Le rêveur de la forêt au Musée Zadkine (par Régine)
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Niché au fond d'une impasse donnant sur la rue d'Assas, le Musée Zadkine et son charmant jardin offrent un espace de liberté où la nature a repris ses droits au coeur de la ville. C'est là que l'artiste russe, dont l'oeuvre s'inscrit dans le courant du primitivisme du début du XXème siècle, poursuivit sa recherche sur la fusion de l'humain et du végétal. Ne disait-il pas "Je pense que les sculpteurs de ma générations tels que.... Archipenko, Brancusi, Lipschitz et moi-même pouvons être considérés comme les continuateurs de l'antique tradition de ces tailleurs de pierre et de bois, qui partis de la forêt, chantaient librement leurs rêves d'oiseaux fantastiques et de grands futs d'arbres". Son atelier était donc bien le lieu idéal pour organiser cette très attachante exposition intitulée "Le rêveur de la forêt".
La forêt, monde complexe et matrice du vivant, occupe dans notre imaginaire une place à part faite de peur et d'enchantement. C'est un territoire dangereux où tout est sombre et sauvage, un univers mystérieux où se nichent les mythes. Y poussent en nombre les arbres qui relient le monde d'en haut et le monde d'en bas, où s'effectue peut-être le mélange des règnes.
Face à la montée des préoccupations écologiques, cette exposition montre que ce thème, depuis le début du XXème siècle et jusqu'à aujourd'hui est une source inépuisable d'inspiration pour les artistes, à commencer par Zadkine lui-même. Organisée en trois chapitre "Lisière, "Genèse", Bois sacré, bois dormant", elle offre au visiteur une déambulation extrêmement stimulante.
La lisière incarne une frontière symbolique et physique entre le monde sauvage et civilisé. Avec la série "Vendanges" (photo 1), totems ici rassemblés au centre de la pièce, le maître des lieux a fait surgir de puissants corps de femmes de troncs d'arbres, exploitant leurs formes et leurs aspérités. "La femme à la madoline" (photo 2), dont le corps taillé dans un arbre au bois très noir, extrêmement poli et gravé d'une mandoline, acquiert une grâce pleine de féminité. Le lumineux tableau de Natalia Gontcharova "Forêt d'automne" (photo 3), avec ses couleurs flamboyantes et ses diagonales entrecroisées et jaillissantes, force le regard. Entre autres oeuvres on retrouve avec plaisir les personnages en marche d"'une "Forêt" de Giacometti (photo 4), une matériologie de Dubuffet intitulée "Chaussée boiseuse" ou un "Nu aux bras levés" de Picasso.
Puis avec le chapitre "Genèse" on entre dans la forêt où tout est possible. En amalgamant les règnes les artistes ont laissé ici libre cours à leur imaginaire. En voici quelques exemples : exploitant les formes d'une racine d'arbre et en les peignant de couleurs vives Karel Appel fait surgir un génie à la fois humains, végétal et animal qu'il intitule "La Chouette"(photo 5), figure à la fois inquiétante et pleine d'humour. Empruntant à l'univers organique, les belles sculpture en plâtre lisse, d'un blanc immaculé, de Jean Arp (photo 6) évoquent une vie à la fois végétale et humaine tandis que les chimères technologiques qui combinent des formes issues des différents règnes du vivant d'Hicham Berrada envahissent les murs de la salle (photo 7). Victor Brauner, quant à lui, n'a pas hésité à réinventer la "Jungle" du Douanier Rousseau en y introduisant un monstre aux multiples bras faisant face à la charmeuse de serpent. La branche d'arbre remaniée par Laure Prouvost nommée "Parle Ment Branches" (photo 8) est bien impudique mais elle exhibe sa féminité avec grâce et élégance. Avec sa sculpture en bronze patinée intitulée "Brotes" (photo 9), Javier Perez fait surgir d'un coeur doré ce qui pourrait être aussi bien la ramure d'un cerf que celle d'un olivier. Tout ici fusionne sous le regard miroir de Penone et la garde de deux magnifiques sculptures : l'impressionnante "Chauve souris" de Germaine Richier (photo 10) et l'énigmatique "Oiseau d'or" de Brancusi (photo 11).
Le troisième chapitre "Bois sacré, bois dormant" se tient dans l'atelier de travail de l'artiste. Autour de la massive statue colonne de "Daphné" de Zadkine (photo 12) se déploie tout un monde de créatures imaginaires. Ainsi celles de Christophe Berdaguer et Marie Péjus dans la série "Arbres" (photo13) ; étranges silhouettes fantomatiques surgies de l'inconscient car réalisées en résine à partir de dessins effectués par des adultes au cours d'un test psychologique. Le bestiaire ambigüe de Laurie Karp est à la fois fascinant et repoussant avec "Graines de serpentes" et "Salamandres" (photo 14), elle crée, en faïence émaillée ou en porcelaine, tout un monde de créatures aquatiques et terrestres qui grouille en brouillant les frontières entre le végétal, l'animal et l'humain. La "Forêt noire" en bronze patiné d'Eva Jospin (photo 15) ne fait pas naître les mêmes sensations que celles que nous éprouvons devant ses grandes oeuvres en carton mais son impénétrabilité se trouve renforcé par la rigidité du matériau.
De Rodin à Marx Ernst, bien d'autres oeuvres concourent à évoquer ce "Bois sacré, bois dormant" "aussi touffu que celui des rêves et des peurs ancestrales" comme dit le petit catalogue qui accompagne judicieusement la visite.
"Le rêveur de la forêt" Musée Zadkine - 100bis, rue d'Assas, 75006. (01 55 47 77 20). Ouvert tous les jours sauf lundi et certains jours fériés, jusqu'au 23 février 2020.
Pour rester dans le même esprit n'hésitez pas à aller, non loin de là, impasse Récamier à Sèvres-Babylone, admirer l'installation "Black Bambou" de Nils Udo. Plongé dans l'obscurité vous découvrirez au milieu d'un espace, lui seul éclairé, une couvée de gros oeufs noirs cerclée d'une forêt d'immenses bambous. Le nid, la couvée sont les thèmes de prédilection de cet artiste qui nous avait habitué à des oeuvres plus intimes. Celle-ci très spectaculaire, mérite le déplacement.
"Black Bamboo" de Nils Udo - Fondation EDF - 6, rue Juliette Récamier, 75007-Paris. (01 40 42 35 35). Jusqu'au 2 février.