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décrypt'art - Page 7

  • Jean-Pierre Schneider au château de Ratilly (par Régine)

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    A deux heures de voiture de Paris, le château de Ratilly, avec ses grosses tours rondes construites en pierre ocre patinée par le temps, ses douves sèches, ses spectaculaires charpentes, offre un merveilleux but de balade ou de week-end en Bourgogne, dans la région dite de "La Puisaye", si chère à Colette. Cet intérêt se trouve redoublé par la qualité des expositions qui chaque été y sont organisées et ce depuis le début des années 1960. Sur ses cimaises se sont succédés des peintres et des sculpteurs tels que Klee, Nicolas de Staël, Tapies, Tal Coat, Veira da Silva, Geneviève Asse... pour les premiers, Chillida, Calder, Etienne Martin, Germaine Richier... pour les seconds et tant d'autres encore.

    Cet été y sont réunis deux artistes : le peintre Jean-Pierre Schneider et le sculpteur Geoffoy de Montpellier.

    Rien de plus adapté à la peinture de J.P. Schneider que la matière brute et blanchie à la chaux des murs de ce château. En effet, très murale, la texture de ses oeuvres rappelle celle de la fresque. Jamais encadrées, elles sont accrochées telles quelles sur le mur, leurs bords laissés bruts. La trame de la toile a disparu noyée sous les couches de peinture et les couleurs assourdis semblent venir du fond du tableau.

    Comme Tal Coat, l'artiste fabrique lui-même son médium et mélange ses couleurs pour faire advenir la teinte voulue. Il y a ajoute un peu de poudre de marbre pour obtenir une consistance épaisse et cet aspect mat si caractéristique de son travail. Il procède souvent par "suites", terme à connotation musicale, qu'il préfère à celui de série qui, pour lui, évoque plus l'idée de répétition que celle de développement d'un thème. L'artiste trouve généralement ses sujets dans le monde qui l'entoure, mais il se l'approprie d'une façon parfaitement personnelle. C'est le peintre qui fait advenir le motif et qui le transforme en ce qu'il veut. Le sujet n'est en fait qu'un prétexte pour laisser place à la recréation du monde par la peinture.

    Citons quelques exemples : trois somptueux tableaux de la même suite, dont le titre gravé, comme souvent, à même la peinture indique le sujet : "Tirants d'eau" sont ici exposés. Dans l'un d'eux un rectangle noir, taché de rouille signifie le cargo (photo 1)IMG_3208.JPG. Sous l'étrave son reflet miroite dans l'eau. Huit petits traits blancs sur le bord gauche de la toile marquent les jauges et dans sa partie supérieure apparaissent quelques chiffres rongés par la rouille. Le reste de l'oeuvre est occupé par un aplat d'un vert mat, extraordinairement puissant et fascinant, un océan bien inquiétant à traverser. Deux quasi-monochromes se partagent ainsi l'espace à parts égales.

    Dans une autres très belle oeuvre de cette même suite, l'étrave horizontale noire et rouille du cargo se heurte à une eau grise et troubleIMG_7239.JPG (Photo 2). Les reflets occupent toute la partie inférieure de la toile.

    Verticales ou horizontales, ces peintures éminemment silencieuses évoquent une traversée à venir. Vers quel but, quelle destination ? Quelle quête ? Nulle perspective, nul horizon en vue, le temps et l'espace sont suspendus dans l'attente de quelque chose qui va peut-être advenir dont le péril n'est pas exclu.

    Le sentiment d'une traversée dont le but est inconnu est sous-jacent à nombre d'oeuvres de J.P. Schneider. Voyons ce grand tableau intitulé "Le pont Mirabeau" (photo 3)IMG_7245.JPG qui occupe le mur d'une grande salle de l'exposition. L'espace est opaque et gris comme envahi par le brouillard. Le temps est suspendu. A gauche l'eau est sombre et ne coule pas contrairement à ce que dit le célèbre poème d'Apollinaire. A droite, où brillent quelques reflets blancs raclés dans la peinture, elle s'éclaircit. Les arches, réduites à deux lignes courbes, l'une petite et grise, l'autre ample et blanche, après avoir rebondi sur un pilier, franchissent le fleuve à la recherche de la lumière. Difficile de ne pas soupçonner qu'il s'agit d'une quête spirituelle.

    L'eau est omniprésente dans nombre de suites peintes par l'artiste ("Paestum", "Le nageur", "Chutes de mai"...) et le thème de la barque récurrent. On peut en voir ici des exemples avec deux touchants petits tableaux de la suite "Echouage". Dans l'un la barque noire occupe le centre de la toile (photo 4)IMG_7241.JPG et semble prisonnière d'une eau verte, matière mate, épaisse et sombre. Le temps s'est arrêté à la date gravée en haut à gauche : 6.5.10. Dans l'autreIMG_3215.JPG (photo 5) l'eau miroitante a la couleur du jade ; une barque (un poisson ?) aux contours mal définis, à la couleur oscillant entre le noir et le bleu foncé, tente d'esquisser un mouvement de bas en haut. Tout est indécis dans cette oeuvre délicate et émouvante.

    La toile de la série des "Hautes terres" montrée dans la première salle de l'exposition affirme la souveraineté de la peinture (photo 6)IMG_7243.JPG. Combien de couches de couleurs a-t-il fallu appliquer pour arriver à ce tressage de vert, de brun, de noir, de gris et à donner ce sentiment d'enfouissement entre ciel et terre. Une phrase d'André du Bouchet, difficilement lisible, est inscrite dans la chair de la peinture. En effet, si dans le choix de ses sujets l'artiste fait souvent référence à l'histoire de l'art : notamment à Paestum (avec la suite "Le nageur", Manet avec la suite "La servante"), Rodin (avec la série "Pierre de Wissant", etc...) il aime aussi citer les poètes et les auteurs qui lui sont chers (René Char, André du Bouchet, Marguerite Duras,...) Pour lui comme pour Twombly les mots, les lettres, les chiffres sont des dessins qui font entièrement partie du tableau.

    Bien d'autres oeuvres que celles ici citées sont à découvrir au cours de la visite tel ce tableau abstrait tout en nuances de gris qui n'est qu'espace, ou la série des "Bols" aux somptueuses couleurs. Vides, isolés, peints en contre-plongée, ils occupent le centre de la toile, comme en attente d'une offrande. Dans le travail de J.P. Schneider jamais le sujet ne prend le dessus de la peinture, celle-ci règne en maître, mais elle possède un pouvoir d'évocation propre qui fait résonner en nous nombre d'échos.

    IMG_7242.JPGLa forte présence des sculptures de Geoffroy de Montpellier n'enlève rien à celle des oeuvres de J.P. Schneider. Le matériau utilisé par ce sculpteur est la roche dont il tient à conserver la forme brute donnée par la nature. Par un lent travail de polissage et de sablage des parties non préservées il installe un climat de perfection et de beauté voulue qui contraste avec la splendeur révélée des parties originelles laissées brutes. L'immense et pesante sculpture posée dans la première salle d'exposition en fournit un magnifique et stupéfiant exemple (photo 7).

