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Peinture - Page 6

  • Le Futurisme (par Sylvie)

    Retour sur l’exposition « Le Futurisme à Paris », cette avant-garde dite explosive, essentiellement italienne, dont le Centre Pompidou fête les 100 ans.

    Bien sûr, l’enthousiasme pour le mouvement, la machine, la vie trépidante et le bruit, des villes et des foules, tout cela se lit clairement. Et, dans le dialogue avec le cubisme, se perçoit bien comment celui-ci, en appréhendant les formes sous leurs différents angles en même temps,  a ébranlé avant le futurisme les certitudes anciennes et introduit cette accumulation de sensations visuelles qui nous paraissent aujourd’hui appartenir de façon évidente à la modernité.

    Et puis l’exposition nous fait connaitre des futuristes moins connus que les italiens, des russes des britanniques (Christopher Richard Wynne Nevinson ) ; ou des français ( Félix del Marle).

    Pourquoi ces œuvres m’ont-elles particulièrement poussée à des rapprochements ? Peut-être  parce qu’elles se situent à une période charnière de l’histoire de l’art où l’on porte un regard vers le futur un peu comme nous aujourd’hui. Avec une différence radicale, leur optimisme.12-01-2009 17;01;11 Uccello.jpg

    12-01-2009 17;41;32 Carlo Carrà.jpgA mes risques et périls, voici quelques unes de mes mises en parallèle.

         Devant « les Funérailles de l’anarchiste Galli » (1910, photo 2) de Carlo Carrà  s’est superposée «  La Bataille de San Romano « de Paolo Uccello (1435, photo 1). Même dynamique progressive, même vitalité, même violence, même héroïsme, mais les vibrations des slogans ont remplacé celles des lances et des arbalètes, le mouvement ouvrier la gloire de Florence.

         Le « Nu descendant l’escalier » de Duchamp, (1912 photo 3) m’a projetée devant un des « Violon brisé  » d’Arman, (années 70), photo 4) toutes choses morcelées, déconstruites.12-01-2009 16;43;15 Duchamp.jpg

    12-01-2009 16;44;29 Arman.jpg     « Le Rire » un peu monstrueux d’Umberto Boccioni (1911) m’a rappelé la violence et l’urgence de certaines « Women » (années 50) de l’expressionniste abstrait ’américain Willem de Kooning.

       Et devant la façon dont Nathalie Gontcharova  traduit le mouvement dans » Le Cycliste »,(1913, photo 5))- des cercles concentriques suggèrent la mécanique des tours de roues  et les soulignements celui du travail du corps – j’ai vu un très net rapport

    avec les vues floutées de Carole Benzaken « By night III », (2003, photo 6) Celle-ci pointe le passage et la perception des spectateurs, l’autre l’effort individuel de l’acteur, toutes le deux le mouvement -583051510-12-01-2009 16;27;25 Gontcharova.jpginachevé. Deux rapidités de temps différentes.12-01-2009 16;32;31 Benzaken.jpg

      Et comment ne pas être tenté de confronter« La rue entre dans la 12-01-2009 16;37;55 Boccioni.jpgmaison » (1911, photo 7) de Boccioni  à « Plug-in-city  Vitry-sur-12-01-2009 16;35;08 Bublex.jpgSeine »(2001, photo 8) d’Alain Bublex ? Dans la perception de la ville en chantier anarchique, tout les oppose. Chez l’un l’espace grouillant d’activité humaine fait l’admiration du spectateur inclus dans l’image ; l’autre campe un espace anonyme, vide d’êtres humains et fait de cellules industrielles modulables : deux façons de vouloir changer le cadre de vie. A 90 ans de distance.

     

    Il est un rapprochement qui n’a rien à voir avec l’histoire de l’art mais qui m’a remplie de joie, c’est la rencontre des gris cubistes, fragmentés, de Braque et de Picasso et, vus à travers la baie du musée, des toits gris, étagés, de Paris dans le brouillard hivernal...

     

    « Le Futurisme à Paris », Centre Pompidou, Paris, jusqu’au 26 janvier 2009.

  • Loïc Le Groumellec ( par Sylvie )

    Le motif est sévère, nu et inquiétant; la surface brillante, la matière épaisse, le graphisme simplifié et la gamme limitée aux seuls noir et blanc. Réduites à ce descriptif sommaire les oeuvres de Loïc Le Groumellec exposées à la galerie Templon pourraient apparaitre consternantes de pauvreté.

