Jannis KOUNELLIS (par Sylvie).
Il faut y courir. L'exposition Yannis Kounellis - artiste italien né en 1936 - à la Monnaie de Paris va bientôt fermer ses portes. Ce serait dommage de passer à côté du travail de cet artiste à l'origine de l'Arte Povera à la fin des années 60 qui a bouleversé le monde de la sculpture en introduisant des matériaux dits "pauvres". Il y ajoute des accessoires de la vie quotidienne se rérérant aux activités du réel: meubles, vêtements, éléments végétaux et animaux propres à faire naitre de multiples questions.
Dés l'entrée, dans la vaste salle à très haut plafond, aux colonnes de marbre et aux dorures propres au XVIII ème siècle de cet hôtel particulier du quai Conti, Kounellis bouscule la présentation habituelle de la sculpture et de la peinture en créant un ensemble surprenant qui résume assez bien les grands symboles qui lui sont chers et les contrastes qu'il entretient. S'y côtoient une dizaine de gigantesques chevalets noirs bloquant l'espace (photo1), porteurs d'austères tableaux dans leur noirceur d'acier brut, une noirceur naturellement nuancéé de rouille et de bleuté qui ne sont pas sans rappeler les "Outrenoirs" de Soulages ou par leur bande verticale, le minimalisme de Barnett Newman. A leur pieds,sur le sol à damier noir et blanc, Kounellis fait dialoguer les matières, les confrontent les unes aux autres: (photo2) un bac de charbon ( un bac à sable ?) mat avec des brillances, rappelle le travail d'extraction et le pouvoir de chaleur de ce matériau. A côté, sur un amoncellement de longs clous renvoyant sans aucun doute au travail de manutention, mais dont l'épaisseur de la couche contredit le danger, un premier lit de camp dégage par ses orifices des flammes.Oui, semble t'il dire, le charbon n' est pas seulement bienfaisant, il est aussi destructeur. Le second supporte une cage où, sur la paille, dorment ou gambadent des souris. Sont elles à notre image, inconscientes mais néanmoins partie prenante du monde ? Autour de le pièce, dans un renfoncement, Kounellis a superposé bien à plat une série de couvertures grises, en référence à la mémoire, au passage du temps, aux plis obscurs de l'âme et à la peinture de la Renaissance. Comme en un trompe l'oeil de Masaccio. L'ensemble de cette présentation spectaculaire, véritable espace dramatique, nous parle de l'histoire du lieu, de la révolution industrielle, d'une certaine beauté dramatique et de notre petitesse humaine. Elle renvoie également au savoir faire de l'institution"Monnaie de PARIS", toujours en activité et pose la question du processus de fabrication d 'une oeuvre.
Dans la pièce suivante de longs cylindres métalliques gisent, sous de mêmes couvertures de l'armée (photo 3). Comme des cercueils ils semblent en attente de départ. L'un d'entre eux s'appuie contre une double plaque métallique dont l'angle est ouvert. A ce sujet Kounellis raconte un souvenir d'enfance resté gravé dans son esprit: l'angle mur/porte de sa chambre lui est apparu comme une impossibilité de fuite...Sculptures, tableaux, l'échelle humaine reste la préoccupation principale dans l'élaboration d'une oeuvre. Les plaques d'acier en sont le symbole:elles mesurent 200x180cm, à peu près un lit double et les "cercueils" sont à la dimension d'individus.
Plus loin, sur un assemblages de toiles à sacs en jute noir, pauvre, manuellement fabriqué, faisant tapis (photo 4), une petite pyramide de graines de tournesol dont on connait la valeur nutritive....Le contraste entre ces éléments - le riche le pauvre - renvoie aux échanges commerciaux et humanitaires et à l'éternel renouvellement, aux capacités de l'être humain à faire, défaire, refaire et à créer des liens.
Dans une vitrine circulaire (photo 5), des couteaux sont très régulièrement suspendus comme des objets précieux. Et, de fait, ils peuvent être considérés comme tels: ils sont le résultat du savoir faire de la dernière manufacture de Paris et de l'industrie qui en anoblissent la simplicité de matière. Bois, métal, autant d'éléments dont la beauté et le danger méritent d'être glorifiés et tenus à distance.
Un grand tableau, aux mêmes dimensions matriarcales que les panneaux précédents, tranche par sa couleur jaune (photo 6), éclatante, hommage à l'artiste américain Barnett Newman, le pape de l'Expressionisme abstrait américain. Le partage vertical, qui divise en deux le champ uniforme est remplacé ici par une poutre métallique noire. Ce fameux zip reprend l'idée de présence même de la création, ce moment de perception aigüe où l'espace se divise et réunit.
Ces morceaux de charbon fixés sur trois grands panneaux debouts (photo 7) comme les papillons épinglés des collectionneurs, ne formeraient ils pas les lignes d'une écriture indéchiffrable? Comme les trois petits points d'une fin de phrase, ils laissent la place à un avenir incertain.
La pièce qui suit est occupée à angle droit: de face est placé un tableau partiellement rose où une phrase de Pulcinella de Stravinsky est inscrite. A droite, sur des panneaux noirs, accrochés à des crocs de boucher, des vêtements noirs, vieux semble t'il, suggérant absence ou disparition, une tragédie sans que l'on sache laquelle (photo 8). Pour que cette oeuvre de 1972, intitulée "Da inventare sul posto" fonctionne, il manque sur cette photo le violoniste et la danseuse qui invente sur place l'oeuvre et symbolise la force, le rythme et l'orchestration, tout un ensemble condensé dans le geste créateur. Encore une preuve du désir de l'artiste de faire passer l'énergie vivante dans l'oeuvre et de "chercher de façon dramatique l'unité"... dans le dépouillement.
Brut(e)Yannis Kounellis, à la Monnaie de Paris, 11 quai de Conti, 75006 Paris. Ouvert tous les jours de 11h à 19h, le jeudi jusqu'à22h. Jusqu'au 30 avril 2016.