    Jean-Pierre SCHNEIDER, peintures, Geoffroy de MONTPELLIER, sculptures - Château de Ratilly - 89520-Treigny (Yonne). 03 86 74 79 54 - www.chateauderatilly.fr. Jusqu'au 3 novembre

    La galerie parisienne qui représente J.P. Schneider est la Galerie Michèle et Odile Aitouares -14 rue de Seine, 75006-Paris (o1 43 26 53 09)

     

  • Nils Udo (par Sylvie).

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    Pour avoir confondu Varengeville sur la côte d'Opâle et Saint Pierre de Varengeville, près de Rouen, j'ai failli manquer l'exposition Nils Udo qui se tient jusqu'à la fin de juin au Centre d'art contemporain de la Matmut, en Normandie, juste prolongement des inoubliables jardins de Vasterival et du bois des Moutiers à Varengeville sur mer.

    Nils Udo n'est pas un inconnu et nous en avons, ici même déjà parlé en 2008 et en 2014, emballées par les installations de cet artiste né en Bavière en 1937, vivant à Paris depuis 1960, à la tête du mouvement "Art in nature", dérivé du "Land art" anglo-américain. L'exposition de Saint Pierre de Varengeville ne nous a pas ménagé de surprises nous qui connaissons son travail mais elle force à reconsidérer la beauté de la nature, l'immense variété de ses composants, formes et couleurs, sa fragilité et le talent de l'artiste à la magnifier, en signifier toute la poésie et nous convaincre de la préserver. Nils Udo intervient dans le paysage, guidé par le génie des lieux. Il arpente le monde puis travaille in situ, avec l'eau, la terre,  la végétation collectées sur place et qu'il ordonne méticuleusement, ajoutant merveilleux et mystère à la perfection spontanée et déjà extrêmement sophistiquée de la nature. Afin de perpétrer ces compositions, pour la plupart éphémères, il les photographie et les tire en grand format, fixant pour l'éternité l'instant de grâce avant son éparpillement.

    NILS-UDO,_Maison_d%e2%80%99eau_I,_troncs_d%e2%80%99%c3%a9pic%c3%a9a,_branches_de_bouleaux,_osiers,_Mer_du_Nord,_Allemagne,_1982.jpgL'affiche de l'exposition (1) reproduit la photo de la "Maison d'eau" faite de troncs d'épicéas de 10m de haut et de branches de bouleaux attachées avec de l'osier, oeuvre réalisée en Allemagne en 1982. On se croirait dans l'allée majestueuse de quelque invisible demeure. Au fur et à mesure de son avancée, la marée recouvre toute l'installation.

    NILS-UDO,_La_couvée,_marbre,_terre,_forêt,_Fondation_Carmignac,_Ile_de_Porquerolles,_2018.jpgDès l'entrée du château de la Matmut , la photo de "La Couvée" - pigment print 124x160cm, Courtesy galerie Claire Gastaud (2) - thème récurrent chez Udo depuis les années 70 pour sa symbolique de nid-abri, bouleverse. Cette sculpture, réalisée en 2018, est installée sur l'île de Porquerolles, à la Fondation Carmignac ( voir la note de Régine du 23/07/18). Dans le creux d'une végétation enveloppante se nichent cinq gigantesques oeufs de marbre blanc de Carrare reposant sur un lit de graviers de marbre. Comme souvent chez cet artiste, l'effet gros plan est saisissant mais ne perturbe en rien la perception de la forêt en arrière plan. L'équilibre est parfait. Règne une harmonie fusionnelle et mélancolique dont la beauté plastique évoque la précarité du monde, les cycles biologiques, la nécessité de protéger la nature et de prendre le temps de la regarder.

    20190606_150851-1.jpg"La mousse I", photo pigment print 156x200cm, 2015 (3). Nils Udo adore le vert, propre même de la nature, la gamme des couleurs intenses et...les portes, des ouvertures vers un au delà de la perception première, dont la profondeur laisse entrevoir la beauté, le sublime. Il a couvert de mousse ce vieux bunker de la guerre de 14, planté des fougères et laissé béante, telle une bouche d'ombre, l'entrée. Sous le velouté énigmatique du bati, la souvenance d'une barbarie.

    NILS-UDO,_Peiture_1175,_huile_sur_toile,_168_x_175_cm,_2015.jpg20190606_145859.jpgUdo a d'abord été peintre. Depuis 2005 il y est revenu. De ses longues marches il transcrit la densité du paysage, la profondeur des bois, les silhouettes des troncs et les jeux de lumière. La "Peinture 1175 de 2015, huile sur toile 168x175cm (4) est caractéristique d'une certaine vision de l'environnement aux contrastes violents où resplendissent en un bouquet, les couleurs intenses d'un feuillage automnal en aplats, cernes et formes simplifiées. Rappel des paysages synthétiques de Maurice Denis et ce que Gauguin appelait "l'équivalent coloré". Même traits appuyés dans "Mijet" de 2014, huile sur toile 110x190cm (5), où les troncs minces et sombres, donnés en contre-jour, laissent voir dans la profondeur une éblouissante palette de couleurs. Effets graphiques proches des mangas qui ajoutent un aspect théâtral à cet hymne à la lumière.

    20190606_145354.jpgNILS-UDO,_Vall%c3%a9e,_2019,_.jpgLe temps a, en partie, couvert de mousse ces vieilles branches d'où émerge un léger et jeune feuillage prometteur. Photo (6), pigment print 138x200, 2003. La nature renait toujours. Dans le triangle de tiges de noisetier posées par l'artiste les petites fleurs blanches d'hortensias s'amassent au coeur de l'arbre . A la recherche de la sève ?  Toute la force du vivant est là qui cliquette au soleil.

    Quelques pas dans le parc de ce chateau du XIXème s'imposent pour voir les nombreuses sculptures et l'installation de Nils Udo "Vallée" modelée autour de l'imposant tilleul (7).

    Exposition Nils Udo, Centre d'Art Contemporain de la Matmut, 425 rue du Chateau, 76480 Saint Pierre de Varengeville. 33 (0)2 35056173. Jusqu'au 30 juin.

  • Tal Coat (par Régine)

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    Parmi les expositions actuellement visibles dans les galeries du Marais, celle du peintre Tal Coat à la galerie Christophe Gaillard est une des rares à procurer un tel plaisir. Pourquoi, en effet, les oeuvres ici accrochées vous envahissent-elles d'une sensation presque physique ? Peut-être parce que cette peinture, pour laquelle l'artiste fabriquait lui-même ses médiums, nous communique l'émotion que celui-ci éprouvait devant le spectacle de la nature et dont il s'efforçait inlassablement de retracer la mouvance et de rendre palpable le phénomène de la vie.

    Dans la première salle, celle qui donne sur la rue Chapon, ce sont les petits formats qui sont exposés. Tal Coât peignait en effet sur tous les supports qui lui tombaient sous la main : couvercle de boîte de cigare, briquette, bout de carton, planchette de bois.IMG_4142.JPG Si ces formats réduits, harmonieusement disposés sur les murs, ne sont pas de qualité égale, certains sont des merveilles, telle cette petite peinture vert d'eau (photo 1) sous lequel affleure la terre de Sienne. La couleur circule autour des griffures qui, en son centre, entourées d'un halo blanc, entaillent la matière, connivence instable entre la terre, l'eau et l'air environnant.

