autres et en donner parfois une représentation totalement abstraite. Le papier qu'il utilise est souvent marqué d'un pli en son centre, comme si la page peinte avait été extraite d'un livre ; c'est une lecture du monde qu'il nous propose. Ses sujets sont variés : portraits, objets, paysages et exercent sur le regardeur une étrange puissance.

    1667238061.jpgDes visages déformés, inquiétants, tourmentés surgissent d'accidents de la matière pour exprimer une intranquillité fondamentale et la difficulté d'exister. Agrégats de tâches claires et sombres ils occupent toute la page ou émergent d'un fond opaque et ne vous lâchent pas.

    Même masacrée/La face humaine/Est encore un visage/Humain/Sa ressemblance/Fait peur

    dit Bernard Noël dans "Quel est ce visage", un livre qui vient de paraître aux Editions Fata Morgana et consacré aux portraits de Philippe Hélénon.

    616591997.jpgLes objets qui lui donnent à rêver et qu'il peint sans relâche sont forgés de main d'homme (faucille, couteau, clou, lame) ou travaillés par la nature (ardoise, noeud de bois, graines). Sensibles aux correspondances entre les choses, les représentations qu'il en fait donnent lieu à des interprétations diverses : telle hache forgée par son grand-père pourrait être une palme ou un éventail, telle crosse un boomerang, telle lame un épi ou une bouteille effilée ou encore telle ardoise trouée un visage humain.

    1855625901.jpgGénéralement partagés en deux parties, la terre et le ciel, ses paysages sont réduits à l'essentiel : Dans celui représenté ici, l'humus noir plonge ses racines dans un milieu humide et lumineux tandis que le blanc du ciel occulte un gris sous-jacent. De petites diagonales viennent rompre son horizontalité  : formes humaines, végétales ou animales, on ne sait, qui nous rappellent que le monde n'est pas univoque.

    A la douceur de l'Ile de France Philippe Hélénon préfère, semble-t-il, les chemins de bergers, les pentes rocailleuses et désertes des Pyrénées où il passe souvent ses vacances dans la maison de son grand-père ou les landes arides et les côtés déchiquetées d'Irlance.

    Une oeuvre forte et extrêmement personnelle à découvrir.

    Galerie Vieille du Temple - 23, rue Vieille du Temple, 75003-Paris (Tél : 01 40 29 97 52) Du mardi au vendredi de 14 h à 19 h. Samedi de 14 h 30 à 19 h 30. Jusqu'au 31 mai