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  • René GUIFFREY (Par Sylvie et Régine)

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    Impossible de se fier à la photographie pour appréhender l'oeuvre de René Guiffrey. En effet comment reproduire le blanc et la transparence, notions qui sont au coeur de son travail ?

    Né à Carpentras en 1938, René Guiffrey n'a jamais vraiment quitté sa région puisque, depuis de longues années, il vit et travaille à Bédoin, petite ville du Vaucluse où il poursuit un but tout à fait original et sans concession.

    Profitez dès la réouverture de la Galerie ETC à Paris, prévue dans le courant du mois de Mai, pour découvrir ce travail si personnel, si beau, si dépouillé. Faisant appel plus aux sensations qu'aux émotions, n'hésitez pas à regarder longtemps ce qui est exposé, à vous déplacer devant pour tenter d'en saisir toutes les subtilités.

    Ni vraiment peintures, ni vraiment sculptures, les oeuvres de René Guiffrey appartiennent aux deux genres. Certaines sont faites pour être accrochées au mur, d'autres pour être présentées sur un socle ou installées dans l'espace public. Elles sont constituées d'un assemblage de matériaux transparents ou blancs tels que le verre, le carrelage, la porcelaine, le miroir, le film Priplax et bien sûr le papier, la peinture acrylique ou le pastel blanc.

    De l'ensemble présenté se dégage une sérénité presque monacale, un dépouillement voulu pour se consacrer à l'essentiel. René Guiffrey ne peint pas le visible, ne montre aucun objet mais donne à voir ce qui fait que le monde peut être vu, à savoir la lumière. "Je ne m'intéresserais pas à une oeuvre (de moi j'entends), si avant tout, je n'envisageais pas comment elle se situera, comment elle évoluera dans la lumière... C'est ma préoccupation principale et permanente.... C'est de ce questionnement que sont apparus les différents matériaux que j'utilise" dit-il.

    Rien de tel que d'examiner quelques pièces pour tenter de saisir sa démarche.

    8 - MENERBES red. (page 22).jpgPosé sur un socle  "Lola" est une sculpture constituée d'un grand nombre de plaques de verre, d'environ 30 cm de côté, de format carré, superposées les unes sur les autres de façon à former un cube. Sur chacune d'elles l'artiste a posé, parallèlement aux bords, une petite feuille adhésive blanche, carrée également, le tout coïncidant exactement. L'accumulation des plaques de verre produit une sorte de couleur verte transparente et immatérielle tandis qu'une forme blanche approximativement cubique, créée par les papiers installés au coeur de la sculpture, s'avère être à la fois présente et absente, réelle et irréelle, sans existence et sans poids, insaisissable comme un fantôme. Au gré des déplacements du regardeur cette forme devient mouvante tandis que la lumière, jouant avec la transparence des plaques de verre mais aussi avec l'opacité due à leur superposition, anime et fait briller l'ensemble à sa guise. L'épaisseur de la transparence anime et coordonne tous les éléments de cette très belle sculpture.

    Sur ce principe Guiffrey a réalisé pour les églises de Bédoin et du Beaucet (Vaucluse) des vitraux singuliers, en parfait accord avec la simplissime romanité des lieux. La lumière est filtrée à travers de délicates strates parallèles de verre concassé dont les éclats irréguliers scintillent et changent du bleu au vert avec la lumière. Des inclusions verticales au centre en accentuent la spiritualité. Vous en trouverez une photo dans le catalogue de l'exposition.

    9 - Série J-FL (PAGE 31).jpgTrès différente par la forme est la série "J-FL" puisqu'il s'agit de peinture ; elle appartient cependant à la même famille d'esprit. Elle est constituée de 16 modules sur toile de format 25 x 25 cm, regroupés quatre par quatre  pour former un carré et offrent tous le même motif, sorte de faux carré, les lignes du haut et du bas comportant un léger décrochement. Certaines parties de chacun d'eux sont peintes en blanc, d'autres ne le sont pas. L'orientation des tableaux, et donc du décrochement changeant à chaque ligne, ils sont ainsi à la fois semblables et différents. Tout ici semble rigueur et calcul mais la vue n'a pas de prise tant ces peintures se renvoient les unes aux autres. Allez trouver une logique dans l'agencement de ces 16 toiles ! Comme devant certaines oeuvres de Morellet l'esprit se perd à tenter de saisir l'insaisissable. Mais c'est surtout par la différence du dépôt de blanc d'une peinture à l'autre qu'est obtenu cet effet d'effacement et de destruction de la forme par la lumière, qui brouille les limites de la réalité et empêche le regardeur de trouver un fil de lecture.