    IMG_7138.JPGLes changements d'atmosphère, l'artiste les saisissaient grâce à l'aquarelle dont deux ou trois beaux exemples sont présentés (photo 2). Ne souffrant pas de reprise, exigeant une exécution rapide, elles lui permettaient, comme les dessins, de rendre compte de ce qu'il y a de plus fugace, de plus fragile dans la nature.

    Dans la deuxième salle de la galerie, beaucoup plus grande et lumineuse, 20190523_162912.jpgoù sont exposés les formats plus importants, le regard est immédiatement happé par le grand tableau intitulé "bleu surgi" (photo 3) accroché au fond de la pièce ; bleu du cosmos, non pas vide mais habité, mouvant, évoluant sous nos yeux. La forme qui émerge en son centre supérieur pourrait être celle d'un oiseau ou d'un groupe d'oiseaux fendant l'azur mais c'est surtout une énergie qui circule. Ici forme et fond sont en osmose totale.

    Le plaisir éprouvé devant les toiles de Tal Coat tient beaucoup à leur couleur. Il y a la teinte bien sûr, mais aussi l'épaisseur de la pâte, sa texture, ses grains qui donne une présence tactile aux tableaux. Ce rose tendre, ce vert céladon, ce jaune colzaIMG_7141.JPG IMG_7142.JPG(photos 4 et 5) sollicitent tous nos sens et provoque en nous une volupté certaine. Pour rendre compte de cette profondeur des choses qui nous touche tant, l'artiste passait inlassablement sur ses toiles de nombreuses couches de son médium, véritable intermédiaire entre lui et le monde.

    Ce n'étaient pas les apparences qui le retenaient mais le rythme interne de la nature. Les irrégularités (nodosités, entailles, amas de matière)IMG_7144.JPG généralement nées d'un accident du médium, qui ponctuent la surface de ses tableaux (photo 6) nous font sentir la consistance et la mouvance des espaces que foulait l'artiste.

    Malgré leur monochromie les tableaux de Tal Coat sollicitent activement notre oeil. Par exemple devant les grains de matière qui parsèment ce tableau jaune (voir photo 5) et la cicatrice qui le balafre en son centre, notre regard ne cesse d'aller et de venir. Notre vision n'est nullement simultanée. Les grains apparaissent puis s'évanouissent pour en laisser entrevoir d'autres qui à leur tour disparaissent. Pour chacun des tableaux ici exposés pas de circuit préférentiel, on se trouve devant une énergie. Pour Tal Coat la terre est en expansion, le monde est courbe car la nature est une force en mouvement.

    Cette mouvance du monde à laquelle il tenait tant, il la rendait aussi par le jeu de la lumière : rayon lumineux qui traverse une toile de part en part IMG_7140.JPG(photo 7), ombre plus foncée qui occupe une partie du tableau, éclats de lumière qui balayent sa surface IMG_7151.JPG(photo 8).

    En partant de ce qui l'entourait : le ciel de Provence, la terre d'un champ fraîchement labourée, l'eau du ruisseau, la couleur d'un champ de colza, les pierres d'un chemin, le vol des oiseaux, Tal Coat atteint l'universel. Sous son abstraction il nous fait sentir que la nature est une force, un mouvement fait de naissances et de destructions.

    Pierre Tal Coat "L'émerveillement abrupt". Galerie Christophe Gaillard - 5, rue Champon, 75003 Paris (0142784916) jusqu'au 15 jun.

  • Ellsworth Kelly. Fenêtres (par Régine)

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    Il serait dommage de passer à côté de l'exposition "Fenêtres" d'Ellsworth Kelly qui se tient, jusqu'au 27 mai, au 4ème étage du Centre Pompidou. Organisée à l'occasion du don que fit l'artiste peu de temps avant sa mort, de l'oeuvre "Window, Museum of Modern Art" au Musée d'Art Moderne, cette exposition est passionnante à plus d'un titre. D'abord elle réunit pour la première fois les 6 fenêtres que l'artiste a réalisé lors de son séjour à Paris entre 1948 et 1954, mais surtout elle montre les dessins, gouaches ou encres préparatoires et les archives les concernant. Ces documents nous permettent donc de participer au processus créatif de l'artiste et de comprendre la façon dont fonctionnait son regard. Replacer les six windows exposées dans leur contexte de travail est un façon de tenter de suivre le mouvement de sa pensée.

    Commençons donc par "Window I" réalisée à Belle Ile en mer où il séjourna en 1949. La gouache qu'il fait tout d'abord est fidèle au modèle (1)IMG_2947.JPG. Il s'agit d'un' fenêtre avec son cadre gris et sa structure noire légèrement ombrée. Dans le dessin (2) IMG_2941.JPGet dans l'encre sur papier qu'il exécute ensuite (2bis) il ne retient que le meneau central, les deux croisillons horizontaux, et légèrement plus grand, le bord supérieur de la fenêtre. Dans le tableau final (3) IMG_2939.JPGne reste qu'une structure noire sur fond blanc qui renforce l'orthogonalité du panneau dans lequel il s'inscrit. En supprimant ce qui pourrait faire naître l'idée d'une fenêtre le peintre laisse libre court à l'esprit du spectateur. En effet ce qui intéresse l'artiste n'est pas la transparence, l'ouverture sur le monde que représente une fenêtre (la Veduta d'Alberti) mais sa structure.

    IMG_2938.JPGIMG_2948.JPGDans le croquis préparatoire à "Window II"(4), l'artiste a dessiné sommairement une fenêtre fermée à deux ventaux. Dans son tableau Kelly ne retient que la puissance du rythme de sa structure(4 et 5).

    Window III",IMG_2934.JPG IMG_2949.JPGétonnant monochrome dont l'idée de fenêtre a totalement disparue, dérive d'un petit dessin hâtif exécuté au dos d'une enveloppe (6 et 7). Il est fait d'une ficelle cousue et collée sur la toile, le tout étant recouvert d'un blanc uniforme (7 et 8). Le motif en bas de la toile, assemblage de triangles, contribue à renforcer l'idée que le tableau est une chose en soi qui n'est que ce qu'elle est et rien de plus.

    "Window, Museum of Modern Art, Paris" IMG_2932.JPGIMG_2930.JPGoeuvre qui est le prétexte de cette exposition, est un espace littéral car elle est la réplique exacte d'une fenêtre fixe de l'actuel Palais de Tokyo. Elle est faite de deux toiles tendues et assemblées à la verticale dans un cadre noir (9). Dans la partie supérieur la toile est blanche, dans la partie inférieure elle est grise et deux lames de bois noir la traverse. Ce tableau relief reprend la structure exacte avec des proportions légèrement diminuées de la fenêtre originale. Les nombreuses esquisses au crayon ou dessins à l'encre (9bis) qui ont précédés le montage final sont également fidèles au modèle. Cette oeuvre est un fragment de réalité devenu tableau comme dit E. Kelly lui-même "Ce que j'ai fait, c'est un relief qui perd son identité", perte d'identité de l'objet créé, mais aussi de son créateur car il ajoute "Cette idée de sortir de l'art personnel a été le fondement de ma peinture. Je voulais quelque chose qui me soit extérieur, prendre des distances avec moi-même".