    Le Groumelec.jpg"Mégalithes et maison" 2008, 120x110 cm, est l'une d'entre elles. Un titre qui est aussi un thème récurrent chez cet artiste breton né en 1957 dont la motivation semble la peinture elle-même. Toujours les mêmes sujets - mégalithes, croix, maisons - les mêmes couleurs et une même sobriété. Comment avec si peu de moyens une oeuvre peut-elle dégager une telle impression de mystère, de mélancolie et s'avérer si attachante ?

    Car rien ne s'ajoute à ces formes presques abstraites accolées les unes aux autres. Il n'y a que les ombres pour souligner leur volumétrie et les nuances de gris pour faire palpiter leur environnement. Terre et ciel se confondent dans une lumière incertaine, une sorte de pénombre qui pourrait être l'aube, le couchant, une grisaille pluvieuse ou un brouillard. Dans cet entre-deux les formes elles-mêmes se différencient peu. Les volumes sont presques semblables et tous verticaux. Seul diffère légèrement le traitement de ces blocs monolithiques, plus ou moins ovoïdes  et de guingois. Sans la double pente anguleuse centrale qui rappelle un édifice et une proportion monumentale, ils tiendraient aussi bien de curcubitacés géants à la peau grumeleuse que de buissons épais ou de menhirs.  L'oeil fait face à une entité incongrue, centrée sur la toile,  ilôt bloti replié sur lui-même, loin du monde. Dedans, c'est le silence, dehors, c'est un grand vide. Quelle solitude.

    L'artiste s'explique:" ma réflexion est basée sur des oppositions. Toute la structure repose sur ces conflits: poser la peinture mais avec une technique de l'effacement au chiffon, le noir/le blanc, la racine/l'élévation, la déconstruction/la reconstruction, la masse d'un religieux profane, la croix chrétienne et la croix tellurique

    De ce presque rien tout en retenue et symboles nait, dans l'épaisseur de la laque industrielle miroitante retirée à certains endroits pour mieux faire apparaitre le motif noir profond, la douceur, la tendresse rassurante d'une solidarité humaine dans la tourmente. La fine croix, à gauche, rassemble un peu plus cette communauté. Curieusement, elle ne coiffe pas le bâti. Est-ce à dire qu'il y a autant de transcendance à trouver dans la nature que dans l'homme ou dans une chapelle ? A chacun d' interpréter selon ses aspirations religieuses ou païennes.

     Plus je regarde cette oeuvre simplissime, plus elle me parait picturalement forte et chargée d'un non-dit éloquent.

    Galerie Daniel Templon, impasse Beaubourg 75003, Paris. Tel: 01 42 72 14 10. Jusqu'au 31 décembre 2008.

  • Jean-Pierre Schneider (par Régine)

    D'abord il y a ce grand tableau blanc qui capte le regard dès l'entrée dans la galerie et qui ne vous lâche plus. Une grande toile entièrement blanche au centre de laquelle un rectangle est esquissé ; de son angle supérieur droit un léger trait noir indiquant une perspective le transforme en boîte sans fond.*

    Le médium utilisé donne au blanc un rayonnement, une matière à la fois palpable et immatérielle. Il est froissé comme un linge par endroit, lisse comme du marbre à d'autres, partout immaculé. On pense à des linceuls, à des champs de neige fraîche, à des draps d'une blancheur parfaite.

    En bas à droite le mot "Falkenau" est à peine esquissé. Falkenau est le nom d'un camp de concentration dans lequel les américains se sont introduits après la guerre. Il y ont découvert des montagnes de cadavres. Ils sont allés trouver tous ceux qui vivaient tranquillement à proximité. Vous saviez, leur ont-ils dit, ce qui se passait, maintenant donnez-nous vos draps pour envelopper ces corps et leur rendre leur dignité.

    L'origine de cette toile est là, les draps blancs, la tombe sans fond, le froid, l'inimaginable absence. Ce tableau, dénué de tout pathos, est beau parce qu'il est juste et vrai.

    schneider 7.jpgJean Pierre Schneider procède ainsi par série autour d'un thème qu'il abandonne puis reprend parfois. Il y a celui de la boîte dont on peut voir plusieurs beaux exemples exposés ici, et parmi d'autres celui des pierres noiresschneider 2.jpg ou de la ligneschneider 5.jpg. Situés, la plupart du temps, dans le tiers supérieur du tableau on pense bien sûr au fil sur lequel marche le funambule, aux rochers posés ici ou là dans le cours d'une rivière permettant de la traverser à gué.  L'artiste nous suggèrerait-il la fragilité de tout passage ? La précarité de tout équilibre ?

