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  • Jean Pierre Schneider ( par Sylvie )

    Cliquez sur les images pour les agrandir.

    Quand on apprécie le travail d'un artiste, on ne rate pas une occasion de le faire connaitre ou d'en rappeler les qualités particulières. Jean Pierre Schneider est de ceux là. Régine Lissarrague, ma compagne de blog, l'a déjà signalé en 2018 et 2019. Je voudrais à mon tour communiquer mon enthousiasme à son sujet et vous inciter à visiter l'exposition que la galerie Aittouarès lui consacre pour quelques jours encore.

    20220226_090944 (1).jpgSous le titre "Les femmes et la mer" figurent, entre autres, des tableaux de jarres, grands récipients en terre cuite, galbés et au col fin - les phéniciens les utilisaient déjà pour conserver l'huile ou le vin ! Pour l'artiste, elles symbolisent la femme dans ses rondeurs de mère "engenderesse", sa noblesse et sa dignité. Ce n'est pas tant le sujet qui suscite l'intérêt et accroche le regard mais la matière picturale d'abord, les épaisses couches de peinture liées à la poudre de marbre, qui donnent consistance, onctuosité et surtout une blancheur extrême. Le titre de la série: "Comme si il ne manquait rien" est inscrit dans chacune des toiles. C'est une pratique fréquente de l'artiste. Sur cette oeuvre (60,5 x 60,5 cm) 2021, la graphie des mots participe de l'oeuvre: elle sautille comme des vaguelettes légères et fluides  autour de la masse monolithique et altière enfermant ses secrets. La volumétrie de la pâte, ses creux et ses reliefs, traduisent un âge, une histoire, une solidité, une intense concentration. Que de solitude dans l'espace sans limites du fond.

    20220225_144731 (1).jpgSommairement habillée de vert comme une plante qui sortirait tout juste de terre, cette jarre là, datée du 8/10/21, tend son col vers la lumière, évocation poétique de la vie souterraine, ou celle du nouveau né assoiffé d'air. Le large diptyque coupe la figure en deux : la gestation est en cours. Miracle de la nature qui unifiera la forme dans un univers vaste et serein.

    20220225_143719.jpgL'eau a beaucoup à voir dans l'œuvre de Schneider. Dans cette petite toile de mai 2019, elle a la couleur gris-verte des fonds de lacs : épaisse, sensuelle, presque immobile. Sur les bords, droite et gauche, la peinture s'effiloche, laissant l'oeil deviner l'étendue aquatique. Il suffit de quelques traits blancs pour qu'apparaissent à la surface les reflets de la lumière, et quelques traits noirs pour qu'existe la barque, peut-être abandonnée. Ancrée à droite, sa silhouette affleure comme un souvenir lointain ou une mystérieuse disparition. On ne sait.

    La force du propos de Jean Pierre Schneider est précisément le peu, l'essence des choses. Elle saute aux yeux avec pudeur. Alors, Schneider, figuratif ou abstrait ?

     

    Jean Pierre Schneider, "Les femmes et la mer",  galerie Aittouarès, 14 rue de Seine, 75006. Jusqu'au 5 mars 2022.

     

     

  • "Forme de transfert" aux Magasins généraux de Pantin (par Régine)

    Aller à Pantin voir, dans le bâtiment appelé "Les Magasins généraux", l'exposition de jeunes artistes ayant travaillé au contact d'artisans intitulée "Forme de transfert" est aussi l'occasion de se promener  sur les bords du canal de l'Ourcq et de constater que le Grand Paris n'est plus une illusion.

    Construit en béton armé au début des années 1930 l'immense bâtiment où étaient stockées les denrées venues du monde entier et qui alimentaient Paris, connut à cette époque une activité bouillonnante. Abandonné une trentaine d'année plus tard, il devint le terrain de jeu de graffeurs du monde entier ce qui lui valut d'être appelé "Temple du graffiti" ou "Cathédrale du graffe". 70 ans plus tard l'idée d'un nouveau quartier au bord du canal prit forme et dans la foulée les Magasins généraux furent réhabilités. L'agence de publicité BETC y installa ses bureaux en 2016 et y développe actuellement une programmation artistique et culturelle.

    Au rez-de-chaussée un bel espace est réservé aux expositions temporaires (photo 1)IMG_0097_edited.jpg. Celle en place jusqu'à fin mars, intitulée "Forme de transfert" est réalisée en collaboration avec la fondation d'entreprise Hermès dont les bureaux et quelques ateliers de confection sont installés à proximité. En 2010 cette fondation a en effet mis en place des cycles de résidences d'artistes au sein des manufactures de la maison à Paris et en province. Ainsi des plasticiens, parrainés par des artistes reconnus tels Jean-Michel Alberola, Richard Deacon, Ann Veronica Janssens ou Guiseppe Penone, sont-ils invités à travailler avec des artisans qui les initient à leur savoir faire. Les œuvres ainsi créées sont donc le résultat d'un dialogue entre artiste et artisan. Cette très intéressante exposition montre les œuvres réalisées en majorité par des femmes, qui sont le résultat de 10 années de cette expérience.

    Des ateliers de cristallerie, de maroquinerie, d'argenterie, du textile, répartis dans toute la France participèrent à l'expérience et reçurent durant quelques mois, un ou une artiste pour l'aider à réaliser une œuvre dont voici quelques exemples parmi la trentaine présentées.