    "Window V" procède d'un motif d'ombre de fils électriques projetés à travers une fenêtre sur le mur de la chambre qu'occupait Kelly à Sanary en 1950 et dont il fit un dessin (10)IMG_2920.JPG. IMG_2919.JPGIl peint ensuite ces lignes noires sur un panneau de bois peint en blanc en modifiant seulement leur largeur par rapport à celles du croquis initial (11). Plus qu'une sculpture cette oeuvre est un objet qu'il présentera pendu au plafond lors de sa première exposition parisienne à la galerie Arnaud.

    Pour "Window VI" qui clôt le cycle des fenêtres réalisées à Paris, Kelly procède de la même façon que pour la précédente. Le "déjà là" est une fenêtre allongée du pavillon suisse de la Cité universitaire conçu par Le Corbusier et Pierre Jeanneret achevé en 1933IMG_2952.JPG (12). Elle est donc composée à l'horizontale de deux toiles ajointées dans un cadre de bois. Celle de droite est vide tandis que celle de gauche reprend le dessin exact des barreaux de la fenêtre d'origineIMG_2914.JPG (13). L'ensemble est peint aux trois quarts supérieurs en bleu horizon, le tiers inférieur en gris pâle. Avec ces couleurs, Kelly s'approprie le modèle d'origine pour en faire l'oeuvre la plus picturale de l'exposition, celle qui, par son rythme, ses couleurs, permet le plus facilement au regardeur de s'échapper au delà de ses limites.

    L'exposition nous montre aussi que parallèlement à ces "Windows" Kelly développe les recherches faites à partir d'elles. "Four blacks (Window)" et "Five White (window)", collages de 1952 reprennent en positif et négatif la structure de fenêtres. "White Square" et "Black Square" de 1953 reprennent les dimensions exactes des plaques de verre prises dans une armature métallique repérées près d'un café parisien.

    Comme on peut le constater Kelly ne s'intéresse qu'aux fenêtres fermées, opaques ou qui ne peuvent s'ouvrir. IMG_2927.JPGCe n'est en aucun cas leur fonction qui l'intéresse, mais leur structure. Ce regard sur le monde est confirmé par les photos d'ombres ici exposées et qu'il a prises en 1977 en retournant à Belle Ile (14). Seules leurs formes très noires, très géométriques se découpant sur un mur blanc le retiennent.

    C'est toute la différence entre "Porte fenêtre à Collioure" de Matisse IMG_2951.JPG(14) et les "Windows" de Kelly. La première ouvre sur l'inconnu, l'imaginaire, les secondes sont des surfaces qui conjuguent une réflexion sur la structure et le châssis du tableau, sur la peinture et ses métamorphoses. Certes elles trouvent leur origine dans la réalité quotidienne mais affirment la primauté physique de la peinture. En traitant le tableau comme un objet réel dans un monde réel, dès 1950 Kelly annonce le bouleversement de l'art des années 1960/70 et la relation nouvelle que cela suppose avec le spectateur.

     

    Ellsworth Kelly. Fenêtres. Musée d'Art Moderne du centre Pompidou. Niveau 4. Galerie 0. Espace prospectif. Jusqu'au 27 Mai.

     

     

  • Thomas HOUSEAGO (par Sylvie).

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    Sous les vastes et hautes salles du Musée de l'Art Moderne de la Ville de Paris, les oeuvres de Thomas Houseago, artiste britannique né en 1972, ont une place à leur mesure. L'espace, la lumière naturelle à travers les grandes vitres donnant sur les marbres extérieurs du bâtiment de 1937, forment un écrin monumental parfait pour des oeuvres majoritairement de grand format. Le long du parcours plus ou moins chronologique, des année 90 à Leeds, puis Amsterdam et Los Angeles aujourd'hui, il est question de la représentation de la figure humaine dans sa force et sa fragilité, deux aspects qui se lisent simultanément au sein de chaque oeuvre, suscitant sensations ou idées contradictoires. Les mediums sont artisanaux et viennent changer le regard sur la tradition de la sculpture anglaise. Ouvrier dans le bâtiment, corollaire d'une difficile vie d'artiste, Houseago a gardé la pratique des matériaux de cette profession et, de ses études, un attachement à l'histoire de l'art. On retrouve sous sa patte les influences les plus diverses: 'Henry Moore, Rodin, Picasso, Brancusi, Lupertz, Baselitz...

    20190412_155421.jpgBien ancrés dans le sol et blancs comme l'antique - ce sont des plâtres - Walking Man, L'homme qui marche, 1995, plein d'énergie, et le nonchalant nu assis, Sitting Nude, 2006 (1), s'inscrivent dans la gestuelle du quotidien, marche dynamique et musclée ou pose statique. Ils campent l'homme universel. Sont elles seulement presque humaines ces silhouettes anthropomorphes, selon le titre de l'exposition "Almost human" qui reprend les mots d'une chanson de Leonard Cohen ? Elles n'ont pas de tête et la belle assurance de l'homme assis laisse voir le vide de ses entrailles: il est tranché verticalement.

    Près d'eux, comme jetant un regard accablé sur ces humains, L'homme pressé, Man in a hurry, 2011, (2) , un colosse de bronze noir, impose sa gigantesque stature et ses 20190412_162649.jpg20190412_155922.jpg20190412_160656.jpgorbites vides, courbé sous un poids qui semble le dépasser. Tout le contraire de L'Echelle (1991) d'Etienne Martin, à voir dans le nouveau parcours du Musée.

    C'est un étrange personnage que ce  Serpent, 2008 (3), mi homme mi animal, tenant à peine debout mais lourdement ancré dans le sol - un singe aux longs bras pendants, une sorte de pantin désarticulé, comique et dramatique en même temps. Les composants multiples - Tuf-Cal, chanvre, fer à béton, Oilbar, mine de plomb, bois - et leur visible assemblage digne d'un Picasso,  participent de la désespérance de son affaissement.

     Sur un socle en bois massif et rassurant comme ceux de Brancusi, L'oeuf, UntitledEgg, 2015 (4) n'en demeure pas moins mystérieux et précaire, nid percé d'un trou accueillant ou possible bouche avaleuse...Encore une oeuvre qui marque l'attraction de l'artiste pour la béance.

    20190412_160936.jpg20190412_162533.jpgLa sculpture mais aussi l'architecture se côtoient tout au long de l'exposition dialogant entre elles et avec le lieu. L'arche majestueuse Entitled Moongate, 2015, (5) répond à l'architecture des années 30 alentour, et les dessins hallucinés au charbon sur toile blanche, Somatic Paintings, 2018 (6) qui rappellent notre inéluctable disparition, font écho aux bas reliefs de marbre de la façade, signés Alfred Janniot.