    A la différence de Twombly qui efface volontairement les mots inscrits dans ses toiles afin qu'ils en fassent partie intégrante, évoquant ainsi les traces des cultures qui les ont précédées, J.P. Schneider écrit lisiblement des bribes de phrases empruntées à des poètes de notres siècle (René Char, Jean Genet...), des chiffres, une notation personnelle et le spectateur est invité à les lire ; va et vient du regard. Ici encore Jean Pierre Schneider fait une proposition.

    Et il y a également la matière de la peinture. Telle une peau il faut se retenir pour ne pas en caresser la surface. Comme Tal Coat qu'il admirait bdaucoup, Jean Pierre Schneider doit fabriquer lui-même son médium. Qu'ajoute-t-il à la couleur pour qu'elle soit si fluide, si veloutée, si discrètement sensuelle ? Les objets représentés échappent à toutes lourdeur, et semblent souvent prêts à se dissoudre dans la couleur du tableau.

    Le peinture de Jean Pierre Schneider n'est ni abstraite, ni figurative, mais suggestive.

    * Ce tableau est impossible à photographier, il faut aller le voir.

    Galerie Berthet Aitouaeres - 29 rue de Seine, 75006-Paris. Tél : 01 43 26 53 09. Ouvert du mardi au samedi de 11 h à 13 h et de 14 h 30 à 19 h. contact@galerie-ba.com

  • Champion Métadier (par Régine)

    metadier01.jpgCe serait se priver d'un grand plaisir en omettant de passer rue Quincampoix, à la galerie Catherine Putman, qui expose, jusqu'au 8 novembre, les oeuvres de Champion Métadier.

    La liberté des formes suspendues au centre de la feuille blanche, leurs couleurs éclatantes sont jubilatoires. Leur biomorphisme nous ramène aux origines de l'espèce, leur aspect ludique et coloré à l'enfance. Elles invitent à la rêverie, aux rapprochements savants, aux associations libres. Un grand plaisir pour les sens et l'intellect.

    Un résultat qui provient en grande partie de la façon de procéder de l'artiste : elle a su mettre au point un medium et une technique adaptées à son propos ; bel exemple de la rencontre heureuse de la matière et de l'esprit.

    Cette série s'appelle "Shellacs", nom emprunté à une résine naturelle dérivée d'excrétions d'insectes vivant dans les arbres. A ce matériau Champion Métadier ajoute des pigments purs. Elle dépose le mélange sur le papier posé à plat, puis le manipule juqu'à faire apparaître une forme qui lui convienne et qui commandera les suivantes. Ainsi un hasard extrêmement maîtrisé préside-t-il à leurs superpositions, emboîtements, juxtapositions ; leurs couleurs ont un éclat, un rayonnement que l'on pourrait qualifier de cathodique tant le fond du papier les rend luminescentes.

    Métadier 2.JPGLes 10 oeuvres exposées au dessus du bureau, face à l'entrée, est une ode à la couleur et à l'imaginaire. Beauté de l'alliance du jaune et du bleu, du vert et du violet, du rouge et de l'orange, du bleu et du noir ; gaîté et inventivité des formes, leur puissance érotique... On se plait à envisager ici une fleur ou un coquillage, là un jouet ou une silhouette féminine toute auréolée d'orange, là encore une amibe ou un être pieds par dessus tête...Les couleurs réagissent entre elles comme si elles étaient vivantes. Tantôt brillantes, tantôt mates, leurs rencontres créent des irisations, des superpositions, des effets d'épaisseur, de grains et de transparence.shellac.jpg

    Autant de figures qui semblent contenir des possibilités infinies de transformation "tels des organismes volatils qui se seraient formés un moment par arrêt sur image avant de disparaître" (Anne Hindry, Art press, oct. 2008, pp.50-52). Elles donnent  le sentiment que naissance et disparition sont intimement liés.

    L'univers de Champion Métadier, qui vit entre Paris et New York est très ancré dans le temps présent. La vitalité, la créativité, l'évolution incessante dont ces villes sont l'objet l'inspirent inévitablement. Elle dit puiser dans le répertoire des images médiatiques qui sollicitent sans cesse notre regard. Elle fait par exemple allusion aux "flyers", sorte de cartes postales publicitaires aux couleurs agressives que l'on distribue partout et qui finissent par voltiger sur le sol new-yorkais, aux nouvelles technologies, aux images virtuelles, à la création en 3 D, au monde des écrans.

