Blanc sur blanc (par Sylvie).
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Merci à l'actualité artistique qui nous permet de réviser nos connaissances sur un artiste, un mouvement, une époque. Pour quelques petites semaines encore, la galerie Gagosian propose un panorama d'oeuvres contemporaines sur le thème du blanc qui montre à quel point celle qui fut considérée comme une non-couleur a prouvé sa force d'expression quel que soit le médium utilisé. Si en 1910, Malevitch a révolutionné le monde de l'art avec son "Carré blanc sur fond blanc", peu d'artistes se sont autant consacré au blanc que l'américain Robert Ryman mais nombreux sont ceux qui l'ont exploré, ont questionné la puissance d'expression de ce mystère ouvert à toutes sortes d'interprétations. Entre image parfaite, absolue ou vide, le blanc est à coup sûr un embrayeur d'imaginaire. La preuve par quelques oeuvres ici présentes.
Dès l'entrée, le tableau de Giuseppe Penone saisit par sa brutalité première. "Pelle del monte", (2012, marbre de Carrare). Sous la blancheur froide et lisse du marbre griffé comme une peau, apparait la planche d'agglo brut, telle la chair blessée de l'arbre dont il est issu. En travaillant avec des éléments naturels, Penone, italien né en 1947, associé à l'Arte povera, mène une réflexion sur la relation entre nature et culture, entre corps et oeuvre, entre voir et toucher et nous met sous les yeux une étrange, un peu inquiétante beauté, sensuelle et poétique (photo 1).
En pénétrant plus avant, on est ébloui par l'oeuvre de Sheila Hicks. "Le fleuve blanc" (2018, en lin), s'inscrit dans la cage blanche de l'escalier de la galerie. Quelle majesté ! Cette colonne aux impressionnantes dimensions, s'intègre magistralement à l'architecture des lieux. Le tombé en volutes naturelles des fils de lin, à la fois souples et pesants, s'apparente, dans sa blancheur légèrement cassée, aussi bien à une liane qu'à une sculpture minérale. Sheila Hicks, américaine née en 1934, se destinait à la peinture quand elle a découvert les textiles du Pérou précolombien. Si toute son oeuvre est imprégnée du multicolorisme de cette civilisation, elle est aussi profondément ancrée dans la richesse des textures elle-mêmes. La couleur naturelle de ces écheveaux capte la lumière et met l'accent sur le relief et la volumétrie (2).
Après la quiétude de la demi-teinte, la violence du blanc cisaillé de Lucio Fontana, artiste italo-argentin né en 1899, secoue un peu.: "Concetto spaziale, Attese", (1966, peinture à l'eau sur tissus). En rupture avec la gestualité informelle, Fontana a choisi, dès 1957, le geste net, purifié, central, qui va à l'essentiel et implique une concentration maximale. Monochrome fendu à connotation érotique, ce concept spatiale "Attente" peut également se lire comme image de l'infini. Le blanc n'y est pas pour rien. Il fait d'autant mieux percevoir "la paradoxale présence de l'absence", selon la formule du critique d'art Guido Ballo (3).
Reconnaissons au travail de Cy Twombly, peintre américain - 1928/2011 - sa poésie, même s'il est parfois difficilement compréhensible, auréolé d'une sorte d'ésotérisme culturel. A la fois peintre, sculpteur, photographe, il a toujours attaché une grande importance au blanc, que ce soit le papier ou la toile. Et ses sculptures, dont celle-ci, "Untitled (1977, résine synthétique peinte), l'attestent. Pénétré de culture antique - il a longtemps séjourné en Italie et est mort à Rome - ses assemblages d'objets modestes sont peints en blanc en référence au marbre antique: une façon, peut-être, de donner de la noblesse à notre monde moderne (4).
"Tabula lilas" (1982, acrylique sur toile, 240x270cm), est une oeuvre du peintre d'origine hongroise Simon Hantaï, l'homme des pliages de la toile froissée, nouée, plongée dans des bains de couleur puis séchée et retendue sur chassis. Seules les zones pliées, restées en surface, sont peintes. Sa formule:" le pliage comme méthode" est restée emblématique. Ces exercices chromatiques participent d'un éloge de la peinture pour elle-même. Le peint et le non-peint cohabitent en une équivalence voulue mais fonctionnent selon l'environnement. Il y a du vampire dans la neutralité du blanc. "Tabula lilas", sous la lumière, à la lisière de la peinture blanche et du support de lin blanc, laisse apparaitre une couleur de tonalité lilas. La couleur serait elle une illusion ? (5).
C'est le plus grand des tableaux exposés. Il est là comme un coup de poing déstabilisant et néanmoins jubilatoire, avec ses larges traces blanches de brosse qui, effaçant ce qu'on devine être l'image d'une vitrine de magasin et son aura commerciale, semble vouloir le moquer et s'en débarasser. "Avenue Montaigne # = 1" (2000, jet d'encre sur toile), est une peinture de Bertrand Lavier, artiste français né en 1949, qui joue avec les catégories, les codes, les genres, sollicitant l'oeil et l'esprit. Le geste provocateur cache, le titre ironise, le blanc se révèle oeuvre : façon décalée de voir la réalité et de poser la question: qu'est-ce que la peinture ? (6)
Blanc sur blanc, galerie Gagosian, 4 rue de Ponthieu 75008 Paris, jusqu'au 7 mars.