    20190412_155825.jpg20190412_161128.jpgAprès des corps sans visage, des crânes, Fractured Face, 2015,(6) sont là, aux murs, grands médaillons en plâtre, entre dessin et sculpture, portraits schématiques aux structures osseuses soulignées qui fragilisent l'unité. Ils voisinent avec le primitivisme des toiles  Blue Faces, 2015 (7) à la mine de plomb, crayons de couleur et charbon. Un dernier regard  s'impose sur la série des 8 20190412_162723.jpgpeintures noires- sur les 12 réalisées - Black Paintings, 2015 (8). La lumière caressante fait apparaitre une succession de crânes dans l'épaisseur de la pâte., comme autant de stations d'un chemin de croix.

    La richesse de cette exposition est telle que l'on se contenterait de tout cela. Ce serait une erreur de passer outre le film réalisé par la compagne de l'artiste, Muna El Fituri, où l'on voit Thomas Houseago à l'oeuvre dans son atelier,  Cast-Studio, déployant une énergie jubilatoire à malaxer la glaise d'une installation à venir. Belle performance.

     

    Thomas Houseago, "Almost human", MAMVdeP, 12-14 av. de New-York, 75016 Paris.  01 53 67 40 00. Jusqu'au 14 juillet.

  • Stéphane COUTURIER (par Régine)

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    Parmi la multitude de photographies qui envahissent actuellement les cimaises parisiennes celles qui retiennent mon attention ne sont pas celles qui reproduisent le réel, même si le résultat est beau, mais celles qui font l'objet d'un véritable travail plastique, celles où l'artiste utilise la prise de vue comme matériau et se sert du médium photo pour exprimer sa propre vision du monde.

    Stéphane Couturier est de ceux-là et ses dernières oeuvres, actuellement exposées à la Galerie RX sont fort belles et fort intéressantes.

    J'ignorais qu'une des séries présentées intitulée "Les nouveaux constructeurs" avait été réalisée en écho avec l'oeuvre de Fernand Léger, mais le rapprochement entre les deux artistes se fait au premier coup d'oeil : le rythme qui se dégage de l'espace des oeuvres, la vitalité sous-jacente, l'utilisation des couleurs primaires témoignent des affinités entre les deux artistes. Tous deux en effet partagent une même fascination pour l'architecture urbaine et industrielle, mais si le premier exprime sa foi dans l'avenir, le second, moins optimiste, constate la disparition et la transformation de l'espace urbain.

    Pour cette série Stéphane Couturier a travaillé à Sète. L'organisation de la suite "Les nouveaux constructeurs, Sète - Port Sadi Carnot, 2018", notamment les numéros 1 et 3 (photos 1 et 2)IMG_7049.JPGIMG_7051.JPG rappelle celle des "constructeurs" de Fernand Léger. Une multitude de diagonales très sombres de textures et d'orientation différentes, dont une poutre maîtresse en bois qui traverse de part en part le deux compositions, s'entrecroisent sur plusieurs plans. Dans le n° 1 une verticale à droite et l'ébauche d'un grand caractère d'imprimerie à gauche stabilisent l'ensemble, mais un faisceau de rayons colorés en haut à gauche anime la composition. Dans le n° 2 plusieurs courbes procurent la sensation d'engrenages. Dans le premier le bleu et le rouge avec ici ou là quelques touches de vert et de jaune vivifient l'ensemble. Dans le second le rouge et le jaune s'imposent et les oeuvres tournoient dans un clignotement de couleurs colorées. Derrière cette imbrication de lignes apparaît au loin, dans une sereine tranquillité, la mer et le port de Sète. Difficile de parler ici de perspective au sens traditionnel du terme. En effet, comme dans un tableau cubiste, l'artiste puise dans le réel, le fragmente, le reconstitue autrement et grâce au rythme, aux contrastes entre les différentes lignes, formes, plans colorés, le dépasse pour en offrir une nouvelle perception.

    Pour donner à la fois cette impression de construction en train de se faire et de dissolution du sujet l'artiste utilise la superposition de plusieurs photos numériques et le glissement d'une photo sur une autre. Dans "Les nouveaux constructeurs, Sète - Port Sadi Carnot n° 8, 2018 (photo 3)IMG_7053.JPG, il a découpé une courbe dans le medium photo à droite afin de donner au spectateur le sentiment d'une masse en mouvement ; cette dynamique est renforcée par les lignes légèrement obliques des poutrelles d'acier rouges et noires.  Il est possible d'imaginer un paquebot s'avançant derrière un chantier de grues et de poutrelles qui s'entrecroisent et dont certaines émergent du brouillard. Pour provoquer cet effet de dissolution dans la brume l'artiste utilise des calques ou a recours au numérique qui rend possible un jeu de transparence et d'opacité entre deux images superposées.

    Les oeuvres de Stéphane Couturier s'animent sous le regard du spectateur, l'oeil ne se fixe jamais sur un point, il erre, circule et, contrairement aux peintures de Fernand Léger où des travailleurs juchés sur des poutrelles construisent dans l'enthousiasme, l'être humain en est toujours absent.IMG_7069.JPG Il apparaît éventuellement sous la forme d'un robot qui, placé au centre de "Les nouveaux constructeurs, Sète - port de commerce n° 3, 2018" (photo 4) pourrait être pris pour le grand organisateur d'un chantier fantomatique.

    D'autres oeuvres comme "Les nouveaux constructeurs, Sète - Port de commerce n° 3, 2018" (photo 5) IMG_7068.JPGapparaissent comme un entrelacs d'écrans dans lesquels le réel n'apparaît que fragmenté. Cette façon d'occulter une partie de la réalité photographiée par un jeu de calques permet à l'artiste de faire ressortir l'ossature du lieu et de rendre compte des mutations en cours.

    Même si certains détails demeurent précis la structure de "Melting point, Sète #7, 2017" (photo 6)IMG_7061.JPG est si fragmentée, si frontale, qu'elle devient irréelle et quasiment abstraite. Dans des tonalités beaucoup plus sobres et une ambiance plus statique, assez proche des travaux de Bernd et Hilla Becher "Melting point n° 5, 2017", (photo 7)IMG_7059.JPG la forêt d'obliques qui s'entrecroisent avec de verticales traversée par deux grandes horizontales, envahissent la composition obstruant la ville qui semble prisonnière derrière une forêt de barreaux.

    "Ce qui m'intéresse avant tout dit Stéphane Couturier", c'est d'arriver à synthétiser document et art. Je trouve important d'avoir une image conceptuellement forte qui soit au carrefour de la photo, des arts plastiques, de l'architecture, de l'urbanisme, de la sociologie et que le spectateur puisse s'approprier la photo telle qu'il en a envie".

    Par cette exposition Stéphane Couturier nous offre une déambulation dans la ville de Sète et un beau témoignage de la fluidité des choses et de leurs incessantes transformations.

    Stéphane Couturier "Les nouveaux constructeurs", Galerie RX, 16 rue des Quatre fils, 75003-Paris (06 37 88 04 98) jusqu'au 25 avril 2019.