    IMG_8056.JPGBien difficile de saisir les secrets de fabrication d'un travail aussi méticuleux que celui des deux tableaux suivants, installées côte à côte. Intitulés "La mouche", mesurant 120 x 120 cm, le fond de l'un est transparent tandis que celui de l'autre diffuse une couleur d'opale. Guiffrey a joué ici sur l'inattendu du matériau : l'un de ces grands verres émaillés est très légèrement convexe et l'autre concave, conséquence due à la cuisson du matériau. Les défauts invisibles du verre font vivre la lumière bousculant la frontière entre réel et irréel. Les multiples plaques méticuleusement placées au centre créent un double effet, les plus grandes, transparentes, semblent fuir, s'enfoncer, tandis que, cernées par un trait d'émail, les blanches s'avancent vers le spectateur. L'instabilité règne.

    Carrés, blancs et se côtoyant encore pour former temporairement diptyque, les deux "Pastels secs sur papier vélin" estampés, marouflés sur bois (100 x 100 cm, 1998) sont troublants. Difficile d'échapper au désir de les rapprocher du mystique (et mythique) "Carré blanc sur fond blanc" de Malévitch (1918). IMG_8065.JPGGuiffrey, avec ce travail digne d'un bénédictin, ne tente-t-il pas ici d'accéder lui aussi à l'insaisissable ? Présentés chacun dans une boîte en plexiglas qui reflète l'environnement, il faut les contempler longuement pour apprécier les subtiles différences de valeur du pastel et percevoir les infimes décrochements qui propulsent ou enfoncent le carré pastellé. L'artiste reprend à son compte les mots de Beckett "non pas le blanc mais la notion de blanc" et cela ouvre le champ des possibles : le blanc crayeux du pastel sec (plus fragile que  le pastel à l'huile) et celui plus froid du papier vélin, des contraires en quelque sorte, le peint et le non-peint ; la lumière et ses jeux toujours différents sur les surfaces, selon les pas du spectateur et le voisinage. Tout cela crée un mouvement, un flottement qui déroute et contredit la géométrie statique du carré, forme impersonnelle, minimaliste, sans volonté de séduction, délibérément choisie par Guiffrey, "parce que ce format s'ancre mieux sur les murs, qu'il est moins flottant, plus statique et ramène toujours le regard des bords vers le centre, et inversement". Comme Ryman en son temps pour ses monochromes blancs à la matière picturale sensuelle, l'artiste a choisi la même pauvreté formelle du support pour faire mieux apparaître le frémissement de la vie.

    Si le blanc a son mystère, le miroir et la porcelaine aussi, Guiffrey en a senti la richesse. Avec "Ah Léa !" 6 - Ah!Léa! RET BIS. (page 17).jpg(acrylique sous verre, miroir brisé, porcelaine, 25 x 25, 2020), il les utilise avec parcimonie et les conjugue l'un dans le plein et la densité - la porcelaine - l'autre - le miroir - dans son rayonnement. Ces deux là s'équilibrent ici en une joyeuse légèreté. L'instabilité du miroir biseauté, avec ses reflets multicolores du monde qui l'entoure et du spectre de la lumière, livre un bougé continu où rien n'est saisissable, réveille le blanc de la porcelaine si raisonnable et rassurante dans sa forme et sa parfaite platitude. La vigoureuse fente centrale conduit le regard vers un ailleurs, un mystérieux hors limite.

    Chez Guiffrey, tout décidément est attente et mouvement, présence et absence, vide et fermentation. Son oeuvre est  déconcertante, toute en retenue et questionnement, et sa part d'imprévisible sous la lumière implique concentration pour en découvrir la multiplicité d'aspects et de signifiance.

    René Guiffrey "Blancs" - Réouverture probable mi Mai Galerie ETC, 28, rue Saint Claude, 75003-Paris (Tél : 09 24 24 35 43). Jusqu'à fin Mai 2021. Le très beau catalogue est visible sur internet.