    Ce travail s'inscrit aussi dans l'histoire de la peinture. Sa façon de laisser la part belle au hasard fait bien sûr penser aux surréalistes, au biomorphisme de Tanguy, de Arp ou de Miro, cette construction par la couleur à Matisse, ces gros plans et ces contrastes colorés de motifs qui pourraient être végétaux ou vulvaires à la Georgia O'Keefe et le fait de puiser dans l'air du temps et d'en utiliser le chromatisme au pop'art.

    Elle-même se dit en accord avec Fernand Léger par son répertoire de formes simplifiées, son implication dans son époque, sa fascination pour la modernité.

    Vous vous direz que Champion pour un prénom  ce n'est pas courant et qu'il vaut mieux pouvoir l'assumer. Et bien Champion Métadier est une femme, son prénom est Isabelle. On aimerait bien savoir si ne pas l'indiquer est un parti pris de féminisme ou une simplification.

    Galerie Catherine Putman, 40 rue Quncampoix, 75004-Paris, 1er étage. Ouvert de 14 h à 19 h du mardi au samedi. Tél 01 45 55 23 06. Jusqu'au 8 novembre.

  • Nils Udo (par Sylvie)

    P1000191.JPGP1000197.JPGAvec Nils Udo nous finissons en beauté notre dernier tour des galeries avant les vacances.

    Oui, Nils Udo (né à Lauf en Allemagne en 1937), dont nous connaissions depuis les années 70 les interventions éphémères dans le paysage, prises en photos par lui-même aux couleurs et aux cadrages soigneusement choisis. Un travail  plein de sensibilité sur la gamme étonnamment large des couleurs de la nature au fil des saisons, un regard de promeneur et d'artiste, une approche d'écologiste dénonçant indirectement la société.

    Rassemblant matériaux trouvés sur place ou en ajoutant d'étrangers par contraste, il nous a donné à voir un témoignage à la fois des richesses de la végétation et des possibilités de reconstruction des volumes et de l'espace. Avec les autres artistes du Land Art, il a mis le doigt sur l'incertitude des genres en art contemporain.

    Son côté fusionnel avec la nature, on le retrouve dans cette exposition  à la galerie Pierre-Alain Challier qui présente ses dernières peintures à l'huile, un retour à sa première technique.

    Avec le même intérêt pour le détail Nils Udo peint des gros plans comme s'il voulait nous révéler quelque chose qui nous aurait échappé : des troncs d'arbres, des branches, du feuillage, la ferme verticalité des uns, la savante constitution des autres ou simplement la délicatesse des formes et des couleurs. Il les saisit au pinceau frontalement comme en photo. Par la combinatoire sulbtile du froid-chaud des couleurs, leur légèreté ponctuelle - presque une transparence - sur des contours appuyés, j'ai cru toucher les textures contrastées et l'équilibre fragile de la végétation.

    Ici (photo 1) sur des branches au tracé résolu et aux couleurs automnales s'épanouit en un bouquet de petites touches traversées de lumière un très léger feuillage d'or. Il y a de la nostalgie dans ce feuillage dont on devine la chute prochaine.

    Là (photo 2), l'esquisse en larges traits oranges d'un fût au cadrage serré avec ses rameaux naissants se superpose à un lointain de forêt vert tendre : vision d'ensemble qui fonctionne comme l'oeil, capable de saisir l'un et le tout et les prémisses d'un printemps dans l'acidité tonale.

    Aux amateurs de paysages signalons également l'exposition "Landscope", qui se termine à la même date, à la galerie Thaddeus Ropac. Parmi les travaux des dix-neufs artistes réunis autour de la notion de paysage mon coup de coeur est allé aux deux oeuvres  en noir et blanc de Didier Rittener et Ugo Rondinone.

     

    Nils Udo, Galerie Pierre-Alain Challier, 8 rue Debelleyme, 75003 (01 49 96 63 00).  Jusqu'au 2 Août.

    Landscope, Galerie Thaddeus Ropac, 7, rue Debelleyme, 75003-Paris. (06 17 31 16 05). Jusqu'au 26 juillet.

  • André MARFAING (par Régine)

    Deux Galeries de la rue de Seine exposent actuellement les oeuvres des 15 dernières années du peintre André Marfaing, né en 1925 et décédé en 1987. Ne les ratez pas ! D'ailleurs, si vous passez dans la rue, vous résisterez difficilement à la tentation de rentrer tant, apercue depuis la rue, cette peinture s'impose avec force.