  • Vera Molnar (par Sylvie)

    Artiste française d'origine hongroise née en 1924, Vera Molnar est une référence pour les fervents d'abstraction et  particulièrement de rigueur géométrique. La galerie Aittouarès rappelle en une vingtaine d'oeuvres la confondante subtilité de son travail ininterrompu depuis les années 40 (elle a aujourd'hui 95 ans), fait de lignes, entrelacs et motifs colorés ou non, d'une extrême sobriété.

    Celle qui participa, à la fin des années 50 à la naissance de l'art cinétique, fonda en 1960, avec son mari, le GRAV (Groupe de Recherche d'Art Visuel), fut aussi dès 1968 une pionnière en art assisté par ordinateur. On constatera ici que non seulement elle en a perçu l'immense capacité combinatoire, mais qu'elle en a exploré le champ des possibles. Avec pour outils un ordinateur, un écran et un traceur.

    Pour l'exposition que lui consacrent les "dames", mère et fille Berthet- Aittouarès, elle a choisi de montrer des travaux des années 2000 inspirés par d'illustres peintres du passé qui l'ont particulièrement marquée. Etonnant travail de reconnaissance sous le sceau d'une personnalité, pleine d'énergie et de créativité dont les thèmes de prédilection se retrouvent pas à pas: ligne, répétition, transformation, contrastes et, pour moyens, essentiellement le noir et le blanc.

    Sainte Victoire- Cézanne.jpgVera Molnar, 4 couleurs, d'un seul trait, 2001, 20x20 cm, _© Galerie Berthet-Aittouarès.jpgSi Paul Cézanne lui fut révélé dès sa jeunesse étudiante, c'est après s'être penchée sur les travaux du mathématicien Gauss qu'elle a pris conscience de la ressemblance de cette fameuse courbe en cloche avec le profil de la Montagne Sainte Victoire (1), courbe d'autant mieux reproductible par ordinateur qu'elle est née d'un calcul de probabilités. Dans les oeuvres qui en résultent - 4 couleurs, un seul trait, 20x20cm, 2001 (2) - les lignes, ici multicolores, la superposition des courbes, le tremblé semblable à celui d'un sismographe, évoquent autant le profond séisme originel que la luminosité et la douceur du modèle cézannien.    

    Klee-Ad-Parnassum.jpgMontparnasse, d'après Klee, en bleu, vert et rouge 2006 N_uméro 3 17x17cm 12x12cm ©galerieberthetaittouares.jpgMontparnasse à la lune Blanche (2), 3 lignes et 1 cercle _2007 15x15cm 10x10cm ©galerieberthetaittouares.jpgLe souvenir de Paul Klee  est lié à son tableau "Ad Parnassum" de 1932, conservé au musée de Berne (3.), ce Parnasse de la mythologie grecque, lieu de résidence d'Apollon et des neuf muses, lieu idéal cher au peintre, où tous les arts cohabitent.  Montparnasse d'après Klee, 2006 (4)....Déjà une abstraction sous le pinceau de Klee  - on devine plus qu'on ne voit montagne, toiture, soleil - ce tableau a ravivé  chez Molnar un idéal vécu d'enfance, de soleil et de bien-être confiant qu'elle traduit avec  rigueur et simplification des motifs. Les grands aplats de couleur scintillent comme les petits carrés de Klee et il émane de ce tableau une sérénité, une joie qui emporte.  Dans Montparnasse a la lune blanche , 3 lignes, 1 cercle, 2007, 15x15cm (5), l'astre -pastille ajoutée- enveloppe le paysage, simple croisée de lignes, dans tout son éclat.  Défiguration, juste des lignes et de la transparence... Une épure.

    800px-Dürer_Melancholia_I.jpgmontage polyptyque Plus petit, plus épais.jpgMelancholia est une gravure sur cuivre d'Albrecht Durer de 1514 (6 ). A la fois peintre, graveur, mathématicien, géomètre.. l'artiste allemand a intégré en haut à droite de cette oeuvre, dans une sorte d'échiquier, une multiplicité de chiffres symboliques dont les interprétations ont été nombreuses depuis le Renaissance. Ce carré magique est, dans les ésotérismes juifs et islamiques, associé à des connaissances secrètes. "Ce petit machin me fait travailler  depuis 50 ans" confesse Vera. Ainsi est né le "Montage polyptyque. Plus petit, plus épais... (7 ). Cinq graphies s'y succèdent, chacune dans un carré. Au premier abord elles semblent différentes. Il s'agit en fait du même motif,répété, d'une parfaite rigueur géométrique. La variante est l'épaisseur du trait ( plein ou délié). Pour que  la perception s'en trouve ainsi  changée, il fallait une bonne connaissance des mécanismes de la création .  Vera Molnar l'a fait sienne  et ce n'est pas pour rien que son travail entre aujourd'hui dans le cursus des écoles d'art.

    Vera Molnar , Affinités particulières, galerie Berthet-Aittouarès, 14 et 29  rue de Seine, 75006. Jusqu'au 20 avril.

    Aux lecteurs: pour mieux voir, cliquez sur les images.               

  • Daniel Dezeuze (par Sylvie).

    Dans la foulée de mai 68, le mouvement Supports-Surfaces a ébranlé la sphère de la peinture par ses positions politiques, sa remise en question de la peinture elle même, des cimaises et de l'espace. Cette entreprise, innovatrice, de mise en cause a consisté en une réflexion systématique sur le médium, les éléments matériels du tableau, le châssis et la toile, une analyse des fondements de l'oeuvre d'art inspirée par le structuralisme. Aussi discret soit'il, Daniel Dezeuze, né en 1942 à Alès, un des membres fondateurs de ce mouvement un peu mis à l'écart pendant une quarantaine d'années par le marché de l'art, comme le furent le minimalisme et l'art cinétique , poursuit encore aujourd'hui cette désacralisation.

    La galerie Templon lui consacre une exposition propre à nous rafraichir la mémoire, à apprécier la nouveauté de l'approche dans le contexte de l'époque, sa dynamique toujours vivante et nous fait découvrir une autre face moins connue de son travail, le dessin.

    20190221_190512.jpg20190221_175434.jpgL'entrée ouvre sur 3 pastels sur papier des années 80 d'une série appelée Forteresses aux lignes hérissées, aux couleurs de la terre, comme une géométrie plane, un plan-masse de ces bâtiments défensifs.(1) S'ensuivent des oeuvres récentes des années 2017/2018 en bois, ce bois dur peut-être, pas celui dont on fait les preux selon Paul Reboux mais celui des artistes.

    Dezeuze assemble non sans humour des treillages de jardinerie et des outils de peintre après les avoir dépecés. Il marie pièces de chevalet et grillage dont les structures rappellent les châssis : Petit chevalet de campagne (2). Soulignés parfois de couleurs, ces oeuvres, fruits de détournements et accrochés au mur, nous désorientent. Moins que l'urinoir de Duchamp à son époque mais qui exclut toute image de référence. Dezeuze se fait artisan, bricole, trafique les éléments du quotidien, toujours préoccupé du constituant physique du tableau n'hésitant pas à varier les techniques et les matériaux. Approche néo-dada et dénonciation implicite de la société capitaliste.

