Pablo REINOSO (par Sylvie)
Entre oeuvre d'art et design, le travail de l'artiste argentin Pablo Reinoso est toujours déroutant. Les pieds dans le réel il nous entraine néanmoins dans un univers poétique et attachant qui fait sourire et réfléchir. La Maison de l'Amérique latine à Paris en expose un aperçu. L'utile et le beau, l'humour et le philosophique s'y mêlent pour créer avec des matériaux nobles, un plaisir visuel, sensuel et intellectuel extrêmement stimulant.
Il y a d'abord ce banc, Retour végétal, 2015, bois sculpté et acier, de la série Spaghetti Benches, dont la photo s'affiche en grand à l'entrée, sur le boulevard, comme un pied de nez . A l'intérieur, il est là, en vrai, comme n'importe quel banc de jardin avec ses lattes de bois clair lisses et douces. Sauf qu'au lieu d'être parfaitement rectilignes, elles ondulent et se déploient tout autour en arabesques comme des rubans. Le meuble a perdu sa géométrie et sa fonction première- impossible de s'y asseoir- mais il a gagné en vitalité par ses lianes indomptables, revenues, dirait-on, à l'état sauvage. L'idée que la matière échappe à ce que la main de l'homme lui a imposé pour son propre usage et retrouve sa liberté organique en proliférant est évidente. Elle induit la notion que le temps est à l'oeuvre. Né sans doute de l'exubérance de la nature locale, ce même type de déploiement immaitrisable se retrouve chez le sculpteur brésilien Henrique Oliveira.
Autres objets impraticables de Reinoso, les cadres, contenants prévus pour des contenus. Two for tango, 2014, en est un double en bois sculpté n'encadrant que du vide. 236,5x205x56,5cm. L'artiste renverse les valeurs et fait des contours l'oeuvre elle même. Hommage au double portrait fameux (Ecole de Fontainebleau, vers 1594) de Gabrielle d'Estrée et de sa soeur la duchesse de Villars, les cadres, dans un effet surréaliste, se délitent en entrelacs de bois, se rejoignent, oublieux de leur fonction. Les volumes se répondent délicatement et recréent le dialogue du tableau de référence.
Reinoso a tant travaillé le bois, qu'il en est devenu allergique, il doit confier la réalisation de ses oeuvres à des ateliers. Mais son goût pour la couleur noire l'a mené vers d'autres réalisations, en particulier pour l'espace publique, tel le Throne beam stool, 2015, un banc auréolé de lianes, en acier peint, et une installation. Paysage d'eau, 1982, en marbre et charbon minéral, 600x90x10cm. Se trouve figé dans le marbre statique l'essence même du mouvement de l'eau et ses reflets que borde de sa fragilité mate le charbon brut. Magnifique paysage et pourtant si minimal.
La chaise Thonet (1859), en bois tourné noir et cannage, est un symbole du passage à la modernité. Tous les designers le reconnaissent. Reinoso l'utilise avec tendresse et irrévérence dans une installation et une video. La tête en bas, cette pièce fétiche, pratique et élégante, est collée au mur puis au plafond qui finalement s'effondre pour se terminer dans la cheminée, une image de la vie sans doute, et de la métamorphose qui nous fait naitre, évoluer et finir déconstruits et brulés dans la cheminée. Ashes to Ashes, 2002.
Dans la vidéo (2006) la chorégraphe et danseuse Bianca Li manipule la chaise, tente, avec un sérieux imperturbable que ne renierait pas Buster Keaton, de dialoguer avec elle, de la faire sienne dans des positions les plus improbables comme si cet objet inanimé avait une âme.
Il est bien connu que les argentins sont friands de psychanalyse. Deux oeuvres en matériaux souples, toile et ventilateurs, s'y réfèrent: le Monochrome respirant, 1999, 300x260cm est constitué d'une série de coussins de toile noire qui gonflent et se dégonflent régulièrement. Ils respirent... comme des êtres humains. Un double de cette oeuvre figure à La Maison rouge dans le cadre de l'exposition Buenos Aires. Quant au huis-clos du Cabinet du Dr Lacan (1998), 200x400x250cm, il se voit à travers la toile-bulle comme si divan et fauteuil gonflables animés d'une respiration participaient du travail analytique.
Pablo Reinoso, "Un monde renversé", Maison de l'Amérique latine, 217 bd St Germain 75007. Paris. Tel: 01 49 54 75 00. Jusqu'au 31 juillet et du 17 au 22 août 2015.