    L'éternel jeu de l'ombre et de la clarté (de la nuit et du jour, du vide et du plein, de bien et du mal, de l'absence et de la présence) qui, depuis l'origine fascine l'esprit humain, est peut-être ce qui retient le spectateur avec une telle force.

    Deux couleurs qui s'affrontent pour faire jaillir la lumière : le noir et le blanc, mais pas n'importe quel noir : lisse, brillant, mat, épais, toujours somptueux ; pas n'importe quel blanc : éclatant, ivoirien, crémeux, toujours éblouissant.

    Avec ces deux couleurs, et parfois un peu de brun ou de gris, et des coups de pinceaux que l'on imagine énergiques et précis, Marfaing construit ses tableaux. Il organise les plans, construit les affrontements, ordonnent les formes, sorte d'écriture dans l'espace dont l'énergie continue et maîtrisée provoque une explosion dans le regard.

    Parmi les constructions très variées de ses toiles on repère quelques constantes :

    marfaing 1.jpgParfois, comme dans l'oeuvre reproduite ici, un pont est jeté entre deux rives. A droite une large plage noire découvre le haut de la toile, tandis qu'une bande étroite occulte l'autre côté. Une écriture hâtive, énergique, très sûre relie les deux bords, ancrée à droite par un épaississement de la matière, comme une suture. Ce noir puissant fait flamboyer un blanc immaculé. La lumière claque de toute part. Blanc et noir se font tour à tour fond et forme ; le blanc n'est pas le lieu où s'absente la peinture, il réagit, il vibre.

    marfaing 3.jpgParfois la plage de noir occupe les deux tiers du tableau, en occulte le haut et se brise dans le blanc en un graphisme fougueux qui déchiquette l'espace (photo).

    Marfaing 6.jpgParfois encore la lumière doit se frayer un passage étroit entre deux grandes zones d'ombre. Elle les écarte comme le ferait une lame d'acier brillante, cassure étincelante qui s'ouvre sur l'infini (photo). Ainsi, même lorsque la lumière est occultée par le noir elle est néanmoins triomphante.

    On a souvent rapproché Marfaing de Soulages - ils s'appréciaient d'ailleurs mutuellement - mais leur démarche me semble différente. Soulages, sensibles à la matière des choses, travaille la peinture de façon à capter la lumière et à dialoguer avec l'espace. C'est la texture de la surface et la manière dont la lumière s'y décompose qui l'intéresse. Marfaing fait jaillir la lumière d'un parcours, d'une succession de gestes. Ce n'est pas le tableau comme objet qui le préoccupe, mais plutôt l'acte créateur lui-même et en regardant ses oeuvres, je ne peux m'empêcher de penser à ce passage de la genèse, où il est dit que Dieux créa la lumière en séparant le jour de la nuit.

    "Marfaing remonte dans le temps et il va très loin, jusqu'aux premières heures de la création, jusqu'aux moments où les chose n'existaient encore qu'en tant que tensions" disait le critique Imre Pane.

    Hormis ce conflit ombre/lumière, il se dégage de ces toiles une vitalité, une énergie communicative qui confirme notre propos.

     Galerie Berthet-Aittouarès, 29 rue de Seine, 75006-Paris (01 43 26 53 09). Galerie Protée, 38 rue de Seine, 75006-Paris (01 43 25 21 95) Ouvert du mardi au samedi de 11 h à 13 h et de 14 h 30 à 19 h. Jusqu'au 28 juin 2008.

     

  • Philippe Hélénon (par Régine)

    Dans la très animée rue Vieille du Temple, au numéro 23, une agréable galerie du même nom expose un artiste discret, très attachant et pourtant trop peu connu.

    La mode, Philippe Hélénon n'en a que faire. Ici vous ne verrez ni photos, ni installations, ni vidéos, mais de la vraie peinture.

    Pour s'exprimer l'artiste préfère le papier à la toile (une seule est ici présentée), le petit format au grand, comme s'il voulait resserrer au maximum son propos. Le regard qu'il porte sur le monde n'est pas tranquille mais intense. Avec le médium qu'il élabore lui-même, fait de gouache, de pastel écrasé, d'encres dilués, il obtient des noirs profonds percés d'éclats de lumière qui semblent sourdre des profondeurs de l'être et de la terre. Pour peindre il part de la réalité, mais non sans la déformer,  en accentuer certains aspects, en isoler d'autres et en donner parfois une représentation totalement abstraite. Le papier qu'il utilise est souvent marqué d'un pli en son centre, comme si la page peinte avait été extraite d'un livre ; c'est une lecture du monde qu'il nous propose. Ses sujets sont variés : portraits, objets, paysages et exercent sur le regardeur une étrange puissance.

