Exposition des Editions Ecarts : Oeuvres et livres d'exception (par Régine)
Une très originale et intéressante exposition se cache actuellement ans un recoin du VIème arrondissement. Depuis le numéro 35 de la rue Jacob on y accède par un petit chemin pavé bordé de cyclamens et de camélias en fleurs. Jouxtant la librairie des Editions des Femmes ce bel endroit plein de charme est leur galerie d'exposition où ne sont montrées que des oeuvres d'artistes femmes.
L'exposition, organisée par les Editions ECARTS, présente cinq femmes artistes avec lesquelles elles ont réalisé un ou plusieurs livres dit "d'exception", c'est-à-dire ne se conformant pas aux normes éditoriales habituelles. En effet, tirés en peu d'exemplaires, ce sont des livres de rencontre entre un artiste, un écrivain et un éditeur dont l'objectif commun est de réaliser une oeuvre d'art à part entière. Pour chaque ouvrage les papiers utilisés sont choisis avec soin, les techniques de reproduction varient selon le souhait de l'artiste, mais les illustrations peuvent aussi être des originaux. Enfin le format et la construction du livres sont élaborés en fonction du contenu.
Pour chacune des artistes présentes, sont disposés dans des vitrines le ou les livres qu'elle a réalisés avec les Editions ECARTS ; en regard sont accrochées au mur des peintures ou des gravures. Le rapprochement des deux permet de percevoir leur complémentarité et aussi parfois la façon dont le livre a permis à l'artiste d'explorer de nouvelles pistes. L'organisation de l'espace de la galerie, scandé par de belles poutres anciennes, permet de donner à chacune d'entre elles un lieu propre. Faisons-en le tour.
Dès l'entrée la beauté des tableaux de Béatrice Casadesus attire le regard. Tous sont de même format (80 x 80 cm). Deux d'entre eux sont disposés au dessus de la vitrine dans laquelle sont déployés les somptueux volets de l'un des trois triptyques formant le livre réalisé aux Editions ECARTS. Le texte du poète Michel Deguy Danaé dans le lit s'y trouve enchâssé. Le regard circule entre l'ouvrage si bien nommé où ruisselle l'or et le bleu azur et les tableaux où s'évanouissent l'empreinte d'une infinité de poins ocre et bleutés. Dans la vitrine se trouve aussi un ravissant ouvrage, un poème de Louis Dire dont le titre Si peu assuré est en parfait accord avec l'illustration. Dans les livres, comme dans la peinture mais orchestrée de façon différente c'est d'une quête de la lumière aussi discrète qu'éblouissante et de sa vibration dans l'espace qu'il s'agit.
Il faut regarder longuement les gravures de Geneviève Asse et les monotypes d'Annie Warnier qui se cotoient avec bonheur. En effet, bien que très différentes leurs oeuvres appartiennent à la même communauté d'esprit. Pour la première la simplicité des formes géométriques utilisées, la finesse du trait et surtout cette couleur bleue qui n'appartient qu'à elle diffusent une atmosphère de rigueur et de paix. Pour la seconde la vivacité du trait de certains monotypes vous emporte dans son élan. Dans d'autres la discrétion et la subtilité de la ligne font vibrer l'espace. De format réduits, ces oeuvres délicates et très sensibles fascinent. L'esprit qui se dégage de ces deux oeuvres se retrouvent dans la construction et les gravures de leurs livres présentés dans la même vitrine. Les gravures épurées de Geneviève Asse instaurent de vastes espaces et accompagnent sans grandiloquence le beau poème d'Anne de Staël intitulé Le cahier océanique. Pour les deux livres de format identique qu'Annie Warnier a réalisé aux Editions Ecarts, avec le poète Jacques Guimet, même travail méticuleux de la mise en espace du poème. Pour l'un, intitulé Limbes ce sont des gravures presque des miniatures qui accompagnent le poème et pour l'autre Alcôve en forêt ce sont de délicats dessins au crayon de couleur. Travail unique dans le parcours de cette artiste et qui lui ouvriront sans doute de nouveaux horizons. Voilà trois livres intimes et musicaux.
Avec Colette Deblé, cette grande artiste du livre, on entre dans un tout autre univers, celui de la vie, de la couleur, de la profusion, de l'infinité des formes et de l'imaginaire. Les silhouettes de la multitude des femmes découpées à même la toile et qui ornent les murs telle cette grande statue noire qui domine la salle, sont puisées dans les oeuvres des différentes époques de l'histoire de l'art. Elles sont entourées de boîtes renfermant des reliques colorées, souvent pleines d'humour. Cet ensemble amène vitalité et joie de vivre à l'ensemble de l'exposition. Sur le grand miroir à droite de l'entrée c'est une farandole chatoyante de femmes de formats réduits qui entoure la vitrine dans laquelle figurent deux des livres réalisés aux Editions Ecarts, avec le poète Louis Dire. Le spectaculaire et savant pliage de Quand bien même, faisant rayonner la couleur des images, enchante. L'intelligence du montage des silhouettes découpées de Au bonheur des nains, séduit. Ces deux ouvrages, qui ne se ressemblent pas du tout, prolongent le travail de Colette Deblé et le magnifie. Le plaisir pris par l'éditeur et l'artiste dans la réalisation de ces deux ouvrages est communicatif.
On achève le parcours avec Marie-Claude Bugeaud. Celle-ci a réalisé avec Tita Reut le livre Le pied de la lettre, un long dépliement de collages, de taches et d'empreintes qui ponctuent le poème. Sur six toiles de grand format lui répondent. Ce sont des formes simples, anodines semble-t-il, des couleurs fortes, des oeuvres dont l'évidence dissimule en fait sensibilité et subtilité.
Cinq artistes ayant chacune leur propre univers mais qui jouent ici, dans les livres comme dans leurs oeuvres, une symphonie rare et prenante.
Oeuvres et livres d'exception - Espace des Femmes - 33-35 rue Jacob, 75006-Paris. Du 5 au 27 février. Ouvert du mardi au samedi de 13 à 18 h. (01 42 22 60 74)