    La cristallerie St Louis située en Moselle a piloté plusieurs travaux, différents les uns des autres. Ainsi pour la sculpture "Movidas"(photos 2 et 3)IMG_0080.JPGIMG_0078_edited.jpg l'artiste Lucia Bru, avec l'aide et les conseils des ouvriers de l'atelier, a fabriqué des milliers de petits cubes de cristal ou de porcelaine. Ils sont ici déployés sur le sol, en deux ilots qui envahissent l'espace et accrochent merveilleusement la lumière. La liberté qui se dégage de cette œuvre mouvante est communicative. En effet, le spectateur peut à sa guise tourner autour, changer la place des cubes ou en prendre, rêver devant la fragilité, la patience et le temps qu'il a fallu pour la réaliser.

    IMG_0057_edited.jpg5AF5362C-15C1-47C1-A8D7-6FC198B88C3F_1_105_c_edited.jpgL'installation Presque innocente de Marie Anne Franqueville nous plonge dans son univers fantastique. Les objets en cristal extrêmement fins disposés sur une table d'autopsie nous frappent d'abord par leur fragilité, leur délicatesse et la perfection de leur réalisation (photos 4 et 5). Mais ne nous y trompons pas, l'idée de souillure avoisine ici avec celle de pureté. En effet chacun de ces objets représentent les organes d'une vierge devenus meurtriers. Décorés d'un fin réseau veineux rouge, ils sont tous munis de pièges inventés par l'artiste. Ainsi la carafe représente un utérus dont la propriétaire peut, grâce au bouchon, rester maitre de son utilisation. Les cloches munies de pointes sont des seins, le peigne dont les dents rappelle la ceinture de chasteté est un sexe féminin et les deux verres avec leurs piques munies de crochets symbolisent les ovaires....

    1490E11B-CC0C-407F-87F3-DBB3F2E59DF5_1_105_c.jpegDémontrant les capacités infinies du verre Emmanuel Régent présent deux œuvres très différentes. L'une Himmerslsturz, qui consiste en plusieurs très beaux pavés colorés faits à partir d'aquarelles peintes par l'artiste, laisse une grande part à l'aléatoire (photo 6). L'autre Le naufrage de l'espérance, tentative de réaliser en trois dimensions La mer de glace de Caspar David Friedrich, a nécessité l'aide de nouvelles technologies et de l'outil informatique.

    IMG_0088_edited.jpg0E1E7836-2C90-49AB-8E88-EF23DC5C89DD_1_105_c.jpegLe rideau en cuir, plissé en chevrons, apparemment d'une seule pièce qu'Emilie Pitoiset a réalisé à la maroquinerie de Pierre Bénite est un véritable tour de force. Il a fallu d'abord assembler, de façon invisible, 43 peaux pour obtenir une pièce de 3m de long, puis la plisser en chevrons en surmontant la difficulté de contraindre la rigidité du cuir (photos 7 et 8). Or c'est ce plissage qui permet de jouer avec la lumière et de donner l'illusion d'un changement de matériau. Cette pièce magnifique est intitulée "Gisèle" du nom de ce ballet romantique où l'héroïne danse à en mourir. "Le tombé de ce rideau plissé est un hommage à la résistance d'un corps...." dit l'artiste.

    2F498751-3F77-4CC1-9C64-0269555B924E_1_105_c.jpegLa longue pièce de tissus de 40 m faite d'un mélange de soie, lurex, polyester et acier de Célia Gondol a réalisé au sein de la holding textile Hermès à Pierre Bénite est née de sa rencontre avec l'astrophysicienne Hélène Courtois. Le projet s'élabore à partir de la couleur des lumières rencontrée dans l'univers. Observables d'Apeiron est la tentative de rendre visible l'insaisissable qui nous entoure. Le regard déambule le long de cette oeuvre hors norme dont la beauté transcende la matérialité (photos 9). Elle est accompagnée d'une vidéo dans laquelle l'astrophysicienne elle-même en fait le commentaire.

    IMG_0095_edited.jpgSous le parrainage de Richard Deacon, Marine Class a bénéficié d'une résidence à la Manufacture Puiforcat de Pantin, spécialisé dans la haute orfèvrerie. Avec l'aide attentive d'un spécialiste du travail du métal elle a réalisé, avec une extrême précision, un objet destiné à décorer une table. Pour présenter l'œuvre qui fait penser à un bateau échoué, elle a imaginé une nature morte et l'a posée au contre d'une table recouverte d'un tissus dont le dessin imite une mer de glaces (photo 10)

    IMG_0064.JPGQuant à Clarissa Baumann, s'intéressant au rapport entre la matière et la forme, elle a procédé, dans le même atelier, à l'étirement extrême d'une cuillère en argent (cuillère 2015-2017) pour parvenir à transformer cet objet courant en un fil d'argent de 17 m de longueur. L'installation, qui montre, sur une longue table, toues les étapes de la transformation de l'objet pour se terminer en une bobine, est fascinante (photo 11).

    On pourrait encore citer de nombreux exemples, car presque tous méritent de l'attention. Le livret qui sert de guide à la visite est fort bien fait. Chaque page est consacrée à un artiste et comporte un QR code qui permet de le voir au travail et échanger avec les artisans. On ne peut qu'encourager une telle initiative qui ouvre un dialogue fructueux entre art et artisanat et qui stimule l'imaginaire.

    Magasins généraux - 1, rue de l'ancien Arsenal - 93500 - Pantin : "Formes de transfert", 10 ans de résidences d'artistes- jusqu'au 13 mars. Du mercredi au dimanche de 13 h à 20 h.