    1667238061.jpgDes visages déformés, inquiétants, tourmentés surgissent d'accidents de la matière pour exprimer une intranquillité fondamentale et la difficulté d'exister. Agrégats de tâches claires et sombres ils occupent toute la page ou émergent d'un fond opaque et ne vous lâchent pas.

    Même masacrée/La face humaine/Est encore un visage/Humain/Sa ressemblance/Fait peur

    dit Bernard Noël dans "Quel est ce visage", un livre qui vient de paraître aux Editions Fata Morgana et consacré aux portraits de Philippe Hélénon.

    616591997.jpgLes objets qui lui donnent à rêver et qu'il peint sans relâche sont forgés de main d'homme (faucille, couteau, clou, lame) ou travaillés par la nature (ardoise, noeud de bois, graines). Sensibles aux correspondances entre les choses, les représentations qu'il en fait donnent lieu à des interprétations diverses : telle hache forgée par son grand-père pourrait être une palme ou un éventail, telle crosse un boomerang, telle lame un épi ou une bouteille effilée ou encore telle ardoise trouée un visage humain.

    1855625901.jpgGénéralement partagés en deux parties, la terre et le ciel, ses paysages sont réduits à l'essentiel : Dans celui représenté ici, l'humus noir plonge ses racines dans un milieu humide et lumineux tandis que le blanc du ciel occulte un gris sous-jacent. De petites diagonales viennent rompre son horizontalité  : formes humaines, végétales ou animales, on ne sait, qui nous rappellent que le monde n'est pas univoque.

    A la douceur de l'Ile de France Philippe Hélénon préfère, semble-t-il, les chemins de bergers, les pentes rocailleuses et désertes des Pyrénées où il passe souvent ses vacances dans la maison de son grand-père ou les landes arides et les côtés déchiquetées d'Irlance.

    Une oeuvre forte et extrêmement personnelle à découvrir.

    Galerie Vieille du Temple - 23, rue Vieille du Temple, 75003-Paris (Tél : 01 40 29 97 52) Du mardi au vendredi de 14 h à 19 h. Samedi de 14 h 30 à 19 h 30. Jusqu'au 31 mai

     

                                                                     

     

     

     

  • Pierre Buraglio rive gauche, rive droite (par Régine)

    518793109.jpgLe cours de la Seine qui sépare les deux galeries exposant actuellement Pierre Buraglio pourrait figurer le changement et la continuité qui sous-tend tout le travail de cet artiste.

    La Galerie Jean Fournier présente une vision rétrospective des oeuvres effectuées entre 1966 et 1997, essentiellement des travaux de manipulation de matériaux récupérés : agrafages, assemblages, masquages pleins ou vides, fenêtres... Peinture et dessin reprennent leurs droits dans la sélection de Marwan Hoss qui couvrent la période 1997-2007.

    Dans la diversité de ce travail, on retrouve un même sens du rythme, de la couleur, de l'espace créé entre le monde extérieur et l'oeuvre, cette façon bien particulière de solliciter le regardeur et d'appréhender le temps.

    En voici quelques exemples puisés d'abord chez Jean Fournier :

    Pour réaliser "Masquages plein" de 1980 (64,5 x 49,5 cm) (photo 1), l'artiste a récupéré des bandes de masquage utilisées dans les ateliers de peinture automobile ; il les a contrecollées, en une pluie de diagonales sur une plaque d'altuglass dont la transprence élimine le fond et rend l'espace actif et mouvant. La scansion des bandes beiges maculées de jaune ou de noir (comme les dièses du clavier d'un piano) insuffle un rythme puissant à la composition et redonne à ces déchets promis à la poubelle une vitalité qui déborde le cadre.

    1787850604.jpg"L'assemblage de paquets de gauloises" de 1982 (47,5 x 52 cm), (photo n° 2), est constitué d'emballages de cigarettes vides bleus et verts, de papier noir, de bandes de masquage et de signalisation. Ils ont été dépliés, défroissés et assemblés par des agraffes, de la colle ou d'autres moyens, morceaux d'une réalité déchue qui, sans cette intervention auraient disparu. De ce sujet qui aurait pu être nostalgique, Buraglio a fait un jeu graphique multicolore et  trépidant.

