Geneviève ASSE (par Régine)
Le bleu de Geneviève Asse irradie la Galerie Claude Bernard jusqu'au 18 mai, l'élargissant en un espace de pure sensation, de pure émotion. Il faut entrer et se laisser emporter par l'armosphère de paix et de sérénité que ces toiles en apparence si semblables diffusent, puis il faut les regarder longuement une à une pour en saisir l'extrême complexité, la vie qui les habite, les subtiles différences qui les séparent ; en effet, la répétion, essentielle dans son travail, fait ressortir l'invisible, chaque tableau répète l'autre tout en affirmant, de façon parfois très tenue, son autonomie.
Dépouillés à l'extrême ces toiles sont totalement abstraites, mais ce ne sont pas des monochromes, ce sont plutôt des fenêtres ouvertes sur un espace à éprouver. Certes ces bleus un peu gris aux variations infinitésimales sont ceux de sa Bretagne natale, de l'Ile aux Moines où elle possède une maison, mais c'est plus que cela ; avec cette couleur qui n'appartient qu'à elle, l'artiste nous confronte à la densité de l'espace, à l'invisible, à l'âme du monde. La nature y est présente mais pas visible.
La taille et le format des tableaux exposés sont très variés. Il y en a de très petits, d'autres moyens et grands, ils sont carrés, verticaux, horizontaux, il y a même un tondo, peut-être façon pour Geneviève Asse d'exprimer son incessante quête d'espace et de lumière.
Plusieurs d'entre eux sont traversés par une ligne généralement blanche, parfois rouge, rompant l'unité du bleu et le faisant vibrer. Dans le superbe "Trace stellaire 7" (photo 1) (très proche de "Trace stellaire 6") une ligne blanche, d'abord estompée en haut du tableau devient éclatante et disparaît dans l'immensité du bleu. Elle traverse le tableau avec la fulgurance d'une étoile filante. Tout l'espace en est irradié et transformé. Il faut regarder vivre ce tableau pour apercevoir que cette ligne modifie la lumière et donc la couleur des deux parties qu'elle sépare. L'horizontale rouge qui déchire le haut du petit tableau nommé "Trajectoire" (photo 2) disparaît dans un tressaillement de blanc. Elle éblouit comme un éclair et son écho assourdi se retrouve dédoublé et inversé dans le bas de la toile. Le feu couve sous le bleu et en bouleverse l'apparente tranquillité.
Trois grands tableaux verticaux (photos 3,4,5) nommés "Ecritures" sont disposés de telle façon qu'il est possible de les voir comme les pages d'un livre. En effet dans le bas de chacun d'eux quelques lignes horizontales sont tracées, rouges dans l'un blanches dans les deux autres. Elles ouvrent l'espace dans le sens de la lecture, écriture muette invitant au silence. "J'ai aimé, dit-elle, ces formats verticaux avec des lignes blanches comme celles de l'écriture. Lorsque je peins j'ai l'impression d'écrire". Or Geneviève Asse est un peintre qui vit avec les livres. Elle en a fait de merveilleux avec les plus grands poètes contemporains, Samuel Beckett, André Frénaud, André Dubouchet, Yves Bonnefoy, Sylvia Baron Supervielle, Anne de Staël...
Même si elle n'apparaît pas de façon évidente l'architecture qui, avec l'écriture est au centre des intérêts de Geneviève Asse, sous-tend souvent ses toiles. Elle est apparente dans "Quadrille" (photo 6) qui a servi pour le carton d'invitation. Des lignes rouges et blanches partagent le tableau, différenciant les bleux, rythmant l'espace, lui donnant des profondeurs différentes. La construction de "Départ du bleu" (photo 7) fait penser à celle d'une fenêtre avec cette large ligne d'un blanc transparent teinté de rose qui, tel un battant, sépare le tableau en deux parties égales, l'une bleu gris assez sombre, l'autre bleu azur ; ce n'en n'est pas une puisque cette ligne ne descend pas jusqu'en bas et que le bleu gris de la partie droite recouvre le bas du tableau. Efficace malgré sa légèreté serait-elle là pour empêcher l'ombre d'envahir la lumière ?
Dans tous les cas, les surfaces planes de ces tableaux ont la propriété de s'étendre en profondeur et en largeur. Dans un espace aussi réduit que celui du petit tableau de 2013 intitulé "Matin" (photo 8) l'artiste réussit le tour de force de nous faire ressentir l'immensité de la mer et du ciel confondu, encore légèrement embrumés, la transparence de l'air matinal, sensation pure émergeant d'un réel.
Toute son oeuvre conjugue rigueur et rayonnement sans pour autant renoncer à une sensualité que l'on pourrait qualifier de panthéiste.
"La peinture est un appel, si personne n'entend cet appel, ne voit pas le tableau je ne peux rien faire. Lorsque l'un de mes tableaux arrête quelqu'un je suis heureuse" dit-elle.
Il ne faut pas hésiter à s'arrêter longtemps devant ces tableaux exceptionnels.
Geneviève Asse - Galerie Claude Bernard, 7/9, rue des Beaux Arts - 75006-Paris. Tél : 01 43 26 97 07. ouverte du mardi au samedi de 9 h 30 à 12 h 30 et de 14 h 30 à 18 h 30. Fermé le lundi.
Commentaires
merci pour ce bel article . Ne pas oublier de passer à la Cohue à Vannes (en passant par Rennes !)
Il y a quelques belles pièces dans la collection et la donation que l'artiste a faite au musée dont deux "ouvertures de la nuit " de 1974 avec une ligne horizontale blanche....
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