    20190205_145657-1-1.jpgLes châssis de différentes tailles superposés, plus ou moins peints et sur lesquels est placé un niveau, outil essentiel du bricoleur, composent Le bon niveau (3). La brutalité de l'entrecroisement des bois participe de l'aspect décoratif de l'oeuvre mais le mur en tant qu'espace intérieur, acquiert la profondeur d'un vide et crée un phénomène d'aspiration propre à élever l'esprit.

    20190205_145743(1).jpg20190221_183338.jpgLe triangle, l'équerre sont des motifs récurrents. La forme parait tantôt équilibrée tantôt agressive. Autant les isocèles de Privatio Boni (4) inscrivent, comme un clin d'oeil - jaune évidé parmi des noirs pleins - un petit hiatus dans l'équilibre  de l'ensemble, autant le combat est rude dans Le désespoir du 20190205_150039-1-1.jpggéomètre (5) où couleurs et lignes se disputent l'espace. Pour nous perturber un peu 20190205_145833-2.jpgplus, Pièces d'angle (6) rétablit la notion de tableau avec cadre et toile mais elle est à l'envers et c'est sur cet envers que se trouve appliquée, barbouillée, la couleur blanche. Des deux équerres, l'une brute, à la mi-temps du tableau, suggère une ouverture, l'autre, noire et en bordure, a un pouvoir conclusif.

    L'exposition revient alors au travail sur papier que Dezeuze a pratiqué tout au long de sa carrière. La série de 10 Sans titre, suite Lascaux, 1983-1984 (7), conjugue les mediums classiques, mine de plomb, pierre noire, encre typographique, carrés Conté, crayon de couturière... sur des fonds aux nuances douces, loin des couleurs primaires des tableaux-sculptures. Les lignes abstraites où dominent les obliques s'entrecroisent avec énergie. Faut il prendre ces signes rupestres comme la trajectoire redoutable de quelque arme acérée ou une explosion de liberté?  Du dessin, Daniel Dezeuze avoue: " C'est une compensation quelque part d'un désir de picturalité, il n'y a pas de doute".

    Si les tableaux-sculptures tenaient du jeu intellectuel, les dessins pourraient bien être de la légèreté et du plaisir..

    Daniel Dezeuze " Sous un certain angle", galerie Templon, 30 rue Beaubourg 75003, Paris. Jusqu'au 9 mars 2019.

  • Le Minimalisme chez Thaddaeus Ropac (par Régine)

    Si l'un des buts essentiels des oeuvres de l'art minimal est de révéler l'espace qui les environnent, la grande exposition que la Galerie Thaddaeus Ropac a organisée dans son spectaculaire lieu de Pantin autour de ce mouvement des années 1960, est une totale réussite. En effet, la sobriété, la rigueur, la beauté et les multiples déclinaisons des oeuvres de Donald Judd, Dan Flavin, Carl André, Robert Morris ou Robert Mangold sont exposées de façon à englober l'espace qui les entoure et à fonctionner de concert.

    Né aux USA en même temps que le Pop Art, en réaction aux débordements subjectifs de l'expressionnisme abstrait, ce mouvement se caractérise par un souci d'économie de moyens, le désir d'insister sur la globalité des perceptions, par la pratique de la répétition annonçant la notion de série et bien sûr l'élimination de toute expressivité.

    Le titre paradoxal de l'exposition "Monumental minimal"souligne le bouleversement que ces sculptures ont créé face à la notion de sculpture classique, notion déjà mise à mal au début du siècle par les avant-gardes russes, notamment par le constructiviste Tatlin, et en Pologne par le peintre Strezminski et la sculptrice Katarzyna Kapro fondateurs de l'Unisme et fort heureusement exposés récemment à Beaubourg.

    La pièce de Dan Flavin "Hommage à Tatlin" (photo 1)IMG_6965.JPG rappelle cette dette et évoque schématiquement le projet utopique de l'artiste russe "Monument à la troisième internationale". Avec cette construction faite de néons à la lumière blanche évanescente Flavin célèbre l'oeuvre de son prédécesseur. Sa sculpture irradie les colonnes sans socles de Donald Judd qui sont faites de parallélépipèdes en métal usiné, de même dimension (untitled 1989), dont le fond est soit noir (photo 2)IMG_6967.JPG, soit tapissé de plexiglass noir et rouge (Menziken 1988), soit différemment occulté par une plaque du même métal (Mensiken 1988) (photo 3) IMG_6952.JPG; ceux-ci sont accrochés en saillie, également espacés et leur nombre dépend de la hauteur du plafond. Le regard effectue donc un va et vient de bas en haut (ou de gauche à droite suivant le mode d'accrochage - Untitled 1986-87)(photo 4))IMG_6960.JPG et amène le regarder à constater les effets de perspective et de variation de la couleur en fonction de la lumière environnante. Débarrassées de tout affect, ne reposant jamais sur le sol, dénués de toute dimension représentative ou illusionniste, de toute hiérarchie entre les éléments qui les composent ces oeuvres s'opposent totalement aux idéaux de la sculpture occidentale. Accrochée non sans humour non loin de là, l'oeuvre de Robert Morris IMG_6951.JPGvalorise la matière (photo 5), oppose à la rigidité des oeuvres de D. Judd la notion d'informe en laissant le feutre dont elle est constituée s'organiser de lui-même .

    L'oeuvre de Sol Lewit "Seven basic colors and all their combinations in a square within a square" 2005, vibrant hommage à Albers, est ébouissante. Partant des trois couleurs primairesIMG_6942.JPG et de leurs complémentaires (photo 6) plus le gris, utilisant le carré comme forme de base, l'oeuvre se déroule tout autour d'une grande salle en une série de toiles de couleur vive dans lesquelles sont placés un autre carré plus petit d'une autre couleur (photo 7 et 8)IMG_6944.JPGIMG_6947.JPG. Comme avec les oeuvres précédentes, s'installe alors un dialogue entre le regardeur, l'espace et l'oeuvre et ici c'est avec jubilation qu'on ne se lasse pas d'étudier l'interaction des couleurs entre elles. L'art, dit  Sol Lewit, doit engager doit engager l'esprit du spectateur plus que ses yeux et ses émotions. Cette déclaration, plus conceptuelle que minimaliste, s'applique à la sculpture faite de modules de bois laqué blanc, tous identiques, installée en réseau dans la salle voisine (123454321 - 1978-80) (photo 9)IMG_6986.JPG. Elle offre, comme les sculptures de Judd, ne nouvelle perception mentale et spatiale de l'oeuvre, celle d'une forme de base dont les éléments sont susceptibles d'être installés différemment en fonction du lieu ou elle s'inscrit.