    Coexistent ainsi sur une même surface des temps différents : celui de l'action sur ce qui a été récupéré, celui de la mémoire et de l'inéluctable dégradation que le temps fait subir aux choses. En outre, l'organisation en horizontales et diagonales et l'agencement des couleurs, entraînent le spectateur dans une cadence et un temps qui n'ont rien à voir avec du vague à l'âme.

    Pour les travaux plus récents présentés rue d'Alger, Buraglio a délaissé la glane pour reprendre crayons et pinceaux, sans toutefois abandonner le maniement de l'agrafeuse. Ses "Dessins d'après" attestent d'un attachement à la peinture de ses prédécesseurs et plusieurs oeuvres témoignent de son goût pour l'architecture, l'art du montage, le jazz et le cinéma. Un artiste complet !

    1563480370.jpgUne constante : la liberté laissée au spectateur pour compléter, imaginer, rêver, se souvenir... "Mon bunker 5" de 2007/2008 (40 x 95 cm) (photo n° 3),  enserre, dans l'angle droit d'un cadre de sérigraphie, une petite peinture sur contreplaqué qui, en quelques traits, figure le haut d'un immeuble. Vide, le reste du cadre devient, pour le spectateur, une possibilité en suspens. Ce manque donne au visible sa force et sa présence. Il devient ouverture sur un espace mental beaucoup plus vaste.

    Le "16" , le yuka de 2007 (160 x 127 cm) qui clôture l'exposition pourrait résumer bien des aspects de son travail : exploitation d'un fond en contreplaqué usagé, réemploi de dessins détourés, forte présence de détails d'architecture, découpage, à la Matisse, dans la couleur, tout un ensemble construit par agrafages comme autant de flash de mémoire...

    Quel talent que  de faire coexister dans un espace à deux dimensions toutes sortes de références, d'en exploiter les possibilités plastiques, et de les organiser de telle façon que le résultat final serve de tremplin à l'imaginaire du spectateur.

    Buraglio a conquis sa place et affirmé sa personnalité de peintre dans les années 60 au sein de Support-Surface qui s'attachait à redéfinir la peinture et ses constituants. Quarante ans après il poursuit ce même chemin qui n'a pas pris une ride et garde, au contraire toute sa fraîcheur. Le raffinement de la couleur et l'équilibre de la composition contribuent largement à cette réussite.

    Galerie Jean Fournier, 22 rue du Bac, 75007 (01 42 97 44 00) Métro : Rue du Bac - Oeuvres de 1966 à 1997. Jusqu'au 30 Avril

    Galerie Marwan Hoss, 12 rue d'Alger, 75001 (01 42 96 37 96) Métro : Tuileries - Oeuvres de 1998 à 2008. Jusqu'au 30 avril.

     

  • Max Wechsler (par Régine)

    1505588488.jpg1405234232.jpgA la fois ascétiques et énigmatiques, délicates et puissantes les oeuvres de Max Wechsler actuellement exposées à la galerie Guislain - Etats d'art nécessitent de s'y arrêter longuement et de les examiner avec attention. A distance elles sont presque monochromes, de près elles révèlent un travail extraordinairement minutieux.

    Grands formats, aux reflets de métal, et petits papiers marouflés, regroupés par deux, trois ou quatre, développent une gamme de noirs et de gris dont il est difficile de dire le véritable médium : pas d'huile, pas d'acrylique, pas de gouache. Les motifs sont des lettres, des fragments de mots indéchiffrables. Or, ces oeuvres ne sont pas peintes mais faites de morceaux de papier imprimé incroyablement travaillés.

    Le matériel de base : des pages imprimées et déchirées, une photocopieuse noir et blanc, des ciseaux, de la colle et du liant. Pour les grandes toiles, souvent divisées en trois parties, Wechsler chiffonne le papier et le colle librement sur la surface préparée de la toile jusqu'à ce que celle-ci soit complètement et densément recouverte (photo de gauche). Le tout est revêtu d'une couche de colle qui devient un élément plastique de l'oeuvre par sa présence dure et transparente qui favorise l'éclosion d'infinies nuances.

    La photocopie permet aussi toutes sortes de manipulations : reproduire les bribes déchirées, les agrandir ou les réduire, varier les contrastes, flouter le contour des lettres pour arriver à une sédimentation d'images, de mémoires diverses.

