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Un peu de provoc place Stravinsky ( par Sylvie)

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On a toujours envie de profiter de Paris, plus encore pendant le confinement qui nous frustre de tout musée et de bien d'autres visites. Reste les balades. Elles abondent dans la ville. 

20201209_140327 (2).jpgLa place Stravinsky, dans le 4ème arrondissement, était un peu endormie lorsque j'y suis passée. Ciel gris, plus clair quand même que l'église Saint Merri ( ou Saint Merry ) au nord, qui semble ne pas avoir été ravalée depuis son édification au XVIe siècle, peu de passants, restaurants en bordure fermés.. Le bassin central n'a plus d'eau et les sculptures qui d'habitude l'animent sont immobilisées. Malgré cette mise en sommeil, le lieu garde une étrange gaité faite de contrastes surprenants, comme un résumé de l'Histoire et de la nature humaine, mélange complexe, hétéroclite dans ses formes, ses couleurs, ses époques, son art de vivre et ses cas de conscience.

De Saint Merri, pur gothique flamboyant, construite entre XVe et XVIe siècle sur le même plan en plus petit que Notre Dame, se voit le chevet, courant d'est en ouest sur 70 mètres et laisse deviner dans les structures enchevêtrées de l'architecture, de multiples vitraux. Si la curiosité vous y pousse, allez admirer rue Saint Martin la façade occidentale aux statues d'apôtres et d'animaux et, à l'intérieur, les œuvres de grands maîtres et les vitraux Renaissance.

Mais revenons place Stravinsky. A droite de l'église, sur le mur arrière d'un immeuble s'affiche un gigantesque portrait blanc sur toute la hauteur. Regard et doigt sur la bouche sont comme une injonction au silence. Intitulé "Chuuut", il intimide et interroge. Qui est-ce, que veut-Obey- Le bleu.jpgVisage Jef aérosol.jpgil dire ? Libre à chacun d'imaginer. Selon l'artiste lui-même, cet autoportrait est plus une invite à écouter les autres et le monde qu'une demande de silence. Autant l'église dans son âge, sa majesté, sa beauté architecturale, affirme sans l'ombre d'un doute sa légitimité, autant ce pochoir démesuré de 2012 à la gestuelle impérative et effaçable, signe notre temps, le vivant et le populaire, et ses influences dont la bande dessinée et l'affiche, tout le contraire de la pérennité...Il est signé en bas à gauche Jef Aérosol ( né en 1957), un grand nom du street-art, l'art urbain, mouvement artistique et mode d'expression spontané et rebelle, qui s'est affirmé dans les années 60 en s'inscrivant dans l'espace public. Art éphémère par excellence, il pourrait bien avoir pour ancêtre l'art pariétal, la bombe de peinture automobile étant à l'origine le nouveau médium de ce travail subreptice. Controversé puis admis et enfin reconnu comme art, il a sa place dans les grandes expositions tout en gardant parfois son rôle de porteur de messages publics. Dans le confinement mondial, les italiens ont, parait-il, graffité leurs villes d'un slogan "Tutti a casa"". Vous avez compris: "Tous à la maison".

Presque accolé à "Chuuut" et d'une présence aussi forte avec sa couleur bleue et son graphisme symboliste, un autre motif, encadré comme un tableau, arrête le regard. Il est l’œuvre de Obey (né en 1970), artiste américain bien connu pour avoir réalisé lors de la campagne présidentielle des USA en 2012, l'affiche "Hope" représentant Barak Obama. Ici les personnages, le livre, la fleur, composent une sorte de portrait dont  la fleur serait la chevelure, la tige l'arête du nez, et les draperies verticales les contours d'un visage très christique. En bas est inscrit  "Connaissance + Action = Puissance" et sur le livre "Le futur n'est pas écrit". Ce questionnement universel emprunte à toutes les imageries philosophiques : lotus et mandala asiatiques, croissant mauresque, enluminures moyenâgeuses et draperies Art nouveau. Il a la puissance d'une volonté d'ouverture au monde contemporain. Preuve de sa modernité avérée, une "Marianne" peinte par Obey après les attentats du 13 novembre 2005 figure maintenant à l'Elysée.

Invader 2-avec-pigeon-3639792543-1575572996939.jpgUn dernier coup d’œil à la façade s'impose. Derrière les tuyaux de chauffage dressés comme des tubas géants, Space Invader (né en 1969) a collé ses mosaïques rouges, noires, blanches, 447 carreaux sur 9 m de haut et 7 de large, une gamme qui pourrait bien être un clin d’œil au Centre de recherche de musique contemporaine (l'IRCAM) tout près. Invader marque son territoire dans la ville et se laisse repéré par la pose, souvent au coin des rues, de ses petits carrés qui forment plus ou moins figures..

N'allez pas chercher les noms véritables de ces artistes, ils sont fabriqués et permettent le mystère de l'anonymat derrière des œuvres caractéristiques.

FS-vue-densemble.jpg-fontaine.jpgSur ce fond de décor, au centre, prend place le "Fontaine des Automates", réalisée en 1983 par le couple Jean Tinguely (1925-1991) - Niki de Saint Phalle (1930- 2002), deux artistes du Nouveau Réalisme qui ont marqué l'histoire de l'art. Leur complémentarité, l'un la technique du mouvement, l'autre la sensualité des formes et de la couleur, réussit l'exploit de nous fasciner, de nous enchanter, que nous soyons adultes ou enfants. Cette commande publique ressemble à un champ de fleurs. Les 16 sculptures multicolores en résine, animées par des éléments mécaniques et plantées sur 580m2, offrent un éblouissant spectacle en référence à des œuvres du compositeur dont la place porte le nom : la sirène, la vie, l'amour, l'oiseau de feu... Statiques aujourd'hui comme la nature qui hiberne en hiver, elles fonctionneront à nouveau après la pandémie, attirant autour des tourbillons de jets d'eau, une foule bigarrée qui viendra, comme moi, s'asseoir sur les bords de ce manège enchanté qui n'a finalement pas d'âge, aussi rayonnant que l'église Saint Merri ou la musique audacieuse d'Igor Stravinsky, compositeur russe (1882-1971) honoré sur cette place, ou l'art urbain qui fait chœur avec lui.

Façade centre-pompidou.jpgjpg_Beaubourg_4_Facade_arriere_Beaubourg_code_couleur.jpgDifficile de quitter des lieux aussi riches, à l'écart de la circulation. Il suffit pourtant de se retourner: on est adossé au Centre Pompidou, musée d'Art Moderne et contemporain des architectes Renzo Piano et Richard Rogers. Ouvert en 77, il est toujours commenté pour ses matériaux - le verre et l'acier - ses escaliers chenilles et les couleurs de ses tuyaux apparents. On peut contempler cette étrange façade de 42m de haut et 166m de long, sur la piazza pentue et pavée à ses pieds, s'y asseoir, s'allonger, discuter, pique-niquer et parfois hélas, faire la queue pour entrer dans ce lieu de culture et de vie qui fut qualifié d'usine à gaz par certains et de prouesse par d'autres.

Le plateau Beaubourg, qui fut jadis un ilot insalubre, s'est refait une aura : église, fontaine, œuvres graffitées et architecture révolutionnaire  prouvent qu'un peu de provoc ne nuit pas. Profitons en !

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