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Pascal Convert (par Régine)

A la fois écrivain, cinéaste, photographe et sculpteur Pascal Convert ne néglige aucune technique, aucun médium pour exprimer avec force ce qui l'intéresse intensément : la complexité de l'histoire (notamment celle de la dernière guerre mondiale et de la Shoah), les glissements qui s'opèrent entre elle et notre mémoire individuelle et collective, la figure de grands résistants qui, par le don de leur personne, ont permis de changer le cours de l'histoire, la puissance de l'oubli qui engloutit nombre d'innocents... "Je m'intéresse, dit-il, à ce qui est en creux, à l'absence, au silence".

Son exposition actuelle à la Galerie Eric Dupont, intitulée "Passion", montre plusieurs sculptures en verre, notamment deux Christ magnifiques. L'un (photo 1)GEDC0025.JPG est en croix, présenté horizontalement, un gros clou le maintenant avec violence face contre terre. Bras et jambes ont la transparence du verre opalin, comme des membres où le sang ne circule plus, la partie centrale du corps, noire sous le verre évoque une chair carbonisée GEDC0016.JPG(photo 2). Ce Christ, à la fois dématérialisé mais extrêmement présent nous apparaît criant sa souffrance mais aussi dans le don total de sa personne. L'autre

GEDC0019.JPG

(photo 3), plus apaisé, est dans la position du gisant ; tous deux sont posés sur tout ou partie du moule rose pâle qui a servi à la fabriquer.

Il faut revenir au processus de fabrication de ces oeuvres, véritable rituel, qui produit la transmutation du bois en cristal. La sculpture ancienne en bois qui a servi ce point de départ, Convert l'a d'abord assainie, réparée puis enfermée dans du plâtre réfractaire. L'ensemble est porté à très haute température pour permettre la combustion du bois. Celle-ci terminée l'alimentation en verre, pour laquelle des conduits ont été aménagés, peut commencer et le liquide transparent prendre la place de la statue. Après un lent refroidissement s'ensuit le démoulage, une consolidation éventuelle et un travail de patine. Ce sont les résidus de bois calcinés qui apparaissent dans le verre coulé ; les liens noirs qui maintenaient les statues attachées aux moules et qui bordent ces corps martyrisés accentuent l'impression d'horreur du sacrifice humain, et par delà celle de la cruauté des hommes.

On peut considérer ces oeuvres comme une réponse à la violence des quatre Christ d'Adel Abdessemed exposés récemment à Beaubourg. Faits de fil de fer barbelé et de lames de rasoir ils étaient plus proches de l'image de kamikazes bardés d'explosif que du sauveur de l'humanité. A la notion de sacrifice tel que le conçoivent les musulmans Pascal Convert a voulu opposer celle des chrétiens. Le martyr musulman est personnel, il se sacrifie pour lui, pour gagner son paradis, le martyr chrétien s'oublie pour sauver la communauté, il se donne par amour pour ses frères humains.

Une autre oeuvre illustre cette notion de mémoire et d'oubli. Il s'agit d'une souche d'arbre grandeur nature, en verre naturellement GEDC0008.JPG(photo 4). Massive mais transparente, elle renvoie à une existence passée et au souvenir semi effacé.

Au fond de la galerie sont présentés des pages de livre géantes en verre bleu où sont gravés en yiddish le récit d'un rescapé du camp de TreblinkaGEDC0010.JPG (photo 5) mais d'autres livres m'ont particulièrement émue GEDC0007.JPG(photo 6). Ils font partie d'une série intitulée "Reliques". Soigneusement rangés sur une étagère, la fusion d'un verre opalescent ou bleu profond a définitivement figé leur forme dans la matière ne laissant d'eux qu'une ombre noire, celle du souvenir. On pense à toutes les bibliothèques parties en fumée, celle d'Alexandrie, de Sarajevo et bien sûr aux autodafés nazis.

L'intensité de l'émotion suscitée par ces oeuvres est à la mesure des questions et pensées qu'elles provoquent sur la mémoire, la disparition, l'oubli, l'impact d'un individu sur le collectif... A l'heure où les oeuvres d'art paraissent souvent trop hermétiques, trop simples, ou fabriqués pour le marché, il est satisfaisant d'en voir une qui allie une conception et une réalisation très élaborées et dont la perception soit aussi claire et bouleversante. Une technique périlleuse pour révéler les ravages de l'humanité. Point n'est besoin d'être savant pour apprécier la force du message de Pascal Convert. Il sait se faire entendre et réveiller les consciences.

Pascal Convert, "Passion". Galerie Eric Dupont, 138 rue du Temple, 75003-Paris (Tél : 01 44 54 04 14). Jusqu'au 25 mai.

 

 

Commentaires

  • Ton blog est formidable, travail de grande qualité... Je suis certaine que beaucoup seront d'accord avec moi même s'ils ne prennent pas le temps de te le dire.

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