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Simon HANTAÏ (par Régine)

Avec la rétrospective consacrée à Simon Hantaï, le Centre Pompidou joue pleinement son rôle. Après les expositions Matisse, Munch ou Dali, plus destinées à "faire des entrées" qu'à mieux nous faire connaître des oeuvres clés, on commençait à désespérer. Enfin nous est présenté l'oeuvre d'un artiste hongrois, né en 1922, mort en 2008, qui a commencé à exposer en France en 1953 et qui a joué un rôle capital pour sa génération et les suivantes.

On a beaucoup écrit sur son travail et je ne voudrais pas répéter ce qui a déjà été dit, mais en parcourant cette rétrospective deux aspects, singulièrement émouvants, m'ont frappé : celui de l'acharnement déployé par un homme pour expérimenter de nouvelles voies, créer à chaque étape de véritables chefs d'oeuvres et celui des efforts faits pour se dégager du corporel pour atteindre au spirituel.

Le tableau qui ouvre l'exposition s'appelle "Les baigneuses"GEDC0007.JPG(photo 1), transposition laïque et faussement naïve de fresques du quatrocento ; y sont représentés 9 femmes debout, les pieds dans une rivière. L'atmosphère y est paisible, les couleurs sont tendres et fraîches. On pense à Balthus. Puis soudain lui succède une série de peintures surréalistes. Des circonvolutions hallucinatoires et viscérales glissent, serpentent, s'entrelacent, des intérieurs de ventres grouillants de viscères et dont les violets, les verts, les roses, les bleus s'entrechoquent (photo 2). Des fragments d'animaux sont insérés dans ces tableaux. Max Ernst, Brauner, Arp, Tanguy ne sont pas loinGEDC0009.JPG.

Puis, nouveau changement, il se débarrasse de toute représentation et par un geste très libre, avec l'aide d'un outil il procède par raclage de la couleur encore fraîche dont il a préalablement recouvert la toile. "Sexe Prime, hommage à J.P. Brisset" GEDC0038.JPG(photo 3) en est un magnifique exemple. Il vient de découvrir le travail de Pollock, de connaître Mathieu et leur ascendant est manifeste.

Peu de temps après, se dégageant cette fois de toute influence, il abandonne la gestualité et crée des tableaux couverts d'une multitude de petites touches obtenues comme précédemment par raclage de la couleu à l'aide d'un outil. On pense à des concrétions géologiques, à des limailles de fer soumises à un champ aimanté, ou encore à des carapaces...GEDC0005.JPGGEDC0006.JPG(photos 4 et 5)

 Parallèlement à ce travail minutieux et répétitif il aborde une nouvelle technique : il transcrit directement sur la toile et à la main des textes religieux. Ainsi naîtront les deux chefs d'oeuvre que sont "Ecriture rose"et "Gala Placidia" et sur lesquels nous reviendrons.

Mais encore une fois, le voilà qui renouvelle totalement sa façon de peindre : il invente le pliage et le nouage de la toile et ce qui en résulte est en rupture totale avec tout ce qui précède. Ce sont d'abord les "Mariales"GEDC0013.JPG
(photo 5 et 6GEDC0012.JPG), les manteaux de la vierge, dit-il. Après avoir passé un jus, il froisse la toile, l'aplatit et recouvre d'une couche de peinture les parties accessibles au pinceau et recommence l'opération à plusieurs reprises. Une fois dépliée la couleur se fragmente laissant suinter le mystère des couches sous-jacentes. Avec les "Panses" (photo 7) GEDC0014.JPGun resserrement se produit (voir article de Sylvie p. 4) ; les oeuvres de cette série aux formes biomorphiques semblent maintenir enfermés des éléments corporels. Suivrons les "Meuns" GEDC0061.JPG(photo 9)où la peinture se disloque avec puissance, et enfin les "Etudes" et les "Blancs"GEDC0016.JPG, période la plus libre de son oeuvre. Pour les réaliser, il froisse la toile de façon très serrée, l'aplatit au rouleau, l'enduit de couleur et la déplie libérant une nuée d'éclats blancs et colorés qui envahissent en se bousculant l'espace de la toile (photo 10), tentent de s'en échapper comme emportés par la turbulence de l'air ou le souffle de l'esprit. Peut-être est-ce parce qu'il fut sensible à leur excès de séduction, qu'Hantaï s'en détourna pour inventer une dernière façon de plier en nouant méthodiquement la toile de façon à obtenir des carrés de couleur plus ou moins grands cernés de blanc. Ce sont les "Tabulas" GEDC0018.JPG(photo 11) et pendant plusieurs années il va en faire beaucoup et de façon très systématique. Puis pendant 20 ans il disparaîtra de la scène artistique, cessera non de travailler mais de peindre et d'exposer. Aurait-il eu le sentiment d'avoir achevé son oeuvre ou aurait-il perdu la force d'expérimenter ? La question n'a pas de réponse connue.