    La texture fine et soyeuse des petits formats  non recouverts de colle (photo de droite) , est d'une infinie douceur. Les gris impalpables se nuancent de jaune, de vert ou de rose. Deux, parfois trois bandes horizontales, à motif différent, se recouvrent légèrement et occultent sur quelques centimètres le papier sous-jacent, différent de celui du dessus, comme une liasse d'échantillons.

    On n'est pas dans la peinture, mais dans l'écrit. Les caractères sont souvent méconnaissables. Le texte, impossible à déchiffrer, est plongé dans l'obscur. A l'inverse d'Opalka qui exprime l'anéantissement par un lent processus, Max Wechsler malaxe, enfouit lettres et mots, et en rend la signification inaccessible. 

    Veut-il communiquer ainsi son rapport au langage par l'effacement du sens ? Seul l'univers plastique peut en avoir un quand l'écrit n'en porte plus. Enfant d'une famille juive, né à Berlin en 1925, il est arrivé en France à l'âge de 13 ans dans un pays où parler allemand était une menace mortelle. Seule solution : se taire. Cette expérience traumatique façonne probablement son oeuvre.

    La gamme des noirs calcinés et des gris cendrés évoque la disparition dans les flammes et on ne peut s'empêcher de penser qu'il s'agit d'une référence à un monde englouti et aux évènements mortels qui ont marqué sa jeunesse.

    Cette peinture de murmure et de retenu semble signifier que l'excès d'écrit tue le sens. Devant le déferlement actuel de publications Wechsler nous dit peut-être qu'il est temps de faire taire ce barvardage pour entendre ce qui est important.

    Toujours présentées sans cadre, tissées d'innombrables lettres et mots ces oeuvres sont de bien énigmatiques messages qui laissent au bord du vertige.

    Galerie Etats d'Art - 35, rue Guénégaud, 75006-Paris. Tél : 01 53 10 15 75, du mardi au samedi de 11 h à 13 h et de 14 h à 19 h. Jusqu'au 15 avril. Galerie.guislain@wanadoo.fr

  • Philippe Cognée (par Sylvie)

    1128155432.JPGParce que depuis ses débuts j'ai toujours apprécié son travail, je suis allée avec entrain voir la dernière exposition de Philippe Cognée , chez Templon, à Paris.

    Il y a là 36 tableaux du même petit format (70,5x47cm), accrochés bien régulièrement à hauteur des yeux. Des rouges lie-de vin, des noirs et des blancs puissants et des demi-tons somptueux s'y déploient dans une déclinaison de lignes horizontales et verticales. Le thème ? Des carcasses animales, des sacs d'os et de viande suspendus à des crochets. De près, de loin, en gros plans ou en rangs, tel un reportage. Il est vrai que photos et vidéos servent toujours à Cognée de point de départ, quelque soit le sujet. Projettées sur la toile ou le bois, elles sont peintes à l'encaustique  (cire d'abeille et pigments) et recouvertes d'un film plastique qu'il chauffe au fer à repasser puis arrache. Ce qui a fondu devient écrasé, embué, donnant aux éléments figurés un aspect  fragile, plus vivant et plus abstrait à la fois. Matité des zônes arrachées, vitrification  des fonds vierges, la surface - la peau de la peinture ? - vibre autant que l'image. Toutes ces vues sont des plongées dans la matière animale, pas de bordure pour limiter le champ. Gros plans et alignements dans les abattoirs industriels sont autant  de corridors, de perspectives floues dans lesquelles le regard pénètre comme dans les allées d'un jardin. Non sans un certain 66128057.JPGmalaise, quand même.

    D'autres artistes avant lui se sont penchés sur les "écorchés" et les quartiers de boeuf, Rembrandt , Goya, Soutine, ou encore Bacon. Après avoir traité, avec distance et froideur, des foules, des villes, des étalages de supermarché, l'univers de notre quotidien construit et, par le floutage, donné sur le point de disparaitre, Cognée avait dévoilé plus nettement son angoisse du néant dans des séries de crânes humains. Le regard  qu'il porte ici sur la chair, fut-elle animale, m'a donné le sentiment qu'il abordait, de front cette fois, la question essentielle: qui sommes nous ? et, pour l'artiste qu'il est : qu'est-ce que la peinture?

    Pris individuellement, ces tableaux sont d'une très grande beauté plastique. La série, insecable, est presque trop forte. Personnellement je préfère le Cognée plus distant.

    Philpppe Cognée "Carcasses", galerie daniel templon, 4 impasse Beaubourg, 75003. Paris. Du mardi au samedi, de 10h à 19h. Jusqu'au 5 avril.