Shirley Jaffe (par Régine)
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La rétrospective de Shirley Jaffe qui se tient actuellement au 4ème étage de Beaubourg est un vrai bonheur. Un souffle de vie parcourt toute cette œuvre où la couleur est reine.
Née dans le New Jersey, Shirley Jaffe étudie d'a bord à New York à la Cooper UYnion School. Puis dès 1949, et comme de nombreux artistes américains et canadiens de sa génération (Ellworth Kelly, Sam Francis, Joan Mitchell, Riopelle....) vient à Paris. elle s'installe d'abord à Arcueil, près de son ami Sam Francis, puis à Paris, rue St Victor dans le 5ème arrondissement, où elle restera jusqu'à la fin de sa vie en 2017.
Le parcours de l'exposition est chronologique et les premières toiles exposées datent de 1953. Jusqu'au début des années 1960 son travail s'inscrit dans la veine de son époque : l'expressionnisme abstrait. Dès l'entrée de l'exposition un magnifique tableau jaune : Arcueil Yellow, de 1956, donne le ton de cette belle période (photo 1). La tension qui se crée entre les masses blanches ponctuées de rouge et de vert qui ancrent le tableau dans le bas de la toile et celles qui s'échappent dans le haut exalte les jaunes de l'ensemble. Difficile de s'arracher à sa contemplation. Voici quelques autres beaux exemples : dans la richesse des couleurs utilisées, la liberté de la touche de Sans titre de 1952, on sent l'influence que les Nymphéas de Monet ont exercé sur l'artiste (photo 2). La vigueur du mouvement ascendant de l'ensemble construit par la couleur : brun vert, noir dans le bas du tableau, bleu, jaune, blanc dans le haut rappelle certaines toiles de Joan Mitchell.
Le grand tableau horizontal Which in the world de 1957 ne la quittera jamais et demeurera toujours dans son atelier, tournée contre le mur, sous un empilement d'autres tableaux (photo 3). Son titre métaphysique que l'on peut traduire par "Quoi dans le monde" serait-il une célébration dionysiaque de la beauté du monde et la forme jaune qui en occupe le centre au milieu d'un foisonnement de couleurs la représentation de l'artiste elle-même.
Les grandes masses colorées de Crasy Jane Appomattox de 1956, où dominent les verts et East meets West, circa, de 1962 où les bruns prennent le dessus évoquerait-ils certains paysages grandioses et sauvages des Etats-Unis ? L'Appomattox est en effet le nom d'une rivière située dans l'état de Virginie et celui d'un des peuples algonquins.
A partir des années 1965, les formes s'organisent et un semblant de géométrisation se met en place. Deux tableaux, tous deux appelés Sans titre, l'un de 1963-68, l'autre de 1965 en sont de bons exemples. Dans le premier les couleurs remplissent les formes (carrés, rondes ou lignes) et s'emboîtent plus qu'elles ne se mélangent (photo 4). Dans le second une forme ovale, partagée en 4 parties par un axe fait de deux faisceaux qui se croisent en son centre, occupe toute la toile (photo 5). L'ensemble, vivement coloré, parait animé d'un mouvement giratoire, comme dans une vision kaléidoscopique. Le tout est vibrant, chatoyant, vivant et très organisé.
Peu à peu Shirley va redéfinir son approche picturale : abandonnant le lyrisme gestuel elle adopte alors une abstraction géométrique rythmée et colorée qui caractérisera son œuvre jusqu'à la fin. L'extérieur devient sa source d'inspiration principale "Je crois, disait-elle, que les peintures sont influencés par les choses qu'ils voient au quotidien, même si leurs tableaux n'appartiennent pas à quelques chose de visiblement réel". Boulevard Montparnasse de 1968 est un bon exemple de cette nouvelle manière (photo 6). Des triangles turquoise, marron, bleu ou violet, très aigus s'animent sur un fond rose bonbon ou jaune tandis qu'une bande segmentée par des couleurs variées semble défiler, en sens inverse, dans le bas du tableau. Tout swingue mais harmonieusement. Si dans New York, peint en 2001, le paysage urbain est peu perceptible on y retrouve le quadrillage de la ville, son élan vers le haut et surtout sa vitalité (photo 7).
Pour elle, le blanc ne constitue pas le fond du tableau sur lequel des formes colorées viennent s'inscrire, c'est une couleur à part entière qui en recouvrent souvent d'autres pour en créer de nouvelles. Dans Sailing (navigation) de 1985 par exemple, des formes variées suggèrent un chaos agité à droite de la toile tandis qu'à gauche, sur une vaste zone blanche, apparaissent de grands objets ondoyants, l'un jaune, l'autre noir. Tout tangue dans cette oeuvre (photo 8). Il en est de même dans de nombreuses toiles des années 1980/90 : citons le joyeux High seas de 1984 ou le lumineux Blue around the center de 1990. Les couleurs sont toujours franches, bien circonscrites dans une forme. L'artiste n'hésite pas à les juxtaposer avec audace et à jouer sur les contrastes du noir et du blanc.
Ecritures ou signes, les tableaux de Shirley Jaffe se couvent d'idéogrammes qui se combinent et s'entrecroisent. A titre d'exemple notons la série sur papier pour laquelle l'artiste reprend en 1987 des titres des années 1930 : Sans titre, Circa, 1987 (photo 9). Les éléments virevoltent, se bousculent, s'entrecroisent et si ces composition semblent guettées par le chaos, il n'en est rien. Tout se tient.
Au croisement de plusieurs héritages Shirley Jaffe sut trouver son propre style tonique et coloré "Je ne veux pas d'une beauté lyrique" disait-elle et elle ajoutait : "On pourrait dire que je cherche à saisir une réalité à naître". Vous l'aurez compris, il serait dommage de passer à côté de cette exceptionnelle et vivifiante exposition dont l'accrochage très bien pensé est remarquable.
Shirley Jaffe, une américaine à Paris - Centre Pompidou - Place Georges Pompidou, 75004-Paris. 4ème étage (monter au 5ème et redescendre par l'escalier intérieur) de 11 à 21h tous les jours sauf mardi. Jusqu'au 29 Août.