Le deuxième aspect dont je voudrais parler ici est la façon dont, tout au long de son oeuvre, Hantaï tente de se dégager du corps, de ce grouillement qui le hante, pour atteindre au spirituel. Dans sa période surréaliste mort et sexualité sont intimement liés. Le corps de la femme dans "Femelle miroir II" (voir photo 2) est verdâtre comme celui d'un cadavre, sa tête est celle d'un crâne d'animal. Elle est enlacée et entourée de formes viscérales qui s'agglutinent les unes aux autres. Peu à peu, par les chemins que nous venons de passer en revue, il se dégage de cette imagerie érotique et morbide, et rompant avec son passé, va produire les deux oeuvres grandioses que sont "Ecriture rose" GEDC0001.JPG(photo 12) et "Gala Placidia" GEDC0044.JPG(photo 13). Le premier est fait de textes religieux recopiés avec des encres noires, violettes, rouges et vertes donc pas de rose qui est pourtant la résultante immatérielle de la combinaison des couleurs utilisées. Le second est le produit d'une infinité de petites touches telles les taisselles des mosaïques bysantines qui ornent le mausolée de Gala Placidia à Ravenne. En son centre une croix flotte et rayonne illuminant l'ensemble. Deux oeuvres à connotation religieuse qui invitent à la contemplation.

Avec les pliages l'action de son corps perd en visibilité alors même qu'il l'épuise physiquement avec le travail de préparation du tableau. La peinture semble ne plus être de son fait. Mais dans les "Mariales" la matière, bien que sublimée, est toujours présente. Certaines ont un aspect craquelé comme une terre ravinéeGEDC0010.JPG (photo 14). Plus tard les "Panses" (voir photo 7), avec leur aspect boursouflé, semblent sur le point d'éclater.

Dans les séries qui vont suivre, notamment les "Blancs" et les "Etudes" (voir photo 10) la peinture se désincarne et nous entraîne bien au-delà de la toile. Malheureusement le choix fait par le commissaire d'un exposer 5 de cette série dans des couleurs différentes (bleu, jaune, violet, vert rouge) leur confère un aspect par trop décoratif. D'autres multicolores et d'une grande beauté, sont d'une légèreté immatérielle ; la couleur, telle une échappée de papillons, virevolte, insaisissableGEDC0017.JPG (photo 15). On est dans un univers onirique dans lequel l'esprit semble atteindre une sorte d'apothéose.

Avec la série des "Tabulas" (voir photo 11) qui durera 10 ans, une certaine rationalité semble reprendre ses droits mais on sait qu'il finit par s'en lasser et abandonnera la peinture.

Sa façon de peindre avec la volonté d'échapper au geste et à l'affectivité en procédant en aveugle marquera fortement ses contemporains et les générations qui vont suivre, notamment les artistes de Support-Surface et de B.M.T.P. (Buren, Mosset, Toroni, Parmentier). Mais nombreux sont ceux qui, ne voyant en lui que celui qui accomplissait de façon radicale la critique de l'activité picturale, en retiendront les procédés plus que l'esprit.

Simon Hantaï - Centre Ompidou - 19, rue Beaubourg, 75004-Paris. 01 44 78 12 33. Ouvert tous les jours sanf mardi de 11 h à 21 h. Jusqu'au 2 septembre.

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