    Si les "Plan/figure series A B et G" de Robert Mangold (photo 10 et 11)IMG_6979.JPG IMG_6981.JPGne créent pas la même jubilation que les Wall Drawing de Sol Lewit, il n'en sont pas moins significatifs de la rigueur de ce mouvement auquel cet artiste est rarement rattaché. Influencé par le travail de Barnet Newman et par les recherches de Stella sur les limites du tableau il va façonner lui-même ses cadres. Ici sur de grands diptyques parallélépipédiques enduits d'un jus de deux couleurs différentes, il dessine à la main et au crayon des formes géométriques (ovales, ronds...) légèrement déformées introduisant un peut d'humanité dans ces grands monochromes où se perd le regard. Dans l'angle opposé de la pièce "Untitled (to Sabine and Holger 1966" de Dan Flavin, composée d'un ensemble de néons diffusant une couleur rose, transforme l'espace environnant et contamine par sa beauté l'ensemble de la pièceIMG_6984.JPG.

    L'idée de modules préfabriqués se retrouve aussi chez Car André qui a bouleversé une caractéristique essentielle de la sculpture à savoir la verticalité en instaurant l'horizontalité. Le long chemin de grosses poutres en sapin Douglas laissé brut avec leurs accidents et leurs couleurs chaudes se déroule avec bonheur au pied des toiles de Sol Lewit (photo 11 et 12)IMG_6973.JPGIMG_6971.JPG. Cett oeuvre de 1981 institulée "Bar" rappelle l'attachement de Carl André à Brancusi dont il disait "Je ne fais que poser la colonne sans fin de Brancusi à même le sol au lieu de la dresser vers le ciel". Dans sa façon d'inviter le spectateur à toucher ses oeuvres en les parcourant, en ne lui offrant aucun point privilégié, aucune hiérarchie, en choisissant des matériaux naturels (cuivre, calcaire, ardoise) son oeuvre provoque un plaisir presque sensuel. Illuminé par le halo vert diffusé par l'éclair des néons de Dan Flavin, "Copper blue vein" de 1990 constitué de plaques de calcaire qui enserrent des modules de cuivre est d'une grande beauté et vous saisit dès l'entrée de l'exposition.

    Même si la plupart des oeuvres exposées sont plus tardives que celles créées au moment de la naissance de ce mouvement, elles montrent que le minimalisme a continué son chemin jusqu'au début de XXIème siècle. Il a non seulement marqué certains artistes français tels que François Morellet, Martin Barré, Jean Degottex mais aussi ouvert la voie à la pratique des installations qui, elles aussi, se transforment en fonction du lieu ou elles s'inscrivent.

    "Monumental minimal" - Galerie Thaddaeus Ropac - 69 avenue du Général Leclerc, 93522 - PANTIN (01 55 89 01 10). Jusqu'au 23 mars.

  • Giacometti, Messager et Montparnasse. (par Sylvie)

    Alberto Giacometti,peintre, sculpteur d'origine suisse italienne, fait partie des artistes qui ont choisi de s'installer à Façade Follot-20190106_145715.jpg20190106_142701.jpgCarrelage Follot-20190106_142920.jpgParis dans la première moitié du XX ème siècle et qui ont contribué à en faire un lieu particulièrement riche de culture. Montparnasse fut leur quartier et, encore aujourd'hui, il en a gardé les traces et l'aura. Une Fondation Giacometti est née en 2017 sous l'égide de l'Institut du même nom créé en 2011 grâce au leg d'Annette Giacometti de tout le fond d'atelier de son mai, décédé en 1966. Elle a trouvé place non pas dans l'ancien atelier de l'artiste au 40/46 rue Hyppolyte Maindron dans le quartier Alésia que Giacometti occupa pendant près de quarante ans mais dans celui du décorateur et ébéniste Paul Follot, un des pères du style art-déco, situé le long du cimetière Montparnasse. Cet hôtel particulier de 1912 est couvert en façade de mosaïques et de ferronneries de Bataille de nez-20190106_144059.jpgl'époque (1) et l'intérieur est chaleureusement habité par des bibliothèques L'écureuil-20190106_143922.jpgGiac-tenture-20190106_144235.jpgépousant l'ovale des murs, des vitraux colorés , des tentures murales  (6) et des carreaux de sol dont l'or irradie (3): une merveille de charme intimiste. L'atelier de Giacometti y a été reconstitué avec ses murs peints/gribouillés, des oeuvres en plâtre plus ou moins achevées et tout le matériel du peintre sculpteur (2) . Plus que trois jours pour y voir "Mes chambres", une exposition qui fait dialoguer Annette Messager, plasticienne d'aujourd'hui née en 1943, qui revendique la dimension féminine de son art dans des installations où dominent la laine te le tissu, et le maître des lieux. C'est non sans humour que se font face des oeuvres de chacun d'entre eux. Ici une "Annette debout" ( Annette est le prénom de l'épouse de Giacometti) , un nu en bronze de 1954 tout en finesse, fierté, dépouillement et la "Parade de l'écureuil", 1994, un animal naturalisé pris dans des filets, entravé, d'Annette Messager (5). La "bataille de nez" met en présence l'appendice agressif de quelque Pinocchio  grotesque  créé par Giacometti, plâtre 1947, retranché dans sa cage de métal face à "La mère et l'enfant" 2018, de Messager, en tissu, comme un nounours ou un bébé suspendu au cou de sa mère dont la silhouette de métal évoque au contraire avec poésie une infinie tendresse et toute la vulnérabilité de l'humanité (4). Clin d'oeil à  l'oeuvre surréaliste de Giacometti "La boule sleeping bag", 2018, de Messager est un sac de couchage plié en forme de sexe féminin (7 et 8)A. Messager20190106_144421.jpg sleeping bag.jpg

    Institut Giacometti, 5 rue Victor Schoelcher, 75014, Paris. Jusqu'au 13 janvier 2019.  Une autre confrontation s'y tiendra dans quelques semaines.

    alberto-giacometti-contemporary-sculpture.jpgPour aller au delà de cet ensemble à deux voix une visite à l'autre exposition Giacometti au L'homme traversant-20190104_165027.jpggiacometti_jean_genet.1280459.jpgmusée Maillol s'impose. Sont présentes une cinquantaine de sculptures mises en regard avec des oeuvres d'autres artistes majeurs comme Rodin, Bourdelle dont Giacometti fut l'élève, Laurens, Maillol, Brancusi, Zadkine...

    Le parcours est chronologique, des oeuvres de jeunesse tout à fait classiques à l'influence africaine , au surréalisme -assez peu représenté malgré la présence de l'oeuvre mythique" boule suspendue" (8)- et l'abstraction jusqu'au retour à une certaine figuration.  La femme, cuillère" en plâtre de 1926 et "L'homme traversant une place" ,bronze 1949, (9), voilà deux perceptions de l'humain universel, la pensée  et l'action. Quant aux silhouettes rongées, les traits indéfinis, les postures hiératiques et les cages qui entourent les personnages, même lorsqu'ils sont peints, les enferment dans leur solitude comme ce portrait de Jean Genet (10). Sculptés souvent de mémoire, leur caractère est insaisissable. Les femmes en groupe sur des socles épais, sont élancées, dominatrices ou du moins assurées dans leur être et les hommes, en bustes, semblent écrasés. Toute l'humanité est à saisir dans ces profils où l'angoisse affleure.

    Giacometti au Musée Maillol,59-61 rue de Grenelle, 75007 Paris. Prolongation jusqu'au 3 février 2019.